JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

31 May 2013

Le laborieux parcours d’Anil Bachoo

Par Jean-Mée DESVEAUX
L'express du 31 mai 2013
 
En 2004, Anil Bachoo s'était vu retirer le dossier de Rs 12 milliards du métro léger.

Dans le grand élan de générosité dont il est seul capable, le «peuple admirable» semblait avoir tourné la page sur la performance de l’honorable Anil Kumar Bachoo au sein des dossiers de l’inondation meurtrière du 30 mars et de la non moins meurtrière saga de l’autobus Tata à Sorèze quand une troisième gabegie de suite le frappa de plein fouet.

Cela dépasse, en effet, l’entendement que d’inventorier les failles du dossier des speed cameras de la société ProGuard, composante essentielle du permis à points, qui a coûté Rs 172 millions et qui s’est avéré un échec effarant en moins de 10 jours comme on l’a découvert à l’Assemblée, le mardi 21 mai. Le ministre a avoué qu’un «slight technical mistake has been detected. That is the reason why experts have been called from abroad and they are working on that». On apprend ainsi que dans notre petite République bananière, où tout se fait à l’à peu près, les 250 contraventions enregistrées à partir de ces radars seront amnistiées.

Ce n’est que le début. Ainsi, c’est après coup que le State Law Office a été saisi par le ministère des Infrastructures publiques pour se pencher sur la légalité de permettre à une firme privée de s’arroger le droit de superviser le contrôle des caméras radars à la place de la Photographic Enforcement Unit de la Traffic Branch de la police. Aujourd’hui, «the whole process has been reviewed and the police have been made to take over all the critical activities (previously) performed by the contractor».

Comme nous le rappelle notre confrère de Week-End, le ministre avait pourtant déclaré que «the police did not have the expertise in that particular field and that is the reason we had to seek the services of the private sector to monitor the particular system and why we had recourse to the private contractor”. Et cette clause sur le contrôle des opérations était une des clauses du contrat alloué par le Central Procurement Board. Ce qui n’empêchera pas qu’en moins d’une semaine, la Traffic Branch avait déjà maîtrisé l’expertise qui rendait ProGuard si nécessaire : «So, the involvement of private contractor has been more or less eliminated.» A dit le ministre Bachoo.

Il y a plus. Dans son papier, notre confrère rappelle que la police, qui a hérité de la paternité de ce bébé, est inquiète du problème encore non réglé du calibrage des équipements photographiques et informatiques du système des speed cameras. Le document d’appel d’offres stipule ainsi que le ministère «envisages the need for…..maintenance services and regular calibration of the equipment from an accredited laboratory and the services of an expert to testify calibration in court». Cet expert, qui n’a pas encore été aperçu, devrait avoir cinq ans d’expérience dans le domaine alors que le laboratoire devait être un «world recognised bureau of Standards». A la question de l’honorable Lesjongard au Parlement sur l’identité du laboratoire, le ministre a répondu : «I’ll try to find out the answer. I dont have the exact name definitely.»

Le clou de la légèreté avec laquelle ce dossier a été traité revient au critère d’éligibilité de la société en question relatif à sa capacité financière. ProGuard ne satisfait pas le critère de Rs 40 millions de chiffre d’affaires, il n’a fait un tel chiffre d’affaires que pendant deux ans et n’aurait donc pas dû être éligible à ce contrat de Rs 172 millions.

La question qui doit se poser au niveau national aujourd’hui est la même que celle qui s’était posée il y a neuf ans au sein du gouvernement MSM-MMM en 2004. Homme politique d’une très grande culture, Anil Bachoo est-il cependant the right man in the right place pour piloter le dossier de Rs 12 milliards du métro léger. Le pays peut-il confier un tel programme à un ministre qui n’a pas maîtrisé la complexité de dossiers bien moins importants ? La réponse en 2004 fut un non catégorique, ce qui, le 3 février 2005, cinq mois avant les législatives, fit le ministre des Infrastructures abandonner le bateau MSM-MMM et rejoindre le Parti travailliste.

Un premier dérapage avait été évité de justesse quand, en juillet 2004, le premier appel d’offres de toute la série, piloté par le Chief Engineer du ministère, pour un pre-feasibility study, avait brisé tous les records en affichant un moins-disant avec un chiffre quatre fois plus fort que la moyenne acceptable. La Banque mondiale (BM) qui nous accompagnait nous a sorti de cette impasse en se montrant disposée à offrir un prêt à un taux bonifié pour ces études que les élections allaient de toute façon empêcher. L’avantage du prêt de la BM est qu’il permettait d’installer les garde-fous précédemment inexistants durant l’exercice du ministère.

