JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

30 October 2013

Maurice contrainte à la vertu économique

Rama Sithanen présentant son dernier budget en 2010.
Par Jean-Mée DESVEAUX
L'express du 30 octobre 2013

PARMI les nombreux paramètres de l’exercice budgétaire annuel, c’est le déficit budgétaire qui, à tort ou à raison, vole la vedette. La réussite du Grand argentier à balancer son budget suscite l’admiration de la population et celle des institutions internationales. Elle reflète une nation/ maison bien rangée qui ne vit pas au-delà de ses moyens. Mais rien n’est aussi simple en économie. En temps de crise et de récession, par exemple, beaucoup d’experts pensent qu’il est malséant de diminuer trop abruptement les dépenses de l’État à travers une politique d’austérité et une contraction budgétaire. Cette discussion a fait rage lors de la crise de l’euro et la débâcle de l’économie grecque. Ainsi, la règle d’or est souvent décrite comme «leaning against the wind» : politique budgétaire restrictive (balance du budget ou même un surplus budgétaire) en temps de surchauffe économique où la croissance est au grand max. Inversement, une politique fiscale expansionniste (déficit budgétaire souvent lié à des projets infrastructurels) lors des années de vaches maigres. Mais manque de pot pour les pandits qui adhéreraient à la notion décrite plus haut. Dans le cas de l’économie mauricienne, selon le Fonds monétaire international (FMI), une impulsion fiscale positive du Grand argentier (déficit budgétaire discrétionnaire) n’aura qu’un impact limité sur la croissance économique nationale. Ceci est dû au fait que le «fiscal multiplier» (la croissance excédentaire induite par une injection de fonds du gouvernement dans l’économie réelle) n’est que très faible dans une petite économie ouverte au reste du monde quand elle pratique, comme Maurice, un régime de taux de change flexible.

Qu’en est-il sur le terrain frustrant de la réalité ? Sous l’impulsion du FMI et de ses fidèles partenaires, Rama Sithanen (2009/2010) et Ali Mansoor jusqu’à tout récemment, ces cinq dernières années ont invariablement révélé une courbe descendante en ce qui concerne le défi cit budgétaire. 3,9 % du Produit intérieur brut (PIB) (2009), 3,2 % (2010), 3,2 % (2011), 2,5 % (2012) et une volonté affichée de faire pareil, en 2013, avec 2,2 % du PIB. Il s’avère donc que le niveau du déficit budgétaire est le point focal qui attirera l’attention lors de la lecture du troisième budget de Xavier-Luc Duval, cette année. Toute velléité d’un déficit budgétaire qui se démarquerait de cette trajectoire à la baisse sera le signal d’un relâchement de la politique économique rigoureuse poursuivie jusqu’ici. Dans une île Maurice où le laisser-aller et la mauvaise gouvernance sont en deçà de tout ce que cette malheureuse République a jamais connu en 45 ans d’existence, les affaires économiques du pays ne s’en sortaient quand même pas trop mal car elles adhéraient solidement aux rails sécurisants du FMI. Une preuve de ce bon management est, qu’en matière économique, l’opposition n’a eu d’autre choix que d’agir, durant toutes ces années, en tout point, comme une opposition décidément loyale, n’ayant absolument aucune alternative à suggérer, à part quelques petites pointes de démagogie. Maintenant que le Roi Soleil a viré le dernier rempart économique qu’était Ali Mansoor, l’envie de prendre les affaires économiques de l’État entre ses mains hautement malhabiles pourrait le distraire de ses occupations régaliennes moins astreignantes. Si cela s’avérait, tout diplômé de la London School of Economics qu’il soit, le pays serait vraiment très mal barré face au déluge que laissent derrière elles de telles figures historiques. Dans ce cas, tel le mercure à l’approche d’une violente tempête, l’indice infaillible à scruter sera bien la direction du déficit budgétaire. S’il continue à descendre, ce sera le soupir de soulagement, sinon attention aux dégâts.

