JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

08 November 1978

L’université de Maurice se penche sur le planning familial

ENTRETIEN AVEC Mme Catherine Hein, maître de conférence en pyschologie sociale

On s’interroge encore du rôle que l’université de Maurice doit jouer dans le développement du pays. Une des lacunes que tout le monde s’accorde à identifier à ce niveau est l’absence de recherche au sein de cette institution.
Mais notre université, qui est encore jeune, demande une certaine période de gestation avant de se situer pleinement au sein du développement de l'île. II y a, du reste, des signes précurseurs dans ce sens.
Il est à noter en effet que plusieurs recherches ont récemment été conduites par l'université dans le domaine des sciences appliquées aussi bien que dans celui des sciences sociales.
Dans ce contexte, l'express s'est entretenu avec Mme Catherine Hein, maître de conférence en psychologie sociale à l'université de Maurice, qui vient de publier les résultats de ses recherches sur l'utilisation des méthodes contraceptives à Maurice. Ces recherches ont été entreprises à la requête du ministère de la Santé qui les a financées conjointement avec l'ambassade américaine. 

 Propos recueillis par Jean-Mée DESVEAUX
L’express du 8/11/1978


Q : Mme Hein, la recherche que vous avez entreprise au sujet des méthodes de contraception utilisées à Maurice relève du domaine social. Or, les recherches entreprises au pays sont généralement conduites par des organisations scientifiques telles la MSIRI dans le domaine des sciences appliquées. Est-ce-que la recherche dans le domaine social possède-t-elle une valeur scientifique?

R : Très certainement. Les gens pensent, en effet, que la recherche proprement dite s'arrête à ce qui se fait en laboratoire ou dans les champs. Pour ceux-là, recherche est nécessairement associée à l'agriculture ou à la chimie. Mais la recherche sociale est aussi scientifique que celles-là.
Si le travail entrepris est vraiment de la recherche et non pas de petites enquêtes faites au petit bonheur, les méthodes scientifiques et une connaissance approfondie des statistiques sont indispensables. Si le travail de recherche est mené rigoureusement, les résultats obtenus en ce qui concernent les nombreux facteurs humains qui influencent la société, sont tels qu'on peut s'y fier en vue de planifier l'avenir de cette société. D'ailleurs, à partir des statistiques, on peut vérifier combien les gens ont confiance dans les résultats obtenus.
Il est vrai qu'à Maurice, très peu de recherches ont été faites jusqu'ici dans le domaine social, mais cette situation commence à changer, car la demande se fait sentir dans ce sens. Il faut aussi réaliser que la recherche sociale coûte énormément et que, très souvent, les gens ne sont pas prêts à dépenser la somme nécessaire pour que ces recherches soient faites comme il se doit.
Il est intéressant de noter, dans ce contexte, que l'école d'administration de l'université de Maurice commence à entreprendre certaines recherches dans le domaine social. Il y a, en ce moment, plusieurs groupes qui font des études sur la vie dans les villages et sur l'esprit d'entreprise. J’ai personnellement fait une enquête sur l'usage du family planning et je viens de terminer une autre enquête sur les femmes travaillant dans les usines.

Q: Parlez-nous des procédures que vous avez suivies pour faire aboutir votre enquête.

R: Afin d'obtenir un échantillonnage national, nous avons dû choisir des régions qui seraient, dans l'ensemble, représentatives de la population mauricienne. Une cinquantaine de familles de soixante régions furent choisies.
Un questionnaire couvrant environ cinquante questions fut établi en français, créole et "bhojpuri". Nous avons ensuite fait une étude pilote pour nous assurer que l'interview comporterait des questions valables et compréhensibles et nous avons fait les changements nécessaires. Cinquante "interviewers", entraînés par l'uni­versité, furent ensuite envoyés vers les familles sélec­tionnées. Il y eut ensuite le travail de vérifications des questionnaires, ce qui nécessi­ta aussi des visites de retour dans certains cas où ces questionnaires avaient été remplis. Le dernier stade, qui est aussi le plus long, fut  celui du dépouillement des questionnaires et le transfert des informations aux ordinateurs.

Q: Quelle fut la réaction des gens lors de la présentation de vos questionnaires? Ce genre d'exercice n'est-il pas apte à intimider les gens?

R: Nous fûmes agréable­ment surpris par le bon accueil que nos interviewers reçurent. Le taux de refus était moins de 2%. Il y eut très peu de gens qui montrèrent de la réticence à fournir les informations demandées. Il faut cepen­dant souligner que ces personnes avaient été mises au courant que les renseignements reçus seraient traités d'une façon strictement confidentielle.



Q: Pouvez-vous nous décrire l'attitude des gens vis- à-vis du contrôle de naissances? Les familles mauriciennes réagissent-elles positivement à l'idée qu'il faut qu'il y ait un nombre limité d'enfants?

R: La majorité des familles, à tous les niveaux, pensent que le nombre idéal d'enfants ne devrait, en aucun cas, excéder trois.
Elles sont très conscientes de la nécessité de bien élever leurs enfants et de leur donner l'attention voulue. Elles comprennent la nécessité de pouvoir subvenir aux besoins des enfants en vue de leur garantir le bonheur et les gens réalisent que trop d'enfants dans la famille, prédispose à épuiser les ressources dont on dispose.
Il est intéressant de noter que ceux qui, pour une raison ou une autre, ont déjà plus de trois enfants, disent quand même qu'ils ne conseilleraient pas à une autre femme d'avoir plus de trois enfants.

Q: Est-ce que ce désir de limiter le nombre d'enfants est accompagné par la connaissance requise pour régler le nombre de naissances?

R: Nos recherches ont démontré que la plupart des Mauriciens sont au courant qu'il existe au moins une méthode contraceptive. La méthode la plus connue est, de loin, la pilule. Il n'y avait que 4% de gens qui ont répondu aux questionnaires, qui n'avaient jamais entendu parler de la pilule.

Q: Les Mauriciens ont donc la connaissance voulue ainsi que le désir d'utiliser une certaine méthode de contraception. Est-ce que ce désir est traduit en pratique?

