JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

28 August 2013

Lagesse enfin derrière les barreaux...

Par Jean-Mée DESVEAUX
L'express du 28 août 2013
 
La justice a non seulement été appliquée mais elle a été visible et exemplaire. Une île Maurice républicaine est parvenue à mettre derrière les barreaux l’industriel le plus riche et le plus puissant du pays. Thierry Lagesse a été appréhendé à sa descente d’avion comme un vulgaire passeur d’héroïne et amené aux Casernes centrales «manu militari» entre deux gorilles du CCID. Il y aura passé une nuit qui lui aura appris à appréhender la vie d’une perspective un peu moins rose.

Avant lui, l’homme avec lequel il est accusé d’avoir comploté pour priver l’État de Rs 7,2 millions, Ashish Kumar Seeburrun, avait lui aussi goûté de la paille chaude du cachot et cela pendant près d’une semaine pour donner le temps aux enquêteurs de lui arracher tous les détails croustillants du dossier. C’est ainsi qu’opère un machine judiciaire qui ne s’arrête pas au faciès.

Cette question est imprégnée d’émotivité à Maurice. La perception qu’un «blanc» (héritier de privilèges d’un temps révolu où régnait une injustice implacable) ne soit pas soumis au code pénal qui régit le reste de la population est une gangrène qui mine les relations inter-ethniques mauriciennes. On tend ainsi à faire abstraction du fait que, lors du scandale de la caisse noire d’«Air Mauritius», le seul accusé à avoir honnêtement avoué sa faute et restitué les Rs 27 millions d’argent mal acquis fut Gérard Tyack dont le carnet de boutiquier n’a servi qu’à le rendre passible d’un séjour de plusieurs mois à la prison de Petit Verger. C’est aussi faire abstraction de toutes ces petites têtes blondes emprisonnées pour des délits de drogue que j’ai constatées à la prison de GRNW durant une visite en 2004. C’est cette perception qui a, dans le temps, poussé feu l’inspecteur Harry Raddhoa à enfreindre la loi en séquestrant illégalement Martine Desmarais. Il espérait ainsi lui soutirer des informations qui incrimineraient Bernard Maigrot, cet autre suspect «blanc» du meurtre de Vanessa Lagesse, la cousine du même Thierry Lagesse. L’inspecteur n’eut aucun état d’âme que Martine Desmarais fut compensée par la Cour suprême d’un état de droit qui jugea le traitement qu’elle subit contraire à ses droits constitutionnels.

Thierry Lagesse n’aura probablement pas le sort de Madame Desmarais au vu des preuves accablantes que le CCID semble avoir obtenues d’Ashish Kumar Seeburrun. Il aurait naïvement été pris, la main dans le sac, lors du shopping pour son nouveau joujou de luxe (il possède déjà une Harley Davidson). La sous-facturation qui cause un manque à gagner de Rs 7,2 millions est normalement châtiée par une pénalité qui est un multiple de cette somme. Il est absolument juste que cette pénalité soit appliquée. Mais les autorités peuvent-elles, en leur âme et conscience, arguer qu’il fallait, d’abord, en faire une affaire de police et, ensuite, le mettre en prison ? Combien de cas de taxe impayée finissent-ils aux mains de la police ?

Les autorités ont objecté à sa libération car elles disaient craindre qu’il puisse influencer les témoins et manipuler des preuves. L’industriel a passé des semaines en Europe d’où il aurait pu avoir manipulé qui il voulait à coeur joie. Les interlocuteurs de l’ancien «Attorney General» avaient été accusés de manipuler des témoins sans pour cela être passibles de jours de prison. Les raisons avancées pour emprisonner Thierry Lagesse ne convainquent pas vraiment. Il est difficile de ne pas conclure que son épiderme n’est pas étranger au sort qui lui est réservé. Il a fallu non seulement qu’il paye le coût imposé par son imprudence alléguée devant la loi, mais de plus, il fallait ajouter une dose d’humiliation facultative pour la bonne mesure.

Et quid de Maurice dans tout cela ? En avons-nous fait un meilleur pays après cet épisode ? Lagesse brasse Rs 27 milliards en chiffre d’affaires. On peut estimer qu’il emploie entre trois et cinq mille Mauriciens dans les entreprises où sa famille possède un intérêt direct. On pourrait arguer qu’il est de l’intérêt de ces milliers de pères et mères de famille que leur patron s’identifie un peu plus au sol où il a choisi de garder sa fortune plutôt que d’en être aliéné. S’il faut s’en persuader, on se rappellera cet autre blanc riche, Fernand Leclézio qui, à la veille de l’indépendance, prit ses clics et ses clacs sous le nez et à la barbe de SSR pour des horizons meilleurs. Et, faut-il le rappeler, il existait alors un contrôle absolument rigoureux des transferts de capitaux qui n’existe pas aujourd’hui. Les entreprises associées au groupe Mon Loisir ont déjà un pied très ferme sur le continent africain où les marges  de profit sont bien plus intéressantes et bien moins difficiles à réaliser. Avec près de 50 000 chômeurs, le malin plaisir de voir cette grande gueule de patron rire jaune derrière les barreaux en valait-il vraiment le coût ?

26 August 2013

Contempt of court : Lèse-seigneurie ou chape de plomb ?


Par Jean-Mée DESVEAUX
L’express-dimanche du 25 août 2013



Le sort a voulu que le scandale des secrétaires de juges de la Cour suprême, accusés d’avoir manipulé des dossiers de la Cour contre des pots-de-vin, éclate à peine trois mois après la publication du rapport de Geoffrey Robertson sur un nouveau texte de loi devant gouverner la presse. On se souvient que la PNQ du leader de l’opposition sur le judiciaire s’est arrêtée net, après à peine quelques minutes, lorsque le Premier ministre a réitéré sa confiance dans l’intégrité de nos juges et de notre système judiciaire. La réserve d’Alan Ganoo aura laissé passer une occasion unique de combler un vide dans la psyché d’une nation angoissée, sur un sujet qui la préoccupe au plus haut point et auquel elle a le droit d’obtenir des éléments de réponses.

