JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

19 August 2013

Carte d’identité : Guantana-Mauritius

 Par Jean-Mée DESVEAUX
L'express-dimanche du 18 juillet 2013
La campagne annonçant l’entrée en vigueur, très prochainement, de la nouvelle carte d’identité bat son plein. Ce document nouvelle génération séduit de prime abord. Il n’empêche qu’outre les scandales qui entourent sa conception, il pose de sérieuses questions sur l’usage des données qu’il contient et sur les libertés individuelles. 


Si la nouvelle carte d’identité électronique n’a pas causé de remous à Maurice, c’est que le Mauricien est blasé et réaliste sur la question. Citoyens d’une nation confetti, nous sommes conscients que, quelle que soit notre paranoïa, les recoins les plus cachés de notre vie sont au vu et au su de ces 1,2 million d’insulaires, nos voisins. Nos allégeances politiques, notre communauté, nos tendances sexuelles, nos convictions ou manque de convictions religieuses, l’état de nos finances, nos prétentions socioéconomiques et même la paix ou la guérilla qui se joue tous les soirs au sein de nos foyers… tous nos voisins avides de commérages en sont intimement familiers. Et si l’homme le plus puissant de ce pays ne peut faire d’incartade sans que les « données biométriques » de celle-ci ne filtrent dans les journaux, que peut-on espérer pour nous, ti dimoun !
En Australie, les gens sont tellement épris d’individualisme qu’ils refusent de marcher avec une carte d’identité comme un toutou avec son collier. Mais cela ne tient pas la route. Ainsi, durant une visite récente de l’île continent, le nombre de transactions innombrables auxquelles j’étais exclu à cause de mon manque de permis de conduire m’a forcé, illico presto, de refaire une application pour un permis de conduire. Ce document est en effet, de facto, la carte d’identité des Australiens. Le coût social de cet « individualisme » mal placé est que les nombreuses personnes qui n’en sont pas détenteurs risquent d’être des parias.

Comme pour le questionnaire du recensement national que nous remplissons tous les dix ans, la question clé est de savoir si l’atteinte, s’il y en a, au droit à la vie privée lors de ce genre d’exercice est adéquatement compensée par un réel avantage au reste de la population. On est donc en droit de se demander comment Maurice sera mieux lotie, dotée de sa carte à Rs 1,3 milliard. L’unique réponse que nous sommes parvenus à trouver a trait aux 250 à 300 cartes égarées par jour (selon la réponse parlementaire de Navin Ramgoolam, le 9 juillet dernier) et dont le remplacement, à un tel rythme, représente un risque de sécurité. Nous n’avons, en revanche, pu trouver de statistiques officielles qui pourraient conforter la crainte d’usurpation d’identité qu’implique ce renouvellement effréné et qui expliquerait, en partie, l’empressement et le coût exorbitant de l’exercice.

La nouvelle carte à puce peut être désactivée au moment de son remplacement. Si cet aspect est un avantage aux endroits où les cartes sont effectivement « lues électroniquement », la carte désactivée peut aussi être utilisée comme bus pass ainsi que dans de nombreux bureaux publics qui n’imposent qu’un contrôle visuel. De ce point de vue, l’affirmation du Premier ministre (PM) « the risk of persons using more than one NIC is unlikely to arise under the new system » ne tient pas.

Ayant fait le choix « social » (totalitariste) aux dépens de ses droits individuels, le citoyen lambda est disposé, sans états d’âme, à partager ses données biométriques, telles ses empreintes. Des informations que l’État n’aurait pu normalement obtenir que si l’on a commis un crime et que l’on est fiché à la police. En retour, il est en droit de demander quels sont les avantages pour le pays. C’est ici que la nouvelle carte est, de notre point de vue, une excellente occasion ratée par un manque de vision et de cohérence. Les empreintes, noms, prénoms, signature et autres informations d’état civil « banales » auraient toutes pu figurer sur une carte d’identité plastique – comme celle utilisée actuellement – pour le dixième du prix. On pourrait même incorporer à cette « nouvelle » carte plastique et conventionnelle, des données qui en feraient aussi un permis de conduire, ce qui remplacerait l’actuel carton bleu plutôt encombrant. 
Dans le Maryland, aux Etats-Unis, le permis de conduire indique également si le détenteur est donneur d'organes.


