JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

10 September 2014

Le silence des agneaux

Par Jean-Mée DESVEAUX
L’express du 10 septembre 2014

PENDANT près d’un demi-siècle, l’île Maurice a poursuivi son développement malgré les divagations et ater­moiements de ses politiciens. En vigueur depuis 1968 et au­jourd’hui fiable et bien huilée, la constitution qui sous-tend la machine de l’État, a permis le développement d’une île Mau­rice prospère. Il est vrai que le pays a, pendant ce temps, choisi de regarder ailleurs, alors qu’une part du gâteau natio­nal finissait dans les poches de l’élite gouvernante, dont le patrimoine vient aujourd’hui chatouiller les sommets jadis exclusivement réservés à nos barons sucriers. Mais, bien assise sur les rails posés par le Fonds monétaire internatio­nal, scrutée par l’Union euro­péenne et la Banque mondiale, l’économie du pays était ino­culée de la politique de nos rois fainéants qui préféraient, du reste, passer le plus clair de leur temps à diviser le pays le long de clivages ethniques à des fins électorales éphémères.

Cette stabilité disparaî­tra avec les prochaines élec­tions qui, sans exagération aucune, seront, et de loin, les plus importantes que le pays ait connues depuis l’indépen­dance. Il ne sera plus question, cette fois, de choisir le moins pourri ou le moins incom­pétent comme le pays l’a fait jusqu’à présent. Il s’agira de choisir entre la stabilité consti­tutionnelle, condition sine qua non d’un État socialement et économiquement viable d’une part, et d’autre part, un nou­veau système électoral qui n’a jamais vu le jour sur la planète terre. Que ce système, qui se­ra l’apanage du Dodo Land, est fait sur mesure et procède du cerveau de deux hommes, qui ont un passé riche en dé­saccords et en conflits, permet d’évaluer l’espérance de vie du brain child qui sera le leur à ché­rir et au peuple mauricien à en­durer bien après leur départ. Le dommage collatéral est que l’île Maurice perde, d’ores et déjà, l’image du pays politiquement stable où les FDI affluent et où le political risk premium est au plus bas.


 Dans une démocra­tie parlementaire, un parti qui prétend accéder au pou­voir commence par établir sa crédibilité à travers un pro­gramme qui démontre son aptitude à gouverner. Cela se fait de façon antagoniste avec, pour adversaire, le parti oppo­sé, dont le programme est exa­miné à la loupe. Au terme de ce débat d’idée, le pays juge la hiérarchie de priorité des pro­grammes ainsi que la trempe des hommes qui prétendent les mettre en oeuvre. Il arrive (très rarement) que deux partis politiques majeurs, au lieu de se soumettre au choc antagoniste et adversarial, décident plutôt de lier leur vision et donc leur avenir comme le font, en ce moment, le PTr et le MMM. Quand cela arrive, c’est inéluc­tablement pour s’assurer que le pays ne soit divisé à la veille d’une guerre, d’un cataclysme naturel ou d’autres menaces hors du commun. La menace passée, ils reprennent chacun leur rôle de chien de garde «to keep the other bastards honest».

ALLIANCE ATYPIQUE

Or, dans le cas qui nous concerne, le MMM et le PTr n’ont jusqu’ici absolument rien offert de concret qui expli­querait le besoin d’une alliance atypique (si ce n’est antidémo­cratique) entre nos deux plus grands partis politiques. De quelle grande menace peuvent-ils bien vouloir protéger le pays qui ne puisse se conjuguer en une explication claire devant le parterre de journalistes à Cla­risse House ? Au lieu de cela, le pays a eu droit à des inani­tés telles «l’unité de la nation arc-en-ciel» qui n’est, que nous sachions, pas menacée ou en­core «l’approfondissement de la démocratie» qui, elle, l’est très certainement. Comment, dès lors, ne pas conclure que la seule menace qui pèse sur ces deux chefs de partis est bien cette épée de Damoclès d’une joute électorale free and fair qui les opposerait et qui, avec une probabilité de 40 % à 50 %, risquerait de reléguer l’un des deux partis au carreau canne proverbial lors des prochaines élections. Fatigués, trop vieux pour se réinventer, incapables de propulser la nation vers de jours meilleurs sur la base d’un programme ambitieux mais réalisable, devenus trop mous pour ce stress du jeu démo­cratique qui leur paraît comme une roulette russe, ils s’allient en fait parce qu’ils sont convaincus que ce n’est qu’à ce prix qu’ils optimisent leur chance de sur­vie. Le réel adversaire est deve­nu ni plus ni moins le peuple mauricien lui-même qui, dans l’exercice insolent de sa prérogative démocratique, les a, tous deux, maintes fois, fait mordre la poussière électorale. On a donc recours à un stra­tagème constitutionnel pour neutraliser la libre expression de cette souveraineté populaire qu’on transfère ipso facto à un Bokasa indianocéanique et à son sous-fifre.

