JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

11 October 1978

L’artisanat d’un pays dépend de sa richesse culturelle

 INVITÉE par le club des jeunes fermiers dans le cadre de leur exposition artisanale, Karen Jo Nelson, représentante du Fund for Research and Investment for the Development of Africa (FRIDA) en Afrique australe, avec residence au Lesotho, a mis l'accent depuis son arrivée sur le travail artisanal activité relativement nouvelle de la section féminine des Young Farmers. Karen Jo Nelson est experte en marketing et possède une connaissance approfondie du potentiel artisanal de nombreux pays du Tiers-Monde et surtout de l'Afrique où elle travaille depuis un certain temps. Elle nous parle ici de la relation qui existe entre la culture d'un pays et son potentiel dans le domaine artisanal ainsi que du concept de développement FRIDA.

Entretien réalisé par 
Jean-Mée DESVEAUX
L’express du 11 octobre 1978

Q: Karen Jo Nelson, vous êtes la représentante du Fund for Research and Investment for the Development of Africa (FRIDA) en Afrique australe. Pouvez-vous nous parler des priorités de cette organisation?

R: Le but principal de FRIDA est de travailler dans les pays les plus pauvres d'Afrique tels le Lesotho, le Malawi, le Burundi, le Mali, le Niger et la Haute-Volta où le produit national brut est de l'ordre de 140 dollars par tête d'habitant. Ce sont des pays qui ont le moins de ressources naturelles et qui ont de surcroît, un potentiel très limité de développer celles qui sont en leur possession.
Notre organisation n'a que deux ans d'existence et les choses évoluent assez lentement et c'est pour cela que nous avons dû sélectionner les pays que j'ai mentionnés plus haut. Il est évident que nous comptons étendre nos activités à l'avenir en vue d'inclure d'autres pays dans le champ de nos activités.

Notre travail peut être schématiquement divisé en quatre activités principales :
(1) La mise sur pied des projets ainsi que les investissements y relatifs.
(2) L'opération d'un bureau d'étude.
(3) Le recrutement et la mise en place de l'organisation nécessaire aux projets d'aide aux pays du tiersmonde et
(4) L'organisation du service de marketing relatif au travail artisanal.

Dans ce domaine, nous fournissons l'expertise et les conseils nécessaires à l'écoulement des produits
sur le marché international. Nos experts effectuent des visites fréquentes dans les pays où nous avons des projets déjà établis en vue de s'assurer que ces produits sont compatibles à la demande sur le marché international aussi bien du point de vue de la qualité que de celui du dessin.


L'artisanat mauricien s'apparente très peu au domaine du rituel.
Q: Il y a plusieurs façons de concevoir le développement. On a trop souvent tendance à associer celui du tiers-monde à l'importation d'une technologie occidentale, qui risque dans bien des cas d'oblitérer la culture, les valeurs et les moeurs des pays en question. Quelle est l'attitude de FRIDA vis-à-vis du développement de l'Afrique?


R: FRIDA est très conscient de ce problème. Du reste, le président-fondateur de l'organisation était lui-même à la tête de la division africaine de la Banque Mondiale et c'est parce qu'il avait ressenti le besoin d'une organisation, qui serait plus apte à servir et à travailler avec la population rurale des pays en cause, qu'il conçut l'idée de mettre FRIDA sur pied. Si vous voulez, c'est une alternative aux organisations du genre ONU ou la Banque Mondiale.

Dans ses projets de développement, FRIDA vise à promouvoir l'établissement de certaines industries qui nécessitent une plus grande main-d'oeuvre que des machines. Nous essayons aussi de ne pas être trop dépendants des pays étrangers en ce qui concerne nos machines. Nous sommes en faveur d'une technologie intermédiaire qui offrirait des alternatives à l'importation en masse du matériel industriel — nous préférons utiliser une simple machine de fabrication locale.

Nous sommes aussi très concernés par le facteur écologique attaché au développement. Nos projets doivent satisfaire certains critères établis avant d'être acceptés. Et là je dois dire que l'aide apportée par M. Jacques Vaurehex, qui est un écologiste africain très connu et qui a entrepris des recherches très poussées sur les besoins de développement des pays africains, est très appréciée. Un schéma a été établi qui indique la priorité et la viabilité d'une gamme de produits relative aux besoins de développement de chacun des pays concernés.

Les critères sont:
1. la demande des produits sur le marché international.
2. le taux de main-d'œuvre que la production de l'article nécessitera — plus ce taux est élevé et plus le produit est acceptable.
3. la disponibilité des matières premières sur place
4. les probabilités d'adaptation physique et social du produit dans le pays en question. Plutôt que de penser d'abord au produit et de chercher ensuite le pays qui pourrait le produire, nous considérons d'abord le pays et ses besoins de développement. Nous sommes aussi très sensibles au plan de développement économique du gouvernement concerné.