R: Parmi les femmes interviewées, 64% avaient déjà utilisé une méthode à un certain moment de leur vie et 46% se servaient d'une méthode au moment de l'interview. Ces chiffres sont assez élevés pour un pays dit sous-développé et la comparaison est très favorable quand on pense à des pays tels Singapour et Taiwan.

Q: Quelles sont les méthodes les plus utilisées?

R: La pilule est définitivement la méthode la plus utilisée. 43% des interviewées l'avaient déjà suivie et 21% s'en servaient au moment de l'interview. Après la pilule, viennent les méthodes rythmiques — thermomètre et Ogino — dont 27% s'en étaient déjà servies et 14% s'en servaient au moment de l'interview. L'usage de la capote anglaise était en 4e position avec 14% qui l'avaient déjà utilisée et 5% qui l'utilisaient encore.

Q: N'est-il pas étonnant que la pilule soit la méthode la plus utilisée quand on pourrait penser, à priori, que des considérations éthiques et religieuses rendraient cette méthode moins populaire que les autres?

R: Tout dépend des alternatives qui existent. Or, ces alternatives ne sont ni aussi connues, ni aussi sûres, ni aussi disponibles que la pilule. Nos recherches n'ont pas permis de voir une discrimination d'ordre religieux vis-à-vis de la pilule.
Au contraire, il a été constaté que, parmi toutes les femmes qui prenaient la pilule, le pourcentage était également distribué parmi  les musulmanes, les chrétiennes et les hindoues — soit environ 30% dans chaque cas. Il est vrai, cependant, qu'en faisant l'exercice statistique dans l'autre sens et, qu'on analyse laquelle de ces 3 catégories de femmes se servent plus des méthodes rythmiques, on découvre que ce pourcentage est plus élevé chez les chrétiennes que chez les musulmanes et les hindoues.

la population mauricienne sera en 1987 de l'ordre de 1 048 000.

Q: On a associé beaucoup de risques avec l'usage de la pilule. Vos résultats semblent démontrer que ces facteurs n'ont pas découragé l'usage de cette méthode de contraception.

R : II est vrai que les recherches médicales ont  démontré que le risque de certaines maladies était plus élevé chez les femmes qui se servaient de la pilule.  Mais, je soupçonne qu'il y a une certaine tentation à Maurice d'associer le moindre mal de tête ou la plus petite colique à l'usage de la pilule. Mais le point essentiel ici est qu'il faut pouvoir établir et balancer les risques associés à l'usage de la pilule avec les conséquences qu'engendrait une nouvelle grossesse.

Q: Pouvez-vous nous parler des données que vous avez obtenues relatives au succès des différentes méthodes?

R: Nous touchons ici à un problème très épineux et les découvertes que nous avons faites ici, m'ont personnellement beaucoup inquiétée. Il a été, en effet, constaté que parmi toutes celles qui s'étaient servi d'une méthode dans le passé, 31% avaient eu des grossesses non-voulues. Ceci est d'autant plus inquiétant quand on prend en considération que ces chiffres sont très probablement une sous-estimation découlant du fait que, ni celles qui s'étaient fait avortées, ni celles dont les enfants 'non voulus' — pour employer un terme concis — étaient déjà nés, ne pouvaient décemment avouer le caractère involontaire de leur dernière grossesse.
Les raisons données pour expliquer ces grossesses involontaires étaient essentiellement l'arrêt de la pilule à cause des side effects censés ressentis et la prétendue faillibilité des méthodes rythmiques.
Le pourcentage est très significatif ici car, malgré le nombre relativement plus élevé d'usagers de la pilule, comme nous l'avons vu tout à l'heure, seulement 25% des grossesses non- voulues ont trait à celles qui ont cessé de prendre la pilule pour les raisons précitées. Ce chiffre s'élève à 33% chez celles qui prétendent suivre couramment les méthodes rythmiques, méthode qui, comme nous l'avons vue, est bien moins cotée que la pilule.
Les chiffres indiquent aussi que parmi les femmes enceintes recensées à l'époque, 31% ont eu une grossesse involontaire, soit en se servant d'une méthode, soit en ayant interrompu pour des raisons autres que celui d'avoir un enfant. Il y a donc au niveau national, beaucoup de naissances qui sont occasionnées parce qu'il y a un manque de connaissances des méthodes à suivre ou à un manque de consistance dans ces méthodes pratiquées. Ceci est d’autant plus vrai chez des femmes qui ont déjà accepté de suivre une méthode contraceptive de leur choix. Il est clair que si le nombre de telles grossesses parmi les usagers des méthodes de contraception pouvait être réduit, ce serait un très grand bien pour le pays.

Q: Quels sont les moyens que vous préconisez en vue d'obtenir de tels résultats?

R: C'est ici qu'il faut comprendre le rôle exact du chercheur. Mon rôle est essentiellement de trouver les données et de les présenter aux autorités responsables de l'agencement de la politique à suivre dans ce domaine.
Les données que présente le chercheur sont extrêmement importantes dans ce sens mais, il n'appartient pas au chercheur lui-même de se servir de ces données pour établir la politique à suivre et de ce qui découlerait de ses découvertes.

Q: Le problème démographique à Maurice a atteint un niveau inquiétant. Ayant conduit des recherches dans ce domaine, ne pensez-vous pas que des moyens plus drastiques et efficaces devraient être envisagés pour enrayer cette croissance accélérée de la population mauricienne?

R: Je pense qu'on ne se rend pas compte à Maurice à quel point le pays est bien vu sur le plan international en ce qu'il s'agit du travail déjà accompli dans ce domaine. Il est indéniable que le taux de croissance a diminué de façon spectaculaire. Le crude birth rate, qui était en 1962 au taux de 28 par 1000, est passé en 1973 à 23 par 1000. Il faut ajouter cependant que cette diminution est partiellement due à la tendance chez certaines femmes de se marier assez tard. Ceci n'empêche, que cette performance est très encourageante.
Si par des mesures draconiennes, vous voulez parler de l'imposition des lois qui forceraient la stérilisation, comme cela se pratique en Inde, je dirais que ceci serait inutile quand on tient compte que les Mauriciens sont déjà motivés à limiter le nombre d'enfants.
La plupart sont disposés à essayer les méthodes disponibles, il faudrait donc surtout les aider à persévérer et à bien utiliser la méthode qui leur convient le mieux.