Ceci est d’autant plus vrai que la hantise que causent les déficits de l’État est directement liée au poids de la dette publique que chaque budget déficitaire vient grever davantage. La dette publique a, comme on peut s’y attendre, suivi la courbe descendante des déficits budgétaires ces dernières années. De près de 75 % du PIB en 2003, elle a été de 60 % en 2009 et de 56 % à la fin de l’année 2012. La dette publique est associée à certains paliers prudentiels reconnus sur le plan international. Ainsi, beaucoup sont d’accord qu’une dette au-delà de 60 % du PIB n’est pas soutenable sur le long terme. Il faut dire que la Grèce, par exemple, flirtait avec les 170 % du PIB quand elle fut prise en charge par les institutions européennes. Dans le cas de la «small open economy» mauricienne, avec ses aléas et ses spécificités, le ministère des Finances considère que le «sustainability risk threshold» serait une dette de 50% du PIB. Ainsi, en 2008, alors que Rama Sithanen était ministre des Finances, le gouvernement travailliste fi t voter la Public Debt Management Act (PDMA) qui imposa un plafond de 60 % du PIB à la dette publique en 2017, allant à une réduction à 50 % après 2018. Cette consolidation fiscale présume un surplus budgétaire de 1% par an, à partir de 2015. Loin de jubiler devant tant de bonne volonté, le FMI veut voir le pays aller encore plus loin dans sa consolidation fiscale : «As a financial centre, Mauritius might need larger policy buffers to respond to shocks and recommends continuing to target structural primary surpluses after 2018 to gradually reduce public debt levels to 40 percent of GDP to further reduce vulnerabilities to adverse developments in capital markets, help address external imbalances, and strengthen policy buffers».


On peut en tout cas admirer la présence d’esprit du FMI et de ses alliés fidèles durant leur passage aux Finances. Ils ont laissé derrière eux une camisole de force autour de l’économie mauricienne pour l’astreindre à la vertu. Ces mesures peuvent bien sûr être contournées. La PDMA peut être abolie et la dégringolade vers l’enfer économique peut alors recommencer mais tous les signaux sont en place pour nous permettre de suivre le virage vers le mal-être économique si d’aventure la mauvaise gouvernance de ce gouvernement travailliste descendait jusque-là.

Jean-Mée Desveaux : Bérenger a été roulé dans la farine avec l'Asset Recovery Act

Le Defi quotidien du 30 octobre 2013

26 October 2013

Rama Valayden au banc des accusés

Par Jean-Mée DESVEAUX
L'express du 26 octobre 2013

Il ne s’agit pas de s’acharner sur l’homme, aujourd’hui qu’il est à terre. Inculpé provisoirement de complot la semaine dernière, l’interrogatoire quasi quotidien «under warning» au «Central Criminal Investigation Department» de Me Rama Valayden vole la vedette depuis au riche feuilleton juridico policier du pays. S’il jouit de sa présomption d’innocence vis-à-vis de l’accusation et des allégations portées contre lui, le destin de cet acteur né, membre flamboyant mais volatil du barreau mauricien, invite naturellement à l’analyse de ceux qui s’intéressent à la chose publique.


Il est accusé de complot et de perversion du cours de la justice en marge de l’affaire des jugements truqués en Cour suprême. Il aurait essayé de convaincre Ahkee Bhikajee de modifier sa version des faits en vue de mettre hors de cause Jean-Michel Lee Shim. La police le suspecte également d’avoir conseillé un témoin dans l’affaire Fine de changer sa version des faits sur Sada Curpen, le commanditaire présumé de ce règlement de comptes entre membres de la pègre. Il est passible, enfin, d’une inculpation de «Money Laundering» et de recel pour avoir accepté, selon les premières versions du père de Younousse Katoaroo (cerveau présumé du détournement de Rs 80 millions de la Bramer Bank), une part du butin comme honoraires. Rama Valayden est aujourd’hui en liberté conditionnelle. Il récuse toutes les accusations et, sans surprise, se déclare l’objet d’un complot de la police. Fidèle à ses méthodes, il annonce l’organisation d’un comité de soutien à sa personne, brandit la menace d’une grève de la faim et promet un «Black Paper» sur les enquêtes ratées de la police criminelle.


