JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

29 September 1978

A l’école de la danse avec Val Cheung Chak


La danse existe depuis le commencement des temps. Elle est préhistorique. L'homme ne l'a pas inventée, ni découverte, mais l'a toujours ressentie au plus profond de son âme. De tout temps, la danse a été considérée comme un besoin de l'homme.
C'est ce qui ressort de l'interview que Val Cheung Chak accorde ici à L'Express à l'occasion du dixième anniversaire de son atelier de la danse.

Propos recueillis par
Jean-Mée DESVEAUX

L’express du 29/9/1978


Q: Val Cheung Chak, votre atelier de la danse célèbre cette année son dixième anniversaire. Pour- riez-vous nous décrire la genèse de ce groupe.

R: Tout a commencé quand je suis venue à Maurice pour prendre part à un spectacle en tant que danseuse professionnelle il y a de cela une douzaine d'années. J'ai, par la suite, élu domicile ici car j'ai épousé un Mauricien.

Ce n'est cependant qu'un an et demi après mon arrivée à Maurice, soit en 1968, que j'ai présenté mon premier spectacle qui fut Paul et Virginie. Nous étions tous des débutants et ce fut le premier ballet dont j'ai personnellement réglé la chorégraphie. Ce premier essai connut un tel succès que nous fûmes encouragés à continuer et depuis, nous ne nous sommes jamais arrêtés.

Nous avons monté depuis, une vingtaine de ballets, dont plusieurs pour la télévision. Ceux qui m'ont procuré le plus de satisfaction personnelle sont : le ballet classique Pineapple Poil, que nous avons présenté dans le cadre d'un tour de l'île; il y eut aussi Kaléidoscope dont l'arrangement musical fut confié à Gérard Chasteau de Balyon. Je voudrais aussi mentionner deux autres pièces qui m'ont énormément plu. Que la fête soit et Le jour de l'homme furent montées avec la collaboration de Gérard Sullivan.

Q: Vous avez mentionné les spectacles conçus pour la télévision. N'est-il pas vrai de dire qu'une technique tout à fait différente est nécessaire dans ce cas-là?

R: En effet, car il faut alors prendre en considération les possibilités de manoeuvre des caméras. Ces spectacles sont plus difficiles à préparer mais ils sont très intéressants. Non seulement, on peut être filmé dans la nature, et c'est merveilleux de danser dans la nature, mais on peut aussi régler les moments précis des gros plans et permettre au public de voir ce qu'on veut qu'il voit. Une des grandes difficultés du spectacle sur scène est que beaucoup d'expressions subtiles du visage peuvent passer inaperçues.

Val Cheung Chak et Anita Desmarais.


Q: Que pensez-vous du ballet classique?

R:Je risque ici de me faire des ennemis. L'entraînement classique est le meilleur qui soit, mais il ne devrait être, à mon avis, qu'un tremplin vers autres choses. C'est un fait que même les grandes compagnies de ballet classique, telles le Ballet royal et le Bolchoï, incluent désormais des ballets modernes à leurs répertoires.

Le ballet classique n'est pas non plus à la portée des danseurs mauriciens, car la perfection technique qu'elle requiert, exclut les non professionnels. Je tiens cependant à souligner encore une fois que l'entraînement classique est essentiel au début et c'est toujours par là que je commence avec les plus jeunes.

Q: Le ballet moderne diffère-t-il du ballet classique?

R:Dans le ballet classique, une technique très  rigide est imposée qui laisse très peu de possibilités d'expression personnelle. Ce qu'on veut exprimer doit l'être à travers certaines normes. Il faut que chaque doigt soit dans la position voulue et même le nez doit être en harmonie avec le reste du corps.

Dans le ballet moderne, par contre, tout est possible. On invente, on fait des recherches et on s'exprime à loisir. Cela ne veut cependant pas dire que l'entraînement requis pour ce genre de ballet soit superficiel, au contraire.

La danse classique travaille surtout les jambes et les bras, le ballet moderne développe chaque partie du corps en insistant sur le jeu des épaules, du dos, du bassin, du cou, du plexus solaire et de l'expression du visage qui sont des parties du corps négligées par le ballet classique.

Pantomime.

Q : La danse moderne permet-elle un plus grand changement de style?

K:Oui car les possibilités dans ce domaine sont infinies. Il y a toute une gamme de styles variant entre le jazz, le Rock-ballet (du style de Jésus Christ Super Star) et enfin le ballet contemporain.

Q : La danse, ce n'est pas le souci d'une attitude extérieure. On pourrait dire qu'elle émane du dedans d'un être et que ce sont ces sentiments subjectifs que dictent les gestes. Ceci étant le cas, comment peut- on "apprendre" la danse — même moderne — comme on apprendrait une autre discipline?

R:Pour exprimer ces sentiments qui proviennent du plus profond de l'être, il faut d'abord acquérir un corps souple où chaque muscle est parfaitement maîtrisé. Ce n'est donc qu'après un entraînement intensif qu'on peut se servir de son corps comme instrument d'expression.

Il faut aussi dire que ce n'est pas tout le monde qui peut s'exprimer. Même après l'entraînement, l'expression originale ne dépendra, finalement, que du talent du danseur.

Q : Cette expression personnelle étant aussi difficile, l'entraînement uniforme des danseurs ne risque-t-il pas de ne produire, à la fin, que des réactions stéréotypées?

R: Il est nécessaire, parfois, de former cette gamme de réactions stéréotypées. Prenez Le Lac des Cygnes, par exemple, où il y a vingt-quatre cygnes qui doivent s'exprimer de la même façon pour l'homogénéité du ballet.