Q : Il est cependant connu que le gouvernement des pays en voie de développement sont peu enclins à prendre en ligne de compte des considérations qui relèvent du domaine de l'écologie. Le développement devient très souvent ''at all cost''. Cela ne pose-t-il pas de problèmes pour une organisation qui est ''ecological minded'' ?

R: Le problème dont vous parlez n'est pas réellement une entrave pour nous car nous travaillons surtout dans le domaine des petites industries et des agro-industries. L'accent est mis sur l'artisanat de sorte que la valeur ethnique et culturelle du produit sont mieux soulignées. Dans ce domaine, l'important est de refléter la culture et l'environnement de l'artisan et ceci est très important dans la promotion des cultures.

L'artisanant sert à promouvoir la culture du pays.
Q: Il est cependant probable que les considérations esthétiques et ethniques ne sont pas les seules qui retiennent votre attention.

R: Bien sûr, car le but essentiel est d'aider les gens à accroître leurs revenus. Donc, si un produit, tout en n'étant pas un reflet de la culture du pays,est quand même bien prisé sur le marché international, nous tâchons d'encourager sa production. Il est quand même intéressant de noter que c'est généralement la situation inverse qui se produit. Au  Lésotho, où je travaille, par exemple, on avait commencé, avant mon arrivée, de faire des tapisseries à base de mohair avec des dessins européens. Cela n'avait aucun succès sur le marché et, de plus, les artisans ne prenaient aucun plaisir à faire des dessins qui leur étaient absolument étrangers. Nous avons maintenant commencé à tisser des motifs représentant leurs styles de vie et les villages du pays. Le succès a été immédiat au niveau du marché et le plaisir des artisans en a été accru. Ils en sont maintenant très fiers.

Q: Vous êtes vous-même une spécialiste en marketing, vous avez une connaissance très étendue du travail artisanal des pays du tiersmonde et vous êtes chez nous depuis une semaine. Est-il possible pour vous à ce stade de comparer ce que vous avez vu ici dans le domaine de l'artisanat à ce qui se fait ailleurs?

R: Il est très difficile d'établir une comparaison car je n'ai pas vu suffisamment de projets de ce genre chez vous. Ma réponse sera donc au niveau de l'impression. Ce qui m'a surtout étonnée c'est de voir si peu de travail artisanal d'inspiration rituelle, je m'attendais à voir plus d'influence africaine à Maurice mais cela montre seulement mon ignorance à l'égard de votre pays. Maurice fait partie de l'Afrique et pourtant l'influence d'autres cultures semble être plus importante chez vous. Il est aussi remarquable qu'il y a un certain vide au niveau du travail artisanal à comparer à ce qui existe dans ce sens en Afrique. Il me semble que vous importez énormément de vos objets artisanaux. Je dois cependant ajouter que les items, que j'ai pu voir montrent clairement que le potentiel nécessaire existe ici.

Le brassage de cultures peut produire un artisanat avec un intérêt ethnique.
Q: Comme vous avez bien fait ressortir, l'artisanat est souvent dépendant de la richesse culturelle d'un pays. Est-ce à dire que les pays relativement jeunes tel Maurice, ont un désavantage initial à cet égard?

R: Il est vrai que le travail artisanal en Afrique tire sa source d'inspiration des rites africains. D'autre part, les objets les plus appréciés sont ceux qui ont été des instruments d'usage courant dans la culture en cause. Il n'existe pas en Afrique le concept de l'art pour l'art.

Mais cela ne veut pas dire qu'un pays qui possède une culture relativement nouvelle ou qui possède, comme c'est le cas chez vous, un brassage de cultures ne peut produire un objet qui présente un intérêt ethnique. Le domaine rituel et celui d'ethnique sont deux choses différentes et si vous n'avez pas le premier, vous avez certainement le second. Du reste, soit dit en passant, les rituels disparaissent graduellement du continent africain.

Q: Depuis votre arrivée, vous avez beaucoup travaillé avec la section féminine des jeunes fermiers. Pouvez-vous nous dire vos impressions sur ce nouveau groupe?

R: Elles ne sont qu'à leurs débuts mais il est certain qu'elles ont un avenir très prometteur. Ce n'est que récemment que ces filles ont commencé à se lancer dans le travail artisanal mais déjà, leurs enthousiasme et leur soif de se renseigner dans ce domaine est de très bon augure. La qualité des produits fabriqués est très bonne et les dessins sont très originaux. Il est évident qu'elles ne peuvent pas tout de suite songer à l'exportation, mais le potentiel est certainement présent pour envisager une telle possibilité à l'avenir.

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