JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

01 September 1978

PANDIT SAHADEO Une sagesse politique qui vient du Mahatma Gandhi



Pandit Sahadeo
COMPAGNON de travail de Mahatma Ghandi, fondateur du parti Travailliste avec le Dr Maurice Curé, premier président en 1938 de la Agricultural Labourers Union, une des deux premières centrales syndicales, Pandit Sahadeo, à 80 ans, vit paisiblement au Gandhi Ashram de Vacoas — lieu de prière et de travail — où, conformément à son existence active et profondément religieuse, il a passé les dernières années de sa vie.

Ses yeux vifs et son esprit lucide, malgré son grand âge, montrent clairement la force de caractère qu'a été celui de cet homme qui, tout imbu de sagesse hindoue et profondément engagé qu'il soit, refuse et traite de bêtise le sectarisme que prônent certains. Il a déclaré à L'Express, "ce serait un immense bonheur pour moi si de tout ce que je vous ai dit, une seule parole pouvait être utile à mon pays".

De la répartition des richesses à Maurice, il dit: "gouvernement travailliste fine plante ène zoli pied: fine gagne boucou fruit mais popilation lévé même la main, li pas capave arrivé." Pandit Sahadeo parle, entre autres choses, de l'achat de l'usine de Rose-Belle, de sa définition du politicien, de l'attitude qu'on devrait adopter vis-à-vis des divisions intestines que la population mauricienne a connues dans le passé.

L'Express a recueilli pour ses lecteurs les propos du PANDIT SAHADEO, un homme qui de son vivant est entré dans l'histoire de Maurice.

Entretien réalisé par 
Jean-Mée DESVEAUX

L’express du 1/9/1978


Q. Pandit Sahadeo, vous avez été un des fondateurs du parti Travailliste mauricien en 1937. Pouvez-vous nous expliquer le rôle que vous avez joué dans ce contexte?

R. L'attrait que je représentais était dû au fait que j'avais travaillé aux côtés de Mahatma Ghandi quand il inaugura son modèle de parti Travailliste à Ahmadabad. La tension entre travailleurs et usiniers était alors à son comble en Inde — grèves, sabotages industriels — et le Mahatma conçut l'idée de faire un parti basé sur la Coopération entre les travailleurs et les propriétaires d'usines. Il  l'appela du reste "Coopération travailliste-Capitaliste". Il avait réalisé que cette entente était nécessaire pour le progrès du peuple indien et c'est là qu'il énonça les principes de base de son nouveau parti, entre autres, la nécessité de la non- violence. J'avais donc eu la chance extraordinaire d'avoir été là à ce moment crucial de l'histoire et les leçons personnelles que j'en ai tirées étaient multiples. Je suis même, par la suite, retourné deux ou trois fois en Inde pour juger du progrès que faisait ce parti sur le continent indien.

Le tout commença, ici, le jour où le Dr Maurice Curé vint me voir à l'école où je travaillais. Il me dit: "ou fine reste quelque temps avec Mahatma Gandhi lorski li fine commence so parti Travailliste à Ahmadabad. Qui l'avantage éna dans ça système là?" Je lui ai tout raconté en faisant bien ressortir qu'un tel système amenait une grande discipline. Le Dr Curé me dit : "To fine gagne ène zoli l'idée avec Mahatma Ghandi, nous capave servi ça pou Maurice aussi. Mo péna personne à présent are moi qui capave donne ene bon l'idée lor ça parti Travailliste qui mo pé alle formé la; mo ti a bien content si to ti vine are moi pou premier meeting mo pour organisé". J'ai accepté de coopérer avec lui et, une semaine plus tard, nous avons organisé un meeting à Mahébourg qui attira cinq à six cents personnes et à partir de là, le mouvement s'est étendu un peu partout à travers l'île. En ce temps-là, la situation était très précaire et la tension entre les travailleurs et les capitalistes allait en s'augmentant.

Q. Quels étaient les principes de ce parti au départ?

R. Quand le Dr Curé m'a posé la question, je lui ai répondu que notre "Flambeau" devrait être le même que celui du Mahatma Gandhi. La non-violence; que ceci devrait être le pivot même du parti et "qui faudrait pas met aukene melanze dans nous langaze; bisin dire cé ki vrai sèlement. "

Q. Vous avez aussi été directement associé à la fondation du mouvement syndicaliste à Maurice. Est- ce que cela se faisait parallèlement avec le travail politique?

R. Oui. Nous avions deux ailes: l'aile politique et l'aile syndicale. Quand nous faisions des meetings, nous touchions aux deux domaines en même temps. Les travailleurs venaient vers nous en masse. Ils réclamaient une amélioration de leur niveau de vie et nous avions pour tâche de faire connaître leurs demandes soit durant les meetings publics, soit en ayant recours aux plus hautes instances du pays telles le procureur général, M. Hooper, lui-même qui du reste faisait souvent la liaison entre nous et le ministre des Colonies, Chris Jones.