Il y a aussi pour compenser ce côté-là, des cours d’expression corporelle où les élèves sont complètement libres de s’exprimer de leur propre façon. Durant ces séances, que j’inclus d’ailleurs dans mon cours de danse moderne, les élèves découvrent comment sortir de cette uniformité. Pendant ces séances, je leur demande d'exprimer non seulement des sentiments de joie, de haine et de chagrin, mais aussi de "devenir" les éléments de la nature, des bêtes et des reptiles.

''Sacrifice'', ballet africain.

Q: On peut supposer que l'entraînement que vous donnez aux jeunes apporte un certain épanouissement à leurs personnalités. Pouvez-vous nous en parler?

R: En prévision d'une telle question de votre part, j'ai demandé à mes élèves de me donner leurs réflexions sur la danse. Voilà ce que certains m'ont dit: "graduellement, toute ma personnalité allait s'épanouir; j'allais me découvrir ... y a-t-il de plus grand bonheur, de plus grande récompense que de pouvoir évoluer sur scène,  sous le feu des projecteurs, exprimant des sentiments enivrants et divins qui vous submergent au point de se sentir irréelle." Un autre a écrit ceci: "J'ai découvert une autre forme d'expression et de communication. Les mouvements sont des mots et notre propre corps peut parler et traduire son état d'âme". Et finalement: "seul avec la musique, avec son unique désir de communiquer sa joie et ses sentiments inspirés par la musique, le danseur brille de cet éclat nouveau que lui a donné la danse."

Q : Pourriez-vous nous parler maintenant de l'organisation au sein de l'Atelier de la Danse?

R: J'ai une école de danse classique et une école de danse moderne. Mais le groupe de 25 avec lequel je monte mes spectacles forme une entité différente. Ce sont des jeunes qui sont des passionnés de la musique; ils doivent l'être pour travailler si durement. Il faut, bien sûr, avoir acquis un certain niveau technique pour être membre de l'atelier, mais la qualité la plus importante est la bonne volonté, qui est absolument nécessaire et qui ne se trouve pas toujours chez les plus doués. Pour participer à des spectacles, il faut sacrifier ses après-midis, ses week-ends et toute la vie sociale en général. Mais on est récompensé par le plaisir de créer quelque chose et par la joie de travailler à l'intérieur du groupe.

28 September 1978

Mesures strictes et impopulaires nécessaires pour mettre fin au chaos


M. Robert Steulet, directeur technique de Micro Jewels, n'est pas un automobiliste comme les autres. Longtemps membre du comité du Mauritius Car Club dont il fut du reste le président en 1976 et 1977, Robert Steulet prend part à des rallyes automobiles depuis plus de huit ans. Cette grande familiarité avec la route et ses problèmes lui a permis de prendre conscience de pas mal d'éléments clés en ce qui concerne ''La Sécurité de la Route''. 

Pour lui, l'enjeu est bien trop grand pour permettre à des considérations secondaires d'intervenir dans la mise en pratique de mesures qui augmenteraient cette sécurité. Robert Steulet déclare qu'il n'est pas possible de changer le système anarchique qui tue les Mauriciens sur nos routes et de garder sa popularité en même temps. Des mesures strictes et impopulaires doivent être prises en vue de mettre fin à ce chaos: "On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs."

L'interview que Robert Steulet a bien voulu accorder à L'Express s'insère dans le débat que ce journal veut lancer sur l'épineux problème du transport et de la circulation routière à Maurice.

Propos recueillis par
Jean-Mée DESVEAUX
l'express du 28 septembre 1978


Q: Robert Steulet, vous êtes un passionné de l'automobile qui possède, de surcroît, des idées très précises sur la situation qui règne sur les routes mauriciennes. Pensez-vous que le chaos qui prévaut dans le domaine de la circulation en ce moment soit imputable à la structure défectueuse de nos routes ou aux usagers eux-mêmes?

R: Je dirai que la structure y est certainement pour quelque chose, mais que normalement un usager qui se respecte devrait adapter sa vitesse et son comportement à la structure existante. Une caractéristique remarquable, dans ce domaine, c'est que tous les problèmes s'enchaînent. Par exemple, la structure actuelle nécessite une meilleure signalisation, des lignes blanches bien faites, des stops bien marqués, etc, mais ces mesures ne seraient d'aucune utilité si le service d'ordre n'était pas remanié de façon à permettre une plus grande efficience.

Q: Serait-ce un vote de blâme à l'égard du policier à qui il incombe de se charger de cette tâche?

R: Non. Le policier n'est pas responsable, car il n'est là que pour exécuter des ordres. Les policiers du trafic sont du reste animés par les meilleures intentions, car l'autre jour même, deux membres de la force policière sont venus me voir expressément pour me demander d'écrire un livret de conseils aux automobilistes et aux motocyclistes mauriciens.

Il est, du reste, évident que si on ne tremble pas devant un policier à Maurice ce n'est pas tellement à cause du manque de personnalité du représentant de l'ordre lui-même, mais tout simplement parce qu'il n'a derrière lui aucune panoplie de mesures sévères dont il pourrait faire usage en cas de besoin. C'est justement là où le problème réside. Il n’y a pas de demi-mesure dans cette conjonction pour avoir un bon service d’ordre. Il faut avoir le courage de punir ceux qui ne respectent pas les consignes établies. Les amendes devraient être beaucoup plus élevées, pour vraiment décourager ceux qui enfreignent la loi. Maurice est, je crois, le seul pays au monde à ne pas procéder à des retraits de permis.

