JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

08 November 1978

L’université de Maurice se penche sur le planning familial

ENTRETIEN AVEC Mme Catherine Hein, maître de conférence en pyschologie sociale

On s’interroge encore du rôle que l’université de Maurice doit jouer dans le développement du pays. Une des lacunes que tout le monde s’accorde à identifier à ce niveau est l’absence de recherche au sein de cette institution.
Mais notre université, qui est encore jeune, demande une certaine période de gestation avant de se situer pleinement au sein du développement de l'île. II y a, du reste, des signes précurseurs dans ce sens.
Il est à noter en effet que plusieurs recherches ont récemment été conduites par l'université dans le domaine des sciences appliquées aussi bien que dans celui des sciences sociales.
Dans ce contexte, l'express s'est entretenu avec Mme Catherine Hein, maître de conférence en psychologie sociale à l'université de Maurice, qui vient de publier les résultats de ses recherches sur l'utilisation des méthodes contraceptives à Maurice. Ces recherches ont été entreprises à la requête du ministère de la Santé qui les a financées conjointement avec l'ambassade américaine. 

 Propos recueillis par Jean-Mée DESVEAUX
L’express du 8/11/1978


Q : Mme Hein, la recherche que vous avez entreprise au sujet des méthodes de contraception utilisées à Maurice relève du domaine social. Or, les recherches entreprises au pays sont généralement conduites par des organisations scientifiques telles la MSIRI dans le domaine des sciences appliquées. Est-ce-que la recherche dans le domaine social possède-t-elle une valeur scientifique?

R : Très certainement. Les gens pensent, en effet, que la recherche proprement dite s'arrête à ce qui se fait en laboratoire ou dans les champs. Pour ceux-là, recherche est nécessairement associée à l'agriculture ou à la chimie. Mais la recherche sociale est aussi scientifique que celles-là.
Si le travail entrepris est vraiment de la recherche et non pas de petites enquêtes faites au petit bonheur, les méthodes scientifiques et une connaissance approfondie des statistiques sont indispensables. Si le travail de recherche est mené rigoureusement, les résultats obtenus en ce qui concernent les nombreux facteurs humains qui influencent la société, sont tels qu'on peut s'y fier en vue de planifier l'avenir de cette société. D'ailleurs, à partir des statistiques, on peut vérifier combien les gens ont confiance dans les résultats obtenus.
Il est vrai qu'à Maurice, très peu de recherches ont été faites jusqu'ici dans le domaine social, mais cette situation commence à changer, car la demande se fait sentir dans ce sens. Il faut aussi réaliser que la recherche sociale coûte énormément et que, très souvent, les gens ne sont pas prêts à dépenser la somme nécessaire pour que ces recherches soient faites comme il se doit.
Il est intéressant de noter, dans ce contexte, que l'école d'administration de l'université de Maurice commence à entreprendre certaines recherches dans le domaine social. Il y a, en ce moment, plusieurs groupes qui font des études sur la vie dans les villages et sur l'esprit d'entreprise. J’ai personnellement fait une enquête sur l'usage du family planning et je viens de terminer une autre enquête sur les femmes travaillant dans les usines.

Q: Parlez-nous des procédures que vous avez suivies pour faire aboutir votre enquête.

R: Afin d'obtenir un échantillonnage national, nous avons dû choisir des régions qui seraient, dans l'ensemble, représentatives de la population mauricienne. Une cinquantaine de familles de soixante régions furent choisies.
Un questionnaire couvrant environ cinquante questions fut établi en français, créole et "bhojpuri". Nous avons ensuite fait une étude pilote pour nous assurer que l'interview comporterait des questions valables et compréhensibles et nous avons fait les changements nécessaires. Cinquante "interviewers", entraînés par l'uni­versité, furent ensuite envoyés vers les familles sélec­tionnées. Il y eut ensuite le travail de vérifications des questionnaires, ce qui nécessi­ta aussi des visites de retour dans certains cas où ces questionnaires avaient été remplis. Le dernier stade, qui est aussi le plus long, fut  celui du dépouillement des questionnaires et le transfert des informations aux ordinateurs.

Q: Quelle fut la réaction des gens lors de la présentation de vos questionnaires? Ce genre d'exercice n'est-il pas apte à intimider les gens?