Les trois fondateurs du parti travailliste.


Q. Le parti Travailliste, nouveau-né n'eut pas une très longue période de gestation car une année après sa naissance, il eut à faire face à la grève générale de 1938 qui donna lieu à une fusillade. Est-ce le manque d'expérience du nouveau parti qui est à blâmer ici?

R. Non. Nous avions alors passé la requête des travailleurs au gouvernement mais son intransigeance a complètement désamorcé le pouvoir syndical que nous possédions. Comme nous voulions travailler dans l'ordre, leur refus ne nous a laissé aucune alternative et les travailleurs ont peut- être réalisé notre impuissance.
La goutte qui fit déborder le vase vint de celui qui représentait la communauté d'origine hindoue à Maurice au Conseil législatif. Celui- ci déclara que les Mauriciens d'origine hindoue pouvaient très bien vivre sur les salaires qu'ils recevaient et qu'ils en étaient, de toute façon, très satisfaits. Cette déclaration parut sur les journaux et exaspéra tellement les travailleurs qu'ils déclenchèrent une grève générale. Les têtes chaudes parmi les agents du parti Travailliste prirent la situation en main et oubliant notre philosophie pacifiste, ils ont peut-être semé la discorde. Il faut se rappeler, comme je vous l'ai déjà dit, que les responsables même du parti avaient les pieds et les poings liés.
Cet épisode fit beaucoup de tort au pays. Quatre travailleurs trouvèrent la mort et la tension à l'intérieur du pays était insoutenable.

Q. Quelles furent les répercussions de cet épi­sode sur le monde syndical mauricien?

R. Les conséquences furent nombreuses: (i) M. E. Anquetil et M. G. Rozemont, qui s'étaient joints au parti entre-temps, décidèrent d'ou­vrir un bureau syndical provisoire à Port-Louis où les travailleurs pourraient nous rencontrer pour faire connaître leurs griefs; (ii) M. Hooper fit une déclaration officielle approuvant les demandes du parti Travailliste ainsi que son esprit de discipline; (iii) une Industrial Court fut instituée pour s'occuper des problèmes du travail à Maurice; (iv) une commission d'enquête fut mise sur pied pour entendre la déclaration des grévistes en vue de soumettre un rapport au ministre des Colonies  — M. Hooper lui-même en était le président; (v) je pris part au All India Congress pour présenter les doléances des travailleurs indo-mauriciens devant les autorités indiennes; (vi) mais de mon point de vue, la conséquence majeure de cet épisode, fut la visite de M. Kenneth Baker, un syndicaliste anglais, suite à la requête que fit M. Anquetil à Chris Jones selon laquelle un expert devrait nous être envoyé pour établir la base du mouvement syndical à Maurice.
A l'arrivée de ce conseiller syndical à qui le gouvernement anglais avait donné plein pouvoir, des meetings publics furent organisés à la suite desquels deux syndicats furent institués :  la Engineering and Technical Union dont M. Anquetil, déjà président du parti Travailliste, devint le président et la Agricultural Labourers Union dont je devins le président.
En ce temps-là, ces deux syndicats réunissaient, avec le parti Travailliste, près de 30,000 membres qui payaient une quotité de 25 cs par mois.

Emmanuel Anquetil
Q. Ce nouvel appareil syndical eut-il l'oreille de l'administration au pouvoir?

R. Non, car tout pouvoir ti dans la main gouvernement ki ti pé dirize pays et gouverneur ti dans la main capitaliste. Zotte fine bien rinse nous mais mo ti fine gagne ène bon l'entraînement avec Gandhi.
Par la suite, les choses se sont arrangées car nous avons eu la permission de communiquer directement avec le ministre des Colonies. L'Angleterre nous a bien aidé surtout lorsqu'il y avait un gouvernement travailliste au pouvoir là-bas. Ils nous avaient, du reste, donné l'assurance qu'ils feraient tout leur possible pour aider le mouvement des travailleurs à Maurice.

Q. Qu'est-ce que vous pensez du mouvement syndical à Maurice en ce moment?

R. Maurice même pas représente ène la tête zépingle lor mappe monde.
Un aussi petit pays ne peut se permettre d'avoir autant de syndicats pour représenter l'intérêt du travailleur. Ce qu'il faudrait faire c'est amalgamer tous les syndicats dans un congress car l'union fait la force et tous doivent donc coopérer pour le bien-être du travailleur.

Dr Maurice Curé

Q. On dit que la politique est un jeu avilissant. Est-ce d'après vous, un phénomène nouveau ou bien en était-il de même de votre temps? Quel est le plus mauvais souvenir que vous avez de votre carrière politique?

