JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

22 February 2006

“Les peupliers ne peuvent monter jusqu’au ciel”

l'express du 22/02/2006

Par Jean-Mée DESVEAUX 

En proie à la sinistrose qui poursuit notre économie, il n’est pas étonnant que l’île Maurice s’agrippe à l’avenir du tourisme comme un noyé à une bouée. Avec ses 7,5 % de contribution au produit intérieur brut et 25 000 emplois directs, le tourisme a prouvé sa résilience à la fin de l’année dernière quand quelques initiatives bien pensées ont démontré l’élasticité de notre capacité d’accueil au beau milieu de la haute saison.

Cependant, à trop loucher sur le tourisme, nos décideurs donnent l’impression de passer complètement à côté de la plaque. La juxtaposition des déclarations du Premier ministre (PM) mauricien et ceux de Francesco Frangialli, secrétaire général de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), lors des Assises du tourisme démontrent clairement le talon d’Achille de notre stratégie.

Le PM, homme politique d’abord et avant tout, n’a de cesse de trouver un remède pour tonifier la croissance anémique de l’économie nationale. Il entrevoit une croissance à deux chiffres qui pousserait le nombre de touristes des 800,000 actuels à pas moins de deux millions dans 15 ans !

En déclarant cet objectif, Navin Ramgoolam semble oublier qu’il est le chef du gouvernement d’un état confetti où les plages capables de recevoir des infrastructures hôtelières de cinq-étoiles n’existent plus depuis quelque temps déjà. S’il lui fallait une preuve, on pourrait sans aucune peine lui démontrer que deux des quatre derniers fleurons à joindre notre parc hôtelier sont si mal lotis que leurs clients pataugent dans la vase à chaque fois qu’il se met à pleuvoir.

Le PM et ses tacticiens pourraient bien sûr répondre qu’avec une population mauricienne de 1,2 million, les 88 plages publiques occupant une superficie de 300 hectares sur 40 km de front de mer sont totalement excessives. Ils pourraient arguer que le développement économique passe avant le loisir des Mauriciens et qu’il y a un coût à tout développement économique.

Ce raisonnement n’est du reste pas totalement étranger à celui de tous les gouvernements qui ont été au pouvoir jusqu’ici. Comme les hôteliers, nos politiciens croient dur comme fer qu’il n’existe pas de limite à la tolérance des Mauriciens. Ils ont tort et cette insensibilité est le plus grand danger qui guette une industrie qui repose sur le sourire de la population.

En écoutant les propos du patron de l’OMT, on a l’impression que lui au moins a bien cerné notre problème : “Les réussites passées ont été remarquables mais ne garantissent pas un succès sans nuage. Tous les problèmes de Maurice ne seront pas résolus par une croissance exponentielle de l’industrie touristique qui mène à l’essoufflement et aux phénomènes de saturation des infrastructures et à la dégradation du produit. Les peupliers ne peuvent monter jusqu’au ciel… Il ne faut pas cependant attendre que les difficultés se présentent pour se remettre en cause.”

Si on oublie les hyperboles politiques qui visent aux deux millions de touristes par an pour revenir, ne serait-ce qu’un moment, sur terre, il s’agit de se demander de façon réaliste où trouver l’espace que requiert un parc hôtelier de 200 établissements sur un littoral qui ne grandit pas à la mesure de notre ambition de croissance illimitée..

Une réponse a cette question existe mais elle est tellement explosive que le PM lui-même n’ose s’y référer que de façon oblique. émettant le souhait que l’industrie touristique “profite au plus grand nombre et pas seulement à un groupe restreint”, il a souligné lors des Assises du tourisme, que “ceux qui disposent des droits d’exploitation des sites les plus magnifiques du pays doivent aussi veiller au développement et à l’amélioration des régions où ils opèrent.”

Il n’est pas permis de douter que le PM se référait ici aux 1 243 propriétaires de bungalow sur le littoral qui jouissent d’un bail sur les terres de l’état depuis les années soixante. Le choix des mots reflète la perception émotionnelle bien mauricienne de ces “profiteurs” qui s’approprient le bien de l’état pour leur enrichissement et bien-être personnels.

La petite phrase assassine du PM cache un réel drame national sur les plans social, humain et économique qui va se jouer dans les années à venir. La perception qui a valu aux propriétaires de bungalow de se voir imposer un “campement site tax” il y a cinq ans de cela est ancrée sur le fait que les baux vendus aux enchères dans les années soixante n’ont trouvé preneurs qu’à un prix extrêmement bas dû à la pauvreté générale du pays.