Il va de soi que toute une stratégie doit être établie avant d'introduire ces me­sures sévères. Il faudrait que le public soit averti que la conduite au petit bonheur sera sévèrement punie dans un certain temps et qu'arrivé ce moment, le contre­venant reçoive une punition qui lui ôte à tout jamais l'envie de faire comme bon lui semble sur la route.

Q : Cela relève d'une question de discipline qui est souvent un attribut personnel. Pensez-vous que la mentalité mauricienne soit incomptatible avec la disci­pline sur nos routes ?

R: J'ai en effet bien peur que ce soit là une des causes majeures de beau­coup de nos problèmes de circulation. Nous avons à Maurice une façon de concevoir la discipline qui est tout à faire décontractée, mais qui a malheureusement des conséquences très graves en ce qui concerne la sécurité routière. Un des nombreux exemples de ce manque de sens de responsa­bilité est tout à fait évident dans les stations d'essence où les gens négligent d'éteindre leurs cigarettes. On attend peut-être que toute une station saute un jour avant qu'on soit conscientisé aux dangers qu'une telle pratique représente.

Q : Cette situation ne provient-elle pas aussi d'un manque de respect mutuel entre usagers?

R: C'est exact. Qu'il soit piéton, cycliste, automo­biliste ou autre, l'usager de la route manque totalement de respect envers son prochain qui est 'l'autre'. Les exemples qu'on peut en donner sont multiples: je pense aux phares mal réglés qui éblouissent les autres, au stationnement dans des endroits masqués, au chauf­feur de camion qui a calé son véhicule avec une roche et qui repart en la laissant sur le chemin et aussi, bien sûr, à l'automo­biliste qui va suivre et qui ayant vu la roche ne pensera certainement pas à la retirer.

Q : Il y a tout d'abord l'enseignement du code de la route, qui devrait être entrepris systématiquement au niveau scolaire ...

R: Certes. Il y a ensuite l'éducation de l'automobiliste lui-même en ce qui concerne le matériel utilisé. Nous pouvons énumérer ici quelques aspects de ce problème: beaucoup d'automobilistes ignorent où placer les meilleurs pneus. Or, la stabilité d'un véhicule, contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, étant assurée par l'arrière, c'est là qu'il faudrait placer les meilleurs pneus. Un pneu qui a moins d'un millimètre de crampon est défectueux car il n'assure plus la totalité de l'adhérence pour laquelle il a été concu. L'adhérence d'un tel pneu étant sensiblement diminué, il représente plus de danger que de sécurité, mais les choses étant ce qu'elles sont, si on devait, quand même, l'utiliser, il devrait être mis là où il représente relativement moins de danger, c'est-à-dire à l'avant du véhicule.

Il serait aussi nécessaire de mettre le public au courant du danger que cela représente de ''casse collet". Plusieurs facteurs sont à considérer ici : ( 1 ) Il y a plusieurs modèles de voitures où le volant peut se verrouiller en coupant le contact. (2) Le plupart des voitures sont équipées de freins assistés qui ne fonctionnent qu'avec le moteur en marche. (3) Une voiture débrayée n'offre aucune possibilité de déplacement des masses. Je veux dire par là qu'en accélérant un véhicule, on déplace sa masse vers l'arrière, donc on la stabilise et on assure, de ce fait, une plus grande adhésion des roues avant. Mais, une voiture débrayée n'offre pas ces possibilités, elle flotte. Le public doit avoir cette connaissance élémentaire.


Un simple triangle, qui ne coûte pas cher, éviterait beaucoup d'accidents.

Q: Nous avons dernièrement assisté à un accident mortel causé par le stationnement d'un véhicule dont les feux arrières étaient imperceptibles. Ne peut-on pas ici déplorer un manque d'équipement qui servirait à faire face aux situations d'urgences?

R: Oui, et je garantis que cinquante pour cent des accidents de nuit seraient évités si on le faisait. Si, par exemple, les véhicules en détresse le soir étaient équipés d'un triangle de panne. Ceci est un triangle placé sur le chemin à une centaine de mètres à l'arrière du véhicule en panne et qui est automatiquement illuminé par les phares de la voiture qui s'approche.

Il est clair que pour aboutir à des résultats dans ce domaine, ces triangles doivent se trouver obligatoirement dans tous les véhicules et qu'un contrôle strict soit effectué en vue de s'assurer qu'ils ne finissent pas quelque part dans un tiroir. Ces triangles ne peuvent pas coûter plus d'une dizaine de roupies et les assurances elles-mêmes auraient avantage à les distribuer à leurs clients car cela représenterait un réel investissement de leur point de vue.
Dans le même ordre d’idée, tout véhicule devrait posséder: 1) une corde de dépannage en vue d'être remorqué un peu plus loin par le premier véhicule qui passe au cas où la panne aurait lieu dans un endroit dangereux, 2) un jeu d'am­poules de recharge qui permettrait de remettre un phare en état en cas de besoin.
Il est inadmissible qu'au­tant de négligences soient évidentes sur les routes, de nuit. Là encore, on voit la nécessité d'un contrôle sévère qui serait effectué régulièrement et à différents endroits de l'île par une branche spéciale de la police. A la suite de ces contrôles, on infligerait des peines bien plus sévères que celles qui sont main­tenant infligées. Je pense plus particulièrement ici au retrait des permis.

