JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

14 November 2012

Nul n’est prophète en son pays

Par Jean-Mée DESVEAUX

L’express du 14 novembre 2012
 
L’ironie veut que la Mauritius Revenue Authority (MRA), ayant failli d’assainir son Customs department, ait ainsi raté l’occasion de mettre en œuvre le mécanisme apte à bloquer les barons de la drogue en aval. Il ne lui restait donc qu’à adopter la stratégie présente de percevoir une cote part sur l’argent gagné sur le cadavre des enfants mauriciens.

Les frasques de Gro Derek et la réclamation de Rs20 millions que lui fait la MRA pour fraude fiscale ouvrent un chapitre que je croyais clos avec l’article que j’écrivis dans l’express du 15 septembre 2008, intitulé : « Goodbye Bert, Welcome narco paradise ! ».

Le lecteur se souviendra que l’avènement de la MRA en 2005 visait essentiellement à réformer la Mauritius Customs. A la tête de la douane depuis 2003, Bert Cunningham avait réussi à colmater les brèches énormes qui existaient jusque-là dans les recettes douanières du pays. Mais il devenait évident que Cunningham n’allait pas pouvoir mener à bien sa réforme dans les conditions administratives qui prévalaient alors au sein du Customs. Le «dead wood» ainsi que les «rotten eggs», qui faisaient dire à Cunningham qu’il était à la tête de la douane la plus corrompue au monde, étaient protégés par les conditions du service civil.

Pour échapper à ces contraintes archaïques et repositionner la douane sur une base saine, moderne, transparente et où prévaudrait enfin le principe de l’«accountability», il n’y avait qu’une solution possible : l’institution d’une MRA. Elle engloberait naturellement non seulement la douane mais aussi tous les autres bureaux du fisc, tels la TVA, l’Income Tax et le Registrar General, entre autres, au sein d’une organisation où la flexibilité et l’efficience du secteur privé primeraient. Le principe fondamental de cette institution allait être : «ability to hire and fire», de recruter les meilleurs talents et de résilier le contrat des employés non performants ou corrompus.

C’était sans compter l’influence du Syndicat de la douane et de ses amis à l’intérieur du nouveau Board de la MRA. En effet, à côté du Special Adviser de Paul Bérenger que j’étais, il y eut sur ce Board, deux membres de taille qui n’avaient pas la même exégèse sur l’assainissement de la douane : 1) Mme la Permanent Secretary Maya Hanoomanjee, qui s’est créé, depuis, un profil politique remarquable en tant que ministre de la Santé. 2) Le Solicitor General, beau-frère du No 2 de la douane qui agissait comme acting Comptroller of Customs jusqu’à l’arrivée du Canadien à la tête de la douane deux ans plus tôt.
 
La première tâche du board était de recruter le directeur de la MRA parmi les nombreux candidats qui avaient postulé, dont Bert Cunningham, le chef d’Interpol et M. Sudhamo Lall, l’actuel Directeur général (DG) de la MRA. Il y eut deux rounds dans la sélection. Le deuxième round s’appuyait sur les qualités intrinsèques et le track record de «leadership for change» que les deux Anglophones remplissaient à merveille. Le premier round se basait sur les qualifications académiques. Il était clair, au sein du board, que si le chef canadien de la douane mauricienne ou le chef d’Interpol passait l’obstacle des qualifications académiques et expérience, l’un d’eux aurait été automatiquement choisi pour la position de DG. Ce DG aurait alors eu la personnalité et l’expérience nécessaires pour pousser la réforme de la douane jusqu'à sa conclusion logique d’un assainissement des ressources humaines de la douane de haut en bas. L’histoire doit retenir qu’aucun de ces deux hommes ne fut nommé en raison des objections des deux membres les plus puissants du board. Cunningham et le chef d’Interpol n’avaient pas, selon eux, les qualifications ou l’expérience requises.
La MRA réclame Rs 20 millions à Gro Derek pour fraude fiscale.

Ayant en vain insisté que les critères avaient été pervertis pour faire le jeu du syndicat des douanes, refusant de cautionner l’adultération grossière d’un recrutement sur lequel dépendait l’avenir du pays, je soumis ma démission au Premier ministre en tant que membre du Board de la MRA.

La MRA hérita d’un DG rêvé en ce qui concerne le syndicat des douanes. J’avais correctement anticipé la tournure qu’allaient prendre les choses. Le tri qui devait se faire en vue d’enlever les éléments indésirables de la douane avant qu’ils ne soient recrutés au sein de la nouvelle MRA demandait quelqu’un qui avait de la poigne. Ceci fut relégué aux oubliettes. Tous eurent la hausse salariale du nouveau système sans que personne toutefois ne subisse les inconvénients d’une plus grande rigueur. La tâche de trier le bon grain de l’ivraie, toujours en foison au sein de la nouvelle douane, fut reléguée aux calendes grecques.

Il n’est pas nécessaire de faire une régression linéaire économétrique pour savoir que la progression inexorable du fléau de la drogue à Maurice est en corrélation directe avec la faiblesse de la Mauritius Customs. La part de cette progression cancéreuse due au vide causé par la maldonne administrative décrite en haut reste du domaine des thèses académiques. Il ne faut pas oublier de comptabiliser les « positive externalities » que nous avons perdus en même temps. Avec un Customs hyper actif de Cunningham, même l’ADSU, d’ordinaire assez balourd, avait subi l’effet de l’émulation et se dépatouillait pour essayer d’arriver avant les hommes du Canadien sur la scène du crime.
 