Évacuer ce débat essentiel n’a nullement fait disparaître le malaise que les Mauriciens ressentent depuis l’éclatement de ce scandale. Au contraire, ce silence aura, de toute évidence, fait dégénérer la perception créée jusqu’à finir par fester the legal wound in the body of the state

La presse, échaudée depuis l’affaire Dhooharika (du nom du rédacteur en chef de Samedi Plus condamné à trois mois de prison pour contempt of court), a gardé un silence que certains seraient tentés de qualifier d’irresponsable à un tel moment. Mais son devoir d’informer et de commenter ce dysfonctionnement majeur au sein du judiciaire a dû, à ce moment-là, composer avec la mise en garde du chef juge, qui a prévenu que « members of the public are notified that any unfounded attack on the integrity of the judiciary or any statement, comments calculated to undermine the authority of the Court or prejudice the administration of justice may amount to an offence of contempt of Court ».

L’état de droit au sein d’une île Maurice démocratique, la viabilité de notre système économique de marché libre, la libre entreprise, l’inviolabilité de nos personnes et de nos biens, tout cela dépend, en dernier recours, de la fiabilité inébranlable de notre système judiciaire. Mais tout débat n’est pas nécessairement une attaque pernicieuse visant à renverser cet équilibre. On aurait dû pouvoir débattre de la calamité qui s’est abattue sur la Cour suprême dans le but même de rehausser ce système, « to enhance rather than undermine » l’administration de la justice. Si un tel débat rendait inéluctablement son auteur passible de contempt of court, ce serait un dérapage liberticide qui irait à l’encontre de la mission fondamentale de cette même Cour suprême.

Il s’agit de ne pas se voiler la face. Rien n’est plus pareil depuis ce 5 juillet fatidique, quand les secrétaires ont été appréhendés. Le pire a été évité quand le chef juge a, sans aucune hésitation, promis le support total du judiciaire à l’enquête de la police. Mais conjuguer, dans la même phrase, « police» et « judiciaire » suffit à nous faire comprendre que la pente sera raide avant que cette institution retourne sur le piédestal d’où elle a régné pendant des siècles.

Dès le départ, la cupidité alléguée des secrétaires Issuri et Jory ne permettait aucunement d’entacher l’intégrité morale des deux juges pour lesquels ils travaillaient. Ce qui est triste, cependant, c’est que l’intégrité ne suffisait pas ici, loin s’en faut. Voilà des professionnels dont la mission est d’exercer l’activité cognitive qu’on appelle « juger ». Leur formation académique et professionnelle est axée sur la justesse de cette activité. La destinée des milliers de Mauriciens qui défilent devant eux en cour est accrochée à la pertinence de leur jugement. Ils coupent, tranchent et, selon leur jugement, font de nos vies un paradis ou un enfer. Nous nous y soumettons tous, car c’est leur rôle, pour la pérennité du Law and Order dans une société stable, prospère et juste. 

Mais était-il consistant pour ces juges de se soustraire au verdict, sévère mais justifié, qu’ils ont manqué de discernement ? L’honnêteté, intellectuelle cette fois, permettait-elle à un juge de « suspendre son jugement» sur ses propres manquements quand il a passé sa vie à juger ceux des autres. Un éditorial d’une presse démocratique n’avait-elle pas le devoir de demander si nos deux juges n’ont pas manqué de jugement dans le choix d’hommes dont ils se sont entourés. Cet éditorial ne devrait-il pas avoir le droit de questionner leur discernement d’avoir accordé leur confiance aux deux secrétaires qui ont substitué leur jugement à ceux de leurs maîtres. Un tel éditorial aurait pu, enfin, questionner le manque de discernement de nos juges de ne pas step aside jusqu’à ce que des tiers du Privy Council ou autres aient quantifié l’ampleur des dégâts.

Cet éditorial n’a jamais été écrit. Pourtant, les mails de Messieurs Issuri et Jory ont donné une description graphique de l’influence néfaste qu’ils exerçaient sur la décision des juges Caunhye et Hamuth, leurs patrons respectifs. M. Jory déclare au suspect Michel Lee Shim : « Keep fingers crossed. Who knows that our man Issuri speaks to Caunhye and the execution of the judgement is NOT stayed! When we pay people, they can work more than expected for us. A judge’s secretary can do many more things. You have seen that. »

Ce secrétaire conseille aussi à « son client » de jouer un coup de poker et d’intimider la Gambling Regulatory Authority avec des menaces de procès de Rs 100 millions en vue de la faire capituler. Lire l’effronterie avec laquelle ces hommes manipulent nos deux juges est une expérience pathétique. Jory dit à Lee Shim dans un e-mail : « I have seen the draft. I know that you will get the interlocutory. My boss (Judge Hamuth, NdlR) will iron it before the circular is issued. But for the stay of execution, Issuri will have to work hard. After all that’s why you are paying us brother. It is the duty of the secretary to convince his judge not to commit a blunder… I will print these reasons and give to Issuri so that he explains to C (judge Caunhye, NdlR) now and then as I was doing with my Boss (judge Hamuth, NdlR). »

