JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

28 September 1978

Mesures strictes et impopulaires nécessaires pour mettre fin au chaos


M. Robert Steulet, directeur technique de Micro Jewels, n'est pas un automobiliste comme les autres. Longtemps membre du comité du Mauritius Car Club dont il fut du reste le président en 1976 et 1977, Robert Steulet prend part à des rallyes automobiles depuis plus de huit ans. Cette grande familiarité avec la route et ses problèmes lui a permis de prendre conscience de pas mal d'éléments clés en ce qui concerne ''La Sécurité de la Route''. 

Pour lui, l'enjeu est bien trop grand pour permettre à des considérations secondaires d'intervenir dans la mise en pratique de mesures qui augmenteraient cette sécurité. Robert Steulet déclare qu'il n'est pas possible de changer le système anarchique qui tue les Mauriciens sur nos routes et de garder sa popularité en même temps. Des mesures strictes et impopulaires doivent être prises en vue de mettre fin à ce chaos: "On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs."

L'interview que Robert Steulet a bien voulu accorder à L'Express s'insère dans le débat que ce journal veut lancer sur l'épineux problème du transport et de la circulation routière à Maurice.

Propos recueillis par
Jean-Mée DESVEAUX
l'express du 28 septembre 1978


Q: Robert Steulet, vous êtes un passionné de l'automobile qui possède, de surcroît, des idées très précises sur la situation qui règne sur les routes mauriciennes. Pensez-vous que le chaos qui prévaut dans le domaine de la circulation en ce moment soit imputable à la structure défectueuse de nos routes ou aux usagers eux-mêmes?

R: Je dirai que la structure y est certainement pour quelque chose, mais que normalement un usager qui se respecte devrait adapter sa vitesse et son comportement à la structure existante. Une caractéristique remarquable, dans ce domaine, c'est que tous les problèmes s'enchaînent. Par exemple, la structure actuelle nécessite une meilleure signalisation, des lignes blanches bien faites, des stops bien marqués, etc, mais ces mesures ne seraient d'aucune utilité si le service d'ordre n'était pas remanié de façon à permettre une plus grande efficience.

Q: Serait-ce un vote de blâme à l'égard du policier à qui il incombe de se charger de cette tâche?

R: Non. Le policier n'est pas responsable, car il n'est là que pour exécuter des ordres. Les policiers du trafic sont du reste animés par les meilleures intentions, car l'autre jour même, deux membres de la force policière sont venus me voir expressément pour me demander d'écrire un livret de conseils aux automobilistes et aux motocyclistes mauriciens.

Il est, du reste, évident que si on ne tremble pas devant un policier à Maurice ce n'est pas tellement à cause du manque de personnalité du représentant de l'ordre lui-même, mais tout simplement parce qu'il n'a derrière lui aucune panoplie de mesures sévères dont il pourrait faire usage en cas de besoin. C'est justement là où le problème réside. Il n’y a pas de demi-mesure dans cette conjonction pour avoir un bon service d’ordre. Il faut avoir le courage de punir ceux qui ne respectent pas les consignes établies. Les amendes devraient être beaucoup plus élevées, pour vraiment décourager ceux qui enfreignent la loi. Maurice est, je crois, le seul pays au monde à ne pas procéder à des retraits de permis.

Il va de soi que toute une stratégie doit être établie avant d'introduire ces me­sures sévères. Il faudrait que le public soit averti que la conduite au petit bonheur sera sévèrement punie dans un certain temps et qu'arrivé ce moment, le contre­venant reçoive une punition qui lui ôte à tout jamais l'envie de faire comme bon lui semble sur la route.

Q : Cela relève d'une question de discipline qui est souvent un attribut personnel. Pensez-vous que la mentalité mauricienne soit incomptatible avec la disci­pline sur nos routes ?

R: J'ai en effet bien peur que ce soit là une des causes majeures de beau­coup de nos problèmes de circulation. Nous avons à Maurice une façon de concevoir la discipline qui est tout à faire décontractée, mais qui a malheureusement des conséquences très graves en ce qui concerne la sécurité routière. Un des nombreux exemples de ce manque de sens de responsa­bilité est tout à fait évident dans les stations d'essence où les gens négligent d'éteindre leurs cigarettes. On attend peut-être que toute une station saute un jour avant qu'on soit conscientisé aux dangers qu'une telle pratique représente.

Q : Cette situation ne provient-elle pas aussi d'un manque de respect mutuel entre usagers?

