ENTRETIEN AVEC IAN SMITH, ancien Island Scout Commissioner
L’ESPRIT de Baden Powell — fondateur du scoutisme — règne de nouveau dans le camp des scouts de l'île. L'occasion est, cette fois, un peu spéciale, car, cette année, la saison du camping coïncide avec un jamboree auquel participent des scouts venus de La Réunion et de Madagascar. Le moment semble donc indiqué pour faire le point sur ce mouvement qui existe à Maurice depuis plus de trois quarts de siècle. En effet, quel est l'apport de ce mouvement dans la société mauricienne de 1978? N'est-ce pas un mouvement désuet qui était encore bon pour les années quarante? Le scoutisme ne se prête-t-il pas, un peu, à la critique d'un certain communalisme? Autant de questions que L'Express a soulevées avec M. Ian Smith, figure très connue du mouvement scout à Maurice.
Propos recueillis par Jean-Mée DESVEAUX
L’express du 30/7/1978
Q : Pourriez-vous nous définir le rôle du scoutisme dans le monde en général et faire une ébauche de ce que le mouvement peut offrir aux jeunes Mauriciens?
R — Je crois que le rôle du scoutisme est de donner aux jeunes une éducation qui soit complémentaire à celle que donnent l'école et les parents. C'est aussi un mouvement qui oeuvre pour la création, chez les jeunes, d'un esprit de service et qui regroupe la jeunesse du monde (brotherhood of scouting) autour d'un but commun basé sur l'amitié, la loi et la promesse scoutes. Pour récapituler, le scoutisme est essentiellement un mouvement de formation de caractère.
Q : Quelles sont les activités qu'offre le scoutisme aux jeunes?
R—Il y a une variété de tests qu'ils peuvent prendre et qui leur donnent droit au port d'un certain nombre de proficiency badges (cyclists, mountaineers). Cela, dans le but de les entraîner, en cas d'urgence, à prendre l'initiative en vue d'aider ou de secourir les autres. Et le but du camp annuel est de donner la chance à tous les scouts de l'île de se rencontrer. On ne peut, non plus, négliger l'importance de la possibilité que donne le scoutisme aux jeunes de visiter d'autres parties du monde et de participer aux World Jamborees, ainsi qu'à d'autres activités internationales où les scouts du monde entier peuvent échanger leurs idées et confronter leurs programmes. Il y a aussi la base religieuse : tous les scouts sont encouragés à prendre un intérêt particulier à leur religion respective. Il est à noter que toutes les autorités religieuses, sans aucune distinction, acceptent la loi et la promesse scoutes et encouragent leurs jeunes membres à prendre part à ce mouvement.
Q : Vous avez parlé de camping. N'est-ce pas vouloir échapper à la réalité que de se grouper à intervalle régulier dans la nature quand il y a tant de problèmes à résoudre autour de nous?
R — Dans la vie, il faut faire face à tous les problèmes et, pour ce faire, il faut savoir transcender la réalité quotidienne. C'est ce refus de se noyer dans les petits problèmes de tous les jours qui donne une perspective à la vie en général. Les scouts sont encouragés à avoir une vue d'ensemble — look wide — et de voir tous les aspects de la vie. Aussi, quand ils entrent dans la vie, leur vision n'est pas restreinte.
Q : Vous avez aussi mentionné la formation de caractère. Il existe certainement plusieurs façons de former les jeunes. On est parfois tenté de penser que la formation que le scoutisme donne aux jeunes — tel l'usage des noeuds, la construction des gadgets, etc. — ne leur permet pas de faire face aux problèmes actuels tels que la drogue et la pornographie. Le scoutisme n'est-il pas un peu dépassé?