Si ce qui aurait causé un « feeding frenzy » parmi des éditorialistes occidentaux n’a reçu aucune réaction chez nous, c’est qu’une loi désuète existe effectivement qui affuble la personne du juge d’un respect qu’il ne reçoit que dans les backwaters des pays sous-développés de sa Majesté britannique. La Constitution permet une entorse à la liberté d’expression là où le maintien de l’autorité de la cour est jugé menacé – article 12(2)(b).
Geoffrey Robertson retrace cette propension à une vieille approche coloniale selon laquelle « more restrictive press laws than those applied in England were upheld in British dependencies because of the feared unruliness of coloured populations ». Ce crime qui est appelé « scandalising the court » est obsolète en Angleterre, où il n’a pas été utilisé depuis les années 30. Mais ce principe paternaliste du «small island » est bien vivant à Maurice, où il est reconnu sous l’appellation Ahnee vs DPP ou DPP vs Dhooharika. Dans ce dernier cas, où un journaliste de Samedi Plus a été condamné, en 2011, à une peine de prison de trois mois, les juges ont déclaré : « We need hardly state that in a small state jurisdiction such as ours, the administration of justice is more vulnerable than in large and well established jurisdictions such as the UK and Canada. » 

Robertson fait ressortir qu’il est difficile de comprendre pourquoi la juridiction d’un petit Etat devrait maintenir dans notre Code pénal des press offences qui sont considérées inutiles dans de plus grandes démocraties, d’où sa recommandation de n’imposer aucune restriction supplémentaire sur les médias du pays juste parce Maurice est une petite île. L’appel au Privy Council de M. Dhooharika (qui sera défendu gratuitement par Geoffrey Robertson) repose justement sur la requête aux Law Lords de reconsidérer l’approche « small island » qui sous-tend sa condamnation que «… it is permissible to take into account that in a country such as Mauritius, the administration of justice is more vulnerable than in the UK. The need for the offence of scandalising the court on a small island is greater ».

Geoffrey Robertson fait ressortir qu’on pourrait, au contraire, arguer que dans des petits pays aux administrations vulnérables, il devient encore plus important que les médias enquêtent et scrutent de plus près le judiciaire et que, de ce fait, le droit à la liberté d’expression ne devrait pas rétrécir avec la taille du pays. Pour lui, la décision de savoir si le judiciaire mauricien requiert une protection spéciale appartient au Parlement et non au judiciaire lui-même. C’est pour cela que la Law Commission a recommandé l’abolition du crime de « scandalising of judges » en Angleterre. Cette commission a fait ressortir que, comme nous le disions dans le cas des secrétaires des juges, « preventing criticism contributes to a public perception that judges are engaged in a cover-up and that there must be something to hide ». Elle va plus loin et affirme que des poursuites sous une telle loi seraient perçues comme « self-serving » de la part des juges et contraire aux mœurs existantes. Ce n’est donc pas étonnant que c’est sur cette section que Robertson met l’accent plus qu’ailleurs dans son rapport : « The suitability of ‘scandalisation’ is a question upon which I would particularly welcome submissions. »

19 August 2013

Carte d’identité : Guantana-Mauritius

 Par Jean-Mée DESVEAUX
L'express-dimanche du 18 juillet 2013
La campagne annonçant l’entrée en vigueur, très prochainement, de la nouvelle carte d’identité bat son plein. Ce document nouvelle génération séduit de prime abord. Il n’empêche qu’outre les scandales qui entourent sa conception, il pose de sérieuses questions sur l’usage des données qu’il contient et sur les libertés individuelles. 


Si la nouvelle carte d’identité électronique n’a pas causé de remous à Maurice, c’est que le Mauricien est blasé et réaliste sur la question. Citoyens d’une nation confetti, nous sommes conscients que, quelle que soit notre paranoïa, les recoins les plus cachés de notre vie sont au vu et au su de ces 1,2 million d’insulaires, nos voisins. Nos allégeances politiques, notre communauté, nos tendances sexuelles, nos convictions ou manque de convictions religieuses, l’état de nos finances, nos prétentions socioéconomiques et même la paix ou la guérilla qui se joue tous les soirs au sein de nos foyers… tous nos voisins avides de commérages en sont intimement familiers. Et si l’homme le plus puissant de ce pays ne peut faire d’incartade sans que les « données biométriques » de celle-ci ne filtrent dans les journaux, que peut-on espérer pour nous, ti dimoun !
En Australie, les gens sont tellement épris d’individualisme qu’ils refusent de marcher avec une carte d’identité comme un toutou avec son collier. Mais cela ne tient pas la route. Ainsi, durant une visite récente de l’île continent, le nombre de transactions innombrables auxquelles j’étais exclu à cause de mon manque de permis de conduire m’a forcé, illico presto, de refaire une application pour un permis de conduire. Ce document est en effet, de facto, la carte d’identité des Australiens. Le coût social de cet « individualisme » mal placé est que les nombreuses personnes qui n’en sont pas détenteurs risquent d’être des parias.

Comme pour le questionnaire du recensement national que nous remplissons tous les dix ans, la question clé est de savoir si l’atteinte, s’il y en a, au droit à la vie privée lors de ce genre d’exercice est adéquatement compensée par un réel avantage au reste de la population. On est donc en droit de se demander comment Maurice sera mieux lotie, dotée de sa carte à Rs 1,3 milliard. L’unique réponse que nous sommes parvenus à trouver a trait aux 250 à 300 cartes égarées par jour (selon la réponse parlementaire de Navin Ramgoolam, le 9 juillet dernier) et dont le remplacement, à un tel rythme, représente un risque de sécurité. Nous n’avons, en revanche, pu trouver de statistiques officielles qui pourraient conforter la crainte d’usurpation d’identité qu’implique ce renouvellement effréné et qui expliquerait, en partie, l’empressement et le coût exorbitant de l’exercice.