Le pilier de la défense de Rama Valayden repose sur une vidéo dans laquelle Mahammad Sadeck, le père de Younousse Katoaroo (de l’affaire «Bramer Bank»), entreprend un revirement de veste et contredit ses déclarations précédentes. Il se dit manipulé par la police qui lui aurait fait dire que les honoraires qu’il avait versés à Me Valayden pour la défense de son fils provenaient du butin de Rs 80 millions volé à la banque. La police, il est vrai, aurait mieux assis sa crédibilité si elle avait filmé les premières déclarations en continu, d’autant plus que ledit témoin est analphabète. D’autres éléments nous perturbent au sein de cette «défense en béton» qui est, en tout point, fi dèle au reste du feuilleton. L’avoué Bokhoree, qui faisait partie intégrante du panel d’avocats de Valayden, devient soudainement l’homme de loi qui rédige la nouvelle version pro-Valayden de Sadeck Katoaroo au sujet des honoraires possiblement compromettants. Me Rutnah, l’avocat de Sadeck Katoaroo depuis son changement «Attorney General», assure l’enregistrement vidéo et capture la nouvelle déclaration de son client. Cet homme de loi assiste et devient partie prenante des conférences de presse où Rama Valayden accuse la police de complot. C’est lui qui distribue la vidéo de la nouvelle version de Katoaroo aux journalistes durant une conférence de presse. Me Rutnah est, en passant, appelé à comparaître devant le comité disciplinaire de la Cour suprême pour entorse au code de l’éthique lors de sa défense d’un des accusés du meurtre de Michaela Harte. Il aurait utilisé de subterfuges en vue d’induire le jury en erreur.


Monsieur Valayden ne nous intéresse pas. Il demeure, cependant, l’épiphénomène qui a permis de dévoiler, en ce nouveau millénaire, que l’île Maurice n’a aucune âme. Il a démontré avec succès qu’au sein de l’océan d’indifférence qui caractérise notre nation, sept innocents, dont des enfants en bas âge exécutés de sangfroid, sont destinés à un cruel oubli quand les acteurs du barreau s’amusent à les occulter de la mémoire collective.

25 October 2013

Budget 2014: virage économique?

Par Jean-Mée DESVEAUX
L'express du 25 octobre 2013

LE budget 2014 amorce la fin d’un cycle pour l’économie du pays. Depuis juillet 2005, les affaires du pays étaient implicitement sous la bienveillante vigilance des institutions de Bretton Woods. Cette surveillance amicale était d’un commun accord. Voulue par Rama Sithanen d’abord et, à son départ, par son alter ego, Ali Mansoor. La voie parcourue ensemble par le Fonds monétaire international (FMI) et Maurice ne résultait donc d’aucune contrainte. Bien au contraire, c’était un choix conscient découlant d’une forte affinité entre le rationalisme économique de ces deux hommes et la philosophie du FMI et de la Banque mondiale. L’intérêt de ces institutions pour ce partenariat était de faire du pays le show case de la viabilité de leur philosophie économique dans la région et dans le monde. Ainsi, sans trop exagérer, on peut dire que l’économie mauricienne a été le laboratoire d’une expérience économique grandeur nature pendant ces huit ans. 

On ne résume pas les résultats d’une telle expérience en quelques colonnes et ce n’est pas ici le but recherché. Ce qu’on peut dire, par contre, c’est que le budget ultra-réformateur de 2006 de Rama Sithanen a mis l’économie de ce pays sur de solides rails pour survivre au démantèlement des préférences commerciales dont le pays était devenu accro dans le domaine du sucre (baisse de 36 %) et du textile habillement (fin de l’accord multifibre). Ceci a permis d’ouvrir une économie surprotégée à la concurrence internationale. Pour ce faire, Sithanen a été très loin. Dans un pays historiquement bâti sur l’injustice sociale et raciale, où l’écart entre riche et démuni était déjà flagrant, il ramène, avec beaucoup d’audace, les impôts de Rogers et d’IBL au même niveau que celui du plus modeste contribuable mauricien : 15 %, le taux privilégié précédemment réservé à la seule zone franche. Le taux uniforme avait sonné le glas des «incentives» qui jusque-là, étaient le maître mot de tous les budgets. Il change les règles du jeu dans la forme aussi bien que dans le fond. Il se débarrasse de tous les pouvoirs discrétionnaires et autres pouvoirs de rémission du Grand argentier et privilégie des règles clairement établies et une régulation uniforme.