Q: Mme Hein, est-ce que la zero population growth (zpg) est envisageable?

R: Ceci ne serait que dans un avenir très très éloigné car, la zpg nécessite que le taux de naissance soit égal au taux de mortalité. Or, étant donné la structure d'âge de la population mauricienne au sein de laquelle 6% seulement sont âgées de plus de 60 ans tandis que 40% sont au- dessous de 15 ans. Cet objectif n'est pas réalisable à court terme.
Du reste, les chiffres du ministère du Plan indiquent que, même avec l'hypothèse que chaque famille n'aura en moyenne que deux enfants — ce chiffre étant plus bas qu'on puisse espérer dans la conjoncture actuelle — la population mauricienne sera en 1987 de l'ordre de 1 048 000.

27 October 1978

Mourir, la belle affaire…mais vieillir..

On ne peut s'arrêter devant le phénomène de la vieillesse sans que la pensée ne se heurte immédiatement au mystère du "temps". Le temps, concept indéfinissable qui se mesure moins par le tic tac d'une pendule que par les effets irréversibles qu'il laisse sur tout être humain lors de sa progression inexorable.
Et pourtant, y a-t-il parmi nous quelqu’un qui, à un moment ou à un autre de sa vie, ne s'est pas laissé prendre par le désir suicidaire de voir accélérer le cours de sa vie, hâtant du même coup l'heure de sa vieillesse, cette "antichambre de la mort". On entend souvent : "Dans dix ans, j'aurai payé ma maison. Comme je voudrais en être déjà là!" ou encore : "Dans cinq ans, ce vieux croulant prendra sa retraite et je serai mon propre ‘’boss’’. Dieu veuille que cela passe vite!" Et on se retrouve tout déconfit au seuil de la mort dans ce ‘’no man 's land’’ de la vieillesse.
S’il est vrai, comme dit le poète, que le temps d'apprendre à vivre et il est déjà trop tard, notre entretien d'aujourd'hui avec Mme I.P., une vieille de 88 ans qui réside au Wilson Home, pourra, peut-être, inciter certains de nos lecteurs à réfléchir à deux fois avant de vouloir anticiper un "lendemain" cossu mais combien éphé­mère!

Propos recueillis par Jean-Mée DESVEAUX
L’express du 27/10/1978

''La mort m'attend comme une vieille fille au rendez-vous de la faucille" Jacques Brel

Q: Vous avez 88 ans et vous avez atteint l'âge où l'on peut vous qualifier de "vieille" sans vous offenser. Quelle est votre définition de la vieillesse?

R La vieillesse est une amie bien désagréable. Je dirai que c'est le pire des maux. Elle est exigeante et capricieuse, elle éprouve une grande satisfaction à détériorer tout ce que Dieu a créé. Nous avons été créés beaux et sains et regardez à quoi nous sommes maintenant réduits.
Il y a, bien sûr, certaines vieilles qui n'ont pas vraiment à se plaindre de leur vieillesse mais à côté de celles-là, il y en a d'autres qui sont de vraies infirmes. Personnellement, j'ai la consolation de pouvoir encore lire, écrire et coudre, mais mes jambes ne me supportent plus. Malgré mes souffrances, je remercie Dieu d'être encore lucide, car il y a des personnes dont les facultés mentales ont tellement diminué, qu'elles n'ont même plus conscience de leur existence.
Il ne faut pas idéaliser la vieillesse car elle est révoltante. Je me coiffe et je me mets de la poudre tous les matins mais je ne me regarde jamais dans une glace, car je me révolte à l'idée du ravage que les années ont fait sur mon visage.

Q: Le phénomène du vieillissement est graduel. Arrive-t-il un moment où l'on constate pour la première fois qu'on a atteint l'âge de la vieillesse?

R: J'ai travaillé jusqu'à l'âge de 72 ans et je ne sentais pas que j'étais devenue vieille. A 75 ans, j'ai commencé à souffrir d'une cataracte et j'ai dû cesser de travailler. Si vous m'aviez posé la question à ce moment-là, je crois que je vous aurais répondu par l'affirmative.
Remarquez que rien ne m'empêcherait d'accepter un emploi de caissière ou quelque chose d'approchant, même maintenant.
Tout dépend de chacun. Certaines personnes se sentent vieilles à 50 ou à 60 ans. C'est, peut-être, une question de tempérament.

Q : Pensez-vous qu'il s'agisse surtout d'un état d'esprit. Peut-on être vieux physiquement et garder un moral de jeune?

R: Non, car l'un entraîne l'autre. On ressent les morsures de la vieillesse aussi bien mentalement que physiquement. Il m'arrive parfois de ne pas retrouver telle ou telle expression au beau milieu d'une conversation. Je constate alors que mon moral est fatigué et cela m'énerve.

Q: Est-il possible de se battre contre la vieillesse comme on lutte contre une maladie?

R: Non, on ne peut se battre contre la vieillesse. Toute chose a son temps ici-bas. Rien n'est éternel.
Si vous êtes jeune et que vous êtes malade, vous pouvez lutter contre le mal qui vous attaque car, après vos souffrances, vous espérez la consolation de la convalescence. Il n'y a rien de tel pour cette maladie qu'est la vieillesse. Elle vous détruit gentiment, moralement et physiquement. C'est un parasite qui provoque graduellement la détérioration complète d'un être humain.

Q: Les souvenirs et les réminiscences sont-ils très importants pour les vieux?

