JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

18 February 2008

«Maurice n’a pas la volonté de s’attaquer à la corruption»

l'express du 18/02/2008

QUESTIONS A JEAN-MEE DESVEAUX

Vous êtes le conseiller du ministre des Finances de la République démocratique du Congo (RDC) sur le Projet multisectoriel d’urgence de réhabilitation et de reconstruction (PMURR) financé par la Banque mondiale (BM) à hauteur de $ 700 millions. Peut-on présumer que les risques que les fonds octroyés par les organismes internationaux dans le but de réaliser les projets de développement dans ce pays soient détournés et mal utilisés sont réels ?

L’ancien Zaïre (Congo belge) était exsangue après 35 ans de gouvernance catastrophique sous Mobutu (avec le soutien direct des pays occidentaux) quand l’avènement de Laurent Désiré Kabila au pouvoir, à la fin des années 90, a plongé le pays dans dix ans de guerre où étaient impliqués la dizaine de pays qui entourent la RDC. Il y a eu 5 millions de morts depuis 1997 causés par ce conflit et en ce moment même 45 000 civils meurent encore chaque mois. Toute la région des grands lacs s’en trouvait menacée.

Cette situation explique deux choses : d’abord la communauté internationale ne pouvait fermer les yeux devant une catastrophe humanitaire d’une telle ampleur, d’où l’organisation des élections de 2006 et l’Accord de Don et de Prêt entre la RDC et la BM, unique en son genre de par son mode de fonctionnement et son envergure. Ensuite, il n’existait pas, au sein de l’Etat congolais, une structure administrative viable qui pouvait entreprendre, de façon efficiente, un projet de reconstruction du pays. La fonction publique était dans un état de délabrement avancé, avec des salaires impayés qui se comptaient en années et des fonctionnaires réduits à la mendicité.


En quoi ce programme est-il unique ?

Ne pouvant s’appuyer sur le secteur public pour entreprendre ces travaux de construction et de réhabilitation dans la production d’électricité, l’adduction en eau potable, la navigabilité fluviale, la construction de quelque 1 000 km de routes, la BM et le gouvernement de la RDC ont lancé un appel d’offres international pour une Project Management International Firm qui agirait en tant que maître d’ouvrage délégué en lieu et place du ministère des Finances. Une firme internationale, Louis Berger SAS, a remporté ce contrat et ma fonction est de faire le monitoring financier et technique de cette dernière pour le compte du ministre des Finances, en m’assurant que les contrats et paiements faits aux entreprises, aux maîtres d’œuvre et autres acteurs du PMURR sont conformes aux règles de passation de marché et de déontologie de la BM, ceci dans l’intérêt de la RDC.


De par cette expérience internationale, pensez-vous que nous avons à Maurice le mécanisme et les institutions indispensables pour combattre la corruption ?

Maurice pourrait donner des leçons au monde en ce qui concerne les mécanismes institutionnels pour combattre la corruption. Malheureusement, ce ne sont là que des fanfreluches, des habits qui, loin de faire le moine, cachent les vampires qui s’abreuvent du sang du peuple et l’appauvrissent davantage. Maurice ressemble au reste de l’Afrique qui abonde en édits, en décrets et autres arrêtés ministériels contre la corruption. Ce qui manque cruellement cependant, c’est la volonté de s’y attaquer sérieusement pour le mieux-être des Mauriciens. Nous connaissons les déboires de la version originale de l’ICAC et de son commissaire indéboulonnable. J’avais honnêtement espéré, pour le pays, que la nouvelle mouture marcherait, mais la volonté du gouvernement est clairement absente. L’épisode des Rs 50 millions de M. Rountree et les ministres et notables mêlés dans les comptes des bookmakers ont démontré que l’ICAC était mort-née. Ceux qui pensent qu’«un peu de corruption aide au développement» devraient venir jeter un coup d’œil en Afrique. La corruption est un cancer qui s’accroche à l’organisme et le ronge jusqu'à ce que mort s’ensuive.