En tant que représentant du dossier Light Rail Transit au niveau du Prime Minister’s Office, je reçus tout le blâme de Monsieur Bachoo pour lui avoir enlevé ce dossier, considéré comme le bijou de la couronne. Il fut alors décidé que le dossier LRT, devenu interministériel à cause de ses considérations interdisciplinaires serait administrativement suivi par un comité ministériel avec le PM Bérenger et le DPM et ministre des Finances Jugnauth comme responsables directs et le ministre de l’Infrastructure et beaucoup d’autres comme membres. Parallèlement, il y aurait sous cette structure un High Powered Committee qui serait sous la coupole du professeur Kishore Baguant composé du gratin de l’administration gouvernementale.

Paul Bérenger, répondant à une pique de l’Honorable Bachoo devenu back bencher travailliste, eut un mot mi-figue mi-raisin pour Anil Bachoo en disant qu’il était limité intellectuellement. La pique comme, cela s’avérait souvent durant ces épisodes, finit par se retourner sur votre correspondant quand l’honorable Bachoo répondit qu’il n’était peut-être pas un grand intellectuel comme le Super Conseiller !

Quoi qu’il en soit, neuf ans après, le PM qui confiera le dossier de LRT aux mains souvent malhabiles du gentil ministre des Infrastructures est quelqu’un qui prendrait beaucoup de risques sur l’avenir du pays. N’en déplaise à ses détracteurs, Monsieur Bachoo est et reste un excellent candidat pour le ministère de la Culture.




29 May 2013

NINETEEN EIGHTY-FOUR

Par Jean-Mée DESVEAUX
L'express du 29 mai 2013
 
Les 1,2 million d’âmes coincées depuis des siècles sur le territoire exigu de cet Etat confetti n’ont, en dernière ressource, nul autre qu’elles mêmes à blâmer pour l’enfer qu’elles vivent aux mains de leurs maîtres, les politiciens. Morcelé le long de clivages identitaires, les yeux fixés sur le rivage des pays de leurs ancêtres, le «peuple admirable» n’a jamais entrepris de bâtir une société civile forte, seule garante de la défense des intérêts d’une nation au tissu social fragile.

La nature abhorrant le vide, la classe politique, devenue fatalement seul porte-voix de ce peuple muet, a surfé sur la vague de notre indolence. S’appuyant sur ces mêmes clivages ethniques pour pérenniser leurs propres intérêts, les politiciens de tout acabit oublièrent bien naturellement qu’ils étaient, par définition, redevables. Ce nirvana politique devint encore plus euphorique et débridé quand la fin des combats idéologiques enleva, du même coup, la nécessité de tenir un débat économique un tant soit peu rationnel. Les institutions de Bretton Woods devenues les seuls timoniers du vaisseau quadricolore, l’économie nationale fut mise sur pilotage automatique, laissant aux gouvernements successifs un seul souci qui pouvait encore animer les passions : celui d’asseoir leur pouvoir sur ce peuple hébété qui a docilement aliéné sa souveraineté.

En panne totale d’idées, ne possédant  aucune vision pour le pays qu’ils s’imaginent avoir «the divine right to rule», d’où les dynasties, ils ne cherchent plus à incarner un quelconque renouveau. Le fruit d’alliances les plus désuètes les unes que les autres, chaque nouvelle équipe gouvernementale est élue à cause du «recency effect», l’effet néfaste plus récent laissé par leur adversaire dans la mémoire poreuse du public. Pour pérenniser leur emprise, un système bien rôdé de manipulation éhontée de l’appareil d’État, de mensonges savants et d’influences occultes nous approchent un peu plus de ces sociétés totalitaires déshumanisées où il devient plus sage de regarder de l’autre côté que de venir au secours de son voisin en détresse. Pour cela, cependant, un ingrédient magique sera utilisé, seul capable de donner des ailes ou de paralyser sur place, selon le besoin : la peur ! La peur qui nous pénètre jusqu’aux tripes, nous donne la nausée et nous rend malléables à souhait. La peur qui nous empêche de nous insurger contre la corruption, l’injustice flagrante ou même la disparition d’un voisin ou d’un proche. La peur qui nous a empêchés de dénoncer tant de maldonnes auxquelles nous avons été ainsi complices dans notre vie et qui nous fait tiquer quand, passant devant un miroir, il nous renvoie l’image d’un lâche.

