JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

15 February 2006

Mordre la main qui nous nourrit

Par Jean-Mée DESVEAUX
L’express du 15 février 2006

Si l'île Maurice est ce qu'elle est aujourd'hui, c'est, à ne pas en douter, le résultat direct de sa participation à l'accord que les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) ont signé avec la communauté européenne, il y a déjà trente ans. Le Protocole sucre, les diverses Conventions de Lomé et de Cotonou, ont non seulement tiré l'île Maurice du sous-développement où elle était bien insérée dans les années 70 mais elles lui ont, de surcroît, permis de s'approprier près de 40 % de cette manne venue du ciel. On connaît le reste. Du sucre, nous avons évolué vers l'hôtellerie et le textile, ce qui nous a ainsi permis de diversifier notre économie. Les prévisions de nos pertes futures laissent entrevoir la magnitude de ce boost à notre économie : Quatre milliards de roupies additionnelles de recettes annuelles. Pendant les dernières décennies, notre sucre a été rémunéré au triple du prix prévalant sur le marché mondial. Mais tout arrive à une fin. Il y a des règles au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) que l'UE enfreignait dans ses exportations excédentaires de sucre sur le marché mondial. Elle déversait plus de trois millions et demie de tonnes de sucre subventionné sur le marché mondial, ce qu'elle n'en avait pas le droit. Trois grands pays producteurs de sucre ayant saisi l'OMC sur ce point et ayant gagné leur cas, l'Union européenne (UE) doit, à partir d'août 2006, rediriger ce volume énorme de sucre vers son marché intérieur. Il devenait évident que l'UE allait se retrouver avec une offre excessive de sucre sur les bras.

Pour rendre le marché du sucre européen encore plus saturé, l'initiative "Everything but arms" de Pascal Lamy, ouvre graduellement mais inexorablement le marché européen à l'exportation de la cinquantaine de pays moins avancés (PMA).

Ces deux événements ont été à la base de la décision de la Commission européenne de réduire le prix du sucre de ses producteurs et donc des ACP de 36 % en quatre ans. Le commissaire européen à l'agriculture l'a bien spécifié : toute réduction en-deçà de cette forte baisse encouragera les PMA à investir dans des moyens de production qui ne feront qu'empirer le déséquilibre de l'offre sur la demande au sein du marché sucrier européen.

Dans la mesure où Maurice tirait de loin le plus grand bénéfice du Protocole sucre, le coup était très dur. Le Sugar Sector Strategy Plan avait courageusement attaqué les problèmes de base en initiant le VRS qui allait permettre à l'industrie de réduire son manque de compétitivité au niveau mondial. Deux sucreries ont rejoint la liste de independent power producers avec un investissement de plus de quatre milliards et la dette du corporate sector vis-à-vis des banques à travers le special line of credit de la Banque de Maurice et autres a atteint la barre des cinq milliards.

Tout cela est entendu, mais il devient de plus en plus évident que la nouvelle "diplomatie économique" qui consiste à élever un barrage d'invectives, de supputations douteuses et d'autres injures contre l'Union européenne et ses commissaires depuis l'annonce de la baisse de 39 % du prix du sucre nous ont fait, on peut le constater aujourd'hui, bien plus de tort que de bien.

Du point de vue purement éthique, était-ce très décent de traiter ainsi ceux qui hier encore étaient nos pères nourriciers. Peut-on gommer 30 ans de partenariat dont l'essentiel a si évidemment penché en notre faveur ? A-t-on entendu une seule voix du secteur "corporate" ou gouvernemental faire une analyse lucide qui démontrerait une appréciation de la difficulté dans laquelle l'UE se retrouve vis-à-vis de l'OMC en ce qui concerne le sucre? A-t-on entendu une voix s'élever pour nous rappeler ce qui a été fait pour nous par les Européens quand les contraintes de l'OMC et autres le leur permettaient ?