La nouvelle carte à puce peut être désactivée au moment de son remplacement. Si cet aspect est un avantage aux endroits où les cartes sont effectivement « lues électroniquement », la carte désactivée peut aussi être utilisée comme bus pass ainsi que dans de nombreux bureaux publics qui n’imposent qu’un contrôle visuel. De ce point de vue, l’affirmation du Premier ministre (PM) « the risk of persons using more than one NIC is unlikely to arise under the new system » ne tient pas.

Ayant fait le choix « social » (totalitariste) aux dépens de ses droits individuels, le citoyen lambda est disposé, sans états d’âme, à partager ses données biométriques, telles ses empreintes. Des informations que l’État n’aurait pu normalement obtenir que si l’on a commis un crime et que l’on est fiché à la police. En retour, il est en droit de demander quels sont les avantages pour le pays. C’est ici que la nouvelle carte est, de notre point de vue, une excellente occasion ratée par un manque de vision et de cohérence. Les empreintes, noms, prénoms, signature et autres informations d’état civil « banales » auraient toutes pu figurer sur une carte d’identité plastique – comme celle utilisée actuellement – pour le dixième du prix. On pourrait même incorporer à cette « nouvelle » carte plastique et conventionnelle, des données qui en feraient aussi un permis de conduire, ce qui remplacerait l’actuel carton bleu plutôt encombrant. 
Dans le Maryland, aux Etats-Unis, le permis de conduire indique également si le détenteur est donneur d'organes.


Par ailleurs, le Human Tissue (Removal, Preservation and Transplant) (Amendment) Bill sera bientôt présenté à l’Assemblée nationale, créant ainsi le cadre légal régissant le don d’organes. On aurait pu ajouter à ce modèle sans puce la décision du porteur relative aux dons d’organes (voir la photo de la carte de l’État du Maryland, aux États-Unis, sur laquelle le don d’organe et la licence sont inclus). La transplantation rénale étant déjà pratique courante à Maurice, la prochaine loi aurait en effet pu s’appuyer sur l’autorisation du donneur et l’identité de l’organe contenues sur la nouvelle carte d’identité pour permettre à une centaine de compatriotes qui sont immobilisés pendant des heures, plusieurs fois par semaine, depuis des années, dans un centre de dialyse, d’avoir enfin une vie normale.

Le prélèvement d’organes sur des accidentés sur nos routes, en nombre de plus en plus élevé, aurait aussi pu être grandement facilité et ainsi soulager d’autres patients. Mais ce ne sont malheureusement pas au sein des partis politiques de ce malheureux pays que l’on crée, au moyen d’initiatives éclairées comme celles-là, la reconnaissance du peuple et qu’on l’incite, aux échéances électorales, à voter pour un parti plutôt qu’un autre. Il est plus simple et moins stressant de continuer à faire ce que l’on a toujours fait et ce que l’on fait le mieux : corrompre l’électeur ou cajoler son appartenance ethnique.

Revenant à notre carte, nous arrivons donc à la situation cocasse suivante. D’une part, l’exploitation minimale de la technologie de la carte d’identité à puce, avec la « pauvreté » de données qu’elle est appelée à contenir, mènera à une utilisation de 5 % à 10 % de sa capacité. D’autre part, prétendre qu’autant de capacité inutilisée est potentiellement exploitable à l’avenir est économiquement illogique : il n’y a pas de commodité dont la valeur descend plus vite que la mémoire et la technologie informatique. Une utilisation future de la carte d’identité à puce pourra, après quelques années, s’acheter à une fraction du prix du système actuel qui, de toute façon, sera à ce moment-là probablement dépassé.

La cacophonie dans laquelle cette carte a été conçue est surtout pathétique, compte tenu de la révolution qu’elle aurait pu créer chez nous si elle avait été mieux conçue. On ne sait de quel pays tiers-mondiste le gouvernement a emprunté son modèle de permis à points. Avoir à déambuler en cour avec son parchemin contenant des entrées à la main hautement falsifiables et que le magistrat n’a aucun moyen de contre-vérifier sur un serveur central… c’est une aberration qui nous situe admirablement, en termes d’ingéniosité administrative, au cœur de la région de l’Afrique sub-saharienne qui est la nôtre. Alors que cela aurait pu avoir été pris en compte par la puce de la nouvelle carte. Plus utile encore, cette carte aurait pu simultanément contenir des données médicales qui pourraient faire la différence entre la vie et la mort du porteur et économiser des millions du budget de la Santé.


Toujours le 9 juillet, le PM a déclaré au Parlement que « the National Identity Card Act is being amended to provide expressly that the collection and processing of personal data, including biometric information, under that act will be subject to the provisions of the Data Protection Act ». Un coup de maître car il a, du coup, apaisé toutes les anxiétés libertaires de l’opposition qui s’est alors rabattue sur le seul lièvre qu’elle pouvait encore espérer lever : le manque de transparence de l’attribution de ce marché de Rs 1,3 milliard aux Singapouriens. Elle a pensé que toute Data Protection Act, pour tenir la route, doit avoir une section sur l’utilisation de données sensibles sur les personnes concernées. En effet, la définition de « données personnelles sensibles » qui doivent être « handled with care » est bien présente relative à « l’origine raciale ou ethnique, l’opinion ou l’appartenance politique, la croyance religieuse, l’appartenance à un syndicat, la santé mentale ou physique, les préférences ou pratiques sexuelles, la perpétration d’un délit, etc. ». De plus, « aucune donnée ne sera processed à moins que le data controller n’ait obtenu l’autorisation express de la personne concernée ».