R: C'est exact. Qu'il soit piéton, cycliste, automo­biliste ou autre, l'usager de la route manque totalement de respect envers son prochain qui est 'l'autre'. Les exemples qu'on peut en donner sont multiples: je pense aux phares mal réglés qui éblouissent les autres, au stationnement dans des endroits masqués, au chauf­feur de camion qui a calé son véhicule avec une roche et qui repart en la laissant sur le chemin et aussi, bien sûr, à l'automo­biliste qui va suivre et qui ayant vu la roche ne pensera certainement pas à la retirer.

Q : Il y a tout d'abord l'enseignement du code de la route, qui devrait être entrepris systématiquement au niveau scolaire ...

R: Certes. Il y a ensuite l'éducation de l'automobiliste lui-même en ce qui concerne le matériel utilisé. Nous pouvons énumérer ici quelques aspects de ce problème: beaucoup d'automobilistes ignorent où placer les meilleurs pneus. Or, la stabilité d'un véhicule, contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, étant assurée par l'arrière, c'est là qu'il faudrait placer les meilleurs pneus. Un pneu qui a moins d'un millimètre de crampon est défectueux car il n'assure plus la totalité de l'adhérence pour laquelle il a été concu. L'adhérence d'un tel pneu étant sensiblement diminué, il représente plus de danger que de sécurité, mais les choses étant ce qu'elles sont, si on devait, quand même, l'utiliser, il devrait être mis là où il représente relativement moins de danger, c'est-à-dire à l'avant du véhicule.

Il serait aussi nécessaire de mettre le public au courant du danger que cela représente de ''casse collet". Plusieurs facteurs sont à considérer ici : ( 1 ) Il y a plusieurs modèles de voitures où le volant peut se verrouiller en coupant le contact. (2) Le plupart des voitures sont équipées de freins assistés qui ne fonctionnent qu'avec le moteur en marche. (3) Une voiture débrayée n'offre aucune possibilité de déplacement des masses. Je veux dire par là qu'en accélérant un véhicule, on déplace sa masse vers l'arrière, donc on la stabilise et on assure, de ce fait, une plus grande adhésion des roues avant. Mais, une voiture débrayée n'offre pas ces possibilités, elle flotte. Le public doit avoir cette connaissance élémentaire.


Un simple triangle, qui ne coûte pas cher, éviterait beaucoup d'accidents.

Q: Nous avons dernièrement assisté à un accident mortel causé par le stationnement d'un véhicule dont les feux arrières étaient imperceptibles. Ne peut-on pas ici déplorer un manque d'équipement qui servirait à faire face aux situations d'urgences?

R: Oui, et je garantis que cinquante pour cent des accidents de nuit seraient évités si on le faisait. Si, par exemple, les véhicules en détresse le soir étaient équipés d'un triangle de panne. Ceci est un triangle placé sur le chemin à une centaine de mètres à l'arrière du véhicule en panne et qui est automatiquement illuminé par les phares de la voiture qui s'approche.

Il est clair que pour aboutir à des résultats dans ce domaine, ces triangles doivent se trouver obligatoirement dans tous les véhicules et qu'un contrôle strict soit effectué en vue de s'assurer qu'ils ne finissent pas quelque part dans un tiroir. Ces triangles ne peuvent pas coûter plus d'une dizaine de roupies et les assurances elles-mêmes auraient avantage à les distribuer à leurs clients car cela représenterait un réel investissement de leur point de vue.
Dans le même ordre d’idée, tout véhicule devrait posséder: 1) une corde de dépannage en vue d'être remorqué un peu plus loin par le premier véhicule qui passe au cas où la panne aurait lieu dans un endroit dangereux, 2) un jeu d'am­poules de recharge qui permettrait de remettre un phare en état en cas de besoin.
Il est inadmissible qu'au­tant de négligences soient évidentes sur les routes, de nuit. Là encore, on voit la nécessité d'un contrôle sévère qui serait effectué régulièrement et à différents endroits de l'île par une branche spéciale de la police. A la suite de ces contrôles, on infligerait des peines bien plus sévères que celles qui sont main­tenant infligées. Je pense plus particulièrement ici au retrait des permis.

Q. Vous semblez attacher beaucoup d'importance à cette mesure punitive. Pensez-vous que ce soit là une des solutions au problème auquel nous sommes confrontés?

R. J'en suis certain. Les mesures de ce genre ont fait leur preuve dans le domaine des rallyes automobiles.

Q. N'est-ce pas paradoxal que quelqu'un qui soit aussi concerné que vous par la Sécurité de la route prenne part à des rallyes automobiles?

