JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

20 November 2005

Ce qui dégoûte Cunningham

l'express du 20/11/2005

«Cunningham go home. » Ces mots ont trop souvent été écrits sur des pancartes devant le quartier général de la douane à Port-Louis. Depuis son arrivée, on a vu en lui une menace.

Mais après trois ans passés à la tête d’une de nos administrations les plus problématiques, le Canadien s’apprête à jeter l’éponge, dégoûté.

Rama Sithanen, le ministre des Finances, a beau avoir refusé sa lettre de démission, Bert Cunningham semble résolu à partir. Un lent travail de sape des syndicats de la douane, un soutien vacillant de l’hôtel du gouvernement et ses inimitiés avec certains hauts cadres ont eu raison de sa bonne volonté.

Quand il soumet sa lettre de démission mercredi, les raisons derrière sa décision restent obscures. À l’hôtel du gouvernement, un silence pesant s’installe. On apprend d’abord que le receveur des douanes rencontre Rama Sithanen, son ministre de tutelle, jeudi. Puis encore une fois vendredi. Il s’entretient également au téléphone avec Navin Ramgoolam, avant de le rencontrer en tête-à-tête.

Un membre du Cabinet ironise : Le Canadien aurait rencontré le Grand Argentier qu’une seule fois depuis que les rouges sont revenus à l’hôtel du gouvernement. Et la rencontre n’aurait duré pas plus de cinq minutes.

Contrairement aux bruits de couloir, le Premier ministre et son ministre des Finances sont sur la même longueur d’ondes : Bert Cunningham doit rester. Et la tâche de l’en convaincre échoit à Rama Sithanen.

Il reçoit
de fréquentes
menaces au point
où il demandera
une protection policière.

Tandis que d’autres au sein du cabinet rappellent au Premier ministre que pendant la campagne électorale, on avait promis de faire partir Bert Cunningham, Ramgoolam et Sithanen décident de l’oublier. Mais n’empêche, la raison qui a amené Cunningham à démissionner les irrite. « C’est un coup de tête », lance, agacé, un proche de Ramgoolam.

C’est bien un coup de tête. En apprenant que Naimduth Bissessur, Associate Comptroller, va très probablement être nommé à la direction de l’Internal Affairs Division de la Mauritius Revenue Authority (MRA), Cunningham pète un plomb.

L’inimitié entre les deux hommes remonte à l’arrivée du Canadien à la tête de la douane en 2002.

À ce moment-là, les syndicats de la douane, la Fédération des syndicats du service civil (FSSC), menée par Tulsiraj Benydin, s’opposent mordicus à sa nomination.

« Nous ne voulons pas… qu’un étranger soit à la tête des douanes. » Le syndicat estime que des Mauriciens ont la compétence nécessaire pour diriger la douane. Et à ce moment-là, le Mauricien le mieux placé est Bissessur.

Après maints avis du State Law Office et une procédure judiciaire, Cunningham est confirmé au poste de receveur. Et les ennuis commencent pour lui.

D’une part, la pression des syndicalistes devient intense. Cunningham reçoit de fréquentes menaces, au point où il demandera une protection policière pour sa fille en bas âge. Entre Cunningham et Bissessur, le torchon brûle.

Le Canadien adopte une méthode de travail aliénante. Il s’entoure d’officiers qu’il considère au-dessus de tout soupçon et leur donne carte blanche d’agir. Seul hic, Bissessur ne fait pas partie de sa garde rapprochée.

Les proches de Cunningham expliquent que cette attitude aurait été dictée par des rumeurs de corruption contre Bissessur. Ce dont ce dernier se défend vigoureusement (voir hors texte).

Cette « réserve » va avoir de drôles de conséquences. Ainsi, pendant les absences de Cunningham, Bissessur ne pourra assumer la suppléance exécutive à sa place. On évoque des ordres venus de l’hôtel du gouvernement dans ce sens.