Faire un amalgame entre la vision cauchemardesque d’Orwell dans son roman « 1984 » et le paradis où certains lecteurs ont encore l’illusion de vivre, pourrait être taxé d’exagération et de culte de la sinistrose. Il nous faut donc étayer notre thèse, pour ces lecteurs sensibles. Ils auront peut-être ouï dire d’une certaine Mme Bodet ou de Mme Singh, professionnelles mal inspirées (par les lois de la République) de venir en aide à une élève mineure de milieu défavorisé sur laquelle un agent politique de deux ministres travaillistes avait jeté son dévolu ? Qui veut-on protéger à travers ce traficotage d’agents politiques, de graphologue, de rapport FFC «d’ordre strictement privé» selon le PM mais dont le ministre de tutelle utilise allègrement la partie la plus délicate en conférence de presse ? Le bon docteur Bunwaree ? Faux ! Madame Sheila Bappoo ? Archi faux ! Ce qui doit être protégé est nettement plus important que ces deux marionnettes-là. C’est Le Parti, dont la longévité au pouvoir dépasse toutes les autres considérations. Ecoutons Orwell : « The need to safeguard the infallibility of the party is a day to day falsification of the past. Past events have no objective existence. And  since the party is in full control of all records and in equal control of the mind of its members, it follows that the past is whatever the party chooses to make it. At all time the party is in control of  absolute truth. The party intellectual knows in which direction his memory must be altered, he therefore knows he is playing tricks with reality. The essential act of the party is to use conscious deception while retaining the firmness of purpose that goes with complete honesty. To tell deliberate lies while genuinely believing in them, to forget any fact that has become inconvenient and then, when it becomes necessary again to draw it back from oblivion for just so long as it is needed…. all this is necessary for the (safeguard) of the party.”

C’est à se méprendre ! Si éloigné dans l’espace, comme dans le temps, la justesse de ce passage appliqué à nos gouvernants peut surprendre. C’est dire à quel point la machination des hommes du pouvoir et les manoeuvres dont ils se servent pour conserver ce pouvoir sont des réflexes universels ancrés dans le psychisme humain. Un peuple qui s’endort se réveillera de sa torpeur, enchaîné, à Maurice comme partout ailleurs.

Et quid de la peur ! Peut-on sérieusement affirmer que les citoyens de cette République ont peur alors que nos dirigeants ne cessent de répéter, dans les fora internationaux, que Maurice est un État de droit ! Le PM l’a dit : « Sa ban dimoun (qui disent qu’ils ont peur de témoigner contre notre énergique Garde des Sceaux), ou coné qui mo dire zot ? Lire lagazet, ekout radio sipa dimoun per dans Moris ! ». Et pourtant, les faits parlent d’eux-mêmes. La police n’a osé approcher Monsieur Varma que huit jours après qu’il ait été accusé d’agression sauvage du jeune Florent Jeannot, pour lui demander des comptes alors que le présumé agresseur de son collègue Aimé a passé la nuit en prison le jour même de la déposition du ministre. Bien que le PM ait voulu prouver le contraire, son intervention a tout de suite confirmé le règne de terreur qui paralyse le pays comme une chape de plomb. Dans un État de droit, il n’est nul besoin de la bénédiction du PM pour témoigner contre un ministre de la Justice si imbu de son importance qu’il aurait pris, selon témoins, la loi entre ses poings. Dans un État de droit, les gens ne craignent pas les conséquences de tels témoignages sur la carrière, au sein du service civil, de leurs parents ou proches. Ici, le « Zot pena pou per » de la primature a été le sine qua non qui a délié la langue de cinq témoins de cette scène barbare.

Nous aurions mal servi notre propos si nous laissions croire que le phénomène que nous décrivons ici est de nature récente. Une société, tel un gros paquebot, prend du temps à changer de cap. On peut identifier un mouvement sensible vers le régime de la terreur à partir des années 80. A ce moment-là, sir Anerood Jugnauth, à la tête du pays, investit avec une confiance aveugle tout le pouvoir de la machine d’État entre les mains de son chef de cabinet. Si le pouvoir porte à la tête, le pouvoir absolu ne le fait pas moins. Cet homme, sir Bhinod Bacha, devint graduellement plus grand que nature. Les ministres devaient prendre rendez-vous pour le rencontrer. Si on voulait voir le pape durant sa visite à Maurice, c’est lui qui vous le permettrait. Lui tenir tête c’était jouer avec le feu. Accusé de l’homicide de sa femme, il fut mis en prison où il y fêta son anniversaire en grande pompe. Libéré, il est aujourd’hui toujours au sommet de l’État en tant que proche conseiller du PM actuel.