Q. Vous semblez attacher beaucoup d'importance à cette mesure punitive. Pensez-vous que ce soit là une des solutions au problème auquel nous sommes confrontés?

R. J'en suis certain. Les mesures de ce genre ont fait leur preuve dans le domaine des rallyes automobiles.

Q. N'est-ce pas paradoxal que quelqu'un qui soit aussi concerné que vous par la Sécurité de la route prenne part à des rallyes automobiles?

R. Cela me fait plaisir que vous me posiez cette question. Contrairement à ce qu'on pense en général, le rallye automobile est avant tout une école de conduite où on apprend et où on s'entraîne à rester maître de son véhicule. Je suis très conscient que ma participation aux rallyes m'a permis de développer des aptitudes et des réflexes qui m'ont déjà rendu de grands services à plusieurs occasions dans la circulation de tous les jours. C'est justement parce qu'un pilote de rallye connaît mieux que d'autres la réaction d'une voiture dans des conditions différentes qu'il est plus conscient du danger qu'un tel outil représente dans des mains inexpérimentées.

Q. Quelles sont les mesures strictes employées durant les rallyes et comment pourraient-elles servir d'exemple dans la conduite générale?

R. Plusieurs contrôles du code de la route sont effectués durant ces épreuves et, ce qui est frappant, c'est que tous les participants réussissent à s'adapter à la gamme de code routier existante. Les participants sont bien Mauriciens pourtant. Alors, qu'est-ce qui fait la différence? C'est tout simplement qu'ils craignent une pénalisation possible. C'est pour cela que je suis convaincu que si la pénalisation en points dans un rallye était traduite en roupies d'amende dans la conduite de tous les jours, les automobilistes accorderaient bien plus d'importance au code de la route.

Q. Pensez-vous que les structures légales qui régissent ce domaine soient adéquentes?

R. Pas vraiment, et ceci représente un grand problème car nous importons des véhicules modernes alors que nous avons des lois qui datent de l'époque des diligences.

Il faudrait aussi simplifier les procédures légales pour ce qui est du non-respect du code de la route. Là où une question peut être tranchée facilement, comme cela devrait être le cas pour les pénalisations relevant du parking ainsi que d'autres contraventions du même ordre, il ne devrait pas être nécessaire d'avoir recours à un magistrat. Ce genre de contravention devrait simplement valoir une amende à être payée dans un nombre de jours limités.

Q. Vous avez mentionné le problème du parking qui, comme vous devez le savoir, représente un vrai casse-tête pour les autorités et plus spécialement en ce qu'il s'agit de Port-Louis. Avez-vous une idée comment résoudre ce problème?

R. Personnellement, je trouve que les problèmes de parking et de stationnement devraient être du ressort des municipalités. Des agents municipaux dresseraient un procès-verbal à tous ceux qui enfreindraient la loi et les amendes seraient payées à la municipalité même. L'argent récolté en guise d'amendes serait réinvesti dans des travaux de nouveaux parkings. On pourrait, par exemple, recouvrir ces deux ruisseaux qui traversent Port-Louis en vue d'en faire des parkings de stationnement qu'on pourrait même louer au mois.

Il serait souhaitable aussi de créer, pour les gens qui travaillent à Port-Louis, des parkings généralisés au Champ-de-Mars ou ailleurs et cela conjointement à un circuit d'autobus à itinéraire fixe qui desserviraient différentes parties de Port-Louis. Il est évident que les autorités devraient assurer un service autour de ces parkings pour encourager les gens à y laisser leurs voitures. Une telle mesure laisserait la place à l'aménagement, au centre de Port-Louis, de parkomètres de stationnement payants et de courtes durées pour ceux qui sont seulement de passage dans la capitale.


Q. Voyons maintenant les problèmes qu'engendre notre autoroute. Plutôt que de permettre une plus grande sécurité à ceux qui l'empruntent comme on serait en droit de s'attendre, cette autoroute devient de plus en plus un "death trap". Pouvez-vous nous parler de ce qui constitue, d'après vous, la cause de cette situation anormale?

 R. Au sujet de la nouvelle route, il faudrait avoir le courage de prendre des mesures qui risquent d'être impopulaires si celles-ci ont la moindre chance d'être efficaces. On ne peut pas faire d'omelette sans casser des oeufs . . .

Sur le chapitre de la sécurité, une chose est évidente: il faut définitivement et efficacement fermer toutes les bretelles d'un rond-point à un autre. Il est inadmissible que les autorités tolèrent encore de telles anomalies. Pour quelques litres d'essence économisés en donnant la possibilité à un automobiliste d'éviter un rond-point, combien de vies humaines va-t-on encore sacrifier à chacune de ces bretelles?

Pour ce qui est de la circulation, on devrait interdire aux poids-lourds d'emprunter l'autoroute pendant les heures de pointe (de 8 à 10 h le matin et de 15 à 18 h le soir) quelle que soit l'impopularité d'une telle mesure. Cette route a été conçue pour décongestionner Port-Louis. Si elle ne satisfait pas cette condition, elle perd sa raison d'être.
De plus, le dépassement entre poids-lourds devrait être strictement défendu et les bus express empruntant cette route devraient avoir une puissance adéquate afin de ne pas gêner le flot de la circulation.