R. Politique ti toujours pareil. Zotte fine ballié tout bane fondateur parti avant élection vini.
Pourtant, mon plus mauvais souvenir de la politique a trait au manque de reconnaissance du parti envers le Dr Maurice Curé. Cet homme avait tout donné à son pays. Avant de faire de la politique, il avait une bonne clientèle privée en plus d'une fortune personnelle considérable. Les Blancs ont boycotté sa clientèle privée au point qu'il ne pouvait même pas mettre les pieds sur une propriété sucrière. Tout son argent a passé dans le parti et vers la fin, répare so souliers, li pas ti capave.
Mais ce qui m'a le plus dégoûté c'est que ce même Dr Curé s'est vu refuser un ticket par Rozemont parce qu'il n'avait pas les Rs 2 000 nécessaires pour être candidat aux élections. Et pourtant Rozemont n'était rien au départ; c'est Curé qui lui a montré le chemin, lui a fait avoir un emploi et l'a mis dans le "château" où il devait vivre par la suite.
Popilation péna ène l'appareil pou testé le coeur ène politicien. So lé coeur testé lor travail li faire et ça jour là mo fine comprend ki Rozemont pas ti èna lé coeur. Li ousi fine travail mais li fine arranze ène la samme prison autour li parski li fine amare li avec ene mové banne.

Q. Pendant plusieurs années vous avez dominé la scène politique, vous êtes aujourd'hui plus effacé mais portez-vous autant d'intérêt aux événements politiques actuels?

R. Je suis bien limité par mon âge et ma santé. J'essaye cependant de m'informer autant que je peux. J'ai été content par exemple d'apprendre que des étudiants sont allés travailler aux champs. C'est exactement ce que Mahatma Gandhi avait préconisé: créer un lien entre l'école et le lieu de travail.
Zordi zotte faire banne zenfants trappe zotte natural duty; zotte ancêtres aussi ti coume ça. Si students Maurice suivre ça système là, zotte pou faire ène grand développement dans zotte la vie. Ça système là, faire sakène éna pitié pou lotte. C'est cette coopération qui doit être la base de tout système politique et non pas la religion.
Un système d'éducation éclairé est l'épine dorsale de la démocratie. Ce mot veut dire la direction par le peuple et si ce peuple ne sait pas où poser la croix le jour des élections, il peut se faire beaucoup de tort.

Q. Vous avez aidé à créer le parti Travailliste; vous avez pour ainsi dire donné l'élan initial au parti qui gouverne ce pays en ce moment. Quel est votre opinion de ce parti qui a maintenant plus de quarante ans d'existence?

R. Manière li pé allé nous pas conné si li pou aile dans cascade ou bien li pou aile dans so bit.   
 Un Premier ministre travailliste a acheté une usine pour le bien-être des malheureux. Ceci est une chose fort louable et j'en suis fier mais coma dire gouvernement fine acheté éne zoli fruit mais li péna place pou pose li ;li met li n'importe cotte ça — li prete place pou pose li. Li ti bisin pensé, ki pou manage tablissement parce ki là, li péna dimoune, li kit li dans la main manager. Il me semble que le gouvernement ne sait pas vraiment quelle direction prendre, il n'est pas encore prêt pour diriger efficacement le pays. Zotte coma éne propriétaire loto ki pas conne conduire: tout dans la main saufer. Pour moi, tout est dans la main des enfants, il n'y a aucun espoir avant de les avoir entraînés convenablement.

Q. Dans le temps, vous prôniez la Coopération entre travaillistes et Capitalistes selon le modèle du Mahatma Gandhi. La coalition entre le P.T. et le PMSD devrait donc vous satisfaire. Est-ce que c'est le cas?

R. Je comprends ce qu'ils veulent faire. Ils ne veulent pas voir en la nouvelle génération de Blancs, les domineurs que leurs grands-parents ont été, en fait. Li bon, marche are li, ki li Blanc, ki li capitaliste; so lé coeur ki compté, pas faute so grand-papa.
Mais quant à la coalition elle-même, d'après ce que je vois, c'est 'condition" qu'on aurait dû appeler cette alliance. Si tout ce qui mo demane ou, ou donne moi, même si ou bisin, li pas ène coalition, li éne condition.

Q. Que pensez-vous des contestataires qui déplorent l'effritement de l'idéal du parti Travailliste ainsi que la distance qui sépare le peuple, de ses élus? Est-il possible ou même désirable de retourner au P.T. de 1940?

R. Si zotte pensé Parti Travailliste bisin rétourne coma dans l'époque li ti né, li difficile. Bisin faire changement. Pou moi avec mo' quatre- vingts bananés, péna changement si pas entraîne zenfants.
Et puis, si les contestataires étaient à la place de ceux qu'ils critiquent qui nous dit qu'ils n'auraient pas fait de même.

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