Ce qui effraie encore dans le phénomène sir Bhinod Bacha, et ce pourquoi nous nous y arrêtons comme dans un cas d’école, ce n’est plus l’homme qu’on peut aujourd’hui imaginer ou espérer, assagi depuis. Ce qui intéresse l’observateur de la chose politique, c’est plutôt la faiblesse endogène que cela révèle de la société où ce phénomène a surgi et proliféré si longtemps sans qu’il soit excisé, par les «globules protecteurs» de cet organisme, comme l’excroissance pathologique qu’elle était. C’est le vide dans lequel s’est engouffrée la politique avec son corollaire d’absence d’âmes bien trempées au sein d’une société civile digne de ce nom. Seule capable d’arrêter à temps le pourrissement qui mène à de tels monstres sacrés, son absence leur permet d’atteindre le sommet qui garantit, presque, l’impunité . A côté du phénomène Bacha, les Bunwaree, Aimée, Varma, Dulthumun, et on en passe, ne sont que des épiphénomènes. Leur valeur existentielle est de nous rappeler que s’ils sont là, c’est que des Bhinod Bacha potentiels ne sont pas trop loin du domaine du possible avec tout ce que cela comporte pour l’Ile Maurice.

14 May 2013

PERMIS DE TUER


Les restes d'un bus après sa collision avec un camion qui avait perdu ses freins en avril 1995 à Bell-Village.
 
Par Jean-Mée DESVEAUX
L'express du 14 mai 2013
 
Il est rare que la déliquescence d’un Etat lui saute aux yeux avec la violence que nous avons ressentie ce vendredi tragique. Terrées normalement dans les dédales de l’appareil gouvernemental, les causes directes de la corruption minent le Mauricien de façon si furtive qu’il ne s’en aperçoit pas.

Mais ce vendredi-là, parmi les râles de la mort et les sourds gémissements des blessés graves, on pouvait entrevoir, sous le soleil matinal de Sorèze, un pan entier de l’attirail dont se servent nos hommes politiques pour faire un enfer du paradis qui leur a été donné de gouverner : nominé politique au centre névralgique d’un service essentiel sur lequel repose la vie de 400 000 personnes tous les jours ; manipulations éhontées des spécifications d’appels d’offres écrites dans le bureau du ministre pour satisfaire un fournisseur proche du parti gouvernemental ou encore, issu d’un pays ami à qui on doit renvoyer l’ascenseur; décision prise avec une légèreté criminelle de laisser 80 bus Ashok Leyland de 2007 en circulation après qu’ils ont été trouvés défectueux ; ingérence politicienne journalière dans les moindres recoins de l’épine dorsale du transport public national ; gestion abominable menant à des carences tragiques dans la maintenance de ces cercueils ambulants, chacun des items de cette litanie est un ingrédient direct dans la trame de cette nouvelle tragédie qui vient de s’abattre sur l’île Maurice.

A cela s’ajoute une incapacité pathologique de mémoire institutionnelle qui nous fait revivre, en amnésique, les mêmes tragédies sans jamais pouvoir tirer aucun enseignement des catastrophes meurtrières antérieures. Nous avons tous clairement vu l’amas de ferraille qu’est devenu ce bus de la CNT après quelques tonneaux et on a tous redécouvert ce que nous savions déjà depuis 18 ans.

Cet après-midi d’avril 1995, à Bell-Village, à peine quelques kilomètres de Sorèze, un «camion fou» avait perdu ses freins et avait terminé sa course folle en percutant un bus de la CNT. Telle la boîte de sardines proverbiale, ce bus a été littéralement éventré au niveau de la carrosserie et les passagers ont été projetés sur la chaussée avec une telle violence que huit d’entre eux sont morts sur le coup. Le bilan s’est alourdi par la suite. On apprit que, comme cela se fait couramment au tiers-monde, nos autobus sont montés sur des châssis destinés aux camions, donc sans l’armature de renforcement solide dont sont dotés les véhicules destinés à recevoir des passagers. Dix-huit ans plus tard, nous sommes encore à la case départ. Mais la leçon du camion fou de Bell-Village va bien plus loin pour démontrer le dysfonctionnement du régime juridique et institutionnel qui gouverne le domaine de la sécurité routière au sein de cette République bananière qui est la nôtre.

Le camion fou qui avait fauché la vie de tant de Mauriciens roulait illégalement sur nos routes ! Il n’avait pas obtenu son fitness à cause de ses défectuosités techniques. Cela aurait été l’occasion idéale de frapper un grand coup, de dire que «enough is enough» et que le laisser-aller prenne fin avec une condamnation exemplaire qui découragerait ce genre d’insanité. Mais non. Pas chez nous. Les choses se sont tassées. Réaction bien de chez nous, le propriétaire du camion fou s’est senti victimisé parce qu’il était franco-mauricien, et ses coreligionnaires ont compati. On n’en a plus entendu parler.

B.F Skinner, le père du Behaviourisme (la Science du comportement), écrit dans son oeuvre séminal «Beyond Freedom and Dignity» que les valeurs morales censées prévaloir au sein d’une société ne sont pas, in fine, ce qui motive les gens à s’engager ou non dans un comportement quelconque. Ce qui détermine ce comportement, selon Skinner, c’est le régime «de positive and negative reinforcement», c’est-à-dire les carottes et les bâtons qui existent pour encourager ou punir ces comportements au sein de la société. Ainsi, nous pouvons constater à quel point devenir riche par n’importe quel moyen est une quête que nous encouragent à poursuivre les valeurs de l’île Maurice de 2013 : BMW, campements, adulation des grands de ce monde et d’une horde d’amis. Par contre, tuer un être humain sur nos routes n’est pas plus découragé qu’une petite tape sur la menotte d’un gamin espiègle. 
 
