JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

28 February 2014

Cheap tomatoes or hot potatoes ?

Par Jean-Mée DESVEAUX
l'express du 28 février 2014

Les riches échanges entre la Banque de Maurice (BoM) et le ministère des Finances (MoF) contiennent suffisamment d’enseignements économiques pour remplir tout un symposium. Beaucoup de commentaires éclairés ont été faits ici et ailleurs mais, bien que nous n’ayons pas nécessairement tout lu, il reste quelques créneaux intéressants qui n’ont peut-être pas jusqu’ici obtenu l’attention qu’ils méritaient.

Le joug du FMI

La première constatation est simple, limpide et implacable. L’île Maurice a abandonné toute velléité, même la plus ténue, du sens de souveraineté nationale. Le Fonds monétaire international (FMI) ne se contente plus de conseiller la République, mais coupe et tranche là où il faut, et n’hésite pas, en passant, à rabrouer les leaders de nos plus prestigieuses institutions nationales qui, eux, n’aspirent qu’à obtenir son soutien dans la guerre fratricide qu’ils se livrent. Nous ne devrions nullement laisser cette entorse à la fierté nationale nous pousser à la déprime. Les Européens l’ont subi lors de la création de l’euro en 1999. Du reste, puisque le réel objectif est que les vaches financières (donc sacrées) soient bien gardées, que ce soit par le FMI, Manou ou Xavier, la différence est académique. Si on pouvait en faire autant au niveau politique, le pays serait probablement sauvé. Ce que cela change par contre, c’est que l’observateur de la chose économique doit aujourd’hui scruter le comportement du FMI, le réel décideur, plutôt que celui de nos mandarins devenus des marionnettes.

Quelle relation entre l’épargne nationale et le Repo rate ?

Ainsi, selon le ministère des Finances, le chef de mission du FMI aurait déclaré «que c’est un fait accepté dans le monde entier qu’il n’y a aucune relation de cause à effet entre des taux d’intérêts élevés et un niveau élevé de l’épargne.» Cette phrase est équivoque. Elle n’est pas aussi dénuée de fondement que celle du Gouverneur de la BoM qu’elle vise à contredire. Manou Bheenick avait déclaré, avec l’exagération de celui qui veut convaincre, que «le Repo Rate est directement responsable du taux d’épargne.» Le FMI semble prétendre qu’aucune relation n’existe entre l’épargne nationale et le taux d’intérêt directeur du pays, alors que le Gouverneur décrit la relation entre ces deux variables comme si elle était analogue à l’attraction d’un corps céleste par un autre. L’économie n’est tristement pas une science exacte où la «relation de cause à effet» a droit de cité. Ici, on  parle de corrélation (positive ou négative), et la première chose qu’on apprend est que corrélation n’équivaut pas à causation. Donc, réinterprété, M. Bheenick semble dire que la corrélation entre le Repo et la fameuse «propensity to save» de Keynes est «parfaite». En terme économétrique, cela voudrait dire qu’une régression linéaire démontrerait que tout changement au Repo rate «expliquerait» à lui seul un changement correspondant au taux d’épargne nationale. Même cette position «adoucie» est encore exagérée quand on sait qu’il y a beaucoup de facteurs qui influent sur le taux d’épargne, tels la motivation des banques de «pass through» la hausse ou la baisse, le taux d’endettement de la population en question, la balance commerciale du pays avec l’extérieur, entre autres. En ce qui concerne le chef de mission du FMI, réinterprétée, sa déclaration veut tout simplement dire que le taux directeur ne peut à lui seul expliquer le taux d’épargne national, et que plusieurs variables y jouent un rôle, dont le Repo. Il ne dit pas ce qu’on aurait été tenté de comprendre en dehors du contexte : que le taux directeur (ici le Repo) n’a, internationalement, aucune corrélation avec le taux d’épargne. Dans ce contexte, on ne peut rien trouver à redire avec l’hypothèse d’une corrélation suggérée par le Gouverneur entre le rendement négatif des dépôts en banque (intérêts en deçà du taux d’inflation) et un  taux d’épargne national anémique à 13 % du GDP.

Mirage inflationniste ?

