JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

22 April 2017

Les contrats mirobolants des ''super conseillers''

Emission ''Au coeur de l'info'' 
Radio Plus
22 avril 2017


Radio Plus: Jean-Mée Desveaux, vous êtes un ancien ''super conseiller'' au bureau du Premier ministre. Sans indiscrétion, est-ce que vous touchiez aussi Rs 500 000 par mois?

JMD: (Rires) J’aurais bien aimé avoir touché Rs 500 000 par mois. J’ai gagné plus de Rs 500 000 par mois, mais c’était à l’étranger. A Maurice, au sein du gouvernement, je percevais Rs 126 000, en sus de quelques boards sur lesquels vous allez sûrement me poser des questions.

Radio Plus: Quand vous avez appris que M. Sanspeur gagne près d’un demi-million de roupies par mois, cela vous a-t-il choqué comme la majorité des Mauriciens?

JMD: Il y a deux façons de voir la chose. Soit Gérard Sanspeur siège, en tant que Chairperson, sur trop de boards, soit il touche trop d’argent. On ne peut tenir les deux critiques simultanément. Je me fais l’avocat du diable. Si nous disons que Gérard Sanspeur touche trop, voyons voir: en tant qu’Adviser, je suppose qu’il doit gagner environ Rs 200 000. Il a dit qu’il avait deux présidences pour lesquelles il touchait Rs 70 000 chacune. Il reste donc Rs 160 000 que nous divisons parmi les 5 conseils d’administrations, ce qui fait qu’il touche environ Rs 30 000 par board. Ce n’est pas énorme!

S’il s’active vraiment, comme on est en droit de s’attendre d’un chairperson, Rs 30 000 n’est pas une grande affaire. Mais, il est aussi rémunéré pour être le conseiller du Premier ministre (PM) et du ministre des Finances. Lui reste-t-il du temps pour ce travail central? Donc, l’accent doit être surtout mis sur un nombre inacceptable de boards du point de vue d’efficience, aussi bien que de celui de la bonne gouvernance.

Radio Plus: Est-il humainement possible de siéger sur tant de ''boards'' en tant que ''Chairperson''?

JMD: Nawaz, j’avais trois boards sur lesquels je siégeais comme simple membre. De plus, je conseillais Paul Bérenger. Cela me faisait quitter mon bureau quatre jours sur cinq à 22 heures.

J’ai déjà travaillé avec Gérard et j’admets qu’il est un bon travailleur. Mais jusqu'où va son efficience pour pouvoir présider et faire le suivi de 7 conseils d’administration ET en même temps conseiller le PM et le ministre des Finances, deux des plus grands ministères? Je ne comprends pas. 

Ce qui m’interpelle aussi c’est que le PM se mette dans une telle position. Cela démontre que le PM n’a pas confiance en suffisamment de personnes pour leur confier ces boards. Il les a confiés à Gérard Sanspeur parce qu’il n’a confiance en personne d’autre. Je trouve cela surprenant.


Deux genres de boards au gouvernement


De plus, vos auditeurs devraient savoir qu’il y a deux genres de boards au sein du gouvernement. 

Vous avez des boards, tels que Air Mauritius, la State Bank, la Bank of Mauritius, où votre jeton de présence est extrêmement fort. Gérard Sanspeur a dit qu’il faisait deux boards à Rs 70 000 chacun, c’est le genre de rémunération qui va avec ces boards, et parfois même plus.

Puis, vous avez les boards où on case les petits fonctionnaires, car ils paient moins de Rs 1000. Au sein des trois boards où je siégeais: Central Electricity Board, Waste Management Authority et, pendant un court moment, la Central Water Authority, je touchais Rs 900 par board. Et je me battais tellement pour ces boards que le PM m’a dit une fois: “Mais ce CEB-là est un autre gouvernement au sein du gouvernement on dirait!”. 

C’est une question de conviction personnelle. Etes-vous sur ce board parce qu’il paye bien ou est-ce parce que vous considérez que ce travail est important pour la nation. Le board où j’étais le mieux rémunéré pendant ces 5 ans était le Airports of Mauritius Ltd (AML) où je touchais Rs 12 000. Puis vers fin 2004-2005, j’ai siégé au Mauritius Revenue Authority (MRA) car j’avais suivi le dossier de la douane pour le PM depuis 2001. Et là, je touchais Rs 30 000 par mois. 

Mais attention, pour ces Rs 30 000 qui représentaient le double de tous mes autres boards réunis, je ne me suis pas assis comme un béni-oui-oui approuvant toutes les décisions les plus bancales pour le pays. C’est là que Mme Hanoomanjee et moi avons croisé le fer au sujet du recrutement du directeur de la MRA. Elle avait décidé pour des raisons inavouables que Bert Cunningham, le Customs Comptroller, ferait de l’ombre au syndicat pourri de la douane et à son propre assistant s’il devenait le Directeur Général de la MRA. Elle a tout fait pour l’évincer avec l’aide du Sollicitor General, le beau-frère de l’assistant de la douane.