La semaine dernière, un chauffeur de camion qui avait été trouvé coupable par la cour intermédiaire de «causing death by dangerous driving» et, condamné à deux mois de prison ferme en sus de la suspension de sa licence selon la Road Traffic Act, a vu sa peine de prison commuée en appel par la Cour suprême. Le magistrat avait, à l’origine, jugé que la peine de prison servirait de leçon aux autres conducteurs. La Cour suprême a converti cette peine à Rs 30 000, considérant que la suspension de la licence constituait déjà une punition sévère. Avec une telle jurisprudence, c’est l’équivalent d’une privation d’un petit week-end de vacances à Rodrigues qui viendrait châtier un chauffard qui possède les moyens financiers de tuer sur nos routes. Pas assez, et de loin, pour décourager le comportement délétère, mais suffisant pour créer des émules potentielles. On arrive à se demander si, pour la dizaine de morts des bus de Sorèze ou de Bell-Village, un chauffard trouvé responsable s’en serait sorti avec quelque Rs 300 000 aux yeux de la loi !

Si nous ne sommes pas à plaider ici pour une augmentation effrénée de notre population carcérale issue de chauffeurs du dimanche, nous devons cependant admettre que l’hécatombe que nous voyons autour de nous demande une fermeté qu’on ne retrouve pas au sein des «negative reinforcements» utilisés chez nous.

Comme au sujet de la drogue, nous atteignons les cimes des statistiques internationales avec le nombre d’accident fatal par tête d’habitants. Pour remédier à cela, dans le nid de coucou où nous vivons, le Premier ministre, au lieu de s’attaquer au problème à sa source, décide plutôt de faire montre d’une générosité mal placée en puisant dans les ressources du Prime Minister’s Fund pour compenser les victimes des «hit and run» et autres délits de fuite. C’est ce qu’on appelle «moral hazard» en économie, c’est-à-dire, une intervention contreproductive qui risque d’aggraver la fréquence du comportement délétère plutôt que de le faire régresser.

Autre cacophonie que de punir tout excès de vitesse avec la même amende de Rs 2 000, tandis que les points, eux, diffèrent selon une grille de trois vitesses selon l’excès : sous 25km/h, entre 25km/h et 50 km/h et au-dessus de 50km/h. Et quid de l’incohérence des 2 – 4 points et Rs 1 500 pour le conducteur imprudent qui se sert de son téléphone, alors que l’assassin qui dépasse un véhicule arrêté au passage clouté, a une perte de points proportionnellement plus élevée (4-6) mais une amende de Rs 500 seulement.

Un coup d’oeil au comportement des gouvernements de par le monde sur la question de la discipline sur les routes jette un éclairage certain sur ce qui fait défaut à Maurice. L’Australie est, comme on le sait, un pays anglo-saxon qui, par définition, a un respect sans pareil pour la propriété privée. N’est-ce pas ! A New South Wales, l’Etat où se trouve Sydney, une voiture qui se fait prendre en contravention, engagée pour la deuxième fois dans une course avec une autre voiture, est saisie par les autorités et… broyée en amas de ferraille. Au Queensland, le propriétaire de la voiture condamnée est, en plus, tenu à être présent lors de la démolition de son véhicule. On comprend, dès lors, que le courage et la conviction requis ici diffèrent trop de la bravade que démontrent nos hommes politiques sur leur caisse de savon, pour que nous puissions espérer un autre dénouement chez nous. Ici, même le lobby de taxi marron peut obliger le gouvernement à enlever la perte de points qui allait s’abattre sur ces opérateurs et autres fraudeurs. Autre perte collatérale causée par lâcheté politique est la disparition de points relatifs à l’absence de ceinture de sécurité pour les passagers.

A Maurice, le système de contrôle doit impérativement reposer sur la facilité tant intellectuelle que physique de la solution apportée. Il est facile de planter une trentaine de caméras automatiques sur les black spots du pays, mais un coup d’oeil à une carte de Maurice indiquant où sont installées ces caméras, démontre en même temps que les 80 % de la surface du pays deviennent ipso facto des pistes où les petits Schumacher en herbe peuvent pousser leurs bolides en toute impunité. De plus, quand on voit certains itinéraires, tel celui de la Triolet Bus Service, on n’est qu’à moitié surpris que les caméras se font d’une telle discrétion qu’on ne les voit plus du tout. Et pourtant, le nombre de vieilles personnes tuées au sein de la circonscription du PM, suite à des accidents avec les véhicules de cette compagnie, est élevé.

