JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

13 September 1978

Louanges et critiques de nos ‘’cousins’’ bretons

Nos ''cousins'' bretons du Conseil général du Finistère, à leur arrivée à Plaisance.


MAURICE a été l'hôte, au début de la semaine dernière, d'une délégation de Français du Conseil général du Finistère, département breton. Nos visiteurs qui, d'après leurs dires, ont énormément en commun avec notre île, donnent ici à L'Express leurs impressions après avoir passé 24 heures dans le pays.

Deux choses sont à noter : Cette conversation à bâtons rompus s'est déroulée avec plus d'une quarantaine de participants d'où le caractère un peu décousu du dialogue. Si les premières impressions ne sont pas toujours les meilleures, il est quand même étonnant de constater l'acuité des opinions que nos visiteurs ont émises sur le contexte mauricien après leur très court séjour chez nous.

Propos recueillis par
Jean-Mée DESVEAUX
L’express du 13 septembre 1978

Q: Messieurs, vous êtes en visite chez nous depuis vingt-quatre heures et vous repartez demain. Vous êtes tous membres du Conseil général du Finistère. Pourriez-vous nous expliquer la nature de ce corps et établir la relation, si elle existe, entre votre appartenance au Conseil général et votre visite à Maurice?

M. Stéphan (vice-président du Conseil et organisateur du groupe): Le Conseil général du Finistère est une assemblée départementale élue au suffrage universel au niveau des cantons français. Notre rôle est de travailler de concert avec le préfet, de voter le budget départemental. Nous sommes donc essentiellement des administrateurs élus par le peuple pour gérer le département.

Notre visite n'a aucun caractère officiel. Nous sommes ici pour la détente. Nous visitons chaque année un département français et, cette année-ci, c'est la Réunion qui a été choisie. Nous avons donc pensé qu'il serait de mise que nous rendions une petite visite à nos cousins mauriciens par la même occasion, car l'île Maurice est un pays auquel nous sommes très attachés.

M. Guermeur (député et président du comité de la Mer au Finistère): Notre visite a aussi bien sûr, un caractère touristique mais ce n'est pas le seul intérêt qui nous pousse à venir ici. Notre département du Finistère (Fin de la terre) a beaucoup de choses en commun avec votre île. Nous avons une population approximativement égale à la vôtre et nous sommes un département maritime. Il nous est donc intéressant de voir comment les Mauriciens résolvent leurs problèmes surtout en ce qu'il s'agit de tirer profit des ressources de la mer. Personnellement, je serais intéressé à contacter les responsables de la pêche ici, en vue de discuter d'une coopération franco-mauricienne possible, en vue d'exploiter les bancs entre les Seychelles et Maurice. Une coopération dans ce domaine ne peut être que très profitable pour nos pays respectifs. 

M. Le Blé (Maire de Brest): Il est aussi particulièrement intéressant de constater comment vous avez organisé votre tourisme à partir de richesses naturelles et de la mer. C'est une prouesse que nous voudrions bien imiter.

Q: Puisque nous sommes sur ce chapitre et que cette industrie est une activité commune que votre département partage avec notre île que pensez-vous de notre tourisme?

Dr Benard (Président du comité de l'Administration générale) : Le tourisme jouit d'un rôle privilégié dans votre économie. Chez nous, il se situe après l'élevage et la pêche. Remarquez que nous ne pourrions pas faire autrement, car nous ne bénéficions pas du climat favorable que vous avez tout le long de l'année. La saison touristique au Finistère ne dure malheureusement que deux mois et demi et ce facteur ne nous permet pas d'être compétitif dans ce domaine.

M. Goasduf (Député et vice-président du conseil): Vous avez accompli un effort considérable et vous avez réalisé des possibilités d'accueil qui sont très au-delà de ce que nous pouvons nous-mêmes offrir au Finistère. Vos constructions modernes sont susceptibles d'attirer un grand nombre de touristes. Cela provient du fait que le tourisme est une ressource capitale pour l'île Maurice.

