JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

18 October 1978

Alex Marie, pêcheur engagé

LA tendance, à Maurice, a toujours été d'avoir recours à l'expertise étrangère pour résoudre les problèmes épineux qui assiègent le pays dans son effort vers le développement. Cette attitude est, bien sûr, très compréhensible car elle découle de la nature insulaire de notre île. Mais cette même attitude a, par ailleurs, créé une mentalité selon laquelle "expert" équivaut à "étranger" d'où la sous- utilisation de l'expérience des Mauriciens. 

Il suffit d'une rencontre avec un Mauricien de la trempe de M. Alex Marie, pêcheur à plein temps et un des fondateurs du National Consumer Council et de l'Association des Pêcheurs de l'île Maurice, pour ébranler sérieusement de tels préjugés. 

M. Marie possède un esprit inquisiteur qui le pousse à utiliser sa longue expérience de la mer en vue de développer ses nombreuses hypothèses sur notre environnement marin. M. Marie a aussi confié à L'Express ses craintes en ce qui concerne les menaces qui pèsent sur nos lagons en ce moment.

Propos recueillis par
Jean-Mée DESVEAUX
L’express du 18 août 1978

Q. M. Marie, vous avez acquis une renommée certaine dans le domaine de la pêche à Maurice. Qu'est-ce qui vous a valu d'être aussi connu?

R. J'ai trente-cinq ans d'expérience dont j'ai su tirer profit. Je ne me contente pas de pêcher, voyez-vous, je fais aussi des recherches en vue de développer de nouvelles techniques de pêche. J'en ai mis au point un certain nombre dont 5 façons de pêcher avec la senne, 3 avec les casiers, 2 aux homards, 2 aux crabes, 3 à la trempe (2 pour les poissons moyens et une pour les carangues et les requins) ainsi que d'autres encore. "Donc quand département pas travail dans bon manière, mo informe zotte; avec l'aide mo zenfants, mo écrire mo l'expérience ki mo mette à zotte disposition". Quand j'ai vu l'ancien ministre de la Pêche, M. Modun, pour la première fois, je lui ai présenté l'équivalent de dix ans de recherches. Il semble avoir été impressionné car je l'ai par la suite rencontré très souvent. Il m'a présenté à des experts étrangers avec lesquels j'ai eu beaucoup d'entretiens.

Q. En quoi consiste votre technique de "la trempe" pour prendre des requins et d'autres gros poissons?

R. Ici, j'ai d'abord eu à étudier les moeurs des poissons. "Tipoissons èque poissons moyens casiette dans ène pied dilo pour sauve requins et carangs, mais quand la marée mon­té, gros poissons ki fine comprend ça zoué là conné éna boucou manzé dans deux, trois pieds dilo; la même ki moi mo attend zotte". Je suis donc arrivé à trouver une méthode pour attraper ces très gros pois­sons dans ce "ti fond". Le système consiste à attacher une ligne de nylon de 80 lbs de "quatre brasses" de long (vingt pieds) à une pierre de cinq livres, avec un hamecon ''cinq zero''. Vous pouvez me croire que cette formule je ne l'ai pas eue tout de suite. La roche était d'abord trop lourde ou la ligne trop courte ou trop longue, l'hameçon a aussi présenté ses difficultés, mais en variant les diffé­rents éléments, j'ai trouvé un système équilibré qui a enfin donné de bons résul­tats. Vu la longueur de la ligne, le requin, qui fait toujours des cercles, ne peut jamais faire face à la pierre qu'il traîne au con­traire toujours derrière lui. Il est aussi très facile de suivre le mouvement du poisson pris car, dans trois pieds d'eau, on peut voir le sillon que la pierre a fait dans le sable.
Q. Est-ce que votre ex­périence et vos recomman­dations vous permettent d'avoir une influence sur les décisions prises dans ce domaine?

R. Nous éna ène grand problème parce qui Mau­ricien pale apprenne are pli piti ki li. Fodé ou ène expert étranger pou dimoune écoute ou. Cé qui pli zoli cé qui ban expert là zotte coné ce qui ou pé dire bon, parfois zotte met cé qui ou dire dans zotte livre.
Alors, si l'expert étranger propose une chose que vous avez suggérée c'est tout de suite accepté.

''La Trempe'', une méthode qui a fait ses preuves après plusieurs expériences.

Q. Est-ce que cet état de choses vous décourage?

R. "Ein pé, car zefforts trente-cinq ans, re­cherches, piblications fine réprésente moi ene gros zéro! Mais mo disposé continié, mo fine marche 70 fois, mo d'accord marche 70 fois 70 fois et éna encore pêcheurs coma moi ki éna ène l'apport pou faire malgré nous péna lédication ".