22 September 1978

Une manière de vivre en voie de disparition


RENCONTRE AVEC M. BASDEO RANGLOOLL de Flic-en-Flac

LE vacancier qui s'en va prendre un bain à Flic-en-Flac ne peut pas ne pas avoir remarqué la chaumière qui se trouve à l'angle de la route principale et de celle qui mène à la Villa Caroline. Dans cette case, vivent un laboureur de 37 ans, M. Ranglooll, et sa "petite" famille de quinze personnes. Cette maison est le vestige d'un passé révolu et sans gloire. Le mode de vie de ses habitants est, par contre, un exemple de chaleur familiale, de bonne entente et de coopération. C'est un mode de vie que l'on voit disparaître avec beaucoup de peine dans un pays où l'individualisme devient de plus en plus un égocentrisme matérialiste à outrance. Dans l'interview qui suit, M. Ranglooll a bien voulu ouvrir la porte de sa maison aux lecteurs de L'Express et leur permettre de partager l'intimité d'un foyer dont il est fier.

Propos recueillis par Jean-Mée DESVEAUX

L’express du 22/9/1978

Sa lakaz la c'est ene souvenir mo gran dimoun, mo pas le devaste li.

Q. M. Basdeo Ranglooll, vous êtes père de six enfants et votre femme est de nouveau enceinte. Vous êtes laboureur de métier et vous ne touchez donc pas une fortune. Est-ce que vous vous rendez compte que votre famille s'appauvrit davantage avec l'arrivée de chaque nouvel enfant? Ne pensez-vous pas qu'il est criminel envers eux et envers le pays en général de faire montre de si peu de responsabilité?

R. Il y a certainement un problème ici mais les choses peuvent aussi être vues d'un autre angle. Boucou zom coureur. Zot galoup derrier le zot fam mais moi mo pas intéressé dan ça façon là. Au lié mo gaspille mo la grain dehor vau mié mo sème li pou mo-même. Dimain après dimain mo coné li pou rann moi service.
Ce n'est pas moi le criminel, mais ceux qui entretiennent cinquante femmes ailleurs. Ne pensez-vous pas que la vraie cause de scandale soit plutôt le nombre d'enfants qui naissent en ce moment sans connaître leur père? Quand un nouvel enfant vient au monde au sein de ma famille, il connaît ses parents et il ne sera pas maltraité.

Q. Pensez-vous quand même qu'un tel nombre d'enfants soit une chose désirable pour une famille pauvre?

R. Non. Le moment est arrivé de ''cancel ça net''.

Q. Est-ce seulement après le septième enfant que vous décidez qu'il est temps de faire quelque chose?

R. Avant lé temps réalise li, ti fine déza tro tard. Tout ça dépend ene zom mo croire. J'aurais voulu avoir trois ou quatre enfants, pas plus. Mais quand les autres sont venus, nous les avons accueillis avec le même bonheur. Nous n'avons jamais eu le sentiment qu'ils étaient indésirables. Je dois aussi dire que ma femme a essayé trois ou quatre systèmes contraceptifs, mais cela lui a fait plus de tort que de bien. Il va de soi que le poids de ma responsabilité augmente avec chaque enfant , mais je me prive. J'ai coupé sur les cigarettes, j'ai coupé toutes les choses que j'aimais comme les pique-niques, les bals, etc.

Q. Ce qui frappe chez vous, c'est qu'en plus de votre famille, il y a un grand nombre de personnes qui vivent ici, à l'intérieur de l'espace restreint de ces trois chambres. Vous êtes 15 au total si je ne me trompe pas . . .

R. En effet, nous formons une très grande famille. J'avais seulement un enfant quand mes quatre beaux-frères et ma belle-sœur ont perdu leur dernier parent. Je venais de quitter la maison de mes parents et j'étais très heureux de les accueillir chez moi. Cela fait plus de dix ans qu'ils sont chez moi maintenant. Certains d'entre eux étaient très jeunes à ce moment-là et je les ai élevés comme mes propres enfants. J'ai pris la place de leur père et ma femme a agi comme une maman pour eux. Entre-temps bien sûr, mes enfants sont venus au monde. J'ai marié un de mes beaux-frères ainsi que ma belle-sœur. Ils ont eu leurs enfants à leur tour, mais ils sont toujours ici. Ils ont vécu avec nous pendant tout ce temps et ils ont tenu à rester ici. Où que j'aille, ils viendront avec moi. Mon beau-frère a bâti la troisième chambre que vous voyez et il y vit avec sa famille. Nous nous servons tous de la même petite cuisine. Nous sommes un peu à l'étroit en ce moment, mais les "grands" viennent d'acheter quelques feuilles de tôle et du bois pour bâtir une chambre sur ce même terrain.

Q. Quelle sensation éprouvez-vous de vivre dans une si grande famille? 

R. J'ai moi-même, durant mon enfance, vécu dans une très grande famille. La chance fine porté quand mo fine marié: mo fine gagne éne grand fami koumsa. Li éne bel lamour pou moi. Quand mo rentre lacase éna touzour dimoun là. Tou déroul entre nou mem. Si éne péna, lot prête so camarad et kan fine aidé péna réclamations. Ena toujours kikene ki pé veille éne baba.

Q. N'empêche que vous vivez les uns sur les autres. Cela ne crée-t-il pas une certaine promiscuité? Comment pouvez-vous vivre pleinement votre vie conjugale avec toutes ces personnes autour?

R. Bisin cone cokin. Bisin veille locazion pou capave gagne contact avec bonne fam. Fodé ou perdi lor sommey. Après tout, les plus grands dorment dans une chambre voisine avec leurs oncles. Seuls les petits vivent dans notre chambre. Nous ne nous exposons évidemment pas mais il arrive qu'un enfant soit témoin d'une telle scène. Il n'est pas choqué pour autant car ils n'ont pas de mauvaises fréquentations qui leur feraient penser qu'un acte semblable entre leurs parents est une chose curieuse.