Par ailleurs, le Human Tissue (Removal, Preservation and Transplant) (Amendment) Bill sera bientôt présenté à l’Assemblée nationale, créant ainsi le cadre légal régissant le don d’organes. On aurait pu ajouter à ce modèle sans puce la décision du porteur relative aux dons d’organes (voir la photo de la carte de l’État du Maryland, aux États-Unis, sur laquelle le don d’organe et la licence sont inclus). La transplantation rénale étant déjà pratique courante à Maurice, la prochaine loi aurait en effet pu s’appuyer sur l’autorisation du donneur et l’identité de l’organe contenues sur la nouvelle carte d’identité pour permettre à une centaine de compatriotes qui sont immobilisés pendant des heures, plusieurs fois par semaine, depuis des années, dans un centre de dialyse, d’avoir enfin une vie normale.

Le prélèvement d’organes sur des accidentés sur nos routes, en nombre de plus en plus élevé, aurait aussi pu être grandement facilité et ainsi soulager d’autres patients. Mais ce ne sont malheureusement pas au sein des partis politiques de ce malheureux pays que l’on crée, au moyen d’initiatives éclairées comme celles-là, la reconnaissance du peuple et qu’on l’incite, aux échéances électorales, à voter pour un parti plutôt qu’un autre. Il est plus simple et moins stressant de continuer à faire ce que l’on a toujours fait et ce que l’on fait le mieux : corrompre l’électeur ou cajoler son appartenance ethnique.

Revenant à notre carte, nous arrivons donc à la situation cocasse suivante. D’une part, l’exploitation minimale de la technologie de la carte d’identité à puce, avec la « pauvreté » de données qu’elle est appelée à contenir, mènera à une utilisation de 5 % à 10 % de sa capacité. D’autre part, prétendre qu’autant de capacité inutilisée est potentiellement exploitable à l’avenir est économiquement illogique : il n’y a pas de commodité dont la valeur descend plus vite que la mémoire et la technologie informatique. Une utilisation future de la carte d’identité à puce pourra, après quelques années, s’acheter à une fraction du prix du système actuel qui, de toute façon, sera à ce moment-là probablement dépassé.

La cacophonie dans laquelle cette carte a été conçue est surtout pathétique, compte tenu de la révolution qu’elle aurait pu créer chez nous si elle avait été mieux conçue. On ne sait de quel pays tiers-mondiste le gouvernement a emprunté son modèle de permis à points. Avoir à déambuler en cour avec son parchemin contenant des entrées à la main hautement falsifiables et que le magistrat n’a aucun moyen de contre-vérifier sur un serveur central… c’est une aberration qui nous situe admirablement, en termes d’ingéniosité administrative, au cœur de la région de l’Afrique sub-saharienne qui est la nôtre. Alors que cela aurait pu avoir été pris en compte par la puce de la nouvelle carte. Plus utile encore, cette carte aurait pu simultanément contenir des données médicales qui pourraient faire la différence entre la vie et la mort du porteur et économiser des millions du budget de la Santé.


Toujours le 9 juillet, le PM a déclaré au Parlement que « the National Identity Card Act is being amended to provide expressly that the collection and processing of personal data, including biometric information, under that act will be subject to the provisions of the Data Protection Act ». Un coup de maître car il a, du coup, apaisé toutes les anxiétés libertaires de l’opposition qui s’est alors rabattue sur le seul lièvre qu’elle pouvait encore espérer lever : le manque de transparence de l’attribution de ce marché de Rs 1,3 milliard aux Singapouriens. Elle a pensé que toute Data Protection Act, pour tenir la route, doit avoir une section sur l’utilisation de données sensibles sur les personnes concernées. En effet, la définition de « données personnelles sensibles » qui doivent être « handled with care » est bien présente relative à « l’origine raciale ou ethnique, l’opinion ou l’appartenance politique, la croyance religieuse, l’appartenance à un syndicat, la santé mentale ou physique, les préférences ou pratiques sexuelles, la perpétration d’un délit, etc. ». De plus, « aucune donnée ne sera processed à moins que le data controller n’ait obtenu l’autorisation express de la personne concernée ».