Maurice est, de nos jours, au hit parade des pays où les marchands de la mort et leur fléau décime les jeunes, sans discrimination aucune - une première chez nous. Une visite à la prison de GRNW me démontrait le nombre de petites têtes blondes qu’on pouvait y compter en 2004.

D’autre part, il ne faut pas rêver. Gro Derek parti, s’il ne réussit pas à diriger son empire à partir de sa cellule de Beau-Bassin, quelqu’un d’autre viendra prendre sa place comme cela se fait régulièrement, depuis des décennies, au Mexique. Car à Maurice, plus encore qu’au Mexique, le « barrier to entry » dans ce domaine est très très bas. Ce nouveau venu aura le même « red carpet treatment » des concessionnaires de voitures des marques les plus prestigieuses, plus soucieux de l’enveloppe mensuelle de leur vente que de l’image qu’ils projettent ainsi à la société toute entière. Ces nouveaux caids, dans bien des cas, s’accommoderont aussi, comme celui qui les a précédés, des personnalités politiques de l’endroit. En échange, ils leur demanderont un petit coup de main lors de la prochaine élection. Un politicien, par définition couard, n’a pas les nerfs qu’il faut pour ignorer une sommité de l’endroit. Son or caché, même sous la putréfaction des corps de ses victimes, peut toujours être un atout majeur lors d’une élection.

''A l'instar des plus belles roses, Maurice surgit, toute belle, d'un lit de fumier.''

 

C’est ici qu’intervient Monsieur Lall en fin stratège. Admettons, il n’a pas la pugnacité des deux Anglo-saxons précités. Mais, à chacun sa force et la sienne ne saurait décevoir. Dès le début, le DG s’est montré une vraie planche à billet pour le gouvernement mauricien et il mérite d’être félicité pour cela. Sous sa férule, la MRA a engrangé des sommes mirobolantes qu’il s’agisse au niveau de la TVA ou à celui des autres (Grand ou Petit) contribuables. Mais de loin, là où il risque de mériter une place, et pas des moindres, dans l’histoire des institutions fiscales de ce pays, c’est dans sa dernière initiative d’atteler sa machine fiscale aux trafiquants de drogue. Il a perdu la bataille de la réforme de la douane qui aurait visé à éradiquer le fléau de la drogue à sa source. M. Lall se sait mal préparé pour mener la bataille en amont, il les attend en aval. Faites votre fortune messieurs, dames, parrains et marraines. Je suis le percepteur qui vous attend au tournant et je jure que je vous traiterai avec la même rigueur que je traite IBL, Rogers et autres MCB. L’express du mardi 6 novembre nous apprend que « les transactions et revenus engendrés par ce trafic de drogue allégué n’impliquant pas moins d’une dizaine de suspects tourneraient autour de Rs200 millions selon les informations des milieux proches de la MRA. Une somme qui pourrait être révisée à la hausse. » C’est ainsi que le ministère des Finances juge les Rs 20 millions très en-deça du chiffre qu’il désire voir réclamer.

Imaginant que les parrains et marraines, concurrents de monsieur Gro Derek, aient engrangé une fortune non moins colossale durant leur propre incursion dans le domaine du secteur privé mauricien, on pourrait estimer leur chiffre d’affaires à quelques milliards de roupies. Frapper des impôts sur une telle somme est, sans nul doute, une aubaine pour la MRA et les finances publiques. Après tout, n’est-ce pas un secret de polichinelle qu’un grand nombre des beaux bâtiments de la Cyber City provient des caisses de l’argent sale qui aide ainsi au développement économique du pays. A l’instar des plus belles roses, Maurice surgit, toute belle, d’un lit de fumier.

Il n’existe pas de place dans le bilan des finances nationales pour la vie des enfants fauchés à la fleur de l’âge. Ces vies qui refusent d’être réduites à un 0 ou à un 1 digital sur un fichier Excel n’ont donc absolument aucune valeur. Il n’existe pas non plus, au sein de ce pauvre pays, des âmes moins fortes que ceux qui arbitrent ce combat et qui pourraient demander ce que ces milliards de roupies taxés par la MRA représentent en termes d’enfants, de conjoints, de frères et de mères enlevés prématurément durant ces sept ans d’existence de la MRA par le fléau de la drogue. Combien de cadavres faut-il pour rendre une entrée d’un million de roupies en impôts acceptable à un Etat qui se respecte ? Dix cadavres par million de roupies serait-il un sacrifice acceptable ou n’est-ce pas assez ?

Sommes-nous trop idéalistes de mettre autant d’accent sur ces êtres mal adaptés qui auraient, de toutes façons, grevé les finances publics encore plus en termes de soins médicaux s’ils n’avaient pas été aspirés par cette sortie prématurée, infiniment triste et si douloureuse. N’est-ce pas là, après tout, l’image même du modèle darwinien de la survie des meilleurs gènes dans une société capitaliste à outrance comme celle que nous sommes en train de construire à Maurice? Pour subvenir au coût imposé par ceux qui survivent, la MRA semble nous dire qu’il faudrait faire abstraction des beaux sentiments et mettre en veilleuse toute émotion relative à ces êtres appelés à disparaître inéluctablement comme l’imposent les lois de notre jungle.