R: Nous fûmes agréable­ment surpris par le bon accueil que nos interviewers reçurent. Le taux de refus était moins de 2%. Il y eut très peu de gens qui montrèrent de la réticence à fournir les informations demandées. Il faut cepen­dant souligner que ces personnes avaient été mises au courant que les renseignements reçus seraient traités d'une façon strictement confidentielle.



Q: Pouvez-vous nous décrire l'attitude des gens vis- à-vis du contrôle de naissances? Les familles mauriciennes réagissent-elles positivement à l'idée qu'il faut qu'il y ait un nombre limité d'enfants?

R: La majorité des familles, à tous les niveaux, pensent que le nombre idéal d'enfants ne devrait, en aucun cas, excéder trois.
Elles sont très conscientes de la nécessité de bien élever leurs enfants et de leur donner l'attention voulue. Elles comprennent la nécessité de pouvoir subvenir aux besoins des enfants en vue de leur garantir le bonheur et les gens réalisent que trop d'enfants dans la famille, prédispose à épuiser les ressources dont on dispose.
Il est intéressant de noter que ceux qui, pour une raison ou une autre, ont déjà plus de trois enfants, disent quand même qu'ils ne conseilleraient pas à une autre femme d'avoir plus de trois enfants.

Q: Est-ce que ce désir de limiter le nombre d'enfants est accompagné par la connaissance requise pour régler le nombre de naissances?

R: Nos recherches ont démontré que la plupart des Mauriciens sont au courant qu'il existe au moins une méthode contraceptive. La méthode la plus connue est, de loin, la pilule. Il n'y avait que 4% de gens qui ont répondu aux questionnaires, qui n'avaient jamais entendu parler de la pilule.

Q: Les Mauriciens ont donc la connaissance voulue ainsi que le désir d'utiliser une certaine méthode de contraception. Est-ce que ce désir est traduit en pratique?

R: Parmi les femmes interviewées, 64% avaient déjà utilisé une méthode à un certain moment de leur vie et 46% se servaient d'une méthode au moment de l'interview. Ces chiffres sont assez élevés pour un pays dit sous-développé et la comparaison est très favorable quand on pense à des pays tels Singapour et Taiwan.

Q: Quelles sont les méthodes les plus utilisées?

R: La pilule est définitivement la méthode la plus utilisée. 43% des interviewées l'avaient déjà suivie et 21% s'en servaient au moment de l'interview. Après la pilule, viennent les méthodes rythmiques — thermomètre et Ogino — dont 27% s'en étaient déjà servies et 14% s'en servaient au moment de l'interview. L'usage de la capote anglaise était en 4e position avec 14% qui l'avaient déjà utilisée et 5% qui l'utilisaient encore.

Q: N'est-il pas étonnant que la pilule soit la méthode la plus utilisée quand on pourrait penser, à priori, que des considérations éthiques et religieuses rendraient cette méthode moins populaire que les autres?

R: Tout dépend des alternatives qui existent. Or, ces alternatives ne sont ni aussi connues, ni aussi sûres, ni aussi disponibles que la pilule. Nos recherches n'ont pas permis de voir une discrimination d'ordre religieux vis-à-vis de la pilule.
Au contraire, il a été constaté que, parmi toutes les femmes qui prenaient la pilule, le pourcentage était également distribué parmi  les musulmanes, les chrétiennes et les hindoues — soit environ 30% dans chaque cas. Il est vrai, cependant, qu'en faisant l'exercice statistique dans l'autre sens et, qu'on analyse laquelle de ces 3 catégories de femmes se servent plus des méthodes rythmiques, on découvre que ce pourcentage est plus élevé chez les chrétiennes que chez les musulmanes et les hindoues.

la population mauricienne sera en 1987 de l'ordre de 1 048 000.

Q: On a associé beaucoup de risques avec l'usage de la pilule. Vos résultats semblent démontrer que ces facteurs n'ont pas découragé l'usage de cette méthode de contraception.

R : II est vrai que les recherches médicales ont  démontré que le risque de certaines maladies était plus élevé chez les femmes qui se servaient de la pilule.  Mais, je soupçonne qu'il y a une certaine tentation à Maurice d'associer le moindre mal de tête ou la plus petite colique à l'usage de la pilule. Mais le point essentiel ici est qu'il faut pouvoir établir et balancer les risques associés à l'usage de la pilule avec les conséquences qu'engendrait une nouvelle grossesse.

Q: Pouvez-vous nous parler des données que vous avez obtenues relatives au succès des différentes méthodes?