R: Très importants, en effet. Il vous arrive d'avoir un cafard et, à ce moment- là, un livre, un morceau de musique, un mot même peuvent vous rappeler des moments heureux. Ces souvenirs vous rappellent que, vous aussi, vous  avez eu votre part de cette vie qui maintenant vous échappe. J'étais musicienne et tel morceau de musique que j'ai joué ici ou là, peut me faire revivre, en imagination, toutes les heures délicieuses que j'ai connues jadis.
Il y a aussi les mauvais souvenirs des heures tragiques qui reviennent souvent sans être annoncées. Ceci est naturel car, à notre âge, nous avons perdu tous nos proches, ce qui nous laisse évidemment de bien tristes souvenirs.

Q : Comment voit-on les aspirations et les luttes de sa vie passée? Y découvre-t-on une certaine futilité ou bien gardent-elles toutes leurs valeurs?

R: Mon rêve était d'être médecin. La guerre est venue et a tout anéanti. Après la guerre, je n'ai jamais pu réaliser mon rêve.
Je crois que je regrette encore de n'avoir pas été médecin, car j'aurais pu soulager la douleur d'autrui. C'était un sentiment très fort chez moi. Mon père et mes oncles étaient, d'ailleurs, médecins.
Quand je regarde ma vie, je me rends compte que j'ai eu une vie bien remplie, quoique j'aurais voulu avoir fait davantage.

Q: Qu'est-ce qui caractérise le mieux votre attitude envers la vie? Est-ce le désir de la revivre, celle de la prolonger ou plutôt celle d'en finir au plus tôt?

R: Aucune. Je laisse le soin du choix à la volonté divine. Je ne voudrais pas revivre ce qui est déjà passé. Je ne veux pas lutter encore.

Q: La longévité a ses problèmes. On continue à vivre dans un monde qui se vide des amis et connaissances. Les personnes de votre génération s'en vont les unes après les autres. Ce vide est-il remplaçable?

R : Nous ne pouvons pas remplacer les disparus, car ce sont des affections de longues durées qui s'effacent brutalement. Chaque jour, c'est une branche qui meurt et on se revoit seule au milieu de la plaine.
'
La mort est inévitable. Cela ne sert donc à  rien d'en avoir peur.

Q: Ceci pose des problèmes de solitude. Eprouve- t-on un sentiment d'abandon?

R: On ne se sent pas abandonné mais on devine un rétrécissement de la société autour de soi. Les visites s'espacent, deviennent de plus en plus rares, disparaissent, et on reste-là à penser à ceux qu'on avait l'habitude de voir.

Q: Quelle est votre attitude vis-à-vis de la société mauricienne actuelle?

R: Ne sortant plus, je me suis créé une société à moi.
Mes idées ne cadrent pas avec celles de la société actuelle. Quand je suis obligée d'aller en société, comme cela m'arrive à l'occasion d'un mariage quelconque, je me conforme aux normes actuelles. Je parle quand il faut parler et je ris quand il faut rire. Je me garde bien de faire une remarque ou de donner mes impressions car, dans ces cas-là, la réaction typique est de s'entendre dire : "Tu es vieux jeu" et on vous laisse en plan. Mais je dois dire que je connais mal la société actuelle.
Les rares fois où je sors, je me déplace en voiture et il est évident que ce n'est pas de cette façon que je pourrais connaître la société d'aujourd'hui.

Q: Pensez-vous que la société manque d'égards et de reconnaissance envers les vieux?

R: Non. Il y a beaucoup de personnes qui viennent nous visiter ici car elles s'intéressent à nous. Au niveau du gouvernement, un pas a été fait dans la bonne direction avec l'augmentation de la pension de vieillesse, mais il reste encore beaucoup à faire car il y a énormément de vieux qui sont encore dans le besoin.

Q: Comment expliquez-vous l'attitude de ceux qui n'hésitent pas à placer les personnes âgées dont ils ont la charge dans un couvent ou dans une maison de repos? Pensez-vous qu'une telle attitude est dictée par la peur de côtoyer ces vieux à Iongueur de journées? Ou bien est-ce tout simplement de l'indifférence?

R: Il faut toujours se mettre à la place d'autrui. Aujourd'hui, hommes et femmes doivent travailler pour faire fonctionner le ménage. Un loyer coûte Rs1000 par mois et une paire de chaussure Rs 300.
Il faut donc se mettre en présence de la vie actuelle qui ne permet pas toujours à un couple qui travaille de s'occuper d'un vieillard invalide. Une garde-malade coûte très cher. Ceci fait qu'on doit parfois passer outre à ses sentiments, et caser ces vieux quelque part.

Q: Vous avez, tout à l'heure, mentionné la difficulté d'échanges entre les vieux et les autres. Le dialogue est-il encore possible?

R: Je pense que le dialogue est bien souvent impossible. Les jeunes ont tellement évolué que les vieux n'arrivent pas toujours à saisir toutes les données du problème. Celle-là ne verra pas d'un bon oeil ce que fait celle-ci. Il est donc préférable de laisser à chacun ses idées sans trop essayer d'approfondir les choses. Je connais des vieilles qui partagent entièrement les idées des jeunes et d'autres qui en sont totalement réfractaires. Dans ces conditions, il est préférable de ne pas insister car les heurts deviendront trop violents.

Q: La proximité avec la mort vous inspire-t-elle une crainte particulière?

R : La vieillesse est l'anti¬chambre de la mort. Elle vous met dans le sentier de la mort, comme dit Anatole France.
La vieillesse nous détache des biens de la terre et nous permet de voir qu'il n'y a rien de stable ici-bas.
La mort est inévitable. Cela ne sert donc à rien d'en avoir peur. Elle devient, en fait, un compagnon car nous n'avons aucun moyen de nous en défaire. Chaque soir, on se dit "c'est peut-être ce soir". Le lendemain matin, on se dit: "ce sera sans doute aujourd'hui". On doit être toujours prêt pour le grand départ.

Q : Vous parlez de la vie "ici-bas", pensez-vous à une autre vie après celle-ci ?

R: Oui. Il est incontestable que la foi qui vous donne une telle espérance, rend les derniers jours beaucoup plus supportables.

Q: A votre âge, que craignez-vous le plus?

R: J'ai tant vécu que je ne crains plus rien. Cependant, quand je suis en présence d'une vieille personne totalement diminuée aussi bien physiquement que mentalement, je demande instinctivement à Dieu de m'épargner une telle épreuve. Notre hantise est qu'une crise cardiaque peut, en un clin d'œil, nous réduire à une vie végétative.