Le FMI, selon le MoF encore, aurait été favorable à une baisse du Repo dans le contexte actuel. Cela est, pour dire le moins, inconsistant. Le FMI avait effectivement recommandé que la BoM s’engage dans la voie d’une «explicit inflation targetting» en vue de réduire la différence entre le taux d’inflation existant à Maurice et celui prévalent au sein de nos partenaires commerciaux. Avec les 5,1 % du year to year inflation en janvier, les ministres des Finances de France (CPI 0,65 %), du Royaume Uni (1,9 %),  de Singapour (1,4 %), des  Etats-Unis (1,6%) et de l’Australie (2,7%) auraient eu du mal à retenir leur portefeuille ministériel.  L’attitude du FMI est d’autant plus étonnante que son «Staff Report for 2013 Article 1V consultation», fait référence à une étude qui confirme l’existence d’une relation «statistically significant» entre le Repo et l’inflation à Maurice, alors que la même étude a trouvé que la relation entre le Repo et le GDP était statistically insignificant. En d’autres mots, la baisse du Repo prônée par le FMI aurait exacerbé notre inflation sans pour cela exercer un impact positif sur la croissance annuelle du pays !

La relation nébuleuse entre l’épargne, le déficit du compte courant et l’excès de liquidité

Les échanges entre la BoM et le MoF auront permis au lecteur assidu de comprendre qu’une relation nébuleuse existe entre l’épargne nationale, le déficit du compte courant, la liquidité du système monétaire, les emprunts du gouvernement et les investissements étrangers vers Maurice. Essayons de mettre un peu d’ordre dans ce fouillis. Le déficit commercial (export moins import) a une répercussion directe sur le déficit du compte courant. Maurice accuse, en moyenne, quatre à huit milliards de roupies de déficit commercial mensuellement. Ce n’est donc guère étonnant que le compte courant s’enlise autour d’un déficit dépassant 10 % du PIB (malgré notre performance dans le tourisme et autres services) car, dans une discipline où il existe très peu de certitudes, le dismal science qu’est l’économie réussit à établir une identité ici. Le déficit du compte courant est égal à la différence entre l’épargne nationale et l’investissement du pays. Donc, la propension à l’épargne diminuant de façon anémique à 13% du PIB, alors que l’investissement reste relativement plus stable (22 à 25 % du PIB), le déficit du compte courant s’est ainsi creusé. Ce trou du compte courant doit être contrebalancé (remblayé) de façon exacte par un surplus du côté du Capital Account. Ce «remblais» peut prendre plusieurs formes. On a vu que le gouvernement a, ces derniers temps, augmenté ses emprunts de l’extérieur (suivant ainsi le conseil du FMI), alors que, jusqu’à tout récemment, notre dette nationale (aujourd’hui Rs 58 milliards à l’étranger et Rs 162 milliards) était davantage axée sur l’emprunt au niveau local. La BoM avait critiqué ces emprunts à cause de la liquidité qu’ils créent sur le marché monétaire. D’autres intrants considérés comme hautement « vertueux» comme le  net FDI inflow (3 % du GDP en 2010 et 1,6 % en 2011) causent aussi le même excès de liquidité sur le marché monétaire, et ce n’est pas pour cela qu’on découragerait le Foreign Direct Investment (FDI). Moins vertueux sans aucun doute et très volatile, les inflows dus à l’offshore atteignaient 7,8 % en 2011. Une réponse à ces excès de liquidité est de les éponger ou de les stériliser à travers les instruments de la BoM et du ministère des Finances.

Ce que cache le cash reserve ratio

Nous  consacrons cette dernière section  à un sujet qui aurait pu, à lui seul, prendre plusieurs colonnes hebdomadaires : le Cash Reserve Ratio (CRR).  Pour des besoins prudentiels aussi bien que pour faciliter sa politique monétaire, une banque centrale demande aux banques commerciales de conserver dans leurs coffres une portion (inutilisée) de chaque roupie que dépose un épargnant chez elle. Ce pourcentage variait dans les  années 80/90 entre 20 % et 30 %. Donc, si on prend 30 %,  la banque chez qui l’épargnant déposait sa roupie ne pouvait prêter que 70 sous, ayant l’obligation de conserver les 30 sous restant dans ses coffres ou chez la BoM sans aucun rendement. Le money multiplier prend donc la forme suivante : les 70 sous prêtées à un emprunteur retourneraient à la banque (car personne ne les conservera sous son matelas). A l’occasion de ce deuxième tour, seules  49 sous (70 % de 70 sous) peuvent être nouvellement offertes par la banque en prêt à un deuxième emprunteur, et ainsi de suite. Il n’y a pas très longtemps, les banques de par le monde ayant réussi à convaincre leurs autorités monétaires que le CRR était exagérément élevé, une baisse du CRR a permis à ces institutions financières de tirer une rémunération sur un argent qui dormait jusque-là pour des raisons prudentielles qui étaient loin de les inquiéter, mais qui leur coûtait quand même ce que coûte le loyer de l’argent. Ainsi, à Maurice, le taux varie ces derniers temps autour de 6 à 7 %.