Sauf que cela n’est qu’un trompe-l’œil. Sans aucun sensationnalisme, ce texte de loi existant expose, avec les données biométriques de la nouvelle carte, une large proportion de nos compatriotes aux sévices les plus infâmes. Pour s’en rendre compte, il faut lire les exceptions. Ainsi, la section VII de la Data Protection Act permet au PM de suspendre la protection accordée aux données personnelles, si « de l’avis du PM, cela est nécessaire pour préserver la sécurité nationale ». Pour prouver qu’il y a atteinte à la sécurité de l’État, « un certificat signé par le PM attestant que tel est le cas sera considéré comme une preuve convaincante de ce fait ». Mais y a-t-il, là, de quoi s’émouvoir ? Ces données ne restent-elles pas à Maurice et ne sommes-nous pas entre Mauriciens ? C’est ici que les nouvelles données biométriques (empreintes digitales), appréciées à la lumière de la Data Protection Act (2004), ont, à notre sens, de quoi faire dresser les cheveux sur la tête des 20 % de nos compatriotes de foi islamique.

Après avoir couvert les « unlawful disclosure of personal data », la section 31 sur le Transfer of personal data permet au Data Protection Commissioner de « transférer des données personnelles à un pays tiers ». Le huitième Data Protection Principle stipule que celles-ci ne le seront pas « à moins que ce pays n’assure un niveau adequate de protection des droits des personnes concernées dans le cadre du traitement de ces données ». La section 31(2)(iii) va à l’encontre de ce principe et permet au Commissioner de transférer les données personnelles d’un Mauricien vers un pays tiers (qui n’est, dès lors, plus tenu à respecter les paramètres de respect des droits de l’individu concerné de la 8e schedule) dans le cas où le PM aura jugé que la chose est « dans l’intérêt public, pour préserver la sécurité publique ou nationale ».
Nous vivons dans un monde où plus d’une centaine d’humains croupissent en captivité abjecte dans les geôles de Guantanamo, nourris de force deux fois par jour, dix ans après qu’il a été conclu que le seul crime dont ils étaient coupables était d’appartenir à une foi qui gêne Israël, l’allié indéfectible des USA. Un grand nombre de ces prisonniers, comme ceux qui les précédèrent, furent illégalement enlevés de pays tiers, drogués et jetés dans la soute d’un avion à l’encontre de toute loi internationale.

Récemment, l’ambassade des États-Unis a été fermée temporairement à Maurice en même temps que celles d’une vingtaine de consulats et d’ambassades du Moyen Orient et d’Afrique du Nord à la suite de messages interceptés concernant des attaques terroristes dans la région. De plus, le Washington Post rapporte, dans son édition de ce jeudi, que la ''National Security Agency a outrepassé et violé les lois sur la vie privée des milliers de fois depuis qu'elle a été investie de nouveaux pouvoirs de surveillance (...) en 2008.''

De là à penser qu’il y aura beaucoup de données dans le serveur central de la nouvelle carte d’identité dont le transfert intéressera fortement le service d’espionnage de ce puissant « pays ami », il n’y a qu’un pas. Ainsi, quand, à la barbe de tous ces législateurs qui se déclarent ardents défenseurs de la communauté musulmane au Parlement, des lois sont votées qui facilitent et rendent légal ce transfert d’information aux pays tiers, on est tenté de conclure qu’avec de tels défenseurs, nos compatriotes sont mal barrés.

11 August 2013

Ce que cachent les politiciens



Après l’incendie de l’Amicale de Port-Louis, en mai 1999, des milliers de Mauriciens se sont joints aux funérailles de l’épouse et des deux fi lles du propriétaire de la maison de jeu.


La Criminal Appeal Act vient d’être amendée dans la précipitation, sans réels débats. Cette révision majeure des règles de la justice mauricienne intervient après la publication d’une contre-enquête sur l’incendie de l’Amicale et alors que l’Irlande fait pression pour que les assassins de Michaela Harte soient identifiés et punis.
 
Par Jean-Mée DESVEAUX
l'express-dimanche du 11 août 2013

Nous autres Mauriciens prenions jusqu’ici pour acquis les institutions juridiques censées garantir la liberté et l’inviolabilité de nos personnes au sein de ce petit pays d’Afrique miraculeusement pacifique qu’est le nôtre. Cette image idyllique, assombrie récemment par le scandale des secrétaires de juges de la Cour suprême, a pris un mauvais coup suite aux discussions, ou à l’absence de discussions, qui ont entouré le vote, au Parlement, de l’amendement à la Criminal Appeal Act. Le gouvernement a tenu, en un temps record, à amender cette loi qui, selon des ténors du barreau, permettrait ou encouragerait des attaques liberticides sur des citoyens devenus la cible des caïds d’une majorité au pouvoir.

Devant ce manque de débats éclairés tant décrié, l’express propose une couverture spéciale de cet amendement qui a suscité une excitation sans pareille au sein de la classe politique. Nous essaierons, entre autres, de vérifier le bien-fondé des accusations mutuelles des partis politiques. Nous étudierons les motivations cyniques de certaines prises de position soulignant, à nouveau, la propension abjecte de nos politiciens à profiter de la moindre chance de grappiller quelques votes, même si cela se fait lâchement sur le cadavre de nombreuses et innocentes victimes d’une mort atroce.

 Cet amendement est-il aussi dangereux que le proclament les juristes au Parlement et ailleurs ? La réponse est un oui retentissant quand on lit la genèse du projet. 

 1) L’amendement remet en question le fameux principe de « double jeopardy », principe légal adopté chez nous depuis des siècles, emprunté aux Anglais, chez qui il avait survécu pendant près de 700 ans. Ce principe, pour faire simple, garantit qu’une fois acquitté, un accusé ne peut être de nouveau jugé pour le même délit. Un changement à ce principe laisse donc suspendre, au-dessus de la tête de tout acquitté, une épée de Damoclès pour le reste de son existence. 