Etable pour la vache et les boucs.
Q. Parlons maintenant de votre métier. Vous êtes laboureur sur une propriété. Comment s'organise votre travail?

R. Nous nous organisons en équipe de 16 personnes. Nous commençons à travailler vers 5 h 30 ce qui fait que nous devons être debout vers les 4 h du matin. Remarquez que ceci n'est pas très dur car nous en avons l'habitude, si bien que notre sommeil se casse à cette heure même les jours fériés. Nous préférons commencer à cette heure de façon à pouvoir finir notre tâche de la journée qui est de trois tonnes de cannes par coupeur avant que le soleil ne se mette à taper trop fort. Nous autres habitants de Flic-en-Flac, avons l'avantage d'être à proximité de notre lieu de travail. Notre famille ne doit pas nécessairement se lever en même temps que nous. Un enfant peut nous apporter notre déjeuner là où nous travaillons. Nous finissons de travailler vers onze heures. Nous rentrons chez nous et après avoir mangé quelque chose, nous nous reposons généralement de 13 h à 15 h.

Q. Vous cessez de travailler relativement tôt. Ne pourriez-vous pas faire plus que la tâche minimale?

R. Il y a beaucoup de facteurs qui nous empêchent de continuer. Il y a, d'une part, le soleil et, de l'autre, la poussière qui nous étouffe car nous coupons généralement des carreaux qui ont été brûlés préalablement. Il faut aussi tenir compte du fait que tout le monde n'est pas bâti de la même façon dans notre équipe de 16. Il y a des forts et des faibles. Ceux-là doivent être aidés. Ou bisin rembourse so zourné. Ou fine vine ensam gramatin ou pas kapav kit ene dimoun dan karo pou li fini so zourne. Letan ou riss zot ou pe fer ene tonne ou bien deux tonnes en plis.

Q. Combien d'argent pouvez-vous vous faire par jour?

R. Nous sommes payés par quinzaine à la raison de Rs 8.13 environ la tonne. Si nous travaillons six jours par semaine, cela nous fait donc Rs 300 par quinzaine, mais la tâche est dure. Il est nécessaire de prendre un jour de repos par semaine. Je ne connais aucun laboureur qui fasse 12 jours sur 12, à moins bien sûr, de faire des travaux divers. Quand nous avons des congés publics, la situation change, car là, comme ce fut le cas récemment, nous perdons des journées de travail, vu que les travailleurs temporaires ne sont pas payés ces jours-là.


Des enfants accueillis avec le même bonheur.
Q. Vous travaillez comme laboureur depuis plus de vingt ans. Comment se fait-il que vous ne soyez pas encore un employé confirmé avec tous les avantages que ce statut comporte?

R. Pour être un employé confirmé, il faut avoir fourni, pendant trois ans, une moyenne de 80% de présence par an. Le pourcentage durant l'entrecoupe est un peu moins que cela. Mais on ne nous donne pas vraiment l'occasion de remplir ce minimum car, à la fin de chaque année, on reçoit notre discharge. Cela veut dire qu'après un congé de 15 jours, on recommence à travailler comme un débutant.

Q. Êtes-vous concerné par l'action des syndicats?

R. Les syndicats sont faits pour des employés confirmés qui ont le droit de réclamer une amélioration de leurs conditions de travail à leuremployeur. Pour nous qui avons notre discharge de toute façon, nous ne sommes pas concernés par les syndicats.

Q. On ne cesse de répéter que le rendement des travailleurs baisse de jour en jour. Qu'en pensez- vous ?

R. C'est la canne elle-même qui rend moins. Là où nous avions l'habitude de couper cinq paires de ligne pour un voyage, nous devons maintenant en couper sept à huit.

Q. Etes-vous concerné par la mécanisation?

R. On a déjà essayé de couper la canne mécaniquement, mais cela n'a pas marché car la machine coupait trop haut. Mais des modifications peuvent probablement être faites en vue de mécaniser la récolte à 100%. Quand cela arrivera, le peuple mourra de faim. Comment voulez-vous qu'un homme qui a été laboureur toute sa vie, puisse changer de métier du jour au lendemain. Pour moi encore, le problème serait moins grave car vivant sur la côte, je pourrais me tourner vers la pêche. Mais qu'adviendra-t-il de ceux qui vivent au centre?

Q. Vous finissez de travailler tôt. Vous êtes laboureur de métier et vous vivez sur la côte. Pouvez-vous augmenter vos revenus par le moyen de la pêche ou du jardinage?

R. Je ne possède pas assez de terre pour pouvoir planter mais je fais de l'élevage. J'ai, chez moi, trois vaches, une vingtaine de cabris et une dizaine de lapins. Je peux vendre jusqu'à cinq boucs par an à raison de Rs 250 à Rs 300 par tête. Les vaches me donnent une moyenne de Rs 100 de lait par mois pendant sept mois de l'année. Tout sa bann transaction la c'est pou permett la case fer progrès. Il y a aussi la pêche qui nous ramène jusqu'à Rs 400 par mois. A chaque veille de congé public par exemple, je quitte chez moi vers 18 h pour ne rentrer que le lendemain matin. Une telle pêche me permet de prendre Rs 90 de poisson que je vends au baillant.

