JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

02 September 2013

Le nez mauve de Paul Bérenger


Par Jean-Mée DESVEAUX
l'express-dimanche du 1er septembre 2013

La réflexion amorcée au début de l’année par Paul Bérenger semble atteindre un tournant décisif ces jours-ci. 2013 était un peu son annus horribilis avec la perte de deux êtres proches et un début de cancer. Mais bien que la tentation d’émoustiller la sympathie des électeurs ait dû se présenter à cet être éminemment politique, donc histrionique, il n’est jamais tombé dans le pathos du self-pity.

De tous les paramètres qui compliquent son calcul, le temps qui passe et qui ne se rattrape plus est, de loin, celui qui le tenaille le plus. Ainsi, à peine débarqué de France, il laisse percevoir une grande nostalgie le premier mai. Il a vu le temps passer en clinique : « Ramgoolam finn Premie minis sa pei la pandan 13 an ! 13 an gaspiyaz ki linn fer ! Si ti donn mwa sa, mo ti va fer veritab mirak ekonomik pou nou pei. » Rares sont ceux qui ne reconnaissent pas le contraste qu’il décrit entre ces deux hommes. On se rappelle même d’un Premier ministre (PM) par intérim qui débloqua une pile de dossiers qui s’étaient accumulés sur le bureau du PM, un certain dimanche de 1997. C’est ce qui créa, d’ailleurs, le début de la brèche de cette coalition-là.

Le séjour à la clinique aura permis à Bérenger de se ressourcer et de préparer, à son retour au pays, un débat d’idées qui a été trop longtemps absent au MMM. Les choses se bousculent dans sa tête. D’abord, les questions d’ordre pratique : allait-il prendre un congé politique qui entraînerait sa démission du Parlement ? Reprendrait-il un jour les rênes de l’opposition ? Emmanuel le remplacerait-il dans sa circonscription ? Qui est à même de le remplacer sur le long terme au sein du parti sans provoquer un éclatement ? La réforme électorale et la représentation proportionnelle, le Best Loser System, tout se bouscule. Mais il y a aussi les idées d’ordre idéologique et moral. Sa visite en France a coïncidé avec l’affaire Cahuzac où un ministre français a menti de manière déshonorante à son Premier ministre sur ses avoirs. Une crise morale a secoué la gauche française que François Hollande a résolue avec doigté en mettant à la porte le ministre coquin et en obligeant ses collègues à révéler leur patrimoine au grand public. Bérenger, qui suit la chose de très près, déclare : « Jusqu’à cette crise, je n’étais pas impressionné par François Hollande. Il a bien réagi. Le Parti socialiste français est bien divisé. Je lui souhaite bonne chance… des leçons doivent être tirées » de cet épisode.

Cette crise morale, cette opération propre et le besoin de retrouver la confiance du pays sont des thèmes qui sont au coeur de la préoccupation du leader mauve en convalescence. Quand il dit qu’il y a des leçons à tirer, il sait de quoi il parle. Le pays se souvient distinctement d’une certaine pirouette morale monumentale qui a causé une fracture au sein de l’alliance gouvernementale PTr-MSM-PMSD. Paul Bérenger avait pourtant majestueusement démontré que la vente de la clinique Medpoint (où la famille de l’ex-président sir Anerood Jugnauth et son fils, ministre des Finances d’alors, avait de gros intérêts) a été faite de façon éhontée au détriment de l’intérêt de l’État.

Son argumentaire était, du reste, si réussi qu’il persuada le Parti travailliste, parti majoritaire de la coalition, de laisser partir des alliés aussi véreux plutôt que de se plier à leur chantage et d’intervenir auprès des instances judiciaires pour les dédouaner. Mais, lo and behold : une fois la cassure entamée, il a le toupet de prendre congé de tous les principes et de la moralité, qui l’avaient jusque-là animé dans sa plaidoirie, et crée une alliance politique nommée « Remake 2000 », avec les mêmes Jugnauth et leur MSM qu’il considérait pourri seulement la veille ! On était habitué au revirement de veste et aux alliances vétustes des partis politiques pendant des décennies mais celui-là a bouché un coin à plus d’un.

Comment donc annoncer un nouveau virage vers une politique d’intégrité, de transparence et de la propreté « à la française » quand on est pieds et poings liés, au sein d’une alliance, aux principaux acteurs du « scandale du siècle » ? Telle est la tâche qui incombait au leader du MMM à son arrivée à Maurice et il décide donc de passer son message à travers le thème : « Le socialisme aujourd’hui ». Cet exercice de communication devenait d’autant plus important que le silence des « agneaux », qui subsistait jusque-là sur cette alliance, créait une sérieuse impression de moutons de Panurge au sein du parti qui se prétend le plus démocratique du pays. Ainsi, Vijay Makhan a dû se mettre sur la défensive et expliciter l’apparente soumission des dirigeants du MMM à leur grand chef : « Si l’on n’entend pas quelqu’un du MMM remettre en question une quelconque politique du parti (NdlR : le Remake), c’est parce que la ligne du parti est débattue en long et en large au sein de ses instances où chaque membre a la liberté de s’exprimer et, ainsi, n’éprouve nullement le besoin d’en parler sur la place publique. » Cet argumentaire persuasif a été sérieusement mis à l’épreuve avec l’absence totale de questions pertinentes adressées au leader par une salle pleine à craquer du rank and file du MMM et du MSM durant la conférence. En termes de captive audience, on ne trouve pas mieux.