Je me suis dit je ne vais pas m’asseoir et assister à cette farce de recrutement qui se moque de la bonne gouvernance, et qui mettra en danger la vie de nos enfants à travers la drogue qui passe à la douane. J’ai refusé les Rs 30 000 et j’ai donné ma démission au PM. C’était le board où je touchais le plus. J’aurais pu rester là tranquillement, mais je ne l’ai pas fait. Quand vous êtes un conseiller proche du PM, vous avez beaucoup de tentations et je crains que Gérard Sanspeur soit tombé dans ce piège.


Radio Plus: JMD quelles sont les tentations pour un ''super conseiller'' qui a tant d’influence, quelquefois, même sur des ministres?


JMD: On a la tentation d’avoir la grosse tête. J’entre au gouvernement en 2000 et je travaille pour Paul Bérenger comme Special Adviser. La State Trading Corporation (STC) qui était sous le ministère du Commerce (où le ministre était un MMM) est frappée d’immobilisme. Ce grand paresseux de ministre n’avait qu’un but, celui de prendre l’avion. Il me fallait prendre la STC en main et je me rends compte que la STC est à engloutir la moitié de ma journée. Je ne peux plus travailler pour Paul. Que fais-je? Je délègue. Je cherche un manager en la personne de Ravin Dajee et je conseille au PM de le nommer comme General Manager. La STC marche alors comme sur des roulettes.

J’aurais pu me faire élire le super président de la STC et y rester pendant 5 ans. Mais non, je n’ai pas été tenté par la grosse tête. Même chose pour le CEB. Nous avions un Sud-Africain incapable en la personne de M. Van Niekerk. Qui a poussé Mme Donna LeClerc pour le remplacer comme GM? J’aurais pu essayer de me faire un super chairman du CEB. En ce qui concerne le Commissaire des Prisons, c’est la même chose. J’ai choisi le patron des 12 gouverneurs des prisons de sa Majesté britannique à Londres pour venir travailler chez nous. Vous conseillez votre ministre de choisir les personnes qui siéraient le mieux à la tâche. Et quand je donnais un conseil à Paul sur un candidat, il l’acceptait les yeux fermés. Vous ne venez pas accaparer tous les postes parce que vous avez l’oreille du PM. Je crois donc qu’il y a un peu d’arrogance dans l’attitude de Gérard mais que voulez-vous? C’est humain.

Régime des Jugnauth

Il ne faut pas faire abstraction non plus du fait que nous vivons dans un climat délétère sous le régime Jugnauth. Tous les privilèges sont admis, les salaires exagérés sont la norme. L’affaire Sumputh où une dame qui touche Rs 323,000, a une relation ombilicale avec son ministre, dont la sagesse se résume à “Government is government and government decides!”. Tout devient acceptable et c’est pour cela que le peuple se révolte. Le problème du salaire de Gérard Sanspeur se situe dans un contexte où les Mauriciens en ont marre des passe-droits. Il faut ajouter à cela que ce qui a empoisonné la vie politique récemment c’est que le Conseil des ministres ne sait pas le vendredi qu’il y aura un changement de Premier ministre le lendemain! C’est du jamais vu. Nous savons que c’est constitutionnel et légal, mais ce mépris pour les ministres, les élus du peuple et du peuple lui-même démontre que nous n’avons ni une parliamentary democracy ni un presidential regime. C’est devenu une monarchie et même dans une monarchie constitutionnelle, vous ne voyez pas ce genre de chose. Nous vivons dans une monarchie autocratique comme en Europe au 18e siècle. Dans une telle atmosphère, il n’est pas étonnant qu’une anicroche comme les salaires de Gérard Sanspeur choque tout le monde. 

En ce qui concerne Gérard, il faut dire que, jusqu’à preuve du contraire, c’est un homme intègre. Je préfère un Gérard Sanspeur suivant des dossiers où les terres de l’Etat sont impliquées, plutôt que quelqu’un qui touche bien moins, mais qui a déjà jeté son dévolu sur des terrains pour ses fils, ses filles et autres neveux.

Ayant dit cela, Gérard a aussi ses faiblesses. Il est un grand bagarreur. Quand j’ai travaillé avec lui, il était le patron de la Mauritius Freeport Authority et Prakash Maunthrooa était le patron de la Mauritius Port Authority. Ils ne pouvaient pas se sentir. Si vous les laissiez seuls dans une pièce, ils se seraient étranglés. Cela rendait la vie impossible, car ils étaient tous les deux en charge du Port, les poumons du pays. J’ai eu à m’insérer dans cette équation d’egos, j’y ai mis bon ordre et on a travaillé en bonne entente lors des discussions avec la Banque mondiale et le secteur privé.