Quel est le plus grand danger qui guette le pays ?

Il se situe au niveau des contrats faramineux du gouvernement, octroyés sans aucun appel d’offres, dans des conditions d’opacité qui défient la mauvaise gouvernance des pires élèves du Continent noir. Vous avez, par exemple, un incinérateur qui va être construit à des milliards de roupies et dont la survie économique dépend de la qualité du déchet qui y sera brûlé. J’avais mis les promoteurs au défi, dans vos colonnes, de prouver que le volume et la qualité des déchets du pays suffiraient pour que le projet soit financièrement viable. Ils ont prétendu être surpris par ce que j’ai relevé d’inconsistant dans leur projet. Aujourd’hui, ce contrat est fait de telle sorte que si les déchets ne sont pas suffisants ou de bonne qualité (ce qui est un fait), le ministère des Administrations locales déboursera environ cent ou deux cent millions par an pour compenser les promoteurs et ce, pendant 20 ans. Quand on réalise que j’avais œuvré pour la mise en place du mega landfill à Riche-en-Eau, qui satisferait les besoins du pays en termes d’enfouissement technique de déchets pour 30 ans, à une fraction du prix de l’incinération, on peut se poser des questions. Je me suis battu bec et ongles entre 2000 et 2005 pour empêcher cette façon d’hypothéquer des générations futures, mais il est difficile de se battre quand la population se plonge dans une indifférence suicidaire. Le gouvernement, en agissant ainsi, est anti-patriotique. Il hypothèque la manne que nous attendons de la Communauté européenne - qui nous arrose des deniers de ses contribuables - pendant que nous-mêmes gaspillons nos propres ressources financières.


Pensez-vous qu’il faille continuer à maintenir le système d’Etat providence en encourageant la gratuité des services publics tels la santé, l’éducation, le transport ?

Je n’ai jamais caché que j’ai le cœur fermement à gauche. Mais pour me permettre ce luxe, je garde froidement ma tête à droite, si on comprend par là une gestion économique rationnelle des ressources limitées de l’Etat. Sans vouloir tomber dans une partisannerie qui fatiguerait vos lecteurs, le gouvernement actuel a été élu sur la base de son opposition au ciblage de certains des avantages dont vous parlez. Politique que prônait le gouvernement précédent. Le dernier ministre des Finances, Pravind Jugnauth, a eu le courage d’introduire un means test pour la pension de vieillesse. C’était courageux et patriotique quand on sait que d’une situation où sept membres de la population active supportaient économiquement trois pensionnaires, la pyramide des âges renversait cette équation quasi symétriquement. On ne peut taxer les générations futures à 70 % pour supporter les personnes âgées. La pension de vieillesse coûtant plus de Rs 3,5 milliards, dans un budget déjà déficitaire, il fallait cibler ceux qui en avaient vraiment besoin. Mais la politique de la «bouche doux» a primé avec l’appui actif d’une classe syndicale dont la maîtrise des principes économiques de base scorerait un F au CPE.


«Une fiscalité qui ne fait pas de
différence entre les économiquement
forts et ceux au bas de l’échelle menace
le tissu social. Et sur ce tissu social,
repose l’économie du pays.»




Le Plan national de pension n’a-t-il pas d’avenir ?