Excès de liquidité

On peut maintenant comprendre la notion d’ «excès» de liquidité. Est en excès toute liquidité qui est au-delà de ce que les banques sont forcées par la BoM de  conserver «inutilement» dans leurs coffres. Un communiqué de la BoM du 26 septembre dernier faisant état de la situation monétaire aide à éclairer le débat. Sur un Deposit Base, au sein des banques, de Rs 315 milliards, le «average cash balance held» dans les coffres était de Rs 27milliards (8,6 %), alors que le « minimum cash balance » (représentant les besoins du CRR) n’était que de Rs 22 milliards (6,7 %). La liquidité moyenne dans les coffres-forts bancaires dépassait ainsi le mandatory requirement du CRR de Rs 5 milliards. Cet excès, dont personne ne semble vouloir, contrairement à la tomate de Xavier, peut être vu comme une patate chaude dont les banques veulent à tout prix se débarrasser au plus vite. Pour ce faire, les banques rivalisent férocement entre elles pour acheter des liquid assets (qui visent à éponger ces excès) tels les BoM bills et notes, ou les 91-day treasury bills. Cela descend leur yield, qui est en relation inverse à leur coût. Cette motivation des banques exerce également une pression à la baisse sur le overnight interbank borrowing rate (2,5 %), qui ne peut décoller pour rejoindre les 4,65 % du Repo Rate. Le FMI considère que ce phénomène expliquerait en grande partie le fossé entre les taux du loyer de l’argent appliqué par les banques.

Ce que cache le «Cash Reserve Ratio»

Le CRR ne devrait-il pas être rehaussé, quand on sait que chaque pourcentage à la hausse enlèverait Rs 3 milliards ou plus de surliquidité du circuit monétaire (dépendant du deposit base du moment au sein des banques) ? C’est en effet ce que la BoM a fait en février 2011 (hausse de 6 % à 7 % du CRR) et le 4 octobre 2013 (de 7 % à 8 %), le lendemain de la pénultième défaite de Manou Bheenick au Monetary Policy Committee. Cela a permis à la BoM d’éponger la surliquidité on the cheap quand on compare cela avec les instruments coûteux de son attirail monétaire. Cela éviterait aussi d’avoir à faire la manche devant le ministère de Xavier. Aujourd’hui que la surliquidité est encore plus menaçante que jamais, ne devrait-on pas conclure que le CRR à 8 % est structurellement en-dessous de son equilibrium level pour une économie mauricienne qui est à la merci des caprices monétaires (FDI, emprunt du GoM en devises, offshore, résilience financière de la BoM) qu’on a vu en haut ? Si cette question ne peut être posée en ce moment c’est qu’entre-temps, Xavier-Luc Duval a, pour balancer son budget, quelque peu grevé la profitabilité des banques locales en leur imposant un alourdissement et une prolongation d’impôts « temporaires».

19 February 2014

Excès de liquidités : Une route monétaire pavée de bonnes intentions...

Par Jean-Mée DESVEAUX
l'express du 19 février 2014 

L’auteur rebondit sur un des facteurs qui défraient la chronique – l’excès de liquidités – sur l’horizon économique. Il nous livre également ses opinions autour de ce sujet.

Analysant  la foire d’empoigne sur le repo rate entre le gouverneur de la Banque de Maurice (BoM) et Ali Mansoor dans une colonne intitulée «Rational expectations and irrational behaviour» dans l’express du 25 septembre 2013, nous exprimions le fait que l’analyse de l’ancien Financial Secretary (FS) était déroutante. «Comment peut-on logiquement dire, sur la même plateforme et le même jour que 1) Le Monetary Policy Committee (MPC) n’a aucune crédibilité et que son policy rate, le repo, laisse le marché superbement indifférent et 2) dire que ceux qui prônent une révision à la hausse du repo rate engagent l’économie dans une voie suicidaire ; que ‘the spectre of unemployment is worrisome and the MPC should think very carefully about its responsibility... To history’. Ceci démontre que le rôle que joue le MPC au sein de notre économie n’est pas compris par le FS et, ça, c’est dangereux pour lui et pour nous.»