Deux faits remarquables relatifs à la nouvelle constitu­tion doivent être relevés. 1) Ce sera la première fois, hors d’Afrique et de ses républiques bananières, qu’un changement constitutionnel aussi drastique est motivé par le malaise d’un PM vis-à-vis de ses pairs pré­sidentiels à l’occasion des fora internationaux. 2) Sous l’effet de la terreur (à moins que ce ne soit du mépris) de la vox populi, le PTr et le MMM in­fligent une cinglante humilia­tion aux électeurs mauriciens. Dans une vraie démocratie, le changement constitutionnel qui précède l’avènement d’un président au suffrage universel, le choix entre un quinquennat et un septennat, la renouvela­bilité ou non du mandat pré­sidentiel, la balance du pouvoir entre PM et Président, entre autres, sont soumis à la volon­té du peuple à travers un réfé­rendum. Ici, le pays est invité, plutôt, à donner un blanc-seing aux prochaines élections à l’al­liance PTr/MMM qui, avec une majorité de trois quarts, apportera les changements que le peuple de moutons que nous sommes ne saurait adju­ger. Silence, on égorge !

Est-ce que ce qui précède n’est que les émanations d’une sinistrose chronique ? N’y a-t-il aucun aspect positif dans ce Remake 1995 par rapport au Remake 2000 que je n’ai, per­sonnellement, pas eu de cesse de critiquer jusqu’à son implo­sion ? Avec le regard d’un vé­téran de ces deux alliances, je n’hésite pas à lancer un soupir de soulagement que tout ava­tar du clan Jugnauth est éclipsé de la scène politique pour un bon bout de temps. Certaine­ment assez longtemps pour que SAJ ne puisse plus se pré­senter comme une alternative physiquement crédible. C’est un avantage de taille mais est-ce suffisant ?

AIRWAY COFFEE

Le crony capitalism, qui a été la marque des gouverne­ments mauriciens successifs, n’a pas pour autant disparu du rang des rouges. Si le sup­port électoral de Paul Bérenger représente un capital électo­ral certain pour le PTr (et vice versa), une valeur ajoutée du leader mauve reste son au­ra, qu’il a su conserver du politicien propre dans l’opi­nion publique. Si son vil flirt avec le MSM, après les avoir lui-même cloués au pilori, a quelque peu souillé ce blason, on peut toujours compter sur la mémoire toujours géné­reuse du peuple admirable. Le leader du MMM n’a-t-il pas lancé avec hardiesse à Cla­risse House qu’un des axes du nouveau gouvernement sera «a relentless fight against fraud and corruption!»? Ce slogan si cher aux Mauriciens en 2014 aurait certainement gagné en crédi­bilité si le leader mauve avait poursuivi «and we shall start forthwith by reviewing the tender procedures governing the alloca­tion of the Airway Coffee at the airport!» Cela, il ne le pouvait pas. Pas plus qu’il ne lui était permis de montrer son achar­nement au travail dominical en 1997. Cette gêne risque fort de miner le rapport entre ces deux partenaires une fois la lune de miel terminée.

La période de transition durant laquelle NCR sera PM et PRB Deputy PM sera suf­fisante pour nous convaincre que Navin pourra un jour pas­ser un petit coup de fil à Paul l’instruisant qu’il présidera le prochain conseil des mi­nistres sans que ce dernier ne soit transporté d’urgence aux soins intensifs le plus proche. Si cette période transitoire pouvait les convaincre de faire acte d’humilité et de conserver leurs pauvres titres de PM et de DPM, le pays en sortirait cer­tainement gagnant.