R. Cela me fait plaisir que vous me posiez cette question. Contrairement à ce qu'on pense en général, le rallye automobile est avant tout une école de conduite où on apprend et où on s'entraîne à rester maître de son véhicule. Je suis très conscient que ma participation aux rallyes m'a permis de développer des aptitudes et des réflexes qui m'ont déjà rendu de grands services à plusieurs occasions dans la circulation de tous les jours. C'est justement parce qu'un pilote de rallye connaît mieux que d'autres la réaction d'une voiture dans des conditions différentes qu'il est plus conscient du danger qu'un tel outil représente dans des mains inexpérimentées.

Q. Quelles sont les mesures strictes employées durant les rallyes et comment pourraient-elles servir d'exemple dans la conduite générale?

R. Plusieurs contrôles du code de la route sont effectués durant ces épreuves et, ce qui est frappant, c'est que tous les participants réussissent à s'adapter à la gamme de code routier existante. Les participants sont bien Mauriciens pourtant. Alors, qu'est-ce qui fait la différence? C'est tout simplement qu'ils craignent une pénalisation possible. C'est pour cela que je suis convaincu que si la pénalisation en points dans un rallye était traduite en roupies d'amende dans la conduite de tous les jours, les automobilistes accorderaient bien plus d'importance au code de la route.

Q. Pensez-vous que les structures légales qui régissent ce domaine soient adéquentes?

R. Pas vraiment, et ceci représente un grand problème car nous importons des véhicules modernes alors que nous avons des lois qui datent de l'époque des diligences.

Il faudrait aussi simplifier les procédures légales pour ce qui est du non-respect du code de la route. Là où une question peut être tranchée facilement, comme cela devrait être le cas pour les pénalisations relevant du parking ainsi que d'autres contraventions du même ordre, il ne devrait pas être nécessaire d'avoir recours à un magistrat. Ce genre de contravention devrait simplement valoir une amende à être payée dans un nombre de jours limités.

Q. Vous avez mentionné le problème du parking qui, comme vous devez le savoir, représente un vrai casse-tête pour les autorités et plus spécialement en ce qu'il s'agit de Port-Louis. Avez-vous une idée comment résoudre ce problème?

R. Personnellement, je trouve que les problèmes de parking et de stationnement devraient être du ressort des municipalités. Des agents municipaux dresseraient un procès-verbal à tous ceux qui enfreindraient la loi et les amendes seraient payées à la municipalité même. L'argent récolté en guise d'amendes serait réinvesti dans des travaux de nouveaux parkings. On pourrait, par exemple, recouvrir ces deux ruisseaux qui traversent Port-Louis en vue d'en faire des parkings de stationnement qu'on pourrait même louer au mois.

Il serait souhaitable aussi de créer, pour les gens qui travaillent à Port-Louis, des parkings généralisés au Champ-de-Mars ou ailleurs et cela conjointement à un circuit d'autobus à itinéraire fixe qui desserviraient différentes parties de Port-Louis. Il est évident que les autorités devraient assurer un service autour de ces parkings pour encourager les gens à y laisser leurs voitures. Une telle mesure laisserait la place à l'aménagement, au centre de Port-Louis, de parkomètres de stationnement payants et de courtes durées pour ceux qui sont seulement de passage dans la capitale.


Q. Voyons maintenant les problèmes qu'engendre notre autoroute. Plutôt que de permettre une plus grande sécurité à ceux qui l'empruntent comme on serait en droit de s'attendre, cette autoroute devient de plus en plus un "death trap". Pouvez-vous nous parler de ce qui constitue, d'après vous, la cause de cette situation anormale?

 R. Au sujet de la nouvelle route, il faudrait avoir le courage de prendre des mesures qui risquent d'être impopulaires si celles-ci ont la moindre chance d'être efficaces. On ne peut pas faire d'omelette sans casser des oeufs . . .

Sur le chapitre de la sécurité, une chose est évidente: il faut définitivement et efficacement fermer toutes les bretelles d'un rond-point à un autre. Il est inadmissible que les autorités tolèrent encore de telles anomalies. Pour quelques litres d'essence économisés en donnant la possibilité à un automobiliste d'éviter un rond-point, combien de vies humaines va-t-on encore sacrifier à chacune de ces bretelles?

Pour ce qui est de la circulation, on devrait interdire aux poids-lourds d'emprunter l'autoroute pendant les heures de pointe (de 8 à 10 h le matin et de 15 à 18 h le soir) quelle que soit l'impopularité d'une telle mesure. Cette route a été conçue pour décongestionner Port-Louis. Si elle ne satisfait pas cette condition, elle perd sa raison d'être.
De plus, le dépassement entre poids-lourds devrait être strictement défendu et les bus express empruntant cette route devraient avoir une puissance adéquate afin de ne pas gêner le flot de la circulation.

1 comment:

  1. Voila un entretien qui date de 1978 ..................

    ReplyDelete