Q. Quelles sont, d'après vous, les menaces qui pèsent sur notre domaine de la mer aujourd'hui?

R. Elles sont trois:  la dynamite, la destruc­tion de nos lagons et de nos brisants et l'usage de l'aldrine et d'autres insec­ticides dans les rivières du pays.
Gouvernman capav dé­pense ène million, li capav mett Mobile Force pou aret sa pratik la, li pa pou ressi. Solution avek pecheurs. Même un bon pêcheur peut devenir un grand fraudeur. En hiver, si le mauvais temps dure un mois, le pêcheur qui a peut-être six enfants, commence à vendre une volaile ou deux. Et puis il aura inévitablement recours à sa mer qu'il connaît bien. Il connaît peut-être un ami qui se sert de la dynamite et en une seule pêche, il se voit gagner assez d'argent pour nourrir sa famille pendant un mois. Fam la ki pou dir. Pa ale enkor maintenant ki tou dimoun contan dan lakaz, li pou dir li retourne!
En fait, il est vrai que la pêche à la dynamite est une très mauvaise pratique, mais quand le pêcheur y pensera, ce sera déjà trop tard. Trop tard pour la mer et trop tard pour lui qui finira en prison. Quand li sorte pri­son, li népli pou parmi bon pêcheur, so bato pou fine saisi et personn pas pou prête li ène bateau. Li pou éna ène sèle solition: ré­tourne dans ça banne gangs­ter là.

Q. Est-ce que les bons pêcheurs ne se contentent pas de jouer les spectateurs et de laisser au gouverne­ment le soin de résoudre le problème? N'est-ce pas votre mer à vous après tout?

R. Nous avons essayé de résoudre le problème en organisant un groupe de gardes volontaires qui prê­taient serment et dont la tâche était de freiner l'usage de la dynamite. Le résultat a été catastrophique. Les gardes se faisaient taper dessus par les fraudeurs qui prétextaient que les gardes volontaires eux-mêmes se livraient à cette pratique. Cette expérience n'a duré que dix mois.
Le départ avant le lever du soleil.

Q. Que faites-vous en vue de réhabiliter ceux qui sont mal tombés?

R. C'est difficile car quand ils sortent de prison, ils s'éloignent de vous de leur propre gré.

Q. Vous disiez tout à l'heure que la solution à ce problème appartient au pê­cheur lui-même. Quelle est- elle?

R. Voyons d'abord l'al­ternative. Les choses allant de mal en pis, si les lois sévères qui sont proposées sont rigoureusement appli­quées, le nombre de pê­cheurs allant en prison sera en constante progression.

Le gouvernement devra s'assurer la survie de la famille du pêcheur empri­sonné pendant trois ans en leur donnant une alloca­tion d'environ Rs 300 par mois soit Rs 3 600 par an par famille. Si dix pêcheurs sont arrêtés, cela fait Rs 36 000 par an, soit Rs 108 000 au bout de trois ans. Sa manière là, fodé non selman zot grandi prison Beau-Bassin mais encore fodé faire ène budget sup­plémentaire pou fami ban pêcheur dan prison.

Au lieu de dépenser tout cet argent, on pourrait tout simplement réunir les pê­cheurs concernés (dont on possède, du reste, une liste), on leur demanderait d'expliquer leurs pro­blèmes et d'après leurs demandes personnelles, on pourrait créer de l'emploi pour eux dans des do­maines ayant trait à la mer ou dans des domaines diffé­rents, d'après leurs dispo­sitions. Cela permettra à la mer de se reposer et apportera un peu de tran­quillité dans ces familles troublées.

Q. Parlez-nous de nos lagons changés en déserts.

R. Le second problème a trait à l'invasion de nos lagons par les oursins et les "zoulvaves". Ces bêtes se nourrissent de goémons qui servent aussi de nourri­ture aux poissons et dont les racines de deux pieds de long protègent le sable de l'érosion par mauvais temps. Ces oursins ont maintenant tout envahi. Nos lagons ont été trans­formés en plage; or le poisson ne reste pas dans le sable. Vous ne pouvez faire un pas sur les récifs si vous ne portez pas des bottes.et là encore ils ont mangé toute la nourriture des gros poissons qui venaient s'y ravitailler et, de plus, à cause de cette invasion, on ne trouve presque plus d'ourite sur les brisants. Le problème ne s'arrête pas là car, comment trouver le goëmon nécessaire aux pêcheurs de casiers? Une pêche à la licorne, par exemple, nécessite plus de 100 livres de goémons par casier, d'où nous avons l'expression "Manzé coma corne mouton". Ça repré­sente donc un énorme problème et cause la des­truction de la flore de nos brisants.