La présence des caméras a certainement un rôle à jouer au sein de la panoplie de mesures que le gouvernement doit prendre pour rendre nos routes moins meurtrières. Mais elle doit être accompagnée d’autres mesures qui dérangent les habitudes et qui demandent donc un certain courage politique. La première initiative politiquement incorrecte qui vient à l’esprit ici est de désemplir ces postes de police pleins à craquer avec leurs dizaines ou plus de policiers qui passent leurs journées et leurs nuits sans jamais sortir. Ailleurs, c’est la crainte du policier omniprésent, toujours armé de son détecteur d’alcoolémie sur la route, qui conditionne la bonne conduite des automobilistes. Au niveau de la réflexion, quand on pense aux nouvelles peintures fluorescentes qui ne coûtent rien mais qui font un simple phare de voiture illuminer une route tel le stade Anjalay en plein match international, on peut conclure que la Road Development Authority, si friande de contrats juteux, est un autre de ces éternels maillons faibles de la chaîne funeste qui entravera encore longtemps la recherche rationnelle d’une solution aux carnages répétitifs sur nos routes.

01 May 2013

Les enfants délaissés de Mauritius Inc.

Par Jean-Mée DESVEAUX
l'express du 1er mai 2013



Les chegues sont enfants de rue de génération en génération en RDC.

 LE rêve de nos gurus financiers d’une intégration économique et sociale de Maurice au sein de l’Afrique ne saurait se faire attendre. Safire, une ONG qui s’occupe des enfants en situation de rue, dénombre pas moins de 6 780 cas dans son rapport publié en 2012. Cette statistique laisse pantois quand on apprend que le gouvernement, dans sa grande sagesse, a mis un terme au programme des enfants de rue.

Nous sommes encore loin, bien sûr, des dizaines de milliers de Chégués de Kinshasa, de la république démocratique du Congo (RDC), mais on progresse. En RDC, ces enfants de rue nommés après le fameux visiteur Che Guevara, à cause de leur «récalcitrance», naissent, vivent et meurent dans la rue depuis plusieurs générations. Leur seul moyen de survie repose sur le porte feuilles des conducteurs inattentifs pris dans les kilomètres de bouchons. Mais toute statistique étant manipulable, le président Mobutu conçut l’idée, «Kin(shasa) la Belle» étant plus admirable sans Chégués, de les faire enlever manu militari pour les «rééduquer dans des fermes» structurées pour ce faire. Que personne n’ait plus jamais entendu parler de ces fermes, ni jamais revu ces enfants, est une autre spécificité de la RDC sur laquelle nous ne nous attarderons pas ici.

A Maurice, nous n’en sommes pas (encore) là, nous laisse entendre la responsable de Safire. Chez nous, le terme enfants des rues s’applique (jusqu’ici) à des enfants qui ont un toit mais qui échappent aux structures sociales instituées pour les scolariser. Cela permet d’imaginer le pire pour ces enfants qui deviennent ainsi vulnérables à l’exploitation sexuelle et la prostitution. C’est ce qu’on pourrait appeler le phénomène du «slippery slope».

Mais il n’est pas nécessaire pour nos enfants d’être livrés à eux-mêmes dans les rues de nos faubourgs pour devenir la proie sexuelle des prédateurs. Plus de 500 enfants sont arrachés de leurs familles biologiques (parents maltraitants, incarcérés ou prostitués). Molestés sexuellement par ceux qui ont trahi leur confiance, terrorisés par les dédales procéduriers, on leur promet un foyer que la vie leur avait jusqu’ici refusé. Mais le sort s’acharnant sur ces pauvres êtres, ils deviennent bien vite la proie de nouveaux satyres au sein d’un centre dit d’accueil.

Il est difficile d’imaginer pire lâcheté que celle d’un homme qui assouvit ses instincts les plus ignobles sur un être fragile dont il a la mission et la prétention de protéger. Il est étrange que l’épisode Namasté survienne quelques mois seulement après le dénouement du scandale qui a ébranlé l’Amérique entière. Un des hommes les plus admirés aux Etats-Unis jusque-là, Jerry Sandusky, football coach adulé des présidents, père adoptif de six enfants et fondateur de The Second Mile, institution charitable pour les garçons à risque et défavorisés, encourait, au début de son procès, 442 ans de prison. Le condamnant à 60 ans de servitude pénale (la perpétuité en ce qui le concerne), le juge Cleland de Pennsylvania a déclaré : «Sandusky is a particularly dangerous breed of child molester because he masked his manipulation and abuse of children behind a respectable façade. It is the remarkable ability to conceal that makes these crimes so heinous”. Sandusky se servait de l’institution qu’il avait fondée comme un réservoir d’où il choisissait ses proies.