Et quid du résultat ? Celui-ci s’apparente au verre à demi vide ou à demi rempli selon les points de vue. Il n’était un secret pour personne que le système capitaliste de libéralisme économique (à outrance ou pas) est le meilleur moyen de créer la richesse nationale. Ce système était cependant aussi connu comme étant le pire en ce qui concerne la distribution de cette richesse nationale, ce qui finit inéluctablement par creuser le fossé entre les riches et les pauvres. Le coefficient de Gini l’année où Rama Sithanen présenta son budget était de 0.388, alors que l’année dernière, ce coefficient avait atteint 0.413, bien qu’il ait dit, lors de son budget, «the policies we put in place now will ensure that rising incomes would be shared more with the low income workers, the unemployed, and other disadvantaged groups that are making the biggest sacrifices». Le Empowerment Programme de Rama Sithanen et son Corporate Social Responsibility ne furent, semble-t-il, pas suffisants pour endiguer l’appauvrissement qui a suivi. On peut, de plus, rappeler que la croissance économique de 2005/06 était de 3,5 % (contre 3,2 % actuellement), que le chômage, autour de 2005, oscillait entre 9,5 % et 8,5 %, ce qui n’a pas beaucoup changé depuis, et que l’épargne du secteur privé est aujourd’hui aussi décevante qu’elle l’était alors ! On pourrait logiquement se demander, devant cet état de choses, si ces huit ans de vaches maigres en valaient vraiment la peine pour si peu de résultat tangible.

Notre réponse à cette question est un oui catégorique. Nous sommes intimement convaincus que le choc financier mondial amorcé en 2008 aurait pu être dévastateur pour l’économie nationale si elle n’avait pas été dotée d’une nouvelle résilience. La question est donc de savoir si l’effort de ces huit ans est à la veille d’être défait avec le nouveau budget. Pour répondre à cette importante question, il est nécessaire d’identifier les paramètres majeurs qui seraient aptes à nous dévoiler si changement de cap économique il y aura dans les semaines et années à venir. Nous passerons donc prochainement en revue ces paramètres clairs et objectifs dont se servaient, du reste, ces bonnes vieilles institutions de Bretton Woods pour suivre le parcours de notre économie.

Mais avant d’en venir au moteur du système lors de nos prochains papiers, il est nécessaire de s’arrêter à la nature des timoniers en question. Économistes de formation, Sithanen et Mansoor avaient le réflexe qui leur permettait de faire la différence instantanément entre une requête ministérielle économiquement viable et défendable à l’opposé de la fanfreluche qui va créer des inefficiences le long de la chaîne économique et dont le seul but serait de plaire à la circonscription de l’élu. Ils le reconnaissaient instinctivement et ils osaient le dire, d’où la dernière anicroche d’Ali Mansoor qui a voulu instaurer, chez nous, ce qui se pratique depuis des décennies dans toutes les économies modernes du monde : le principe de recouvrement du coût du service public, appelé le «user pays».

Dev Manraj ne pourrait avoir un profil plus différent de ces deux bêtes économiques. Il est, comme la grande majorité des Financial Secretaries (FS) avant lui, expert-comptable et non économiste. Ce n’est pas un avantage, mais il a deux autres désavantages qui vont peser bien plus lourd dans la balance. D’abord, on sent chez l’homme un désir instinctif de plaire à la masse. Ceci fut apparent dans son traitement des syndicats alors que nous étions tous deux sur le board de Airports of Mauritius Ltd. Cette propension ne semble pas s’être estompée quand on constate qu’il a été l’auteur du PRB 2 où il trouva nécessaire d’augmenter de plus d’un milliard de roupies le pactole de Rs 4,6 milliards dont les fonctionnaires allaient hériter. Le principe de la réduction de l’écart salarial entre les secrétaires permanents et leurs messengers, c’est-à-dire un nivellement par le bas, en dit déjà long sur la rationalité économique de cette mission. On pourrait donc s’inquiéter aujourd’hui que Dev Manraj a une grande cote parmi les syndicalistes, car on devine que sa popularité n’est pas due à sa grande capacité de travail ni à sa grande expérience au ministère des Finances.

Ensuite, le second désavantage de Dev Manraj c’est qu’ il a été, pendant toute une carrière, directement associé à ériger le système complexe d’exemptions fiscales, d’exceptions, d’income reliefs, d’allowances et autres déductions qui ont proliféré au sein du système fiscal de ce pays jusqu’à ce que Sithanen y mette bon ordre en 2006. Il se pourrait que, devant un tel tabula rasa, il ne puisse changer son frame of mind et abandonner des concepts qui lui furent jadis très chers. Si l’envie lui prenait de recommencer le manège d’antan, il ne finira qu’à créer des lourdeurs et des inefficiences à un système, aujourd’hui bien rodé, au plus mauvais moment possible : à la veille de la décision indienne sur notre offshore et à la descente aux enfers de tout un pan de notre tourisme. Vu les attentes déjà créées, le nouveau FS subira beaucoup de pressions sous le prétexte qu’il est un homme de consensus, contrairement à son prédécesseur. Cela ne l’aidera pas à accomplir une tâche ingrate. 