Citant les chercheurs du Fonds monétaire international (FMI), nous faisions ressortir que le «policy rate pass-through to the lending rate is about 80% in Mauritius, one of the highest among sub-Saharan African countries» démontrant ainsi une amélioration du mécanisme de transmission durant la dernière décennie du fait que la BoM ait choisi le repo (au Lombard rate) comme «policy instrument», ce qui est bien plus orienté au marché. Nous faisions ressortir, cependant, que l’effet du repo rate sur les «market determined rates» tels l’interbank overnight borrowing rate et le 91 day treasury bills (tous deux au-dessous du key repo rate depuis 2009) restait négligeable.

Ce «misalignment» dû à la forte liquidité excédentaire au niveau des banques (Rs 3 milliards ou 1 % du GDP par jour en 2012, Rs 11 milliards ces jours-ci et menaçant d’atteindre les Rs 18 milliards dans un proche avenir ) engendre des taux très faibles au sein du «money market» et explique la faiblesse de la transmission monétaire, entre autres effets néfastes, sur notre économie dont la distorsion de la motivation des banques au niveau des emprunts et des prêts. Le FMI a, il y a plus d’une année, suggéré que la BoM devait éponger cet excès à travers des«Repurchase operations» mais que cela effriterait la profitabilité de la banque centrale, obligeant le gouvernement de recapitaliser la BoM avec des «Government Bonds» (un chèque en blanc selon XLD) afin d’augmenter ses actifs collatéraux en repo et permettre ainsi au marché de bénéficier d’un «increased supply of liquid assets».

Notre proposition que le FS et le gouverneur se mettent autour d’une table pour discuter de cet excès de liquidités sur le marché ne put jamais se réaliser car Ali Mansoor reçut sa feuille de route quelques semaines après la parution de cette colonne. Depuis, rien n’a changé dans la guérilla psychologique entre la BoM et le MoF alors que cet excès de liquidités, lui, ne cesse de s’accroître, exacerbant les effets pervers qu’on a constatés. Mais ce problème d’ordre macro-éco économique doit, pour être démêlé aujourd’hui, être analysé sur les registres psychologiques, institutionnels aussi bien qu’économiques.

Les excès du ministre des Finances vis-à-vis du gouverneur ne peuvent être appréhendés autrement qu’en termes d’un «severe bout of displaced aggression». C’est un phénomène psychologique bien documenté qu’on rencontre souvent dans le milieu familial quand, un homme ayant souffert des excès tyranniques de son patron tout puissant, rentre à la maison et rabroue cruellement sa femme pour une peccadille. XLD ne peut s’en prendre à Navin. Il se défoule sur Manou Bheenick. XLD n’est pas le seul à déplacer ainsi ses impulsions agressives sur ceux moins aptes à se défendre. Le PM, excédé par son ministre des Finances, n’avait-il pas lui-même cherché une victime électoralement moins dangereuse en infligeant la claque destinée à Xavier au pauvre Ali Mansoor qui fut prié de plier bagage.

Du point de vue institutionnel, ce problème nous retourne au pathétique manque de leadership dont nous parlions dans notre dernière colonne. Aucun PM digne de ce nom ne songerait à permettre un tel débordement entre la Banque centrale et son ministère des Finances, les deux«vitrines» les plus en vue de nos partenaires internationaux. Ensuite, une banque centrale a sa mission qui ne coïncide nullement avec celle du politicien à la tête du ministère des Finances. À la BoM incombe la lutte contre l’inflation ainsi que la stabilité de la devise nationale, alors que la motivation première du politicien qui s’affuble le rôle de Grand argentier, reste le souci de se faire réélire… coûte que coûte. Les politiciens, de par le monde, ne comptant pas parmi les êtres les plus courageux du pays, la tentation toujours présente à leur esprit de jouer au Père Noël, de créer le «plein-emploi» et de déprécier «compétitivement» la devise nationale pour aider un secteur manufacturier en panne etc, a fait qu’au sein des pays où règnent une certaine gouvernance et un respect des institutions, une Banque centrale indépendante est instituée pour parer à tous débordements monétaires qui se solderaient par une inflation calamiteuse. Un gouverneur est choisi sur la base de sa capacité et de son indépendance. 