Ensuite, ces baux de soixante ans, renouvelables en trois tranches de 20 ans, ne pouvaient augmenter de plus de 50 % à chaque renouvellement. Finalement, les bénéficiaires de ces baux sont pour la plupart issus de ce “groupe restreint” dont la prévalence est déjà décriée dans toutes les autres sphères économiques du pays.

Mettant de côté les connotations émotionnelles de ce débat, si on veut admettre que Navin Ramgoolam n’a pas tort de penser que certains campements devraient céder la place au parc hôtelier pour l’avancement de l’industrie touristique, le succès de cette stratégie dépend essentiellement de la manière de faire du gouvernement. On pourrait pour une fois déroger à la tradition de tout faire à la dernière minute avec un maximum de coût en drame humain et en termes de fissure du tissu social du pays.

Le temps presse ! Des 1 243 campements “site leases”, environ 500 arrivent à expiration en 2020 et le reste arrive en 2040. L’état pourrait dans l’exercice de sa cruelle souveraineté utiliser l’article 15 des baux qui lui permet de donner trois mois de préavis aux “propriétaires” de campements avant de reprendre possession du site ayant accordé, au préalable, Rs 20 000 en guise de compensation maximale comme stipulé dans les contrats. Il pourrait aussi, avec une indifférence non moins cruelle, laisser les baux expirer naturellement avant de demander aux occupants de décamper des terrains de l’état avec leurs bâtiments dans un délai de quelques mois, comme l’exige la loi.

Il pourrait inversement procéder rationnellement en utilisant au maximum les années qui restent à ces baux afin d’établir un dialogue entre futurs hôteliers et propriétaires de campements avant que la valeur de ces baux n’atteigne le niveau zéro.

15 February 2006

Mordre la main qui nous nourrit

Par Jean-Mée DESVEAUX
L’express du 15 février 2006

Si l'île Maurice est ce qu'elle est aujourd'hui, c'est, à ne pas en douter, le résultat direct de sa participation à l'accord que les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) ont signé avec la communauté européenne, il y a déjà trente ans. Le Protocole sucre, les diverses Conventions de Lomé et de Cotonou, ont non seulement tiré l'île Maurice du sous-développement où elle était bien insérée dans les années 70 mais elles lui ont, de surcroît, permis de s'approprier près de 40 % de cette manne venue du ciel. On connaît le reste. Du sucre, nous avons évolué vers l'hôtellerie et le textile, ce qui nous a ainsi permis de diversifier notre économie. Les prévisions de nos pertes futures laissent entrevoir la magnitude de ce boost à notre économie : Quatre milliards de roupies additionnelles de recettes annuelles. Pendant les dernières décennies, notre sucre a été rémunéré au triple du prix prévalant sur le marché mondial. Mais tout arrive à une fin. Il y a des règles au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) que l'UE enfreignait dans ses exportations excédentaires de sucre sur le marché mondial. Elle déversait plus de trois millions et demie de tonnes de sucre subventionné sur le marché mondial, ce qu'elle n'en avait pas le droit. Trois grands pays producteurs de sucre ayant saisi l'OMC sur ce point et ayant gagné leur cas, l'Union européenne (UE) doit, à partir d'août 2006, rediriger ce volume énorme de sucre vers son marché intérieur. Il devenait évident que l'UE allait se retrouver avec une offre excessive de sucre sur les bras.

Pour rendre le marché du sucre européen encore plus saturé, l'initiative "Everything but arms" de Pascal Lamy, ouvre graduellement mais inexorablement le marché européen à l'exportation de la cinquantaine de pays moins avancés (PMA).

Ces deux événements ont été à la base de la décision de la Commission européenne de réduire le prix du sucre de ses producteurs et donc des ACP de 36 % en quatre ans. Le commissaire européen à l'agriculture l'a bien spécifié : toute réduction en-deçà de cette forte baisse encouragera les PMA à investir dans des moyens de production qui ne feront qu'empirer le déséquilibre de l'offre sur la demande au sein du marché sucrier européen.

Dans la mesure où Maurice tirait de loin le plus grand bénéfice du Protocole sucre, le coup était très dur. Le Sugar Sector Strategy Plan avait courageusement attaqué les problèmes de base en initiant le VRS qui allait permettre à l'industrie de réduire son manque de compétitivité au niveau mondial. Deux sucreries ont rejoint la liste de independent power producers avec un investissement de plus de quatre milliards et la dette du corporate sector vis-à-vis des banques à travers le special line of credit de la Banque de Maurice et autres a atteint la barre des cinq milliards.

