JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

19 April 2005

Distribuer en toute transparence les terres de l’État

Le projet IRS de Bel Air Sugar Estate verra la construction d'un hôtel cinq-étoiles, entre autres.
l'express du 19/04/2005

Par Jean-Mée DESVEAUX 

Il ne fallait nullement s’étonner que l’Integrated Resorts Scheme (IRS) ait eu une aussi mauvaise presse quand il vit le jour il y a quelques années. Les mêmes causes menant aux mêmes effets, il aurait été même extrêmement surprenant que, deux ans après le deal Illovo, les nouveaux IRS ne soulèvent pas la passion que cette affaire a déchaînée au début du gouvernement MSM-MMM en 2001.

Le cas du deal Illovo a démontré que les émotions ne créent pas le meilleur terrain pour un débat rationnel des enjeux économiques d’un pays. En effet, aux yeux d’une tranche importante de nos compatriotes, l’idée de permettre à des détenteurs historiques de capitaux de renom, (donc pas nécessairement les plus à plaindre dans cette “vallée de pleurs”), d’augmenter davantage leur patrimoine est un anathème économique et social qui doit être bloqué à tout prix. Quel que soit le projet qui puisse apporter une telle manne à cette engeance ne peut être que condamnable et le gouvernement qui s’y rend complice devrait, selon cette conception des choses, être pareillement désapprouvé.

Cette lecture essentiellement travaillée par une opposition travailliste opportuniste allait durablement fausser le débat sur les IRS. Aujourd’hui que Navin Ramgoolam est assis autour de la même table que ceux qu’il traitait hier de “Pik Botha” afin de résoudre un réel problème de développement, le doute persiste dans l’esprit du Mauricien qui ne peut croire que la politique peut créer une telle volte-face chez un homme honnête. Cette perception erronée des IRS ne peut que nuire à une île Maurice qui doit avancer avec encore plus de hardiesse à cause des écueils qui nous assiègent.

On sait déjà que ceux qui blâmaient le deal Illovo comme une braderie de la richesse du pays étaient soit ignorants de ce que ce deal a apporté au pays, ou alors qu’ils étaient de mauvaise foi. Le deal Illovo a été une manne pour le pays et le restera encore longtemps. Là où le gouvernement précédent a eu tort, c’est dans son manque d’ambition qui aurait pu faire que ce deal soit doublement plus bénéfique au pays. Cette attitude minimaliste d’un gouvernement MSM-MMM timide n’enlève en rien la portée extrêmement bénéfique des résultats de l’accord conclu.

Comme le démontre la comparaison avec Illovo, ce qui exaspère donc tant avec les IRS c’est la dualité qui enflamme: des terres en mains blanches. Mais qu’en est-il ? Nous allons essayer de démontrer qu’il existe deux extrêmes sur la question de l’IRS qui sont également irrationnels alors que, comme toujours, la position médiane apporterait en fait un grand plus pour le pays.

La position extrême qui pousse les idéologues et leurs suiveurs inconditionnels à stigmatiser les IRS, avant même qu’ils ne s’enquièrent de la nature exacte du projet, provient d’un mélange cocasse de marxisme fossilisé et de racisme inversé. L’argument, si on peut l’appeler ainsi, suit les méandres suivants: le grand propriétaire terrien qui fait une application d’IRS est généralement une propriété sucrière ou un “grand blanc”, ce qui est du pareil au même.

En l’état actuel des choses, ces terres sont bloquées parce qu’elles ont une classification économique incompatible à l’IRS. Elles auront besoin d’être rezoned ou encore de recevoir un permis de land conversion que seul l’État et ses impressionnants commis ont la faculté de procurer.

Ces étapes administratives sont de réels cadenas qui enferment à l’intérieur d’un arpent de terre entre dix et vingt millions de roupies que le marché international serait disposé à payer pour ce lopin avec sa charmante demeure. Libérer ce genre de plus, value à une terre qui, à l’heure actuelle, ne vaut que Rs250 000 est passible de crime contre l’humanité. Jamais ! Plutôt voir Maurice descendre dans l’enfer indocéanique de Madagascar, des Comores ou des Seychelles qu’accepter d’enrichir des nantis, quelles que puissent être les retombées positives pour le pays en général. Si on aime l’humanité, on enlève des riches, on ne les permet pas de s’enrichir davantage!