M. Fichoux (Président du comité d'Agriculture): Le tourisme au Finistère a un caractère très différent de celui que vous offrez à l'île Maurice. Il y a, en France, une loi qui empêche d'aménager le littoral. Nous n'avons plus le droit de toucher à quoi que ce soit sur le bord de la mer. Cette loi de la conservation du littoral découle des excès qui ont été commis en France, en Côte d'Azur plus particulièrement, où on a érigé des blocs de béton un peu partout au bord de la mer. Le midi de la France en a beaucoup souffert. Nous nous efforçons maintenant de mettre en valeur les habitats déjà existants. Nous avons un peu quitté le littoral où la plupart des habitations existantes sont du reste les maisons de campagne des Parisiens, pour l'intérieur du pays. Nous réaménageons donc des gites ruraux qui sont, en ce moment, au nombre de 900 au Finistère et dont le coefficient de remplissage est de plusieurs mois.

Q: Pensez-vous qu'il faille intervenir dans ce sens à Maurice avant qu'il ne soit trop tard pour notre côte?

M. Fichoux : On aurait tort, car ce qui est fait ici est très bien fait. Les hôtels mauriciens s'intègrent à merveille dans le cadre de l’île. Le tout est aménagé comme un petit village.

M. Le Calvez (Maire de Fouesnant et Président du Comité de Travail ) : Ce qui me frappe le plus dans ce domaine chez vous, c'est que le tourisme social est très peu développé. Vous n'avez aucun terrain de camping ou de villages de vacances spécialement aménagés qui seraient à même d'accueillir les touristes qui ne peuvent pas se payer vos grands hôtels. En France, nous avons le Club Méditerranée qui est plus accessible à ce genre de touristes. Il est clair, qu'en ce moment, vu le coût du voyage, vous ne pouvez compter que sur des touristes aisés qui ont, de toute façon, un budget de vacances important. Mais il faut se rappeler que la ligne Los Angeles-Paris retour est de $120. Le coût de la ligne aérienne qui vous relie aux grands pays peut très bien tomber dans un  proche avenir et si, à ce moment-là, vous n'avez pas l'hôtellerie d'accueil nécessaire, c'est vous qui perdrez.

Q: Avez-vous eu l'impression de pénétrer dans un pays du tiers-monde en mettant les pieds sur le sol mauricien?

M. Le Blé (Maire de Brest) : Oui. Il est indéniable que les maisons en tôle ondulée et les chaumières que nous avons vues sur le chemin de l'aéroport ressemblent à celles qu'on trouve en Afrique noire. On a aussi trouvé que pour un pays qui a longtemps été sous l'administration des Anglais, la propreté du pays laisse beaucoup à désirer. Cela est d'autant plus étrange qu'on a l'impression qu'il faudrait peu de choses pour remédier à cette situation.

M. Stephan: L'impression générale qu'on a, au départ, c'est que beaucoup de vos habitats ne sont pas très confortables. Nous n'y sommes pas entrés, bien sûr; mais chacun peut tirer ses conclusions de l'extérieur. Cette pauvreté est encore plus frappante quand on se retrouve ensuite dans vos hôtels qui, eux, ont un standard international. Je suppose que dans un pays qui est aussi vulnérable aux cyclones, il n'est pas possible de bâtir d'autres genres de maisons.

M. Bleas (Reporter au Telegramme): Votre paysage est très beau, mais certains logements sont au niveau du misérabilisme des bidonvilles. On nous a laissé entendre que certains Mauriciens n'attribuaient pas beaucoup d'importance au logement en tant que tel, mais notre réaction a été qu'il faudrait aller le demander à ceux qui y vivent.
C'est la proximité qui existe entre les somptueux hôtels et cette misère qui choque le touriste. Celui-ci s'attable devant des mets succulents tandis qu'à côté, c'est le petit réchaud qui chauffe on ne sait quoi.

M. Le Borgne (Vétérinaire): Ce qui m'affole c'est l'état d'infection qui existe ici. Les décharges ne sont pas contrôlées et sont donc des vecteurs de maladies possibles. Il est physiquement choquant de voir cela. Il est étonnant que les Anglais aient pu permettre cet état de choses quand, chez eux, ils iraient jusqu'à emprisonner un homme pour avoir importé un chat illégalement. 