Q. Ne peut-on pas se débarrasser de ces nui­sances?

R. Oui. Il faudrait orga­niser une destruction systé­matique des oursins sur les récifs.

Q. Pourquoi donc at­tendre que les autorités se décident quand vous avez déjà localisé le problème?

R. Le problème ici est de convaincre des pêcheurs de travailler pendant des jour­nées à une tâche qui ne leur permet pas de rapporter de l'argent chez eux. C'est pour cela qu'il faut at­tendre les directives du département de la pêche.

Le troisième problème a trait à la pratique de jeter de l'aldrine dans les rivières de façon à ramasser, par la suite, les poissons qui flot­tent. Cette solution est tellement forte que même un requin ne s'aventurerait pas là où elle a été jetée. Il est évident que, durant la saison de grandes pluies, l'eau de la rivière apporte ce poison dans nos lagons pour le déverser ensuite vers la haute mer! Avec tous ces problèmes, les espèces de poissons qui fréquentaient nos lagons sont à disparaître, tout comme le homard, du reste, que j'ai étudié de près et qui est presque introu­vable ces jours-ci.

Q. Quel a été le résultat de vos observations sur le homard?

R. Homard canal ène spécialité nou pays mais malheureusement li pou fini coma nous dodo, li pou disparaître! Le gouverne­ment dépense des millions sur l'élevage du camaron qui est certainement, si ce n'est que du point de vue du poids, moins rentable que le homard qui peut aller jusqu'à 35 lbs. Le homard a jusqu'à cin­quante petits que nous attrapons souvent dans nos casiers et il suffirait seule­ment de mettre ces petits ainsi que quelques-uns de taille moyenne dans un parc marin où on contrôle­rait leurs poids tous les ans ainsi que leurs habitudes de reproduction. J'ai même la preuve que le homard peut vivre dans de l'eau presque totalement douce. Mais que voulez-vous, je n'ai pas de barachois et mes demarches dans ce sens-là ont été futiles. Expert fine vini dépi dehors mais zotte l'expérience lor poisson zotte pays, zotte péna sa homard là kot zot. Ou pas capav prend ène pois­son mette li dans ène chaland ou croire li pou viv pli bien. Moi mo nek éna pou faire ène l'expé­rience zot pas lé écoute moi; pourtant c'est ce genre de travail qu'on pourrait donner à des coopératives de pêcheurs.

Q. Peut-être, mais les coopératives de pêche n'ont pas fait leurs preuves jusqu'à l'heure. Est-ce que vous avez une idée quant à la raison de cette faillite? Pourrait-elle provenir du fait que la "mentalité du pêcheur" est incompatible à l'organisation coopéra­tive?

R. Je ne pense pas qu'on puisse parler de "mentalité de pêcheur" car elle varie avec l'environnement où les différents pêcheurs se trouvent. Je crois, ici, que c'est une question de com­pétition entre le banian et les coopératives. Le ba­nian, lui, est très efficient. Si le bateau du pêcheur nécessite une réparation, il lui offre un autre bateau en attendant. Si c'est son mo­teur qui ne marche pas, le lendemain, il est réparé aux frais du banian. Le banian est toujours à l'attendre sur la plage quelle que soit l'heure à laquelle il arrive. Le banian, bien entendu, l'exploite à outrance, mais il facilite la vie du pêcheur en lui enlevant les divers problèmes relatifs à l'orga­nisation de son travail. Certains pêcheurs qui ont connu cette "sécurité" ne veulent pas se risquer dans un système qui n'est pas toujours très bien organisé au départ. C'est sûrement un manque d'esprit d'entre­prise, car c'est surtout la peur de voir toute cette responsabilité leur tomber sur les épaules qui fait hésiter certains. Par ail­leurs, il faudrait, pour les changer, que des pêcheurs venant d'autres parties de l'île où l'expérience coopé­rative a marché — comme ceux de Tamarin par exemple — viennent leur expliquer les rouages du système. Si vous êtes sur place, ils ne vous écoutent pas autant.

Il faut aussi tenir compte du fait que les coopératives de pêche du style classique ne prennent pas en consi­dération 60% des pêcheurs de Maurice. Ena autant qualité pêcheurs qui éna qualité poisson dans la mer, éna pêcheur tire di sable, pêcheur tire corail; pê­cheur la ligne, pêcheur, pêcheur ourite, pêcheur mourgate, cé qui péna bateau, cé qui la pêche la senne, pêcheur sous-marin bisin trouve ène lot façon pou ca banne là.

Bisin faire ène l'école tech­nique kot banne zène capav prend direction zotte oulé, fodé faire banne grand bateau qui capav rivaliser avec Japonais. Il faudrait surtout que les pêcheurs montrent un peu plus de versatilité dans leurs tech­niques de pêche, car il est clair qu'ils doivent s'adap­ter aux différentes saisons. Si, contrairement à la ten­dance actuelle, chaque pê­cheur avait diverses mé­thodes de pêche, les prises varieraient moins par rap­port au temps et à la saison.

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