 2) Cet amendement potentiellement « liberticide » a été présenté et voté par la majorité avec un empressement qui laisserait l’observateur le plus objectif craindre que le gouvernement a quelque chose de sinistre à cacher. 

 3) Un changement de cette envergure aux libertés individuelles requiert normalement, dans une démocratie, une altération de la Constitution, ce qui demande une majorité de trois quarts au Parlement. A Maurice, à cause d’une petite clause déjà présente au sein de notre Constitution (10.5), un changement si drastique ne requiert qu’une simple majorité. Cela revient à dire que n’importe quel prochain gouvernement pourra, s’il en est tenté, triturer ce texte à sa guise aujourd’hui que l’inviolabilité du principe a disparu. 

 4) A cause de cette particularité, il aurait été (peut-être pas légalement mais au moins moralement et psychologiquement) essentiel aux yeux de la population que l’opposition et le gouvernement affichent un consensus comme en Grande-Bretagne récemment quand un tel amendement a été voté. Mais, chez nous, même après avoir réussi à faire passer plusieurs changements, l’opposition est restée farouchement opposée à ce projet d’amendement.

 5) Ayant sacrifié le principe sacro-saint du « double jeopardy», l’amendement sacrifie aussi la règle suprême selon laquelle aucune loi ne doit être rétroactive ; un acte qui n’était pas criminel quand il a été commis ne devrait pas le devenir après le vote d’une loi passée ultérieurement. 

 6) On ne peut imaginer de loi plus dangereuse que celle qui est instituée sur mesure avec des cibles bien précises. Or, l’amendement à la Criminal Appeal Act est fait sur mesure pour pouvoir rejuger les accusés disculpés par le jury lors du procès de l’homicide de l’Irlandaise Michaela Harte à l’hôtel Legends. C’est pour cela que la rétroactivité de la loi est nécessaire. 

 7) Cet amendement  est très symétrique. Ainsi, il n’y a pas de limite dans le temps qui empêcherait le directeur des poursuites publiques (DPP) de faire appel d’un jugement plusieurs décennies après qu’un suspect a été acquitté « à tort ». Pareillement, un innocent derrière les barreaux peut, à tout moment, voir son cas être renvoyé devant la justice si l’appel répond aux critères stipulés par la loi amendée.

 La deuxième question à se poser, au vu des dangers constatés : la loi dans sa nouvelle forme était-elle vraiment essentielle ? Le contrat social entre les 1,2 million de Mauriciens est-il mieux préservé après cet amendement ? Est-ce la « best » ou la « second best solution » dont le pays hérite ? La réponse est plus nuancée et forcément plus subjective cette fois. Chacun viendra donc avec ses éléments en fonction de son choix de société et de sa philosophie. Dans tous les cas de figure, si le DPP doit faire appel des jugements de la Cour suprême, c’est qu’il y a eu maldonne. N’aurait-il pas été plus sage d’arrêter les causes de miscarriages of justice en amont que de le faire en aval en demandant au DPP de faire appel du jugement de la Cour suprême ? La cause du dysfonctionnement à ce niveau se résume essentiellement au travail de la police et à la constitution et la décision du jury. Un tri lors du recrutement des membres d’un jury d’assises pourrait éviter cela. En ce qui concerne la police, Me Kishore Pertab résume bien ceux qui partagent cette position: « On vient donner une excuse à la police pour qu’elle continue à mal faire son travail ».

 Il reste une objection au statu quo. Si la loi n’avait pas été modifi ée, ceux qui ont souffert des dysfonctionnements passés (telle la lourde main de l’inspecteur Raddhoa) n’auraient aucune chance de recouvrer la liberté. De la même façon, les criminels libérés à tort pourraient continuer à couler des jours paisibles sans être inquiétés jusqu’à la fin de leur vie. C’est la position du gouvernement qui, dans le cas de Harte, se sent obligé, pour réparer l’image ternie du pays internationalement, de changer les règles du jeu après que la partie a débuté. Finalement, il faut noter que, cafouillage ou pas, il existe des cas où des preuves qui n’étaient pas disponibles lors du procès, le deviennent ultérieurement (tels les tests d’ADN) et que ces preuves n’auraient pas pu être recevables sous la forme non amendée du Criminal Appeal Bill.

 Il existe un caractère très mauricien qui rend la loi sous sa nouvelle forme particulièrement pernicieuse. Nous sommes tout à fait récalcitrants à obéir et à respecter la notion d’un arbitre impartial qui tranche une question, qui nous touche de près, une fois pour toutes… surtout quand la décision ne nous plaît pas. Le PRB visait, entre autres, à corriger les erreurs et anomalies de la grille de salaires et autres conditions qui régissent la fonction publique. Après un exercice de « correction» qui a coûté plus de Rs 4,6 milliards, nos fonctionnaires étaient tellement remontés que le gouvernement a cédé. Dev Manraj est venu amender les corrections à la hauteur d’un autre petit milliard de roupies. Mais cette correction de la correction doit elle-même être corrigée par le Permanent Secretary du ministère de tutelle. Les Anglo-Saxons appellent cela « having a second bite at the cherry ». A Maurice, nous faisons bien mieux. Après la promulgation de la loi amendée, un accusé a pas moins de four bites at the cherry : 1) il est jugé et condamné en première instance par la Cour suprême, 2) il interjette l’appel et son appel est rejeté, 3) il demande et obtient la permission d’aller devant le Privy Council où son appel est de nouveau rejeté, 4) il peut, selon l’Attorney General (Hansard, 24 juillet 2013), se prévaloir dorénavant de l’amendement nouvellement voté pour faire de nouveau appel de sa condamnation. Selon là où l’on se trouve sur l’échelle philosophique, on peut conclure que cela ne fera qu’encrasser une machine judiciaire très lourde et coûteuse dans une île Maurice qui succombe déjà sous le poids d’une impunité souvent révoltante. Et l’impunité, on a trop souvent tendance à l’oublier ici, incite même les meilleurs citoyens à prendre la loi entre leurs propres mains.