Mais il s’avère plus facile d’admirer la volonté purificatrice de François Hollande que d’émuler son exemple au sein du Remake 2000. La thèse de Paul Bérenger s’articule autour de thèmes clés ou « core values » dont le plus délicat, dans la circonstance, est celle de la moralité politique. Il déclare ainsi : « Le socialisme doit être synonyme d’anticorruption, de zéro tolérance vis-à-vis de la corruption et des passe-droits. C’est à nous de donner l’exemple de moralité. » Et il promet, mais de façon bien moins virulente qu’en mai (quand il avait choqué certains sur cette question), « d’introduire la déclaration publique des avoirs des ministres et des députés ». Il finit son discours de plus de deux heures, durant lesquelles il a vanté le monument de moralité qu’était Mendès France, en se disant honoré que sir Anerood Jugnauth, confortablement assis au premier rang non loin de son fils, a tenu à être présent à l’occasion ! Comme il n’est pas pauvre en esprit, Bérenger réalisait que son geste s’apparentait à un François Hollande remerciant Cahuzac de s’être si gentiment déplacé pour sa conférence. Dès lors, il aurait été inutile de poser une question au conférencier quant à savoir comment, arrivé au pouvoir, il initierait un plan d’action national pour que soit révélée au public l’information sur ceux qui détiennent et profitent réellement des trusts, comme le Sun Trust, qui permettent de dissimuler les bénéficiaires d’un placement et rendent ainsi inefficace toute lutte contre le financement illégal des partis politiques, le blanchiment d’argent, la corruption ou l’évasion fiscale. Beaucoup sont donc sortis de la conférence déçus, pensant qu’elle était morne, pas pertinente à la situation de l’île Maurice de 2013.

Pourtant, le thème archi-dépassé a permis au conférencier de passer un message codé inédit jusqu’ici ! En maître de communication, Paul Bérenger a expliqué pour la première fois, sans le dire ouvertement, le dilemme auquel il était confronté lors de sa décision de l’alliance MSM-MMM. C’est ce qu’on appelle parler en différents registres et on peut deviner que ce n’est certainement pas le message qu’a retenu l’invité d’honneur. Alors que beaucoup dans l’audience se perdaient dans les méandres de la Tunisie, de l’Australie et d’autres horizons lointains où des soi-disant socialistes faisaient honte à la fraternité socialiste, le leader du MMM expliquait son dilemme d’avoir eu à conjuguer entre les courants opposés : d’une part, une reprise du pouvoir après sept cruelles années d’absence et, d’autre part, la fidélité aux principes de moralité publique auxquels il aurait préféré adhérer s’il avait eu le choix. « Il importe de respecter les principes fondamentaux. Mais nous existons pour prendre le pouvoir afin de changer Maurice. Il s’agit de trouver un équilibre entre le respect de nos principes et la prise du pouvoir. » Le compte rendu de Jean-Marc Poché du Mauricien nous permet ainsi de capturer Bérenger se pinçant le nez pour gravir de façon « réaliste » (ou machiavélique) les marches du pouvoir. Le leader du MMM se dévoile presque au grand jour quand il admet sa problématique dans ses moindres détails. « Parfois, nous agissons trop à la légère et prenons trop de liberté avec les principes pour gagner les élections. Ce n’est pas facile. Ceux qui ont la responsabilité de diriger les partis savent qu’avoir un équilibre entre le principe et le pouvoir est un défi permanent. »

Ce que nous explique ici le leader du MMM n’est rien d’autre qu’une théorie néomachiavélique. Oui, il aspire aux valeurs de la moralité politique dans un État propre avec des ministres intègres comme lui. Il oeuvre pour un État où régnerait la transparence, la déclaration publique des avoirs et où l’affairisme « excessif » serait inexorablement puni. Mais comme il ne peut seul faire accéder le pays à ce Nirvana, il est disposé à faire des compromis pas très avouables avec des gens d’un tout autre acabit dont il se servirait pour instaurer l’âge d’or. La fin justifie les moyens ! En ce faisant, ceux qui seraient tentés d’analyser sa démarche d’homme politique dans cette mouvance se doivent de faire une stricte distinction entre lui, « homme de grande probité », « soucieux du sens moral en politique », et ceux, « sans scrupule », qui ne sont là que pour permettre au MMM d’atteindre son noble but.

C’est pour cela, donc, que notre analyse, avec preuves à l’appui que sur la scène politique locale, toutes alliances confondues, les politiciens se ressemblent, l’agace au plus haut degré. S’il est allié, pour des raisons pragmatiques, à certains politiciens indignes, il ne se considère pas pour autant de leur espèce. Ainsi, à Bar Chacha avec les leaders du MSM assis dans la rangée d’orateurs, il dira : « Zordi ena dimoun (NdlR : une certaine presse où sévit votre correspondant) pe kre enn santima ki politisien rod zot lavantaz, oule ranpli zot pos… Li pa vre… ena politisien ki onet, ki pou fer prizon, ki pou mor pou bann prinsip… Se sa kalite politisien-la (NdlR : Paul Bérenger) ki pe dir ou pa perdi lespwar dan lavenir nou pei. » Il est peu probable que les subtilités casuistiques de cette thèse novatrice aideront le leader du MMM à convaincre les 40 % d’électeurs indécis de ce pays.

No comments:

Post a Comment