Les embûches ne tarderont pas. Ainsi, il a déclaré récemment qu’il accordera une attention particulière à la relance du secteur de la construction où il compte éliminer les «inhibiting factors». On peut présumer qu’il incorporera ceci au prochain budget de Xavier-Luc Duval. Il devra d’abord se rendre compte qu’un premier facteur inhibant se trouve être le ministre du Travail qui a fermé le robinet des travailleurs étrangers, le ballon d’oxygène de la construction. Le second facteur inhibant qu’il découvrira dans ce domaine est nul autre que le gouverneur de la Banque de Maurice qui retourne aux anciennes méthodes de «sectoral limits» imposées aux banques commerciales durant les années où le fiat et les plafonds de crédit étaient de mise. Ainsi le crédit au secteur de la construction résidentielle et commerciale sera réduit à 15 % l’année prochaine et à 12,5 % en 2015 et 2016 pour des raisons prudentielles. Une cacophonie que le nouveau FS devra mettre au diapason.

07 October 2013

La lettre qui causa la volte-face du MMM sur le DPP


Par Jean-Mée DESVEAUX
l'express du 7 octobre 2013

L’Asset Recovery Act (ARA), une loi révolutionnaire, fut votée au Parlement qui permit, pour la première fois, au gouvernement de s’attaquer à la fortune que les marchands de la mort avaient amassée sur les centaines de cadavres d’enfants mauriciens. Proclamée en janvier 2012, cette loi permit aux autorités de saisir le bien des personnes jugées coupables de transactions illicites, de trafic de drogue et de blanchiment d’argent. Elle remplaçait l’ancienne Asset Recovery Commission qui, sous la Dangerous Drugs Act, ne réussit, en 10 ans, qu’à récolter le maigre magot de Rs 100 000 de drug money. Il fut agréé, en bonne entente politique au Parlement, que le bureau du Director of Public Prosecution (DPP) ferait office d’Enforcement Authority du nouveau cadre légal. Le DPP plaça son Senior Assistant, Me Rashid Ahmine, à la tête de l’Asset Recovery Unit, qui, à mars de cette année, se penchait sur 90 cas représentant plus de Rs 100 millions. 

Pour permettre davantage de flexibilité au processus de saisie de biens des trafiquants de drogue, des amendements furent apportés à l’ARA à la fin de l’année dernière. Ils permirent à l’enforcement authority, sous l’égide du DPP : 1) de placer le ‘onus of proof’ sur le suspect qui doit désormais démontrer en cour que les biens saisis par les autorités compétentes n’ont pas été obtenus à travers des activités frauduleuses ou illégales 2) d’avoir accès aux comptes des suspects au sein des institutions financières sans passer par un juge en chambre 3)de confisquer ou de procéder à la saisie des biens mal acquis rétroactivement jusqu’à dix ans avant l’entrée en vigueur de la loi le 1er février 2012. 4) de récupérer ces biens même s’ils proviennent d’un cadre autre que la drogue, du moment que les biens ont été acquis par des infractions aux lois du pays ayant entraîné un terme d’emprisonnement dépassant 12 mois. L’Attorney General avait expliqué que la rétroactivité de l’application de la loi était conforme à la convention des Nations unies contre la corruption et que des dispositions similaires existaient en Afrique du Sud, en Grande-Bretagne et en Nouvelle- Zélande. Il a aussi soutenu que «this does not, however, mean that the Enforcement Authority does not have to prove anything since it will still be for the Enforcement Authority to satisfy the court that a confiscation order is justified by a balance of probability». L’opposition resta solidaire du gouvernement pendant toute la démarche, Veda Baloomoody, Reza Uteem, Pravind Jugnauth et Nando Bodha ayant tous pris la parole et démontré leur soutien à l’ARA. 