Il n’y a pas trop longtemps, au Royaume-Uni, un MPC a été institué pour donner une certaine représentativité à la décision cruciale de la Banque centrale de réguler le loyer de l’argent, c’est-à-dire à voter l’équivalent de notre repo rate. L’île Maurice a cru bon d’imiter cet exemple. Mais, comme les multiples institutions d’inspiration étrangère que nous singeons, le MPC est une cacophonie institutionnelle car, en son sein, le poids des membres choisis par des politiciens reflète un désir de surseoir systématiquement au jugement du gouverneur en ce qui concerne sa mission première et sacrée de protéger l’économie du fléau Inflationniste. À chacun son métier et les vaches seront bien gardées. Ce modèle où le ministre des Finances pèse de tout son poids sur la finalité des décisions monétaires rapproche notre système ironiquement de celui que nos voisins africains éclairés viennent tout juste d’abandonner : la route qui mène à la planche à billets est pavée de bonnes intentions.

05 February 2014

O nation misérable

Par Jean-Mée DESVEAUX
l'express du 5 février 2014

La désillusion du pays vis-à-vis de la classe politique mauricienne a atteint son point culminant une année avant les élections de 2015. Bien qu’habitués au mépris de la classe dirigeante, le théâtre de mauvais goût que nous ont offert le gouvernement et l’opposition, unis dans la même duplicité, a dévoilé le dernier râle de la démocratie mauricienne.

Dans un bourbier d’intérêts personnels où soif de pouvoir rimait avec une volonté commune de vendre sa conscience au prix fort, nous n’avons eu droit, au milieu de toutes ces alliances de partis qui se faisaient et se défaisaient, à aucune référence à un policy reassessment. Aucune mention n’est faite d’un plan cohérent pour combattre l’inégalité économique croissante du pays. Pas plus qu’une sortie planifiée des égouts politiciens où ces malotrus ont plongé le pays depuis de trop longues années. La politique ne se fait pas avec des idées où des aspirations patriotiques dans la belle île Maurice. Ici, c’est la guerre des tranchées pour asseoir son clan ou sa dynastie qui se livre. PTr, MMM, MSM, PMSD, tous tripatouillaient dans la même mare de canard en espérant, qu’à la fin de la partie, ils sortiraient plus tonifiés ou moins décrédibilisés que l’adversaire. Manque de pot, ils en sont sortis, si cela était encore possible, encore moins crédibles qu’avant. Des 40 % de votants qui exécraient ces épouvantails politiques il n’y a pas si longtemps, ce chiffre doit aujourd’hui dépasser les 50 %, soit plus de la moitié des électeurs qui seront appelés aux urnes l’année prochaine.

Il n’y a rien d’étonnant à cela. La descente aux enfers a été aussi sûre que lente. Nous aborderons le cas de l’opposition dans un prochain texte et nous nous arrêtons ici au Parti travailliste. J’ai eu la chance de côtoyer l’espoir qu’était Navin Ramgoolam en 1996, aux côtés de Paul Bérenger. Qui mieux que lui pouvait faire rêver le pays d’un avenir meilleur. Bien né politiquement, jeune, éduqué dans les meilleures universités britanniques, il était le modèle même de l’homme d’État moderne et progressif. Le pays était en droit de s’attendre à un guide éclairé, imbu de valeurs humaines qui iraient de pair avec un gouvernement transparent et honnête où les clivages ethniques et sociaux commenceraient à s’estomper. En sus de toutes les qualités que la nation percevait chez ce jeune leader, le hasard allait lui enlever la tentation d’asseoir son pouvoir sur une dynastie comme le faisait déjà son adversaire principal. En ce qui le concerne, les enfants mauriciens allaient être ses enfants, sans discrimination aucune, l’île Maurice de demain allait être sa seule dynastie.