Q : Que veut dire le mot "avenir" pour vous?

R: L'avenir c'est de demander au Tout Puissant de me garder toutes mes facultés jusqu'à la fin. Je ne demande rien d'autre.

21 October 1978

Dialogue et fermeté : la MTPA définit son action


La MTPA définit son action à travers son président Philippe Blackburn.

"La réaction du gouvernement vis-à-vis de la pression exercée par les syndicats semble indiquer que c'est la seule méthode à employer de nos jours. Nous sommes, en effet, un pressure group. Mais, au lieu d'être forcée à l'affrontement, la Mauritius Tax Payers' Association (MTPA) aurait préféré que le gouvernement reconnaisse en ses membres les interlocuteurs valables qu'ils sont en fait." C'est ce que M. Philippe Blackburn, président de la MTPA, a déclaré à L'Express.
 
M. Blackburn, qui est aussi directeur du personnel et des relations publiques de la propriété sucrière de Bel Ombre, est le président de la MTPA depuis 1976. Il parle avec conviction des 'revendications légitimes' des membres de son organisation qui est passée de 200 lors de l'enregistrement de la MTPA en 1966 à près de 10,000 en 1978: chiffre que M. Blackburn entend doubler dans un prochain avenir à travers une campagne de recrutement intense qui commencera au début de décembre. Le président de la MTPA a bien veillemment accepté cet interview qui permettra aux lecteurs de l'express de bien comprendre les objectifs de cette organisation.

Propos recueillis par
Jean-Mée DESVEAUX
L’express du 21/10/1978

Q: La MTPA est décidée à faire le contribuable prendre conscience du fait que c'est lui qui paie les frais de la mauvaise gestion des fonds publics. Où va-t-on, après cette prise de conscience?

R: Vous dites que la MTPA essaie de faire le contribuable en prendre conscience; c'est un fait. Mais il nous faut d'abord faire comprendre à nos membres et au public en général que quand la MTPA parle des contribuables, elle ne se limite pas à ceux qui paient l'impôt sur les revenus, mais se réfère à tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, aident à remplir les caisses de l'Etat. C'est-à-dire ceux qui paient la taxe directe comme ceux qui paient la taxe indirecte.
Nous voulons que la MTPA élargisse le cadre de ses activités pour représenter les contribuables aussi bien que les consommateurs: ceux que Philippe Forget appelle les actionnaires involontaires du secteur public.

Q : Ce désir d'élargir vos frontières est relativement nouveau car jusqu'à tout récemment vous n'étiez concerné que par une catégorie bien définie de Tax Payers.

R: En effet, la MTPA s'était limitée jusqu'à tout récemment aux contribuables payant l'impôt sur les revenus c'est-à-dire l'Income Tax. Nous avons pris conscience que tout le monde est, en fait, à payer les pots cassés de cette mal-administration. Que ce soit le vendeur de cigarettes ou le marchand de gâteaux piments, ils en font les frais. Il faut bien dire que nous avons reçu de nombreuses requêtes de la part du public qui nous demandait d'élargir le cadre de nos activités dans le sens que je viens de mentionner.

En ce qu'il s'agit de l'action que nous voulons entreprendre quand ce travail préliminaire de conscientisation sera accompli, nous comptons organiser un groupe de gens responsables prêts à aider l'administration et à collaborer avec n'importe quel gouvernement pour l'amener à mettre sur pied un système de fiscalité. Cela rendrait non seulement justice à ceux qui se considèrent les éternels tondus, mais aiderait à résoudre les problèmes économiques du pays dans son contexte le plus large.

Q : Pourriez-vous nous donner un exemple concret du genre d'action dont vous parlez?

R: Nous avons en ce moment un petit groupe qui travaille à découvrir si le taux exorbitant de notre fiscalité n'est pas en train d'augmenter l'inflation au lieu de la juguler.
L'hypothèse initiale que nous voulons vérifier c'est qu'avec sa politique de taxation, le gouvernement incite les gens à emprunter pour déduire des intérêts de la taxe. Quelqu'un qui se fait écorcher par la taxe et qui possède une maison dont il a tout lieu d'être satisfait, a pourtant intérêt à agrandir son capital immobilier en y ajoutant encore quelques chambres en vue de déduire les intérêts de ce capital de ses revenus taxables. Une telle personne ajoute évidemment aux problèmes existants du pays, car elle devient consommatrice de ciment et de fer  alors que ces items sont déjà en grande demande dans le pays.

Une autre hypothèse que nous voulons vérifier a trait à l'impact psychologique de l'augmentation des prix sur les gens. Les gens vivent au jour le jour. Ils font montre de défaitisme. Les cadres du secteur public et du secteur privé ont la rage d'acheter; certains achètent deux réfrigérateurs, trois marmites à pression qu'ils gardent en réserve chez eux au cas où les prix monteraient. Ils pensent que si jamais ils arrivaient à partir, ils pourraient toujours les revendre plus chers. Ce phénomène augmente la demande dans la société de consommation et l'inflation aussi.

Q: Pensez-vous que le niveau fiscal ait un impact néfaste sur le développement du pays?

R: J'en suis certain. Prenez le petit avantage que le ministre des Finances a accordé aux contribuables en ce qui concerne les intérêts non-taxables. Ce chiffre est passé de Rs 1 500 à Rs 2 500 par an. Supposant un taux d'intérêt de 10% par an, le capital qu'un contribuable peut placer sans être taxé sur les intérêts reçus est de l'ordre de Rs 25 000. Or, des centaines et des centaines de salariés disposent d'une telle somme. Ceux-là placent bien cet argent, mais à court terme, et aussitôt que le chiffre d'intérêt atteint Rs 2 500, ils enlèvent leur capital pour le placer ailleurs ou le dépenser. Ces placements à court terme ne permettent donc pas au gouvernement d'utiliser cet argent pour le développement.

Q: Peut-on parler d'une philosophie de la MTPA?