Ce qu’il faut retenir ici, c’est que cette réaction cadre mal avec des projets qui n’enlèvent pas un iota du patrimoine mauricien. Certains IRS visent seulement à valoriser des terres du privé qui sont sous évaluées par un ratio de 1 à 60, ce qui doit forcément avoir des retombées positives sur l’économie en général. Nous verrons un nombre de cas dans la liste que nous passons en revue plus bas de ce modèle d’IRS “idéal” car ils existent bel et bien. Mais avant de passer les IRS en revue, il faut d’abord constater l’autre excès dans lequel peut tomber le concept du IRS.

C’est ici que l’absence des forces du marché dans le transfert des terres de l’Etat blesse car il s’agit-là d’IRS qui requièrent les Pas géométriques. C’est le type que l’idéologue a en tête quand il fait l’amalgame de tous les projets de ce genre. Ici, on pourrait s’indigner devant une pratique choquante d’incorporer une vaste étendue de Pas géométriques afin de donner de la plus-value à une terre privée qui serait vendue à un prix astronomique.

Le scandale ne serait pas de se servir de terres de l’État afin de faciliter la vente de ceux du privé mais de l’inadéquation extrême entre ce que le promoteur percevrait en bénéfices sur ces terres de l’État et les poussières payées à ce même état pour avoir aliéné le patrimoine mauricien à tout jamais. Si une économie libérale consiste à ne pas freiner l’ardeur du promoteur de s’enrichir, c’est une innovation toute mauricienne que cet enrichissement se fasse sur le dos de l’État et du peuple qu’il gouverne.

Il ne saurait y avoir aucun argument qui permette à des nantis de se servir des dernières richesses du littoral pour se faire une fortune colossale sans une compensation adéquate au peuple ainsi lésé. Puisqu’on parle d’apartheid, à ce rythme-là les Mauriciens se verraient un jour emmurés dans un “bantoustan” au centre du pays sans aucun accès (avec ou sans pièce d’identification) à un littoral réservé aux IRS, campements et hôtels. Ce serait le modèle du IRS “abusif” où l’absence de mécanisme du marché pour l’obtention des terres de l’État entraînerait le genre de dérapage que nous avons pu constater ces derniers temps. Combien des IRS comportent des terres de l’État ?


Bel-Air

Le IRS de Bel Air Sugar Estate (BASE) comprend ce mélange explosif de terres en toute propriété et de terres de l’État. BASE a 250 arpents sous canne qui fera l’épine dorsale du projet mais elle a besoin de deux lots de Pas géométriques totalisant 104 arpents. Le projet qui était jusqu’à récemment évalué à Rs 2,5 milliards est estimé aujourd’hui valoir le double. Il comporte, entre autres, un golf de 18 trous au service d’un hôtel 5-étoiles durant la première phase (Domaine de Bel-Air), un IRS de 60 villas en deuxième phase (Résidences de Bel-Air) qui aura son golf de 9 trous. Les Pas géométriques en question étaient des “grazing lands” précédemment louées par BASE mais quand le bail a expiré en 1999, le gouvernement a repris possession de ces terres.

Une autre particularité de BASE est que l’absence d’un système transparent d’appel d’offres pour les terres de l’État mène à des décisions économiques moyenâgeuses, de troc de terres entre l’État et le privé: BASE est disposé, s’il obtient son bail, de céder au gouvernement près de 25 arpents de terres à Tyack pour des projets de social housing. La compagnie est aussi disposée à développer deux espaces de récréation pour le public. Comme quoi, on peut contourner le marché et éviter de se servir du mécanisme de prix comme outil décisionnel dans le foncier. Avec les conséquences qu’on a vues.

Deux autres points intéressants au sujet de BASE: si les Pas géométriques ne servent qu’à l’hôtel, pourquoi y a-t-il une différence de traitement avec d’autres projets hôteliers qui s’approprient les terres de l’État à bras raccourci? Anguille sous roche! L’autre point est que BASE mérite de la sympathie de par sa bravoure en désavouant publiquement une tentative de corruption à grande échelle. Paddy Rountree s’excuse pour sa mémoire défaillante vu son âge avancé. On peut le féliciter pour son courage car son comportement est un exemple pour un secteur privé trop enclin à jouer le jeu et se taire.


Mon Choisy

Le projet de la Compagnie sucrière de Mon Choisy est un exemple du concept IRS que nous définissions comme “idéal”. Avec un investissement sur trois phases de Rs 10 milliards (dont trois milliards de FDI), ce projet se contente tout bonnement des 376 hectares de terres de Harel Frères en toute propriété. La première phase comprend un hôtel cinq étoiles, un complexe résidentiel de 200 lots, une inland marina, un business park et un golf de 18 trous. La deuxième phase comprend un complexe résidentiel de plus de 100 lots, d’une marina et d’un complexe commercial.