 L’amendement est à double tranchant. Il permet, d’un côté, de libérer l’individu incarcéré à tort et, de l’autre, de remettre le suspect acquitté à tort sur la paille chaude du cachot. Cela crée, selon les préférences personnelles et philosophiques, deux écoles de pensée axées sur leur attitude vis-à-vis du « double jeopardy ». Les « bleeding hearts », du genre défenseur des droits de l’homme, sont disposés à faire toutes les concessions sécuritaires possibles pour éviter que ne subsiste l’ombre d’un innocent croupissant derrière les barreaux. Ils sont disposés à payer les conséquences qui en découlent pour la sécurité de la société. Dans l’autre camp, on essaie de se concentrer sur la forêt au-delà de l’arbre, la paix et la sécurité de la société plutôt que le bain d’amour des 2500 prisonniers de Beau-Bassin. C’est le camp du « law and order ». Il rappelle que, pour chaque criminel libéré à tort, il y a des victimes six pieds sous terre que les familles pleureront toujours. Donc, « measure for measure » est le mot d’ordre selon lequel la société réclame son « pound of flesh ». Le lecteur peut d’ores et déjà situer les illustres intervenants dans ce débat à partir de ces deux axes. Dans le camp des « bleeding hearts », on pourrait, se basant sur leurs interventions dans le débat, diversement aligner les hommes de loi suivants : Mes Yousouf Mohammed, Yvan Collendavelloo, Steven Obeegadoo, Raouf Gulbul. Dans le camp du « law and order », on trouvera le DPP, le Premier ministre, Shakeel Mohamed, entre autres. 

 La question-clé est maintenant de savoir ce qui a vraiment changé avec cet amendement ? La réponse succincte d’abord : le DPP aura maintenant le droit de faire appel d’un acquittement prononcé au niveau de la Cour suprême, que ce soit par un juge seul ou par un jury accompagné d’un juge (il pouvait jusqu’ici seulement faire appel d’un jugement trop clément). Il est intéressant de noter l’asymétrie qui existait auparavant car, alors que le DPP n’avait pas ce droit d’appel d’un acquittement, le suspect, lui, avait le droit de faire appel de sa condamnation par la Cour suprême en saisissant la Cour d’appel. 

Accusés du meurtre de Michaela Harte, Sandip Moneea et Avinash Treebhoowon
ont été acquittés. L’amendement de la loi permet qu’ils soient rejugés pour le même crime.

 Une petite explication technique s’impose ici. Au sein des Cours dites inférieures (District and Intermediate Courts) qui traitent des crimes mineurs, la symétrie est totale. La personne condamnée peut se prévaloir en appel d’une condamnation tout comme le DPP peut faire appel s’il considère que le suspect a profité d’une peine trop légère ou, à plus forte raison, s’il a été acquitté à tort. Mais en ce qui concerne la Cour suprême, le DPP n’a pas ce droit. Les cas en première instance, en Cour suprême, sont de deux genres : 1) un juge sans jury pour les délits, tels viol collectif, trafic de drogue, piratage et 2) un juge avec jury (assises) pour les jugements relevant d’autres crimes, tels les meurtres et les homicides. Dans tous ces cas, l’accusé peut faire appel de sa condamnation, mais le DPP ne pouvait pas faire appel d’un acquittement injustifié jusqu’à l’amendement qui nous concerne. Pratiquement, le DPP ne pouvait pas faire appel à la Court of Criminal Appeal de l’acquittement de Sandip Moneea et Avinash Treeboowon bien que bon nombre d’observateurs pensent qu’il y a eu un vice de procédure ou même de nouvelles preuves. Le DPP a ce pouvoir maintenant. L’asymétrie Cour inférieure et Cour suprême faisait dire au DPP qu’alors qu’il pouvait interjeter appel dans le cas de l’acquittement des petits consommateurs de drogue, il ne pouvait faire appel de l’acquittement d’un gros trafiquant. 

 Pour la première fois à Maurice, des juges en appel pourront rejuger un individu acquitté par un jury. L’opposition a cependant réussi à convaincre le gouvernement d’ajouter les garde-fous suivants à cette innovation. Pour que soit recevable l’appel au verdict d’acquittement d’un juré, selon l’article 5 (3), il faut que : a) le juge ait donné une « substantial misdirection to the jury », b) « the verdict cannot be supported by the evidence » et c) « a serious irregularity occurred and the acquittal is tainted ». Cette concession n’a, cependant, pas suffi pour convaincre l’opposition de voter en faveur de l’amendement.

La plus grosse pierre d’achoppement entre l’opposition et le gouvernement est, sans nul doute, le test que doit passer un appel dans les deux sens avant qu’il ne soit recevable. Le gouvernement a, à notre sens, eu une sagesse remarquable de placer la barre très haut. Nous parlons ici du standard of proof ou du niveau de preuve à apporter pour rouvrir le procès dans les deux sens (appel de l’acquittement ou de la condamnation). Le nouvel article 5 impose que « The Court (be) satisfi ed that there is fresh and compelling evidence in relation to the offence ». Le texte adopte une ligne rigide pour éviter soit d’évacuer la prison de Beau-Bassin, soit de ne permettre à aucun cas (de condamnation ou d’acquittement) injuste d’être challengé en Cour d’appel. 