Le consensus entre le gouvernement et l’opposition sur cette législation n’a nullement surpris quand on se souvient du ravage de la drogue à Maurice. Ainsi, au Parlement, l’année dernière, le PM nous apprit que 5 400 personnes avaient été enregistrées dans le programme d’échange de seringues et qu’environ 2 000 personnes avaient été arrêtées en 2010 et 2011. De plus, des dizaines de nos compatriotes infectés du SIDA décèdent chaque année d’une mort atroce directement liée à la drogue. Dans un tel environnement, il n’est pas étonnant que les responsables politiques de tout bord ont laissé de côté leur chicane puérile pour s’unir, dans un élan patriotique, autour du même combat contre la drogue, thème fédérateur s’il en existe. 

Paul Bérenger a rompu ce consensus il y a quelques jours. Cela lui a pris deux ans pour réaliser que «le DPP est une institution clé qui doit être au-dessus de tout, ne pas être mêlé à aucune polémique ….Il ne lui revient pas de jouer l’Asset Recovery Commissioner, de récupérer l’argent des trafiquants. Il y aura inévitablement toute sorte de polémique et de conflits d’intérêts et par conséquent, des PQ et des PNQ. Le DPP pourrait se retrouver mêlé à des questions politiques…le rattachement de cette unité au DPP équivaut à l’institution d’une ICAC bis sans aucun contrôle et avec des pouvoirs illimités en ce qui concerne les enquêtes. Il suffirait qu’il y ait un doute pour qu’une enquête soit ouverte.» Conscient du zigzag, le leader mauve fit son mea culpa pour ne s’être pas rendu compte plus tôt du grand tort ainsi commis aux fonctions du DPP. Il se réserve maintenant le droit de porter cette loi qu’il soutenait hier encore jusqu’au Privy Council. Les références au PQ et PNQ n’auront pas échappé au lecteur qui y reconnaîtra les menaces très claires qui y sont enchevêtrées. 

Paul Bérenger doit bien avoir réalisé les dommages collatéraux à sa crédibilité que lui ferait un virage à 180 degrés sur un sujet aussi important. Il n’aime pas beaucoup s’excuser non plus, et là il l’a fait. Qu’est-ce qui a pu le convaincre d’avaler une telle pilule ? Un indice et pas des moindres s’est faufilé à travers notre rédaction. Une lettre a atterri à l’express, la semaine dernière, qui donna lieu à un article publié dans nos colonnes sous le titre «Asset Recovery Act, une lettre au coeur de la volte-face du MMM», le 25 septembre. Cet article fut suivi, le lendemain, par une mise au point du DPP car, abusant de la confiance de notre journaliste, une source intéressée lui fit parvenir le fac-similé d’une lettre accompagnée de la grossière allégation que le DPP s’en était servi pour attaquer un homme d’affaires et sa famille qui auraient un litige au civil avec un client défendu par le cabinet d’avocat de l’épouse de Me Satyajit Boolell, le DPP. Le poison de l’informateur fut bien distillé car ses fausses et lâches accusations étaient enchevêtrées avec d’autres faits bien réels. Ainsi la lettre incriminée fut effectivement envoyée par l’Asset Recovery Unit du bureau du DPP à 96 institutions du pays sous la section 48 (Power to Require Customer Information) de l’ARA leur demandant de divulguer «all the assets of the persons and company» du suspect en question. Cette lettre a été disséminée parce que, comme le citait notre collègue, le DPP «has reasonable grounds for suspecting that any property in the possession, or under the control of the persons and company is proceeds, and that these persons have derived a benefit from an unlawful activity»

Ce qui frappe aussi dans le poison que cet imposteur distillait à notre journaliste c’est que, mélangées à ses canulars, plusieurs prises de position (parmi les moins farfelues) se retrouvaient simultanément aux lèvres du leader mauve. On pourrait en déduire qu’en sus de l’express, cet homme a, dans le même temps, induit le leader mauve en erreur. Ainsi, on a beaucoup entendu Paul Bérenger dire, ces derniers jours, que le DPP devient juge et partie ; que le terme «reasonable grounds for suspicion» peut vouloir tout dire ou ne rien dire du tout ;«qu’il y a possibilités de conflits d’intérêts» ; qu’il est dangereux de demander des informations financières confidentielles sans passer par un juge en chambre.