R — Je ne crois pas que le scoutisme ait été dépassé par les événements de la présente génération. La preuve ? Le nombre d'adhérents au mouvement grossit continuellement. Il y a aujourd'hui 13 millions de scouts dans le monde, dont 2 000 à Maurice. D'ailleurs, le Working Party, qui a été organisé au sein de l'organisation internationale vers la fin des années soixante, démontre bien la volonté du scoutisme de suivre l'évolution accélérée de la société. Le Working Party, auquel ont pris part des personnes de toutes les professions, a fait une étude en profondeur pour savoir si le scoutisme arrive à faire face au challenge des temps modernes. Ce qui frappe surtout, c'est qu'à l'issue de cette étude, malgré toutes les propositions de changement dans la méthode d'entraînement et dans l'organisation, il n'a pas été jugé nécessaire de changer la promesse et les lois scoutes qui sont l'essence même du mouvement et ceci depuis Baden Powell. Nous aussi à Maurice avons suivi cette remise en question en organisant nos propres Working Parties. La première étude de ce genre a porté sur la question de notre autonomie car nous avions été jusque-là une branche de la United Kingdom Scout Association. Ce qui impliquait l'élaboration d'une nouvelle constitution qui nous établissait comme membre à part entière de la World Scout Association. La seconde étude avait pour attribution le travail produit par le Working Party anglais et l'adaptation de leurs résolutions aux besoins locaux. Le rapport que nous avons présenté a été accepté par les instances supérieures internationales du mouvement. Cette étude nous a permis de questionner la valeur de notre POR (Policy, Organisation and Rules) qui est la bible du scoutisme, de faire les changements nécessaires, tel que l'adaptation des badges, au temps présent.
Q : On pense aujourd'hui que les jeunes sont très individualistes alors que le scoutisme milite pour une discipline assez rigide à travers le port de l'uniforme, la «Cour d'Honneur» (organe disciplinaire) et la stratification des groupes en patrouilles. Comment réagissent les jeunes Mauriciens dans cet environnement?
R — Je crois qu'il est bon que les jeunes soient des individualistes. Il y a, à l'intérieur du mouvement, beaucoup de possibilités de promotions et de compétitions qui permettent au scout de découvrir son individualité. Ainsi, le jeune peut graduellement escalader les différents échelons dans la hiérarchie et prendre des responsabilités qui le rendront plus apte, plus tard, à faire montre de cet esprit d'initiative si nécessaire dans la vie. Il faut souligner que ce sont les jeunes eux-mêmes qui mènent le mouvement et non pas les scout leaders. Pour le port des badges, je crois qu'on tend à sous-estimer la fierté que les jeunes ressentent à porter un symbole — le badge — qui reflète leur mérite.
Q : Le scoutisme est axé sur l'amitié. N'est-il pas paradoxal que l'organisation des différents groupes de scouts de l'île soit très souvent sur une base communale ou religieuse?
R — Il est vrai de dire que le scoutisme à Maurice a été formé sur une telle base. Les mouvements religieux ont montré beaucoup d'intérêt dans le mouvement et ils ont, du reste, très bien mené les associations dont ils étaient responsables. Mais je dois dire que, personnellement, j'ai toujours été d'accord avec la World Scout Association, que l'administration du mouvement scout à Maurice devrait être placée sur une base régionale et non religieuse. C'est particulièrement dans un pays comme Maurice que le changement doit s'opérer car il y a ici beaucoup de religions. Mais, il faut mentionner, ici, qu'à l'issue du premier Working Party que nous avons eu, il a été décidé que dorénavant tous les scouts de l'île seraient organisés en groupements régionaux qui porteraient des numéros — First Port Louis Scouts, ainsi de suite, plutôt que l'ancien système où nous avions des First Hindu, Chinese, ou Catholic Scouts. Il est bien entendu que cela donne, au niveau administratif, tout au moins, la possibilité aux différents groupes d'être plus ouverts. Il est évident que le genre de changement recherché ici ne peut être fait du jour au lendemain. Mais il y a certainement un changement d'attitude et, avec le temps, les groupes s'ouvriront davantage.
Q : Comment voyez-vous l'avenir du scoutisme à Maurice?
R — Les jeunes ont beaucoup de tentations et de problèmes, mais je suis confiant qu'avec les chefs que nous avons en ce moment — dont M. S. Dhanjee qui a une très grande expérience de travail avec les jeunes — le mouvement pourra faire face au challenge. Le mouvement a aujourd'hui atteint sa maturité. Il s'agit maintenant de se développer à travers la campagne et non pas seulement dans les villes. Il y a cependant un sérieux handicap dans le sens que nous ne possédons pas encore un quartier général qui sera nécessairement le point de convergence du mouvement. On nous a fait le don d'un terrain à Trianon et nous essayons en ce moment de trouver les fonds nécessaires, soit Rs 350 000, à la construction de ce quartier général.