Paul Bérenger

Il y a aussi une chose à dire dans ce contexte sur le prime ministerial touch de Paul Bérenger. PRB ne m’aurait jamais permis, même si j’étais assez bête pour le lui demander, de me nommer comme chairperson d’un board. Quand le PM met son personal adviser comme chairperson, il s’expose lui-même à toute dérive qui pourrait s’ensuivre. N’importe quel scandale qui survient dans ce vaste domaine devient attribuable au PM personnellement car c’est son conseiller qui coupe et tranche in fine. De plus, il n’est pas nécessaire pour le conseiller d’être chairperson pour suivre les dossiers importants au sein du board. Sa prestance en tant que représentant du PM lui donne toutes les latitudes d’influencer la bonne marche des dossiers difficiles en évitant les embûches. La seule chose qui diffère est le jeton de présence.


Radio Plus: Quand un conseiller voyage 15 fois en 2 ans, 4 voyages durant le seul mois de juin, quel temps a-t-il pour siéger sur les boards et s’occuper de son ministère?

JMD: Malheureusement, il y a un laisser-aller de ce genre dans tous les gouvernements. Le per diem qui accompagne les voyages est comme une loterie qui part et qui revient. Je ne peux que vous parler de mon expérience personnelle à ce sujet. Durant les 5 dernières années durant lesquelles j’ai travaillé avec Paul c.à.d le gouvernement de 2000-2005, j’ai fait deux voyages à Londres. Le premier m’a permis de recruter le commissaire des prisons en la personne du chef de tous les gouverneurs de prisons de Londres. Une autre mission à Londres, avec le présent Financial Secretary, consistait à renégocier le management contract que l’Aéroport de Maurice (AML) avait signé avec la British Airways, contrat que les policy makers du gouvernement avaient décidé de résilier. Cette même mission me permit d’avoir des réunions importantes sur notre importation de ciment. Ensuite, ma troisième et dernière mission eut lieu au Sud Est Asiatique pour la pension. Ce sont les trois seules missions que j’ai effectuées en cinq ans au gouvernement.

Je suis entièrement d’accord avec l’implication de votre question. Tous les matins, un PM ou un ministre des Finances tient une réunion où il distribue le travail à ses proches collaborateurs. Comment pouvez-vous lui être utile dans ce processus si vous passez votre temps à voyager. Et de plus, siéger sur 7 boards? Non. Ce n’est pas sérieux.

C’est ainsi que je pense que Gérard Sanspeur se donne un mauvais profil. Je vous aurais dit jusqu’ici que Gérard est un gars bien, mais là, en ayant la grosse tête et en ayant une certaine arrogance, il est en train de perdre l’humilité du sérieux haut cadre du gouvernement qu’il était jusqu’ici. C’est dommage car il avait du potentiel. Comme le disait, un Permanent Secretary dans le temps: « Sans peur mais pas sans reproche » .

Defi Plus: Dernière question JMD, on entend souvent dire que ce PM creuse sa propre tombe à travers les conseillers qu’il a choisis. A quel point est-ce vrai?

JMD: Vous vous rappelez que Navin avait une trentaine de conseillers. Il avait des conseillers pour se donner un certain genre. Est-ce que vous voyez un Navin Ramgoolam s’entretenir avec un conseiller en environnement ne serait-ce que 30 minutes par semaine? C’est mal le connaître. 

Donc, la première catégorie de conseiller est celui qui se tourne les pouces. La deuxième catégorie de conseiller est celui qui connaît très bien les faiblesses et les penchants de son ministre, que ce soit en matière politique ou autre. Saisi d’un dossier, il conseille au ministre de suivre exactement la voie qu’il sait être celle que préfère le ministre. Et ce genre de conseillers se ramasse à la pelle. Ils ont l’instinct de survie et leur espèce est loin d’être menacée. La dernière catégorie consiste en professionnels qui flirtent constamment avec le danger en conseillant exclusivement au ministre de suivre la voie qui optimise le mieux-être de la collectivité, le peuple mauricien. Cette voie est rarement celle qui plaît aux groupuscules les plus vocaux. Ce conseiller vient dire à son ministre ce qu’il ne faut pas faire ou ce qu’il fait n’est pas bien.

Donc si vous me dites que les gens émettent l’hypothèse que le PM actuel va aller à sa perte à travers ses conseillers, il est évident qu’il prête l’oreille à des conseillers qui ne méritent pas sa confiance.

J’ai déjà eu cette conversation avec Paul Bérenger. Je lui ai dit : “Je préférerais que tu me vires parce que je t’ai opposé sur un point, plutôt que de te laisser tomber dans un trou sans te le dire”.

Si un PM ne peut s’entourer de personnes honnêtes, franches, pas des couards, pas des lâches, mais des gens qui, tout en le respectant, l’opposent là où il se doit, il est normal qu’il tombera dans un trou. Je ne connais pas très bien le PM actuel donc je ne peux faire de commentaire. Mais comme je vous ai dit plus tôt, le seul fait qu’il donne autant de boards à Gérard démontre qu’il a une confiance infinie en lui (et je ne suis pas à dire que sa confiance est mal placée) et très peu de confiance dans les autres personnes qui l’entourent.