Les plans de pension se suivent et se ressemblent car, contrairement à ce que nous croyons, nous autres Mauriciens, il n’y a pas une loi économique pour le reste du monde et une autre pour nous. Pour la pension dite de vieillesse, il faut se battre sur trois fronts simultanément : le targetting, qui réduit le nombre de bénéficiaires, est le premier pas. Au début, ce processus a peu d’effet mais avec le temps, l’effet de ce tri se fera sentir. Un seuil de Rs 20 000 à Rs 30 000 de revenus mensuels serait acceptable. Ensuite, il y a l’extension de l’âge de la retraite de 60 à 65 ans d’abord, et plus ensuite. Ici, il est impératif de donner un préavis d’une demi-douzaine d’années aux pensionnés avant qu’ils ne soient touchés. Troisièmement, il faut légiférer pour empêcher les ministres des Finances de berner les personnes âgées durant le budget speech en augmentant irrationnellement leur allocation de vieillesse au-delà d’un barème lié à l’inflation. Enfin, il faut se débarrasser de tous les «age brackets» : pension pour centenaire, pour quinquagénaire, pour octogénaire etc. Tout plan qui ignorerait un de ces aspects devra se montrer si violent sur les autres qu’il risquerait de capoter. L’avenir du pays dépend, entre autres, de la gestion rationnelle de notre plan de pension. Même les pays riches n’octroient pas une pension véritablement universelle sans tenir compte de la richesse des personnes âgées.


Cela devrait-il s’appliquer aussi à la pension dans la fonction publique ? Devrait-elle être contributive ?

Le Pay Research Bureau de juin 2003 avait déjà décrété qu’un système de contribution allait être introduit au sein de la pension des fonctionnaires. La seule question était de savoir si cela commencerait avec les nouvelles recrues ou s’appliquerait immédiatement. Je pense qu’il est trop tard, vu le poids de la fonction publique dans le Recurrent Expenditure, d’opter pour le système hybride. Il faudrait avoir le courage de demander au fonctionnaire de contribuer à sa pension comme tous les autres employés des secteurs économiques. Pas pour punir le fonctionnaire, bien sûr, mais pour s’assurer que le gouvernement puisse continuer à honorer une juste contribution à leur retraite.


Quel est votre regard sur notre économie ?

C’est encore la question du verre à demi-vide ou à demi-rempli. L’effort vers une balance fiscale est bien. Mais une fiscalité qui ne fait pas de différence entre les économiquement forts et ceux au bas de l’échelle menace le tissu social. Et sur ce tissu social, repose l’économie du pays. Une death duty ou taxe sur la richesse transmise par succession ne devrait pas faire peur aux dirigeants, car elle existe dans les pays les plus capitalistes. Seuls les hommes d’extrême droite comme le président français s’en émeuvent.

D’autre part, je remarque que Maurice atteint une accélération de la croissance au prix d’une inflation a deux chiffres. C’est la chose la plus aisée, après une période où l’inflation a été retenue pendant des années, que de produire une croissance factice en relâchant les rênes de l’inflation. Les under graduates en économie se rappelleront l’Expectation Augmented Phillips Curve : une croissance basée sur un choc inflationniste perd du momentum, une fois que l’agent économique tient en compte les données inflationnistes.

Le tourisme est notre planche de salut en ce moment. Mais le littoral n’est pas élastique et, à les empiler les uns sur les autres, les touristes abandonneraient nos lagons. Une fois que cet invisible trade perd de la vitesse, disons dans dix ans, avec quoi compenserons-nous le déséquilibre de notre visible trade, qui a atteint 43 milliards en 2007. De façon similaire, le resource gap est effrayant à 10 % du produit intérieur brut et on voit mal comment on peut continuer ainsi. En ce qui concerne le taux de chômage, il caresse toujours la barre des 10 %.

Ceci dit, j’aurais souhaité que l’opposition fasse preuve du patriotisme que le présent gouvernement n’a pas su démontrer à la veille des dernières élections. Qu’elle ne critique pas, juste pour des raisons électorales, les initiatives impopulaires mais nécessaires que pourrait prendre le gouvernement en place. Mais là encore, nous tombons dans le concept du prisonner’s dilemma : si les deux parties jouent le jeu selon les règles (ici du rationalisme économique), elles sortent ex aequo (et le pays gagne). Si l’une triche alors que l’autre adhère aux règles, celle qui a triché gagne (et, doit-on ajouter, le pays perd). L’avenir nous dira le reste.


Propos recueillis par
Nico PANOU