R: Nous touchons ici à un problème très épineux et les découvertes que nous avons faites ici, m'ont personnellement beaucoup inquiétée. Il a été, en effet, constaté que parmi toutes celles qui s'étaient servi d'une méthode dans le passé, 31% avaient eu des grossesses non-voulues. Ceci est d'autant plus inquiétant quand on prend en considération que ces chiffres sont très probablement une sous-estimation découlant du fait que, ni celles qui s'étaient fait avortées, ni celles dont les enfants 'non voulus' — pour employer un terme concis — étaient déjà nés, ne pouvaient décemment avouer le caractère involontaire de leur dernière grossesse.
Les raisons données pour expliquer ces grossesses involontaires étaient essentiellement l'arrêt de la pilule à cause des side effects censés ressentis et la prétendue faillibilité des méthodes rythmiques.
Le pourcentage est très significatif ici car, malgré le nombre relativement plus élevé d'usagers de la pilule, comme nous l'avons vu tout à l'heure, seulement 25% des grossesses non- voulues ont trait à celles qui ont cessé de prendre la pilule pour les raisons précitées. Ce chiffre s'élève à 33% chez celles qui prétendent suivre couramment les méthodes rythmiques, méthode qui, comme nous l'avons vue, est bien moins cotée que la pilule.
Les chiffres indiquent aussi que parmi les femmes enceintes recensées à l'époque, 31% ont eu une grossesse involontaire, soit en se servant d'une méthode, soit en ayant interrompu pour des raisons autres que celui d'avoir un enfant. Il y a donc au niveau national, beaucoup de naissances qui sont occasionnées parce qu'il y a un manque de connaissances des méthodes à suivre ou à un manque de consistance dans ces méthodes pratiquées. Ceci est d’autant plus vrai chez des femmes qui ont déjà accepté de suivre une méthode contraceptive de leur choix. Il est clair que si le nombre de telles grossesses parmi les usagers des méthodes de contraception pouvait être réduit, ce serait un très grand bien pour le pays.

Q: Quels sont les moyens que vous préconisez en vue d'obtenir de tels résultats?

R: C'est ici qu'il faut comprendre le rôle exact du chercheur. Mon rôle est essentiellement de trouver les données et de les présenter aux autorités responsables de l'agencement de la politique à suivre dans ce domaine.
Les données que présente le chercheur sont extrêmement importantes dans ce sens mais, il n'appartient pas au chercheur lui-même de se servir de ces données pour établir la politique à suivre et de ce qui découlerait de ses découvertes.

Q: Le problème démographique à Maurice a atteint un niveau inquiétant. Ayant conduit des recherches dans ce domaine, ne pensez-vous pas que des moyens plus drastiques et efficaces devraient être envisagés pour enrayer cette croissance accélérée de la population mauricienne?

R: Je pense qu'on ne se rend pas compte à Maurice à quel point le pays est bien vu sur le plan international en ce qu'il s'agit du travail déjà accompli dans ce domaine. Il est indéniable que le taux de croissance a diminué de façon spectaculaire. Le crude birth rate, qui était en 1962 au taux de 28 par 1000, est passé en 1973 à 23 par 1000. Il faut ajouter cependant que cette diminution est partiellement due à la tendance chez certaines femmes de se marier assez tard. Ceci n'empêche, que cette performance est très encourageante.
Si par des mesures draconiennes, vous voulez parler de l'imposition des lois qui forceraient la stérilisation, comme cela se pratique en Inde, je dirais que ceci serait inutile quand on tient compte que les Mauriciens sont déjà motivés à limiter le nombre d'enfants.
La plupart sont disposés à essayer les méthodes disponibles, il faudrait donc surtout les aider à persévérer et à bien utiliser la méthode qui leur convient le mieux.

Q: Mme Hein, est-ce que la zero population growth (zpg) est envisageable?

R: Ceci ne serait que dans un avenir très très éloigné car, la zpg nécessite que le taux de naissance soit égal au taux de mortalité. Or, étant donné la structure d'âge de la population mauricienne au sein de laquelle 6% seulement sont âgées de plus de 60 ans tandis que 40% sont au- dessous de 15 ans. Cet objectif n'est pas réalisable à court terme.
Du reste, les chiffres du ministère du Plan indiquent que, même avec l'hypothèse que chaque famille n'aura en moyenne que deux enfants — ce chiffre étant plus bas qu'on puisse espérer dans la conjoncture actuelle — la population mauricienne sera en 1987 de l'ordre de 1 048 000.