Au pays natal, ayant déjà démontré un manque d’élégance et d’éthique au début même de sa carrière politique, propulsée sans préparation à un poste pour lequel elle n’était visiblement pas préparée, on ne pouvait s’attendre que l’honorable Mireille Martin, ministre de tutelle, maîtrise ses dossiers avec doigté. Que ce soit les pupilles indigents de l’Etat qui héritent de cette ineptie est une autre preuve du sort qui s’acharne sur ces enfants handicapés et abandonnés de tous. La déclaration qu’une lettre anonyme ne constituait pas une raison suffisante pour intervenir et protéger un enfant clairement à risque ; avoir permis et défendu le directeur et l’assistant directeur, qui emmenaient des enfants chez eux le week-end à l’encontre de la loi ; demander à un travailleur social venu l’informer de comportements suspicieux d’aller faire une déclaration à la police ; avoir fermé les foyers au beau milieu de la nuit plutôt que de trouver des gens capables de remplacer les responsables déchus au sein de la même structure, tout cela démontre une confusion qui se répercute de façon cruelle sur les enfants concernés.

Il est triste, cependant, de voir une opposition parlementaire trop souvent apte à perdre de vue l’objectif principal de protéger post hoc les enfants et d’offrir une solution viable aux autorités au lieu de s’arc bouter sur le sujet, somme toute aride, de l’avenir politique de Mme Martin. C’est pour cela que nous osons «beg to differ» avec l’élue de l’opposition qui déclarait dans un meeting : «Ka Brown Sequard ti premier viktwar MMM ek premie defet Martin alors ki Namaste reprezant so deziem defet». Nous croyons fermement que, dans les deux cas, la victoire était à l’incompétence alors que la défaite revenait inéluctablement à l’île Maurice de 2013 qui n’a pas su protéger ses enfants en détresse.

Dans ce domaine, plus encore qu’ailleurs, il est facile de « rush in where angels fear to tread ». Ainsi, la ministre a demandé à la police d’enquêter sur les allégations d’abus sexuels par les responsables du centre Namasté. Avec leurs gros bogies, ils ont obtenu une déclaration des enfants concernés et, vini, vidi, vici, sont repartis contents de leur conclusion : « All minors are happy at the centre». Quand on écoute la responsable de Open Mind, une ONG qui offre un service d’aide psychologique aux enfants, on comprend tout de suite que c’est un domaine où n’opère pas qui veut. La première réaction d’un enfant qu’on interpelle sur ce sujet tabou va nier d’avoir été l’objet d’abus sexuels, surtout si cette interview se tient sur les lieux où le délit a eu lieu. Il faut chercher beaucoup pour que l’enfant dénonce le prédateur. Quand il le fait, souvent à travers des dessins, il va avoir mal au ventre, pleurer, vomir même, se contredire et se rétracter souvent, car revivre cette expérience lui donne la nausée qu’on peut imaginer. 

La fermeture des foyers laisse les enfants plus mal lotis qu'avant.

 Aujourd’hui la loi a été appliquée et les Foyers Namasté ont été fermés mais quid du problème de la logistique car le vide créé par les foyers fermés, laisse, du même coup, de nombreux enfants plus mal lotis qu’avant. Certains finiront même incarcérés au Bedlam mauricien. «Qui recueillera ces enfants dans le long terme ? Rêvons que toutes les personnes qui ont eu à coeur la fermeture du Foyer Namasté pouvaient aider à trouver, voire à mettre en place une solution juste et digne sous la forme d’une structure d’accueil où l’encadrement thérapeutique sera présent ?» 

Cela restera un rêve car le manque cruel de ressources, autant financières qu’humaines, freine la création de centres d’accueil. Malgré ses lourdeurs, le gouvernement essaie, en vain, de chercher un gérant pour le Drop-in-Centre de Grande-Rivière-Nord-Ouest. Aucun appel d’offres n’a intéressé les ONG du pays qui affichent «complet». La crainte d’ingérence (accueil sans tri préalable?) semble être la raison essentielle pour cet état de choses. Le gouvernement a lancé un appel d’offres international.

