JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

12 September 2013

Les incohérences du ministre du Travail


Le ministre du Travail, Shakeel Mohamed est intervenu dernièrement sur deux dossiers essentiels de l’économie, soit le textile et la construction. Ses prises de position suscitent cependant des interrogations eu égard à la conjoncture actuelle qui requiert de la prudence. Eclairage.
 
Par Jean-Mée DESVEAUX
l'express du 11 septembre 2013
 
Que le ministre du Travail, Shakeel Mohamed veuille se démarquer de la médiocrité de ses collègues ministres est une chose compréhensible. Il a de son côté l’énergie de la jeunesse, une excellente éducation qui lui permet de s’exprimer lucidement, un statut social enviable qu’il détient de son pedigree politique de plusieurs générations et pour couronner le tout, un caractère bien trempé pour souder tous ces dons que le sort lui a octroyés. 

Ce qu’on pourrait, par contre, lui reprocher, ces jours-ci, c’est qu’il se déclare ex cathedra sur un nombre grandissant de sujets où il décrit une posture philosophique ou économique qu’il viendra ensuite contredire par ses actions. Ceci donne une impression de manque de conviction, de sincérité et souvent même, de sérieux. 

Ainsi, bien avant la grève des ouvriers bangladais à l’usine Real Garments Ltd, il avait déclaré, en parlant d’un employé des transports publics qui recevait encore Rs 10 000 : «Je trouve cela inacceptable, d’autant plus que Maurice a signé la convention du Decent Work Country Programme avec le concept de Decent Wages for Decent Work. Ces employeurs doivent se rendre compte de la réalité et accepter d’engager des négociations collectives avec les syndicats». Il allait même ajouter, de façon prémonitoire : «Trop souvent, des employeurs, à Maurice, se contentent de suivre ce que préconisent les Remuneration Orders. Savez-vous que le RO dans le secteur du textile n’a pas été revu depuis 1980 ? Sa sistem la, li totally unfair. On ne peut continuer à ne payer que le minimum».

Et c’est pourtant au secours d’un tel employeur du secteur du textile que le ministre du Travail intervient avec une force disproportionnée moins de deux mois plus tard. Dans une mise au point servie à l’express après la publication d’un article d’opinion de Deepa Bhookhun la semaine dernière, «with a view to setting the record straight», le ministère manipule la séquence des événements et la sémantique pour noyer le poisson. Le ministère affirme que  «Real Garments a respecté l’accord de Rs 8 500 et (qu’) à aucun moment il n’a trouvé de travailleur qui ne touchait que Rs 4 000». Il fait abstraction du fait que les salaires que Real Garments payait aux Bangladais jusqu’à début août étaient bien la misère des Remuneration Orders (RO), s’élevant à environ Rs 4 000 et qu’à travers l’action des 14 travailleurs expulsés du pays, l’entreprise a été obligée de signer un nouvel accord le 2 août pour changer ces salaires de misère. 

Comment, sinon, comprendre la déclaration du ministre au Mauricien dans son édition du mercredi 4 septembre : «Saviez-vous qu’en date du 2 août dernier, un accord a été signé avec le patronat portant sur une révision salariale représentant au moins le double des salaires». Si le salaire de Rs 8 500 est le double des salaires qui existaient préalablement, ces salaires d’avant le 2 août étaient bien, comme l’ont dit les journalistes du Mauricien et de l’express, dans les eaux de Rs 4 000 et des poussières. Et si le ministre, à travers sa mise au point, voulait se défendre d’avoir volé au secours d’un employeur «domineur» dont il décriait, il y a deux mois, la perfidie, c’est raté ! 

A partir de là, les choses deviennent un peu plus troubles car cet accord stipule du coup que pour obtenir les nouveaux salaires, les employés doivent travailler 15 heures de plus que les 45 heures stipulées dans leurs conditions de base. On peut présumer que le nouveau débrayage de la semaine dernière (sous l’instigation des 14 «meneurs») visait à faire accepter le nouveau salaire dans les 45 heures réglementaires, de sorte que les 15 heures additionnelles soient rémunérées «over and above». Que l’action industrielle du début du mois ait enfreint l’accord du 2 août qui octroie le nouveau salaire semble être un fait indéniable. Que ce soit équitable pour un employeur d’imposer 60 heures de travail pour une rémunération de Rs 8 500 par mois nous renvoie à la case départ, soit que le salaire de base sans heures supplémentaires demeure les Rs 4 000 du RO. Le directeur des ressources humaines de Real Garments, M. Shyam Hurday le confirme : «C’est impossible de trouver un compromis sur cette question. Le salaire est fixé par le ministre du Travail. Si on accepte, cela va créer un précédent et aura un effet domino sur les autres usines». 

Construction : priorité aux Mauriciens
Mais, plus inquiétante encore que sa sortie dans le domaine du textile, c’est la dernière initiative du ministre Mohamed dans le domaine de la construction qui attire l’attention. Shakeel Mohamed a en effet annoncé, à l’occasion d’une conférence de presse, le mercredi 4 septembre, que l’Etat gèlerait dorénavant toute nouvelle demande de permis de travail d’ouvriers étrangers dans la construction. L’objectif du ministre est d’accorder la priorité à l’emploi des Mauriciens. Cette mesure intérimaire atteindra un nouveau seuil le 15 octobre  quand l’octroi des permis de travail aux étrangers sera régi par de nouveaux règlements dans ce secteur. Cette mauricianisation des ressources humaines devrait, à terme, être étendue à d’autres secteurs.