R: Certainement. Un des principes fondamentaux de cette philosophie c'est de faire en sorte que le gouvernement cesse de nous traiter en paria. Nous voulons qu'il reconnaisse en nous des interlocuteurs valables, car il n'est pas exagéré de dire que nous avons parmi nous les meilleurs cerveaux du pays dans les domaines de la comptabilité nationale, de la gestion des entreprises et des lois fiscales. Notre travail est celui d'un groupe de professionnels. Notre philosophie n'est pas de faire en sorte que l'impôt disparaisse.

Nous voulons aussi, à travers notre action, aider le gouvernement à ramener dans le pays, dans le secteur public, comme dans le secteur privé, un sens des valeurs et une éthique professionnelle qui est à disparaître très rapidement. Comme je l'ai mentionné lors de ma dernière conférence de presse, le taux élevé des impôts sur les revenus engendre la corruption et la malhonnêteté à tous les niveaux. Les fonctionnaires se lancent dans des affaires et perdent cet esprit de corps qui devrait animer toute entreprise qu'elle soit publique ou privée. Le gouvernement ne se rend pas compte que ses propres fonctionnaires sont des gens malheureux et qu'ils accumulent en eux toute cette amertume parce qu'on leur a finalement sapé leur motivation. Dans le secteur privé, la situation n'est guère plus réconfortante, car ici les cadres qui sont à la recherche d'un emploi, ne sont intéressés qu'aux bénéfices marginaux (maisons, voitures, campements, chevaux, etc.) quitte à ne pas recevoir de salaires officiels sur papier. Cela crée une situation très malsaine. De plus, je connais pas moins d'une cinquantaine de couples qui sont des cadres et qui voudraient divorcer et continuer à vivre ensemble à cause de la pression du système fiscal sur les couples mariés.
Notre rôle est donc d'aider le gouvernement à voir clair dans cette situation, car aucune entreprise ne peut survivre si ses travailleurs et ses cadres ne sont pas motivés et ne possèdent pas l'esprit de corps voulu.

Q: La gestion du secteur public étant conduite de plus en plus par le truchement des comités tripartites, peut-on interpréter la grogne de la MTPA comme étant l'expression d'un désir de participer à ce processus de décision? La MTPA serait-elle en faveur d'un multipartisme au sein duquel elle détiendrait un rôle important?

R: Je vous donne ici une opinion personnelle. Je suis à 100% en faveur de la consultation et de la concertation; mais je ne crois pas qu'il soit sain pour une nation d'être gérée par des comités de ce genre. Il y a des responsabilités que le gouvernement doit assumer et qui ne peuvent être soumises à des comités bipartites ou tripartites. Le gouvernement peut consulter ses partenaires sociaux mais en ce qu'il s'agit de décision, nul autre que lui ne devrait les prendre.

Pour que le processus de dialogue soit fructueux, il ne devrait pas s'arrêter à la décision. Un élément clé qui est trop souvent négligé est celui de l'information qui complète le cercle : consultation, dialogue, décision et information. La faille de la mauvaise gestion est très souvent imputable aux mauvaises communications car management is communication. Le secteur privé comme le secteur public disent souvent qu'ils vont prochainement entreprendre une campagne de communication mais on attend toujours que cela soit actualisé. Cette faille est d'autant plus étonnante de la part du gouvernement que le Premier ministre détient tous les moyens possibles de communication à sa disposition. Il devrait l'utiliser pour dialoguer avec le public.

Q: Vous avez tout à l'heure exprimé le désir de voir la MTPA considérée comme un interlocuteur valable par le gouvernement. Dans quel cadre est- ce qu'un tel échange se ferait si ce n'est dans le contexte d'un éventuel multipartisme?

R : Jusqu'ici le gouvernement nous a accordé audience à chaque fois que nous lui avons soumis un mémoire sur les provisions fiscales avant le discours du budget. A part du fait que ces réunions ont aidé à réduire la tension, elles ont été totalement futiles.

J'aurais préféré avoir de véritables réunions de travail avec les techniciens du ministère des Finances sur tous les points qui sont aujourd'hui en suspens et qui sont des causes de friction entre le contribuable et le gouvernement. Ce serait un comité de travail pour étudier les lois fiscales et leur application comme il en existe pour l'étude des congés publics etc.

Q: M. Blackburn, la MTPA ne devient-elle pas, en quelque sorte, le syndicat des contribuables?

R: Non. La MTPA n'est pas un syndicat et je vous suis reconnaissant de me poser cette question. Il est vrai que dans l'esprit de certains membres du public, et je pense spécialement aux fonctionnaires qui ne se joignent pas à nous pour cette raison, la MTPA est un syndicat.

La MTPA ne défend pas les cas individuels de payeurs d'impôt vis-à-vis du ministère des Finances ou de la Cour. Elle est une association visant à recevoir les points de vue et les doléances des contribuables sur toutes les questions qui touchent à la fiscalité mauricienne et qui pourraient faire l'objet de représentations au niveau du gouvernement central dans le but d'amener une amélioration dans le domaine fiscal.

La MTPA est une association légalement constituée, enregistrée auprès du Registrar of Association et ayant des structures démocratiques pour l'élection de son comité exécutif.

Q: Vous avez, lors de votre dernière conférence de presse, mentionné que 1'"affrontement est inévitable" et vous vous êtes demandé "jusqu'où ira la patience du contribuable?". Quoi qu'elle ne soit pas un syndicat, la MTPA ne pourrait-elle adopter les moyens de pression syndicaux nécessaires à la protection de ses membres en cas de litige?

R: La MTPA est effectivement un Pressure Group, mais dans un contexte d'affrontement, elle n'agirait qu'à la requête de ses propres membres. Cette phrase où je parle d'affrontement m'a été pour ainsi dire soufflée par nos membres qui sont absolument excédés. Ils pensent que nous avons été jusqu'à l'heure trop civilisés dans nos relations avec le gouvernement. Il serait à propos de faire ressortir ici que la réaction du gouvernement vis-à-vis de la pression exercée par les syndicats semble indiquer que cette pression reste la seule méthode à employer de nos jours. Il est dommage d'avoir à utiliser de tels procédés, car ce que nous demandons est légitime.