Sauf que cela n’est qu’un trompe-l’œil. Sans aucun sensationnalisme, ce texte de loi existant expose, avec les données biométriques de la nouvelle carte, une large proportion de nos compatriotes aux sévices les plus infâmes. Pour s’en rendre compte, il faut lire les exceptions. Ainsi, la section VII de la Data Protection Act permet au PM de suspendre la protection accordée aux données personnelles, si « de l’avis du PM, cela est nécessaire pour préserver la sécurité nationale ». Pour prouver qu’il y a atteinte à la sécurité de l’État, « un certificat signé par le PM attestant que tel est le cas sera considéré comme une preuve convaincante de ce fait ». Mais y a-t-il, là, de quoi s’émouvoir ? Ces données ne restent-elles pas à Maurice et ne sommes-nous pas entre Mauriciens ? C’est ici que les nouvelles données biométriques (empreintes digitales), appréciées à la lumière de la Data Protection Act (2004), ont, à notre sens, de quoi faire dresser les cheveux sur la tête des 20 % de nos compatriotes de foi islamique.

Après avoir couvert les « unlawful disclosure of personal data », la section 31 sur le Transfer of personal data permet au Data Protection Commissioner de « transférer des données personnelles à un pays tiers ». Le huitième Data Protection Principle stipule que celles-ci ne le seront pas « à moins que ce pays n’assure un niveau adequate de protection des droits des personnes concernées dans le cadre du traitement de ces données ». La section 31(2)(iii) va à l’encontre de ce principe et permet au Commissioner de transférer les données personnelles d’un Mauricien vers un pays tiers (qui n’est, dès lors, plus tenu à respecter les paramètres de respect des droits de l’individu concerné de la 8e schedule) dans le cas où le PM aura jugé que la chose est « dans l’intérêt public, pour préserver la sécurité publique ou nationale ».
Nous vivons dans un monde où plus d’une centaine d’humains croupissent en captivité abjecte dans les geôles de Guantanamo, nourris de force deux fois par jour, dix ans après qu’il a été conclu que le seul crime dont ils étaient coupables était d’appartenir à une foi qui gêne Israël, l’allié indéfectible des USA. Un grand nombre de ces prisonniers, comme ceux qui les précédèrent, furent illégalement enlevés de pays tiers, drogués et jetés dans la soute d’un avion à l’encontre de toute loi internationale.

Récemment, l’ambassade des États-Unis a été fermée temporairement à Maurice en même temps que celles d’une vingtaine de consulats et d’ambassades du Moyen Orient et d’Afrique du Nord à la suite de messages interceptés concernant des attaques terroristes dans la région. De plus, le Washington Post rapporte, dans son édition de ce jeudi, que la ''National Security Agency a outrepassé et violé les lois sur la vie privée des milliers de fois depuis qu'elle a été investie de nouveaux pouvoirs de surveillance (...) en 2008.''

De là à penser qu’il y aura beaucoup de données dans le serveur central de la nouvelle carte d’identité dont le transfert intéressera fortement le service d’espionnage de ce puissant « pays ami », il n’y a qu’un pas. Ainsi, quand, à la barbe de tous ces législateurs qui se déclarent ardents défenseurs de la communauté musulmane au Parlement, des lois sont votées qui facilitent et rendent légal ce transfert d’information aux pays tiers, on est tenté de conclure qu’avec de tels défenseurs, nos compatriotes sont mal barrés.

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