 Mais nous tombons pathétiquement ici dans le domaine de la politique la plus sordide qui soit et, il n’y a pas photo, sur le plan de la justice morale, entre la position du gouvernement et celle de l’opposition. Pour le dire comme il se doit, le MMM-MSM joue un rôle « infect et révoltant » (si ces termes forts mais galvaudés veulent encore dire quelque chose dans le jargon politique mauricien) alors que le gouvernement maintient le high moral ground. L’opposition n’a cessé d’attribuer des motifs non avouables au gouvernement qui, selon elle, a apporté l’amendement au Parlement spécifiquement pour permettre un nouveau jugement dans le cas des employés du Legends. C’est vrai, et bien que la timidité de la majorité ait longtemps hésité à l’admettre, le Premier ministre ne le cache plus en troisième lecture quand il explique son réel empressement : « Why that hurry ? We follow it very carefully because the Harte case has international ramifications. It is important for us to find the guilty. » Mais il ne compte pas pour autant piper les dés ! «It will have to satisfy the requirements… There will have to be fresh and compelling evidence for review and retrial. » De notre point de vue, le parti travailliste n’a pas à rougir de son positionnement sur la problématique Harte. Nous irons plus loin. Devant la tentation de surenchère que représente la position du MMM sur la question de l’Amicale, cette fois, Navin Ramgoolam a su admirablement assumer avec dignité son rôle d’homme d’Etat. 

 J’aimerais ardemment pouvoir en dire autant du MMM. Confronté au crime de l’Amicale où sept victimes (dont deux enfants en bas âge et une femme enceinte) furent brûlées vives et périrent dans une souffrance on ne peut plus atroce, on aurait pu espérer un minimum de retenue de la part de politiciens, même mauriciens ! Quand on sait que ce crime atroce a de fortes répercussions ethniques qui n’ont pas disparu en même temps que la cicatrice du bâtiment calciné. Quand on prétend, peut-être même avec une certaine justesse, qu’en 40 ans de carrière, on a tout fait pour éviter de déstabiliser ce pays fragile pour des gains politiques opportunistes et éphémères. Quand on n’est pas si loin de prendre sa révérence d’un pays qu’on a servi avec ascétisme et loyauté, et quand on veut laisser un dernier cliché à la postérité, on ne vend pas son âme pour des votes hypothétiques entachés du sang des innocentes victimes de l’Amicale. 

 Le cirque de Rama Valayden offrait une trop grande tentation à un MMM resté bien trop longtemps dans l’opposition. Valayden se prend pour Chris Mullin qui, en Grande-Bretagne, déclencha la libération des Birmingham bombers après 16 ans d’emprisonnement avec son livre Error of Judgement. C’était le Deus ex Machina qui permettrait à l’ancien Attorney General opportuniste de sortir de l’obscurité politique dans laquelle son manque anémique d’ouailles l’avait prématurément condamné. La stratégie était aussi simple qu’un jeu d’enfant. Nos 20% de compatriotes de foi musulmane sont doublement mortifiés dans leur chair comme dans leur foi. Ils souffrent, à Maurice, d’un sentiment d’ostracisme aigu. En ce qui concerne le reste du monde, chaque minute de nouvelles internationales leur montre l’abomination que souffrent les musulmans sous le joug des Etats-Unis, paravent du gouvernement israélien, son allié islamocide. Rama Valayden a la solution pour leur remonter le moral. L’Amicale a succombé aux flammes allumées par l’Escadron de la mort, dont, coïncidence on  ne peut plus heureuse, tous les membres sont morts (on se rappelle que dans son exégèse, Valayden avait exclu Cehl Meeah, l’ancien chef de cet escadron, dans sa définition). Donc les quatre condamnés de l’Amicale sortent de prison et personne n’y retourne ! Echec et mat !

 Le MMM a voulu partager une part de ce gâteau électoral en épousant la thèse de l’ancien Attorney General. Mais manque de pot ! Le génie du barreau ne découvre rien qui vaille. La seule chose qui pourrait encore changer la donne se trouve être une vidéo en la possession de la police dont Me Valayden a connaissance et qui prouverait que les condamnés de l’Amicale, au lieu de s’attaquer à ce lieu de perdition que le casino représentait à leurs yeux, essayaient plutôt à ce moment-là de faire passer aux supporteurs de l’équipe de football adverse, réfugiés au poste de police de Pope-Hennessy, un très mauvais quart d’heure. Mais qu’à cela ne tienne, ces preuves sont parfaitement admissibles pour permettre de rouvrir le procès des quatre condamnés de l’Amicale car ce serait des « fresh and compelling evidence », critères parfaitement acceptables à une révision pour ces condamnés qui ont épuisé toutes les avenues offertes par la loi. 


 Mais voilà, quelque chose ne colle pas ! D’Allan Ganoo à Steven Obeegadoo, en passant par Reza Uteem, tous les intervenants du MMM au Parlement ont fortement déploré, lors de la troisième lecture du texte, que ce critère est trop exigeant et ne permettrait jamais aux condamnés de l’Amicale d’obtenir un nouveau procès, ce qui les a, du reste, empêchés de voter en faveur du projet de loi. Alan Ganoo a ainsi dit : « Government has made things more difficult for us. If we had any intention to agree to that legislation, government has now complicated matters. In fact, we wonder who will pass this test. En tout cas, pas les accusés de l’Amicale ! » La seule conclusion logique à cette prise de position est qu’ils considèrent tous qu’il n’y a pas de fresh and compelling evidence dans le rapport de Valayden. Mais qu’à cela ne tienne, Paul Bérenger a fait comprendre qu’il changerait vite ce critère dérangeant une fois arrivé au pouvoir. La barre sera placée bien moins haut de sorte à faire sortir de prison, coûte que coûte, les condamnés de l’Amicale.