Nous sommes un Pressure Group et c'est dans ce même contexte que j'ai exprimé mon désir de rechercher les moyens de pression parlementaires et extra-parlementaires pour amener le gouvernement à reconnaître la légitimité de nos revendications.

Q: Peut-on parler des attributions de la MTPA? "Descendre dans la rue" ou organiser des meetings publics est-il compatible avec ces attributions?

R: Oui. Ces meetings publics seraient toujours dans le contexte de l'information et du dialogue dont j'ai parlé. Jusqu'à l'heure nous nous sommes refusés à faire de la politique. Dès le lendemain de ma conférence de presse, un représentant du groupe des contestataires a pris contact avec moi pour compléter, selon son dire, son dossier sur l’Income Tax.
Notre position est claire et nette : en aucune circonstance nous ne nous laisserons accaparer ou manipuler par un groupe politique quelconque et ceci n'est pas en contradiction avec ce que je disais plus haut quant à l'aide que nous recherchons à travers les actions parlementaires et extra-parlementaires.

Q : Votre conférence de presse donne l'impression que la MTPA a pris position ( 1 ) contre les "petits" (laboureurs et dockers) qui ne paient pas (2) en faveur des "gros" (firmes privées, hauts cadres) qui paient la taxe. Le petit contribuable n'est donc pas le souci majeur de la MTPA?

R: Le petit contribuable est pris en considération. D'ailleurs, nous avons, cette année, accueilli un nombre considérable d'artisans de l'industrie sucrière. Il n'y a pas de différence pour nous entre les petits et les gros contribuables.
Nous ne faisons pas de discrimination. Nous disons au contraire qu'un gouvernement qui se respecte doit s'assurer que la loi soit appliquée à tout le monde. Ce que nous recherchons c'est que les lois passées par le gouvernement soient uniformément appliquées.
Lorsque j'ai fait référence aux dockers et aux travailleurs agricoles, c'était pour attirer l'attention sur la discrimination et l'injustice que pratiquait le gouvernement vis-à-vis d'autres groupes ayant des affinités socio-économiques avec ceux-là. Je parle ici des plantons et des petits commis du secteur public ainsi que des artisans du secteur privé qui, eux, s'acquittent de leurs impôts dès qu'ils atteignent la limite des revenus imposables. J'ai cité ces chiffres pour démontrer que des 21,000 travailleurs agricoles célibataires seulement, le gouvernement pourrait recevoir 7 à 8 millions d'impôts additionnels par an. Cette contribution due pourrait être récoltée sans que le gouvernement ait à dépenser un sou supplémentaire car les établissements sucriers détiennent les chiffres et pourraient à la rigueur eux- même recueillir ces fonds de leurs employés en vue de les verser au fisc.

Q: Vous vous référez à cette catégorie de travailleurs comme étant un groupe de "privilégiés" par rapport aux contribuables qui sont saignés à blanc. Or, n'est-il pas établi dans le langage courant qu'être fortement taxé est synonyme de prospérité pour le contribuable en cause? Le privilège dont vous parlez est-il économique?

R: Quand je parle de privilège, je me réfère à l'immunité d'un groupe de salariés vis-à-vis d'autres groupes du même genre en ce qui concerne l'application des lois fiscales.
Quand vous dites que payer beaucoup de taxe pourrait aussi être interprété comme un signe de prospérité donc comme un privilège social du fait qu'on touche de gros salaires, je vous demande si la restitution de 35 à 40% de ses salaires annuellement au fisc pour un travail qui représente entre 12 et 15 heures par jour est un privilège. En France, un cadre qui touche 100,000 F ne paie plus que 15 à 20% de ses revenus au fisc.
Si encore les services que nous recevions en retour compensaient ce taux élevé, j'aurais compris, mais vous connaissez vous-même la situation qui prévaut dans nos services de voirie, de transport, d'eau, d'électricité sans mentionner les hôpitaux.

Q: La différence entre le pourcentage d'impôt que paie le cadre mauricien et celui de son homologue français n'est-elle pas fonction de la différence entre les salaires qui s'appliquent dans ces deux pays?

R: L'éventail des salaires en France est d'environ 1 à 20 alors qu'ici il est de 1 à 10. Le travailleur agricole touche 580 roupies par mois en salaire de base tandis que le haut cadre du secteur privé et le P.A.S. du secteur public touchent environ Rs 5 800 en moyenne.
Cet éventail de 1 à 10 se trouve probablement réduit à 1 à 6 ou 7 après que l'impôt ait frappé le cadre.

Q: M. Blackburn, comment voyez-vous l'avenir mauricien en tant que président de la Mauritius Tax Payers Association?

R: Nous le voyons avec beaucoup d'appréhension. Je suis inquiet. Je ne voudrais pas que nous ayons à utiliser des méthodes qui n'ont jamais été utilisées par la MTPA Jusqu'ici. Mais nous avons beaucoup trop de questions en suspens et beaucoup trop de revendications que nous considérons légitimes qui ont été systématiquement rejetées par le gouvernement durant ces dernières années. Ce qui nous fait croire que la lutte sera dure. Mais nous avons la chance aujourd'hui d'avoir à notre exécutif un groupe de jeunes conscients des problèmes qui confrontent le pays et le gouvernement. Ces membres sont résolus à utiliser toutes les voies du dialogue et de la concertation avant de prendre une mesure drastique qui pourrait amener à cette confrontation que nous voudrions par tous les moyens éviter. Nous espérons que le gouvernement et le ministre des Finances en particulier seront amenés à comprendre la gravité des problèmes qui nous accablent et qu'ils apporteront toute leur attention à assainir les relations entre les contribuables et le gouvernement bien avant la présentation du budget 1979 - 1980.