A l’opposé de ce problème, même dans le domaine sacro-saint du bien-être des enfants vivant en précarité, les affairistes et autres «rodeurs de boute» rôdent autour des Rs 243 par jour que le gouvernement accorde par enfant. Un ancien fonctionnaire dévoile que «dans la majorité des cas, les contrats pour opérer ces foyers sont alloués selon les connivences des uns et des autres avec les dirigeants du jour». Il divulgue que « les foyers ont de tout temps été gérés au petit bonheur…le personnel est très souvent insuffisant, mal payé et ne bénéficie pas d’une formation appropriée ». Le manque de suivi de ces centres par la «Child Development Unit» est un autre thème récurrent. Reconnaissant que ce service requiert un investissement important, l’honorable Satish Boolell résume bien la situation : «L’argent est toujours tributaire du mal. Il revient à ceux qui financent de s’assurer qu’il est utilisé à bon escient»

Pourtant, la marche à suivre crève les yeux et le manque de volonté d’établir un plan d’action solide ne fait pas honneur à ce pays qui veut se donner en exemple à la région. Si un tel dysfonctionnement existait au niveau de l’exportation du textile, l’importation des oignons, la sécurité des touristes, la recrudescence des mouches de fruits ou de pissenlit, le secteur public et privé auraient, en moins de 24 heures, organisé une table ronde avec les meilleures têtes du pays pour aborder, disséquer et trouver un début de solution au problème. Il n’est plus permis de douter de l’existence, au sein du secteur ONG, de têtes pensantes, d’âmes engagées et d’un professionnalisme sans faille. C’est donc une honte nationale que l’ile Maurice s’asseye sur ses mains et s’engage dans le sport favori de «pa moi sa, li sa» quand le sort des enfants les plus mal lotis du paradis mauricien, un enfer en ce qui les concerne, est en jeu. Laissant de côté les clivages politiques et autres clashs de personnalité, nos élus devraient réunir toutes les têtes pensantes dans ce domaine, afin d’oeuvrer, selon les mots de notre ex fonctionnaire, «vers une refonte totale, assortie d’une véritable volonté politique et un plan d’action solide et bien réfléchi (visant) à décanter partiellement la situation».

Et quid de la question pénale ? Le présumé agresseur a été arrêté et le Premier ministre déclare que le ministère du Développement de l’enfant et du bienêtre familial travaille sur un Children’s Bill pour mieux assurer la prévention des délits à l’encontre des enfants et les protéger de façon plus efficace. C’est bien, mais les prémices de ce changement de loi peuvent laisser sceptique. « Increasing the penalties will not in itself put an end to such offences (pédophilie). It is important to lay emphasis on better sensitisation and education of the public and of children in particular”. Comme quoi le «Pennsylvania Sexual Offenders Assesment Board» aurait dû avoir mis Monsieur Sandusky entre les mains de quelque habile pédagogue au lieu de le mettre sur le registre national des «Sexually Dangerous Predators ». On arrive à se demander ce qu’un coach de son genre aurait encouru au pays natal.

Le PM explique que les peines pour tout délit sous la Child Protection Act sont des amendes allant de Rs 25 000 à Rs 100 000 et des peines d’emprisonnement de 5 à 30 ans. Le Criminal code, quant à lui, applique une servitude pénale de 10 à 20 ans. Le PM explique que la difficulté réside dans «the law of silence» qui rend l’intervention de la police difficile au sujet des crimes commis par des proches. On est tenté de rétorquer que c’est plutôt «the silence of the law » qui règne chez nous. Il y a une semaine, un homme a été condamné pour viol sur sa fille de 14 ans qui avait, depuis sa naissance, été prise en charge par une famille adoptive. Il a profité d’une visite de la victime pour la droguer puis la violer. Il a récolté trois ans de prison, la magistrate ayant conclu que la relation entre la victime et le violeur n’était que «purement biologique»

Il n’est pas nécessaire de redécouvrir la roue sur ce problème dont tout gouvernement qui se respecte de par le monde reconnaît la pertinence. On pourrait glaner plusieurs leçons de ces initiatives internationales visant à protéger l’enfant. Ainsi, au début de l’année, le gouvernement australien a nommé une « Royal Commission into the Institutional Responses to Child Sexual Abuse» dont les attributions permettent aux commissaires de «look at any public or private organisation that is, or was, involved with children, including non-government organisations and government agencies (including police and justice) schools, sporting clubs, orphanages, foster care, and religious organisations.»  L’opposition qui s’intéresse à ce qui se passe au MITD aurait tout intérêt à soutenir une telle initiative du gouvernement avec un juge de la Cour suprême à la tête de la commission.

La complexité de ce problème démontre jusqu’où ceux qui affublent cette communauté de 1,2 million de Mauriciens de «Mauritius Incorporated», se mettent le doigt dans l’oeil. L’île Maurice est faite d’êtres de chair et d’os avec leurs différences, leurs forces et leurs faiblesses. Les enfants de la nation mauricienne, mêmes les plus déshérités, ne seront jamais assimilables au passif d’une «société morale» à responsabilité limitée. Notre bilan à nous ne se mesure pas à l’aune de la valeur boursière mais à la richesse des âmes telles que la presse nous a permis d’entrevoir au sein de Safire et de Open Mind.