Tout cela est entendu, mais il devient de plus en plus évident que la nouvelle "diplomatie économique" qui consiste à élever un barrage d'invectives, de supputations douteuses et d'autres injures contre l'Union européenne et ses commissaires depuis l'annonce de la baisse de 39 % du prix du sucre nous ont fait, on peut le constater aujourd'hui, bien plus de tort que de bien.

Du point de vue purement éthique, était-ce très décent de traiter ainsi ceux qui hier encore étaient nos pères nourriciers. Peut-on gommer 30 ans de partenariat dont l'essentiel a si évidemment penché en notre faveur ? A-t-on entendu une seule voix du secteur "corporate" ou gouvernemental faire une analyse lucide qui démontrerait une appréciation de la difficulté dans laquelle l'UE se retrouve vis-à-vis de l'OMC en ce qui concerne le sucre? A-t-on entendu une voix s'élever pour nous rappeler ce qui a été fait pour nous par les Européens quand les contraintes de l'OMC et autres le leur permettaient ?

On peut apprécier la virulence du ton général quand on lit les propos d'un membre du corporate sector pourtant connu pour sa retenue et sa courtoisie : "Derrière les propositions de l'Union européenne, il y a une énorme arrogance, une grande hypocrisie.. ..les pays qui nous ont davantage laissé tomber sont ces 11 qui... après avoir grappillé quelques avantages ne nous ont pas été d'un grand secours'.' On ne peut entrevoir dans ces propos l'existence d'un transfert des Rs 80 milliards équivalant à la moitié de notre PIB de l'UE à l'industrie sucrière mauricienne durant ces 20 dernières années. N'avons- nous pas, du reste, bienveillamment voté contre le candidat de l'UE au poste de directeur de l'OMC comme pour bien démontrer notre reconnaissance ! Le ministre de tutelle a mis le point final à ses propos injurieux en soulignant devant le Commissaire Mandelson "le caractère injuste" dans la différence entre les mesures d'accompagnement que l'UE accorde à ses propres producteurs et celles qu'elle accorde à Maurice et aux ACP comme quoi nous aurions oublié notre souveraineté nationale en quémandant un traitement compensatoire égal à celui de la Réunion, département de la République française, donc de l'UE. Il avait auparavant prédit que la reforme allait résulter "en un océan de pauvreté et que sept multinationales européennes uniquement profiteraient de la baisse." Le "foot and mouth disease" avait atteint un niveau pandémique pour les responsables du dossier et la grenouille mauricienne devenue bœuf, se voyait arrêter toute seule, le processus de rationalisation de l'agriculture au sein de l'OMC.

En agissant ainsi, nous avons défendu nos intérêts économiques en parfaits amateurs. La vague d'émotions déferlantes et la surenchère des cris offusqués ont fait oublier que les dés n'étaient pas encore jetés et que nous devrions faire montre, si ce n'est d'une sincère reconnaissance vis-à-vis du bienfaiteur européen, du moins, d'une sagesse mercantile de nous taire avant que ne soient identifiés les critères de compensation et des autres mesures d'accompagnement qui allaient véritablement sceller le sort de notre industrie sucrière.

On pouvait pourtant déceler dans le ton de la Commissaire Boel un agacement avancé vis-à-vis de cris de putois provenant des ACP (et par ricochet vers leur chef d'orchestre mauricien) qui, malgré leur pauvreté avérée, n'avait de cesse de faire du globe-trotting. Le message au niveau local arriva à travers Mme Claudia Wiedey-Nippold, la nouvelle patronne de la délégation de l'UE à Maurice. Parlant de la part de Maurice au sein du Protocole sucre, elle dit : "Cette subvention à l'économie équivaut à un niveau de près de 120 euros par habitant par an. Ce qui est considéré, au niveau mondial, comme un record en matière d'aide au développement'.

Dès lors, ayant ouvertement aliéné la sympathie de ceux qui étaient hier encore nos meilleurs amis, le plafond imposé à Maurice, soit 15% de la somme globale attribuée aux ACP en guise de mesures d'accompagnement, n'est autre qu'un retour de la manivelle. C'est, à ne pas en douter, un obus lobé au beau milieu de l'île ingrate par les responsables excédés de l'UE. Et Peter Mandelson nous rappelle, en passant, que nous devrions nous considérer heureux car, après tout, avec les Rs 217 millions qui nous ont été allouées, en termes absolus, "Maurice a obtenu la plus importante allocation".