Q. Voyons maintenant le facteur habitat. La maison dans laquelle vous vivez est construite avec de la paille et de la bouse de vache. Elle est, du reste, une des dernières maisons de ce genre à Flic-en-Flac. Vous vous habillez pourtant très correctement. Le facteur habitat n'est-il pas important pour vous?

R. C'est important pour moi. Je me rends compte que mon devoir de père est de bâtir une maison convenable pour mes enfants. J'ai fait des démarches dans ce sens et j'attends les résultats en ce moment. Il y a aussi un facteur sentimental qui nous attache à cette maison. Ca la case là ene souvenir mo grand dimoune, mo pas lé dévasté li. Quand j'aurai les moyens, je bâtirai à côté, mais je ne compte pas détruire celle-là. Il ne faut pas oublier que du point de vue de la santé, il est mille fois préférable d'habiter une telle maison. Vous n'y avez ni trop chaud ni trop froid. Vous n'avez qu'à voir les campements sur la côte pour vérifier ce que je dis. Et puis, cette case a tenu un cyclone comme Gervaise.

Q. N'arrive-t-il pas qu'on se moque de votre mode de vie et de votre maison?

R. Dimoune la li bete si li guet mo lakaz. Zozo pas guet par so plim. Du reste, les personnes qui me connaissent savent la peine que j’ai eue à élever ma famille. Ce n'est qu'à présent que nous pouvons progresser un peu car mes jeunes beaux-frères commencent à travailler et graduellement, ils achètent le matériel nécessaire pour bâtir autre chose. Vous pouvez déjà voir dans la cour des blocs qu'ils ont achetés dans ce but. Voilà la coopération étroite dont je vous parlais.

Q. Avez-vous un compte en banque?

 R. Oui et cela depuis 6 ans mais li marche lor nom bonne femme. Quand nous vendons un animal ou quand je fais une bonne pêche, c’est toujours un peu d'argent que nous mettons de côté. Je ne sais pourtant pas à combien s'élève cette économie car c'est un domaine où je ne mets pas mon nez. Quand ma femme touche un cycle ou reçoit de l'argent du lait vendu, elle le met à la banque.

Q. Et comment voyez- vous l'avenir?

R. Ça mot l'avenir là bien difficile. Nou cone hier, nou fine cone zordi, nou pas kapav cone ki pou ena demain . . .

20 September 1978

Une démocratie élargie


CONSEIL ECONOMIQUE ET SOCIAL


M. Pierre Delmon (c.) entouré des autres présidents des conseils économiques de différentes régions de France, notamment du Nord Pas de Calais, de la Haute-Normandie, de l'Aquitaine, du Midi-Pyrénées et de la Loire.
L’ILE Maurice ne serait donc pas l'innovatrice du tripartisme, comme nous aurions pu le penser. La France va encore plus loin que nous car là, le mot d'ordre est le multi-partisme.
M. Pierre Delmon, qui est aussi bien membre du Conseil économique et social — instance consultative nationale de France — que président du comité économique et social du Nord Pas de Calais, a entretenu L'Express durant son séjour chez nous sur ce qu'il conçoit être une évolution logique de la démocratie.
D'après M. Delmon, le système démocratique où les électeurs sont appelés à donner leurs voix tous les quatre ou cinq ans est dépassé. Le mot à la mode en France est la participation de la base dans le processus de décision, nous dit-il. Les élections ne satisfont généralement que le côté quantitatif de la représentativité. Le facteur qualitatif est satisfait par la pleine participation de toutes les parties en cause en vue d'éclairer la décision finale des élus.

Entretien réalisé par
Jean-Mée DESVEAUX
L’express du 20/9/1978


Q. M. Pierre Delmon, vous êtes le président du Comité économique et social du Nord Pas de Calais et vous êtes aussi membre du Conseil économique et social français. Les membres siégeant dans ces instances consultatives ne se présentent pourtant jamais aux élections. N'y a-t-il pas un élément antidémocratique dans ce système où certains donnent des conseils sans être responsables devant le peuple?

R. Je pense au contraire que ces assemblées sont hautement compatibles avec la théorie de Montesquieu, qui est à la base des vieilles démocraties comme celles qui prévalent aux Etats- Unis, en Grande Bretagne et chez nous, en France. Nous ne formons pas partie d'assemblées politiques. Les élus du peuple ont la responsabilité de prendre des décisions et notre tâche est seulement de donner des avis sur des problèmes importants quand on nous en fait la requête. Nous pouvons aussi faire ce qu'on appelle une "auto saisie" ce qui consiste à décider nous-mêmes d'étudier un problème et de soumettre un avis éclairé à ce sujet aux instances politiques.

Q : Vous ne répondez là que partiellement à notre question. Ne pensez-vous pas que cette méthode a un caractère antidémocratique?

R. Pas du tout. C'est au contraire une forme évoluée de la démocratie. Qu'est-ce qui se passe dans certaines démocraties en ce moment? La majorité vote un gouvernement et la minorité se tait pendant quatre ou cinq ans jusqu'aux nouvelles élections. Mais les gens ne se contentent plus de cette délégation de pouvoir tous les quatre ans. Ils entendent contester; ils insistent sur la participation et sur la concertation par toutes les parties en cause sur les problèmes qui les touchent.

Le Conseil économique et social national et les comités régionaux comportent des gens qui ont des intérêts différents à défendre. Il y a là des syndicalistes, des patrons, des agriculteurs, des pêcheurs, des membres de la Chambre du Commerce et j'en passe. C'est une forme de vie associative où prime la liberté d'expression. On peut dire peut-être que tandis que les élections règlent l'aspect quantitatif de la représentativité, notre domaine souligne l'aspect qualitatif qui est trop souvent ignoré.