Quel réveil brutal le pays a ainsi connu ces dix dernières années ! L’homme miracle s’est révélé un satyre et le rêve d’une île Maurice meilleure a tourné au cauchemar. Il est difficile de décrire l’étendue du désenchantement tant il est grand. Navin Ramgoolam avait tout pour s’arroger la place prépondérante dans notre histoire en tant que le plus illustre PM que ce pays ait connu. Il a tristement laissé cette chance lui échapper laissant à la postérité le souvenir du pire leader que ce pays ait subi en cinquante ans d’indépendance.

Comme Hamlet, le prince du Danemark, Navin est né avec un tragic flaw dans son caractère. Il souffre d’une incapacité de prendre la décision qu’il faut, au moment où il le faut. Cette propension à la procrastination a failli coûter cher au pays en 1999. Mais ce défaut, il le cache assez bien sous un charme bien réel et la fabulation que sa «lenteur» n’est qu’une stratégie de réflexion pour mieux bondir au moment choisi. C’est ainsi que se décline l’incapacité de choisir un allié en 2010, les longues absences de promotions aux postes importants du pays, les réformes (électorales et autres) renvoyées aux calendes grecques. Là où sir Anerood Jugnauth coupe et tranche en un tour de main et Paul Bérenger se décide aussitôt le dernier dossier épluché, NCR lui, reste figé dans l’immobilité.

Contrairement aux dieux classiques, le pays aurait pu lui pardonner ce tragic flaw, cette faute unique bien que fatale, cette fine ébréchure dans un vase par ailleurs parfait, si justement le reste de l’objet était impeccable. Loin s’en faut. Chez NCR, le hair line crack donne lieu aux multiples lézardes de la structure. Ainsi, l’homme de la renaissance n’hésite pas à tomber dans le communalisme le plus abject et s’entoure d’une coterie qui l’associe aux pires débordements primaires. La VOH a droit de cité, les pandits désavoués de leurs propres ouailles s’approprient son oreille, votre correspondant devient sa cible raciale préférée lors des élections pour reprendre le pouvoir. Même ses calculs sectaires sont mal faits. Comment sinon expliquer l’aliénation de tout un pan de route côtière et de plage nationale au profit de quelques colleurs d’affiches quand ces excisions, au sein de son propre électorat, désavantagent en premier lieu ces mêmes électeurs de Triolet. Il se targue qu’aucun de ses ministres ne peut lire sa pensée alors que le propre d’un vrai chef est justement de définir clairement la ligne rouge à ne pas franchir. Il n’est donc guère étonnant que nombreux sont ses ministres qui hériteront d’une place choisie au panthéon de la honte aux côtés de messieurs Daby et Badry.

Au lieu d’assainir les tactiques innommables de la politique mauricienne, ce PM qui a longtemps côtoyé l’intelligentsia britannique va pousser, jusqu’à son summum, l’art de la moralité publique qui, chez nous, vise d’abord à préserver le gagne-pain de l’homme qui la pratique. Paul Bérenger le fait éjecter le MSM, un allié scélérat, pour ensuite se l’approprier cyniquement. Qu’à cela ne tienne, il achète trois des parlementaires, démontrant ainsi que Bérenger n’a rien à lui apprendre en immoralité politique. Mais là où il montre le degré de son mépris pour le pays c’est sa pratique sous le prétexte archi creux de la démocratisation de l’économie. Au vu et au su de 1,2 million de Mauriciens, se croyant tout permis, il laisse sa vie dite privée empiéter de façon on ne peut plus flagrante sur son devoir de déférence et de respect pour le patrimoine et l’opinion nationale. Inélégant, il n’hésite pas à bafouer, en ce faisant, la dignité d’une personnalité dont le stoïcisme tranche on ne peut plus crûment avec les lèche-bottes et lâches courtisans qui gravitent autour de lui dans l’espoir de grappiller une miette qu’il laisserait éventuellement tomber dans leurs écuelles.

Ayant suivi cette tragédie nationale au premier rang depuis une décennie, la question est de savoir si le peuple admirable va, malgré tout, renouveler sa confiance en Navin Ramgoolam en 2015. Comme Malcolm dans «Macbeth», la nation va très prochainement se poser la question au sujet de notre tragique héros national : «Is such a one be fit to govern ?» Il est permis d’espérer que, tel le patriotique Macduff, l’île Maurice déclame en choeur «O nation miserable !» suivi d’un «NON» électoral retentissant.