L'ironie du sort qui n'a pas pu échapper aux Européens, c'est que le plafond de 15 % des mesures d'accompagnement allouées à l'île Maurice nous met en porte à faux avec notre philosophie affichée d'oeuvrer essentiellement pour les intérêts des pays pauvres des ACP. Obligés de nous battre en vue d'une révision de ce plafond qui ne pourrait que diminuer la part des ACP, l'UE nous force à  jeter le masque d'altruiste que nous avons pris tant de soins à cultiver depuis si longtemps dans les forums internationaux !

08 February 2006

“The wheel of fortune”

l'express du 08/02/2006

Par Jean-Mée DESVEAUX

La roue du destin était un symbole omniprésent qui imprégnait la vision de l’univers de l’homme du Moyen âge. Cette roue était conçue d’abord comme étant moralement aveugle, n’ayant d’égard ni à la justice ni au mérite. Elle était ensuite brutale car plus on y est haut perché, plus la chance de dégringoler vers les abîmes augmentait. C’était une vision somme toute pessimiste du monde et de l’existence.

Le Mauricien qui jette un coup d’œil sur la courbe économique que prend en ce moment l’île Maurice serait tenté de se demander si, après vingt ans d’existence relativement prospère, la roue du destin n’a pas commencé son inexorable manège avec le devenir du pays.

Cette vision des choses acquiert encore plus de signification quand on se souvient que, dans un passé pas trop lointain, alors que l’île Maurice nageait dans le marasme économique, la Grande île, notre voisine, jouissait d’une opulence qui faisait rêver nos compatriotes qui visitaient Antananarivo, le Paris de l’océan Indien. Sans guerre ni fléau, un tour de roue a fait de Madagascar le spectre de sa grandeur d’antan.

Le profil qui se dégage de l’économie mauricienne ne présage rien de bon. Le textile mauricien, qui s’était taillé une place prépondérante dans la santé insolente du pays, a perdu de sa superbe avec la fin de l’Accord inique multifibre (MFA), annoncée en 1994 à Marrakech.

Avec une constante perte de vitesse atteignant près de 30 % sur les cinq dernières années, ce moteur de nos exportations montre des signes évidents d’essoufflement. La contraction de 13 % l’an dernier réduit son apport à la richesse nationale de 11 % il y a quatre ans à un peu plus de 7 % : signe de détresse d’un pilier qui ne peut plus assumer le rôle qui fut le sien au sein de l’économie. La restructuration du secteur, courageuse quoiqu’un peu tardive, réduira mais n’arrêtera pas tout de suite l’impact délétère sur nos exportations et sur la perte d’emploi déjà massive.

Mais ce qui frappe surtout dans notre relation économique avec le monde extérieur, c’est qu’avant même que la réduction de 36 % sur le prix du sucre mauricien ne commence à se faire sentir, les indicateurs clefs du commerce extérieur passent déjà au rouge vif. Comme nous importons régulièrement plus de biens “visibles” que nous n’en exportons, la balance de notre commerce “visible” est traditionnellement déficitaire depuis des lustres. Rien de très inquiétant à cela tant que notre balance au niveau des services demeure suffisamment excédentaire pour faire le contrepoids et produire une balance soutenable du current account.

Or notre balance en visible trade a amorcé cette décennie, un déficit qui augmente d’environ Rs 10 milliards par an, atteignant en 2005 le chiffre record de Rs 33 milliards. L’an prochain, ce déficit atteindra en toute probabilité Rs 40 milliards – près de 20 % du produit intérieur brut (PIB).

Le compte courant accusera alors un déficit de plus de 5 % du PIB. On ne peut s’empêcher de se demander ce qui adviendra le jour où la perte de Rs 4 milliards annuelles du secteur sucrier se sera finalement installée. La pertinence de ces chiffres est que le déficit du compte courant a un impact direct sur la balance des paiements entre le monde extérieur et l’île Maurice.

Cette balance a atteint un déficit Rs 3,1 milliards l’année dernière et tout laisse croire que ce chiffre triplera l’année prochaine. Un déficit de la balance des paiements puise des réserves dont se sert le pays pour s’approvisionner en biens et services du monde extérieur. Bien qu’on ne soit pas encore au point où ces réserves en termes de mois d’importations ne se traduisent en termes de semaines, la hausse du prix du pétrole, la constante dépréciation (dite compétitive) de la roupie ainsi que les chocs sucre et textile ne nous permettent pas l’insouciance que nous affichons encore.