Le seul hic de ce projet pour ceux qui veulent chercher la petite bête, c’est qu’il comporte la conversion de pas moins de cinq cents arpents de terre sous canne dans la région du Nord. Cela entraîne trois particularités: 1) enlever des cannes d’une région desservie par le Midlands Dam dans lequel l’État a dépensé près de deux milliards de roupies, 2) un manque de bagasse pour la compagnie sœur de Centrale thermique de Belle-Vue et 3) une apparence d’inconsistance dans l’argument du groupe Harel qui convoite les cannes de Mon Loisir lors de sa fermeture alors que le groupe Lagesse voudrait rediriger ses cannes vers Fuel.


Tamarina - Société du Morne Brabant

Ces IRS sont aussi des projets sur des terres du privé en toute propriété et ne tombent donc pas dans le groupe “explosif”.

Tamarina Golf Estate à Wolmar, un projet de Médine, est un des premiers IRS à avoir reçu son feu vert. Il comporte 110 villas dont la majeure partie est déjà vendue. Ce projet a la particularité de posséder une des rares plages à Maurice qui soit en toute propriété, à Tamarin. Il ne puise donc pas dans le patrimoine foncier national. Ses 206 hectares sont de la freehold land. Il est intéressant de noter que ce projet concrétisé sous l’ancien gouvernement, comporte une redevance à l’État de $US 70 000 (un peu plus de Rs 2 millions) par villa.

“Si une économie libérale
consiste à ne pas freiner
l’ardeur du promoteur de s’enrichir,
c’est une innovation toute
mauricienne que cet enrichissement
se fasse sur le dos de l’État et du peuple...”

La Société du Morne Brabant qui a aujourd’hui passé l’obstacle du World Heritage Site de l’Unesco, comporte 337 hectares en toute propriété. Il comprend moins de cent villas, un petit hôtel et un Morne Heritage Centre. Les promoteurs ont choisi de se faire tout-petits pour cohabiter avec le site historique du Morne.


Anahita IRS and Hotel projects

Ce projet de CIEL Group s’étend sur 185 hectares en toute propriété à Beau-Champ dont seuls six hectares nécessitent la reconversion. Il comporte 415 villas au niveau du IRS et un hôtel cinq étoiles de 120 chambres-villas.

On ne peut s’empêcher de faire ressortir que ce projet développe un pan de mer que personne n’associerait naturellement à un site cinq-étoiles. Que le privé puisse transformer un site d’apparence si médiocre pour en faire un des hauts lieux du développement touristique ne peut être qu’un grand plus pour le pays.

Il est aussi intéressant de noter que le gouvernement a offert aux promoteurs de ce projet une nouvelle formule pour accommoder le volet social du développement. Il serait aujourd’hui question que le promoteur paye 5,000 dollars par villa “up front” dans un fond social géré en partie par les forces vives et au sein duquel chacun des propriétaires des 415 villas versera une somme mensuelle de 100 dollars.


Beau Rivage Integrated Golf Resort

Ce projet de Rs 4 milliards contient à un degré moindre que BASE le mélange explosif de terres de l’État et de terrains en toute propriété. Sur les 160 hectares que requiert ce projet, 44 arpents consistent en Pas géométriques loués à bail sous la classification de grazing and conservation land. 15 à 20 des chalets seront situés sur ces Pas géométriques. Un integrated residential golf et un golf village sur les 160 hectares comprendront un pleasure craft marina, environ 200 chalets ainsi qu’un hôtel.

Cet envol rapide ne prétend pas être exhaustif ou même précis car il n’y a aucun projet qui change aussi rapidement d’envergure, de nature et de détails de toutes sortes que les IRS. Il y a des projets dont nous sommes conscients n’avoir pas couverts comme cette insanité de créer à Balaclava entre le Maritim et le Goulet cinq sites d’hôtels.

Ce qu’il convient de noter en guise de conclusion, c’est que les IRS sont aussi nombreux qu’ils sont différents. Certains ne nécessitent aucun apport de terres de l’État alors que d’autres en ont besoin à des degrés différents. Nous avons essayé de démontrer qu’en l’absence d’un mécanisme transparent où les forces du marché joueraient pleinement leur rôle, ces projets continueront à faire l’objet de convoitise qui crée un air vicié pour le mood du pays en général.