N'avez-vous pas l'impression que l'Angleterre vous a laissé tomber après votre indépendance? N'aurait-elle pas pu faire quelque chose en vue d'aider les couches sociales les plus défavorisées ?

Un déjeuner a été organisé pour les conseillers généraux à l'Arc-en-Ciel.

Q : C'est probable mais pensez-vous que la France ait agi autrement en Afrique noire à l'accession de ses colonies à l'indépendance?

M. Le Borgne: (Hésitations). Je pense bien que oui. (Désapprobation des autres conseillers).

M. Fichoux: Il y a une chose que je ne peux pas comprendre. Comment se fait-il qu'avec le climat dont vous jouissez votre cheptel soit aussi maigre? Vous avez beaucoup d'humidité et tout semble se prêter à l'élevage ici. Et pourtant, il paraît que vous sortez beaucoup de devises pour l'importation de la viande d'Australie et d'ailleurs. Ces dépenses pourraient être évitées et les effets d'un tel changement seraient ressentis jusqu'au niveau du budget familial. Il est clair que si nous avions un tel climat, nous ferions des merveilles.

M. Arzel: Au niveau de l'agriculture, vous êtes encore loin de la mécanisation. Je devine qu'il doit y avoir des raisons sociales pour expliquer cet état de choses, mais on ne peut pas arrêter le progrès; que ce soit demain ou après, il vous faudra un jour mécaniser votre agriculture.

M. Crenn (député): Sous le chapitre de l'agriculture, l'impression bien nette que nous avons après seulement 24 heures chez vous, c'est que vous mettez tous les oeufs dans le même panier. Cela est trop dangereux, il faudrait absolument diversifier votre agriculture.

Q : Vous avez mentionné, au début, les affinités qui existent entre votre département et l’île Maurice. Il existe aussi un problème culturel que nous partageons peut-être. Nous avons nommément une culture et une langue qui sont un peu en marge de celles de la France proprement dite. Vous avez longtemps eu à vous battre avant de faire reconnaître votre langue et votre identité bretonnes. Pouvez-vous nous parler de votre expérience à ce sujet?

M. Crenn : Oui, pendant longtemps ceux qui parlaient breton étaient mal vus chez nous. La politique de la France à ce moment-là était de réprimer la culture bretonne.
A l'école, l'enfant qui s'exprimait en breton recevait 'la Vache' — une vache en porcelaine — qu'il était censé garder durant toute la journée. C’était là la punition ultime. Le jour que je l'ai reçue, je m'en suis débarrassé d'une façon assez énergique et le lendemain, mon père a dû acheter une nouvelle vache pour la classe.

M. Arzel (Président de la Chambre d'Agriculture): Ce n'est plus pareil maintenant, car même à la radio nationale, on diffuse les nouvelles en breton aussi bien qu'en français. On ne peut effacer notre culture. Les efforts qui oeuvrent dans ce sens sont voués à l'échec.

Q : Puisque nous parlions d'affinités, nous pouvons peut-être jeter un coup d'oeil sur la situation des Mauriciennes qui ont épousé vos concitoyens en Bretagne.

M. Arzel: Il faut aller aux sources de ce phénomène social. Pourquoi est-ce qu'il y a eu des mariages par correspondance entre les Bretons et les Mauriciennes? La raison est simplement qu'il y a eu une désaffection des cultivatrices envers les cultivateurs. Les filles ne veulent plus se marier aux cultivateurs. Elles trouvent que c'est plus honorable de se marier aux gendarmes ou aux ouvriers. Nos fermiers qui se sont donc vus condamnés au célibat ont tout de suite pensé aux Mauriciennes qui ont l'avantage pour eux d'être francophones. Mais je pense personnellement que cet état de choses ne devrait pas être encouragé. Il y a trop de différences de culture et de moeurs.

Et puis, ces mariages de raison avec des hommes dans leur quarantaine n'est pas une chose normale. Lorsqu'un homme se trouve à cet âge-là, il est trop tard pour qu'il songe à se marier. Ensuite, et je le dis sentimentalement, car je suis moi-même grand-père, ces filles doivent quitter leurs parents derrière elles pour venir dans un pays où le climat et les moeurs sont différents de ce qu'elles ont connu jusque-là. Ce n'est pas juste.

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