Mais cette situation devait changer, il y a quelques semaines. Hasard du calendrier, Cunningham et Sithanen ne sont pas à Maurice. Bissesur se décide enfin à demander au Premier ministre « de rétablir une injustice ». Le Prime Minister’s Office (PMO) fait sauter le verrou. Et Bissessur arrive à prendre des décisions relevant du receveur des douanes.


Il croit entrevoir un réseau d’influence à l’œuvre

Ce qui provoquera la colère et la déception de Cunningham. Il interprète d’abord ce geste comme un signal l’informant que les choses vont changer à la douane. Et en déduit également qu’il n’a plus le soutien qu’il avait demandé auprès du gouvernement.

Et quand, moins de deux mois après, il apprend que Bissessur va être nommé à une importante division de la MRA, Cunningham s’emballe. Pour le moment, l’expert canadien apparaît comme le candidat ayant les plus solides chances de diriger la Customs Division de la MRA.Mais Cunningham voit plus loin.

S’il part à l’expiration de son contrat, c’est encore une fois Bissessur qui sera le candidat le plus indiqué pour lui succéder à la tête de la Customs Division. Intolérable selon lui.

« S’il part,
on reculera
de dix ans. Et je
m’inquiète des
représailles
contre les gens
intègres. »

Et cette fois-ci, Cunningham croit entrevoir un réseau d’influence à l’œuvre. Les supputations prennent des allures d’accusation. Les liens de parenté entre Dhiren Dabee, Sollicitor General et membre important du panel de sélection des directeurs divisionnaires de la MRA, sont mis en avant. Ils sont beaux-frères. Sa proximité avec un Senior Minister lui aurait aussi valu un soutien particulier.

Bien vite, les scénarios se construisent. Bissessur aurait été favorisé dans les procédures de recrutement. Ce qu’il nie vigoureusement, car Dhiren Dabee, avance-t-il, se serait retiré à chaque fois du comité de sélection dès qu’une décision en relation avec son beau-frère devait être prise.

Ce qui ne convainc qu’à demi les supporters de Cunningham, qui estiment qu’un réseau anti-Cunningham et pro-Bissessur est à l’œuvre. Devant ce trop plein d’adversaires, Cunningham jette l’éponge.

Mais l’après-Cunningham inquiète. Les témoignages sur le bon travail du Canadien sont légion. Transitaires et importateurs ne tarissent pas d’éloge sur le personnage et sur « lord qui li finn mette dans la douane ». D’autres expliquent comment une simple conversation téléphonique avec Cunningham a suffi pour que délais de dédouanement injustement longs et accompagnés obligatoirement « d’ene ti fee » sont devenus du jour au lendemain plus raisonnables.


Il lui serait aussi demandé de « se calmer »

Jean-Mée Desveaux, ancien conseiller au PMO, place le gouvernement devant un choix. Pour lui, il s’agit de choisir entre préserver une direction apte et au-dessus de tout soupçon, ou alors en installer une nouvelle dont les compétences sont mises en doute. « Si Cunningham part, la douane reculera de dix ans. Et je m’inquiète des représailles contre les personnes intègres dont Cunningham a pu s’entourer. »

« S’il part, c’est un recul. Il nommait, lui, les gens sans avoir à connaître leur parenté ou leur appartenance castéiste. Pour lui, seule la compétence prime », fait ressortir un douanier qui travaille en étroite collaboration avec lui.

Mais l’histoire pourrait connaître une tout autre fin. Et si Cunningham restait ? Un Senior Minister précise : « Il faut bien spécifier qu’aucune nomination n’est encore entérinée. Pour l’heure, on parle seulement de noms de candidats probables. » Ce qui fait dire dans les couloirs de l’hôtel du gouvernement que la non-nomination de Bissessur pourrait constituer un gage de bonne foi du gouvernement en direction de Cunningham.

Mais, en contrepartie, il lui serait aussi demandé de « se calmer » dans ses prises de position parfois trop cassantes. On devrait savoir très vite quelle issue le gouvernement a préféré.