Q. Si je comprends bien vous assumez que les politiciens ne sont pas suffisants.

R. Si on présentait la chose de cette façon-là, les politiciens sauteraient haut. Mais il est un fait que nous sommes dans un monde où les décisions des élus peuvent être changées et pas seulement par des groupes de pression.

Les grandes orientations politiques ignorent beaucoup d'aspects de la vie intérieure du pays. Les politiciens sont trop souvent perdus dans un monde à eux. Ils posent et abordent les problèmes en terme d'institution ou d'idéologie. Pour nous, c'est la pratique qui compte. Nous vivons au niveau du concret. Ils sont souvent en compétition entre eux alors que ce genre de considération n’existe pas pour nous. Nous visons seulement à leur faire prendre conscience des intérêts régionaux.

Il est aussi important de faire ressortir qu'en répondant aux aspirations du peuple en général, en lui donnant le moyen de s'exprimer à travers ce que nous faisons, nous prévenons les révolutions qui sont souvent dues à la frustration que provoque un mutisme forcé.

Q. Vos avis sont-ils généralement acceptés?

R. Vous touchez là à un problème qui est des plus chatouilleux. Si on dit qu'aucun de nos avis n'est accepté, les conseillers et les membres de nos comités sont furieux. Si nous disons, par contre, que tous nos avis sont acceptés, ce sont les politiciens qui sont furieux. Il y a un art à faire les choses qui ressemble un peu à l'art de faire la cuisine mais il n'est pas possible de donner des statistiques à ce sujet. Il est clair cependant que si les gens veulent se regarder en chiens de faïence, c'est la faillite pour ce système.

Il est indéniable que les politiciens sont souvent perdus devant certains problèmes. Eux ne connaissent que l'opinion publique, tandis que nous avons les données de ces problèmes en main étant les experts dans nos domaines respectifs. Il va donc de l'intérêt du politique d'avoir une institution comme la nôtre qu'il peut consulter avant de prendre une décision.

Q. N’êtes-vous pas en quelque sorte en compétition avec l'administration centrale dans votre désir de voir vos avis plutôt que les leurs être acceptés?

R. Oui. C'est un fait et je pense que c'est une bonne chose. Comme je disais plus haut le politicien n'est pas souvent en mesure de connaître la solution aux problèmes qu'il doit affronter.
Le technocrate, par contre, qui a un point de vue assez développé sur toutes les questions, essaye d'imposer son opinion aux élus. Nous présentons donc le contre-poids de cette opinion et la nature de notre recrutement fait que nous sommes plus capables que cette administration monolithique.

Q. Pensez-vous qu'un tel système porterait des fruits dans un pays en voie de développement?

R. Cela dépend de la politique que veut mener le gouvernement du pays concerné. Si ce gouvernement est autoritaire, il ne mettra finalement en place que des multiplications de son autorité. Le système dont nous parlons suppose un désir de régionalisation et de décentralisation de la part du gouvernement. D'autre part, cette méthode demande que la base puisse être écoutée. Cela étant le cas, on doit donc se demander s'il est possible d'écouter la base dans un pays en voie de développement où toutes les questions sont vitales. Je pense personnellement qu'une structure comme celle dont nous parlons demanderait plus d'encadrement dans un pays en voie de développement. La condition sine qua non serait d'avoir une élite locale.

Q. M. Delmon, vous vous rendez à la Réunion où vous comptez étudier avec vos collègues la possibilité d'une plus grande intégration de notre île soeur à la Communauté Economique Européenne. On a beaucoup parlé d'indépendance de la Réunion ces derniers temps, qu'en pensez-vous?

R. C'est un point très délicat et très sensible, je dois donc souligner que je ne donne ici que mon opinion personnelle. On a parlé à l'OUA de l'indépendance de la Réunion, mais je pense que ce sont là des problèmes de rivalité entre pays voisins. Nous ne pouvons vous blâmer sur ce chapitre car nous, Européens, nous vous avons donné l'exemple. Il n'y a pas d'autres continents où les pays se sont autant battus entre eux qu'en Europe. Si ce sont ces petites rivalités qui déterminent la question en cause, je dis que le problème n'est qu'une tempête dans un verre d'eau. Pour moi, la vraie question surgit lorsqu'il y a téléguidage de la part des grandes puissances politiques. Le réel danger a trait à la rivalité entre l'U.R.S.S, les E.U ou l'Europe — quoique cette dernière soit encore bien divisée. On veut être indépendant. Mais indépendant de qui ou de quoi? Si c'est pour tomber ensuite sous l'hégémonie d'une super-puissance, cela ne vaut pas la peine.

Q. Et si nous parlions plus précisément de votre attitude en tant que membre du Conseil Economique et Social vis-à-vis de la Réunion. Vous y serez dans deux jours, êtes-vous sous l'impression que vous allez de nouveau vers la France métropolitaine?

R. Non. Je ne dirai pas que je vais en France métropolitaine. Mais, je ne vais pas non plus en tant que colonialiste chez des "colonisés'' en leur apportant quatre sous pour qu'ils restent Français. Nous agissons différemment de l'Angleterre. Nous sommes en faveur de continuer à coopérer avec ceux qui ont toujours été avec nous. Mais ce n'est pas une question d'aumône. Chacun apporte sa contribution décisive à l'ensemble. C'est cela la solidarité.