Si le déficit du commerce extérieur, conséquence de la perte de vitesse de nos exportations, peut être vu comme un facteur exogène sur lequel nous n’avons pas ou peu de contrôle, on ne peut dire la même chose du déficit budgétaire gouvernemental.

L’île Maurice a vécu et continue de vivre au-dessus de ses moyens même quand il était abondamment clair que les années de vaches grasses tiraient à leur fin. La naissance de la World Trade Organisation en 1994 avait explicitement scellé le sort de notre textile.

En ce qui concerne le sucre, nous persistions à croire que les mesures européennes visant à éliminer les lacs de produit laitier et les montagnes de beurre excédentaire n’allaient pas toucher au prix des betteraviers et donc à celui de notre sucre. Les gouvernements successifs n’ont pas trouvé bon de réduire le stock de la dette publique qui à Rs 121 milliards en juin de l’année dernière s’approchait dangereusement des 70 % du PIB.

Il suffit de constater que pas moins de 27 sous de chaque roupie que dépense le gouvernement dans ses dépenses courantes vont au service de la dette du secteur public. La magnitude de ces chiffres est d’autant plus inquiétante que notre économie a depuis ces derniers temps abandonné la croissance d’antan. Alors que pendant d’innombrables années, notre croissance planait au-dessus de 5 % du PIB, aujourd’hui la tendance semble être nettement vers une moyenne d’un peu plus de 3 %, ce qui alourdit nettement le service de la dette.

Ce sont là les signes les plus évidents du danger qui nous guette. La face cachée de l’iceberg est encore plus pernicieuse. On pourrait en tirer un seul élément parmi tant d’autres qui fait frémir rien qu’à y penser : la pension. Avec 120 000 bénéficiaires en ce moment la Basic Retirement Pension coûte Rs 3 milliards ou 2 % du PIB à l’état. Chaque pensionnaire est subventionné par 7 salariés.

Dans un peu plus de 30 ans, le nombre de pensionnaires aura atteint 350 000, coûtera près de 5 % du PIB au gouvernement. Le nombre d’actifs qui subventionnera chaque pensionnaire aura atteint 2,4, une situation insoutenable.

En ce qui concerne le service civil, les bénéfices associés à la pension non contributive sont aussi de l’ordre de Rs 3 milliards alors qu’on s’attend dans moins de vingt ans à avoir autant de fonctionnaires à la retraite que de fonctionnaires actifs.

Ce sont là des bombes qui vont littéralement imploser la fabrique socio-économique de ce pays et le gouvernement qui aura prétendu ne pas le savoir gardera une place dans l’histoire du pays pour son infamie.

Est-ce que la roue du destin a donc déjà opéré un demi-tour fatidique sur le pays ? Le temps presse mais en sept mois, le gouvernement ne donne aucune indication de sa volonté de se dépêtrer de la démagogie préélectorale qui lui colle à la peau afin de prendre des mesures concrètes pour restructurer la base économique du pays.

Pris au piège par son acharnement contre l’essence même de la logique économique qu’est le ciblage (targetting), il lui sera difficile voire impossible d’imposer des mesures aussi pénibles que nécessaires à la totalité des pensionnaires et pas juste aux plus aisés comme ce fut le cas pour le ciblage.

Comme dans tous problèmes, il existe une solution idéale et une “second best solution”. Le principe démocratique voudrait que ce soit l’Alliance sociale qui gouverne pour les quatre ans et demi qui lui restent. La majorité de l’électorat a plébiscité ce gouvernement et il serait triste d’avoir à frustrer cette volonté souveraine.

Il serait hautement préférable que le gouvernement reconnaisse que le destin fragile du pays se déterminera, pour le meilleur ou pour le pire, durant ce mandat et qu’il prenne ses responsabilités. Mais, pris à son propre piège, on a la nette impression que le gouvernement n’aura pas le courage de prendre seul les mesures urgentes et politiquement très impopulaires d’une réforme structurelle en profondeur.

S’il est tenté à ce moment-là de partager le coût électoral de ces mesures draconiennes en invitant une opposition bon enfant à bord, l’optimisme est encore possible. Si, cependant, une coalition se faisait sur le prétexte d’un quelconque intérêt supérieur de la nation, pour finalement permettre à un gouvernement de coalition de poursuivre la même mollesse, la même irrationalité économique, la même procrastination que le gouvernement actuel est hautement capable de poursuivre tout seul, la classe politique aura fait porter au pays une paire de cornes aussi magnifique que méritée et la roue du destin de l’île Maurice aura tout à fait tourné.