On peut apprécier la virulence du ton général quand on lit les propos d'un membre du corporate sector pourtant connu pour sa retenue et sa courtoisie : "Derrière les propositions de l'Union européenne, il y a une énorme arrogance, une grande hypocrisie.. ..les pays qui nous ont davantage laissé tomber sont ces 11 qui... après avoir grappillé quelques avantages ne nous ont pas été d'un grand secours'.' On ne peut entrevoir dans ces propos l'existence d'un transfert des Rs 80 milliards équivalant à la moitié de notre PIB de l'UE à l'industrie sucrière mauricienne durant ces 20 dernières années. N'avons- nous pas, du reste, bienveillamment voté contre le candidat de l'UE au poste de directeur de l'OMC comme pour bien démontrer notre reconnaissance ! Le ministre de tutelle a mis le point final à ses propos injurieux en soulignant devant le Commissaire Mandelson "le caractère injuste" dans la différence entre les mesures d'accompagnement que l'UE accorde à ses propres producteurs et celles qu'elle accorde à Maurice et aux ACP comme quoi nous aurions oublié notre souveraineté nationale en quémandant un traitement compensatoire égal à celui de la Réunion, département de la République française, donc de l'UE. Il avait auparavant prédit que la reforme allait résulter "en un océan de pauvreté et que sept multinationales européennes uniquement profiteraient de la baisse." Le "foot and mouth disease" avait atteint un niveau pandémique pour les responsables du dossier et la grenouille mauricienne devenue bœuf, se voyait arrêter toute seule, le processus de rationalisation de l'agriculture au sein de l'OMC.

En agissant ainsi, nous avons défendu nos intérêts économiques en parfaits amateurs. La vague d'émotions déferlantes et la surenchère des cris offusqués ont fait oublier que les dés n'étaient pas encore jetés et que nous devrions faire montre, si ce n'est d'une sincère reconnaissance vis-à-vis du bienfaiteur européen, du moins, d'une sagesse mercantile de nous taire avant que ne soient identifiés les critères de compensation et des autres mesures d'accompagnement qui allaient véritablement sceller le sort de notre industrie sucrière.

On pouvait pourtant déceler dans le ton de la Commissaire Boel un agacement avancé vis-à-vis de cris de putois provenant des ACP (et par ricochet vers leur chef d'orchestre mauricien) qui, malgré leur pauvreté avérée, n'avait de cesse de faire du globe-trotting. Le message au niveau local arriva à travers Mme Claudia Wiedey-Nippold, la nouvelle patronne de la délégation de l'UE à Maurice. Parlant de la part de Maurice au sein du Protocole sucre, elle dit : "Cette subvention à l'économie équivaut à un niveau de près de 120 euros par habitant par an. Ce qui est considéré, au niveau mondial, comme un record en matière d'aide au développement'.

Dès lors, ayant ouvertement aliéné la sympathie de ceux qui étaient hier encore nos meilleurs amis, le plafond imposé à Maurice, soit 15% de la somme globale attribuée aux ACP en guise de mesures d'accompagnement, n'est autre qu'un retour de la manivelle. C'est, à ne pas en douter, un obus lobé au beau milieu de l'île ingrate par les responsables excédés de l'UE. Et Peter Mandelson nous rappelle, en passant, que nous devrions nous considérer heureux car, après tout, avec les Rs 217 millions qui nous ont été allouées, en termes absolus, "Maurice a obtenu la plus importante allocation".

L'ironie du sort qui n'a pas pu échapper aux Européens, c'est que le plafond de 15 % des mesures d'accompagnement allouées à l'île Maurice nous met en porte à faux avec notre philosophie affichée d'oeuvrer essentiellement pour les intérêts des pays pauvres des ACP. Obligés de nous battre en vue d'une révision de ce plafond qui ne pourrait que diminuer la part des ACP, l'UE nous force à  jeter le masque d'altruiste que nous avons pris tant de soins à cultiver depuis si longtemps dans les forums internationaux !

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