Cette décision abracadabrante qui défie toutes les lois économiques régissant le marché de la construction semble avoir été concoctée lors de réunions de travail avec le Joint Economic Council (JEC), la Mauritius Employers’ Federation (MEF) et la Building and Civil Engineering Contractors’ Association (BACECA) dont l’énergique président, Anwar Ramdin, mène une bataille protectionniste acharnée en faveur des membres de son association. Le représentant de la  BACECA a en effet réalisé qu’il y a un problème de ralentissement de 7 % à 10 % dans son secteur. Mais au lieu d’un remontant, c’est littéralement une balle dans les pattes du secteur de la construction que tire aujourd’hui M. Ramdin. Il a réussi, au risque de scléroser ce secteur, à lui fournir une protection de 15 % sur les offres de tout concurrent international. Il se bat ainsi contre des bailleurs de fonds tels que la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA) qui refusent cette logique économique dépassée. Malgré les fortes allégations de  corruption qui planent sur l’octroi de très gros contrats gouvernementaux à certains membres influents de son organisation, le président de la BACECA prône une réduction de «la lourdeur administrative entre l’appel d’offres et l’allocation d’un contrat». Aujourd’hui, un clou additionnel que la BACECA vient ajouter au cercueil du secteur demeure le fait qu’il a réussi à convaincre le ministre du Travail à le priver du life blood qui lui permettait d’irriguer ses vaisseaux sanguins. 

Si le protectionnisme, voire la xénophobie, que prônent ces deux hommes avaient existé au sein du secteur du textile et de l’habillement avant, ce sont plusieurs points de notre croissance économique annuelle et plusieurs milliards pendant des décennies que leur politique aurait empêché le pays d’engranger. Les dizaines de milliers d’ouvrières chinoises ont permis, à travers des centaines de milliers d’heures supplémentaires (que refusaient nos concitoyens), de rattraper des commandes de dernière heure. C’est ce qui a donné la possibilité à leurs entreprises de rester à flot pendant le choc du démantèlement du  Multifibre Agreement qui avait été jusque-là notre filet de protection.

Mais le pire, c’est que MM. Ramdin et Mohamed ne peuvent même pas plaider l’ignorance. En effet, quand il prônait la préférence pour les compagnies locales de construction il y a quelques mois, M. Ramdin s’était dit conscient que «beaucoup de compagnies locales emploient des étrangers». Il estimait cet apport étranger au sein de la main-d’œuvre des membres de son association à 20 %, soit un travailleur sur cinq.  Il connaît aussi la perception dont jouit cette industrie aux yeux de la main-d’œuvre locale : «Les jeunes ne sont pas intéressés par le secteur à cause de l’absence de sécurité d’emploi. Ils ne savent pas s’il y aura de nouveaux chantiers sur une base régulière». Il a pourtant déclaré qu’il comptait sur le démarrage de quelques gros chantiers au niveau des infrastructures publiques pour éviter les licenciements. Il n’a pas encore compris que la présence des étrangers  sur ces chantiers est une garantie de la pérennité de ces emplois mauriciens, pas le contraire. Les membres de la BACECA et même ceux qui avaient à un moment semblé être partie prenante de l’initiative de M. Ramdin l’ont bien compris. Ainsi, l’Acting Director de la MEF a exprimé son étonnement et son inquiétude à notre confrère du Mauricien devant la décision du ministre Mohamed : «Il y a un manque cruel de travailleurs mauriciens pour certains métiers. Certaines entreprises dans le secteur de la construction peuvent être confrontées à des difficultés.»

Mais il n’y a pas plus conscient que M. Mohamed lui-même de l’impossibilité d’employer des Mauriciens dans des secteurs spécifiques. Parlant de Thons des Mascareignes, mais spécifiant que le problème touche aussi le secteur de la construction, il avait déclaré à Weekly : «They want to recruit people in their factory. They have gone through the empowerment programme and have had 300 names given to them from the data base. They called 300  job-seekers. Only 100 people were interested. Out of the 100, only 21 went for the interview. And out of 21, only 4 showed up for work…They did not want to work for 45 hours. They did not like the smell. They would prefer a job in government.»

Le goulot d’étranglement que M. Mohamed crée ainsi consciemment représente un danger on ne peut plus réel pour notre économie. Le secteur de la construction est essentiel au processus d’investissement au sein de l’économie (Gross Domestic Fixed Capital Formation). La Mauritius Commercial Bank (MCB) s’attend à ce que le Capital Spending du secteur privé poursuive sa courbe descendante depuis des années pour atteindre un ratio de 17 % au lieu des 24 % nécessaires. Les projets d’infrastructures du secteur public, qui tendaient jusqu’ici à pallier cette hémorragie privée menacent de n’être qu’un mirage après la dernière lettre du Financial Secretary. Cela n’augure rien de bon pour notre National Investment Ratio qui descend cette année à 21,9 % au lieu des 30 % nécessaires à la création d’activité optimale dont l’emploi au sein de l’économie. 

Quand on se rappelle que dans les 3,2 % de croissance de l’économie mauricienne en 2013, la contribution de l’investissement a subi un recul de - 0,4 % alors que la consommation était, elle, de 2,7 %, le ministre du Travail a intérêt à revisiter une décision impétueuse que le peuple serait probablement disposé à attribuer à une erreur de jeunesse.

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