Or, au lieu du «fishing expedition» allégué par le dénonciateur du DPP, celui-ci a strictement utilisé les pouvoirs que l’ARA lui confère dans un cas où «time is of the essence». La dissémination de telles requêtes d’information est conforme à la loi. Le suspect en question avait été repéré par une institution responsable de rapporter des instances de blanchiment d’argent. L’institution en question aurait, selon la mise au point émise par l’ARA dans la presse, fait une risk factor analysis suite à laquelle, elle aurait décidé de passer l’information à l’ARA. Cette highly suspicious money laundering activity était caractérisée par un vaste mouvement de fonds de dimension internationale, certains fonds transitant par Maurice pour quelques heures seulement avant d’être acheminés vers les Seychelles. 

Mais là où le bât blesse ceux qui osent encore parler de conflits d’intérêts du DPP, c’est que parmi ceux soupçonnés de money laundering activity est nul autre que l’éminence grise de la finance du MSM, l’homme qui est au saint des saints du Sun Trust. Un autre fait qui ne laissera pas le lecteur de marbre c’est qu’il compte parmi ses avocats, un certain Ivan Collendavelloo qui est connu pour détenir un pouvoir de persuasion non négligeable sur le leader mauve en matière légale. On préfère dès lors conclure que l’honorable Bérenger a été induit en erreur et manipulé par ceux qui ne méritaient pas sa confiance. Cela nous permettrait de garder l’espoir qu’il n’a pas agi consciemment ces derniers temps dans le seul but de protéger ses tristes alliés politiques.

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Les rouges veulent "le nom du gros requin qui manipule Bérenger"

Le Weekend du 13 octobre 2013

Rétablir les faits, tel était l'objectif de la conférence de presse du Parti Travailliste, hier matin, à Port-Louis. Le PTr, selon son président, Patrick Assirvaden, veut ou, plutôt, insiste pour que le MMM soit clair sur ses positions au sujet de l'Asset Recovery Bill. Les rouges, dit-il, ne sont pas dupes: le volte-face du leader du MMM, Paul Bérenger, sur l'Asset Recovery Bill n'est pas anodin. Le PTr réclame des éclaircissements sur des affirmations de Jean-Mée Desvaux à l'effet que le MMM, notamment "Paul Bérenger, a été manipulé par quelqu'un qui était dans le viseur des institutions pour blanchiment d'argent."

Pour marquer la gravité de l'affaire, le président du PTr s'est exprimé sur un ton solennel sur le leader de l'opposition, Paul Bérenger, et l'Asset Recovery Bill. Après avoir applaudi et soutenu le gouvernement au Parlement sur le projet de loi, le MMM, précisément Paul Bérenger, a changé de position, intriguant du coup le PTr. "Koman in'nn kapav ena enn voltfas osi flagran lor sa issue la?", s'est demandé Patrick Assirvaden. Jean-Mée Desvaux, un ancien collaborateur de Paul Bérenger, a éclairé la lanterne des rouges. Bérenger aurait été, selon les dires de cet ancien proche collaborateur, influencé par "quelqu'un qui se trouve dans le saint des saints de la finance du Sun Trust." Et le PTr de réclamer: "Nous voudrions savoir qui est-ce (…) d'autant que Jean-Mée Desvaux a été précis, il a évoqué quelqu'un qui est dans l'entourage du MMM (…) Pourquoi l'attaque de Jean-Mée Desvaux a été claire, précise et grave?"

Patrick Assirvaden s'est attardé sur le fait que dans cette affaire, l'ex-collaborateur du leader de l'opposition "a suggéré que Paul Bérenger se laisse manipuler et embobiner." Le président des rouges a expliqué que son parti est au courant "que la police enquête sur monsieur Jingree, lequel est considéré proche du Sun Trust." Toutefois, il s'est demandé "si Bérenger est au courant de cette enquête." Pour sa part, le PTr dit souhaiter une enquête policière transparente. Et demande que Jean-Mée Desvaux dépose également à la police "ou sinon ki lapolis al pran lanket ar li." Aussi, a-t-il rappelé, "si vremem li (ndlr: JM Desvaux) pe mean biznes, ki li donn nom gro reken ki'nn manipil Bérenger." La population, dit Patrick Assirvaden, a le droit de tout savoir sur cette affaire. Il s'est aussi étonné du "silence inacceptable du MSM/MMM." Auparavant, le président du PTr a fait ressortir que l'Asset Recovery Bill a pour but de "kass leren, konbat trafikan ladrog, gro reken."