18 October 1978

Plaidoyer pour une école de musique


ENTRETIEN AVEC M. STANDISH LESTER et MME ODETTE TOOLSY

M. Standish Lester
M. Standish Lester, examinateur et membre de l'"Associated Board of the Royal School of Music’’, a, durant son séjour d'une dizaine de jours au pays, organisé des concours de musique à l'intention de 106 candidats et de 26 chorales.
L'Express a rencontré M. Lester à quelques heures de son départ pour lui demander ses impressions sur le niveau des candidats mauriciens ainsi que d'autres questions y relatives. La portée de certaines des réponses obtenues nous a incité à approcher Mme Odette Toolsy, figure connue dans le domaine de la musique à Maurice, et chargée de cours de musique dans les écoles mauriciennes, afin de discuter de la justesse des points de vue exprimés ainsi que de remettre en question l'évolution de la musique "sérieuse" occidentale à Maurice.

Propos recueillis par 
Jean-Mée DESVEAUX

L’express du 18/10/1978


Q: M. Lester, vous venez de terminer une session d'examens de deux semaines. Vous avez jugé la performance d'une centaine d'élèves ainsi que celle d'une trentaine de chorales. Pouvez-vous nous parler de vos impressions?

R: Durant mon court séjour à Maurice, j'ai eu en effet l'occasion d'examiner les candidats mauriciens qui se sont présentés aux examens de l’Associated Board of the Royal School of Music et je dois dire que j'ai été surtout impressionné par le niveau atteint chez certaines chorales. Elles sont généralement très spontanées et very much alive.
Cependant, je crois que la création d'une école centrale de musique à Maurice aiderait énormément à hausser le niveau de la musique dans l’île. Il ne faut pas oublier que vous êtes isolés et que la visite d'artistes étrangers pourrait être un des facteurs déterminants dans ce domaine et c'est là, donc, que cette école pourrait jouer un rôle important. Elle serait le point focal des rencontres de ce genre.

Q: Vous avez mentionné le caractère insulaire de notre pays. Ceci est, sans aucun doute, un sérieux désavantage pour les adeptes de la musique chez nous car ils sont automatiquement exclus du courant culturel qui ne se trouve finalement que dans les grands centres. Pensez-vous que le jeune Mauricien doué puisse quand même se faire un nom dans ce domaine?

R: Certainement! J'ai entendu des candidats au Niger et en Extrême-Orient qui jouaient à merveille. Avec l'enseignement voulu, vous pouvez faire aussi bien que n'importe qui ailleurs. Il appartient à l'île Maurice de surmonter le désavantage initial dont elle est l'objet dans ce domaine. Je ne pense pas que cette difficulté soit vraiment insurmontable.

Q: Vous êtes particulièrement concerné par ce qu'on pourrait appeler "la musique académique". Le don en matière d'art  étant surtout inné chez la personne, comment pouvez-vous l'enseigner?

R: Vous ne pouvez pas l'enseigner mais vous pouvez l'entendre et l'encourager. L'environnement est très important dans ce sens. On ne peut acquérir le don que vous mentionnez dans un vide. Je ne dis pas que c'est le cas à Maurice, mais vous avez encore un bout de chemin à parcourir.

Q : L'enseignant reste donc un élément-clé dans ce domaine?

R: Oui, car si le niveau baisse, la responsabilité incombe en partie au corps enseignant. Il faut cependant souligner que les meilleurs candidats viennent d'un certain nombre de professeurs bien déterminés.
Il est clair que les professeurs mauriciens ont un désavantage sur leurs confrères européens. Ces derniers peuvent se recycler dans les universités, ils ont l'occasion d'écouter les plus grands artistes du moment et ils peuvent ainsi comparer leurs résultats. A partir de là, ils peuvent améliorer leur façon d'enseigner.

Q: Pensez-vous que la ‘’Royal School of Music’’ pourrait nous aider dans ce sens, en nous envoyant des musiciens capables en vue de hausser le niveau de la musique dans le pays?

R : Je ne pense pas que la Royal School of Music ait des fonds spécialement alloués pour ce genre d'activités mais cela pourrait, peut- être, se faire.

Q: Vous avez, en ce moment, en Angleterre, plusieurs communautés ethniques, ce qui enrichit en quelque sorte la musique anglaise traditionnelle. La musique britannique a-t-elle subi des influences de ces groupes culturels?

R: La musique occidentale, dans son ensemble, a subi des influences de sources les plus diverses. La musique de Benjamin Britten en est une preuve. Ce compositeur a clairement montré que la musique britannique peut absorber certaines influences exotiques tout en gardant son individualité.

Mme Odette Toolsy

Q: Mme Toolsy, M. Standish Lester propose la mise sur pied d'une école centrale de musique à Maurice. En tant que responsable de la section musique du ministère de l'Education, qu'en pensez-vous?

R: Je suis tout à fait d'accord avec M. Lester, qui est un très grand musicien. On n'a qu'à voir les résultats du dernier examen pour se rendre compte de ce besoin. Le taux d'échecs a été de 25% et ceux qui ont été reçus n'ont pas atteint un niveau très élevé.

Q : Pouvez-vous nous expliquer ce qu'une telle école signifierait en pratique?

R: Pour l'immédiat, ce ne serait surtout pas un bâtiment car nous avons énormément d'écoles qui ferment leurs portes à partir de 14 h 30 et dont on pourrait se servir pour faire les cours de musique. Il ne faut surtout pas s'imaginer une école où on enseignerait la musique du matin au soir car, de toute façon, les élèves seront pris par d'autres cours durant la journée.
Dans le contexte d'une telle école, ce qu'il nous faut, c'est une infusion de sang nouveau. Il nous faut des professeurs outre-mériens qui viendraient enseigner les différentes disciplines associées à la musique, telles les cordes, les instruments à vent, les cuivres, la théorie, l'harmonie, la composition, l'appréciation et l'histoire de la musique.
L'avantage d'une telle école serait de recevoir seulement les élèves qui seraient vraiment motivés. Le système qui prévaut actuellement dans les écoles, où un professeur doit souvent faire face à une classe de quarante, est apte à décourager ceux qui ont besoin d'une attention plus particulière.

Q: Vous avez mentionné que nous avons besoin de l'aide des professeurs étrangers dans une telle école. Les professeurs mauriciens ne seraient-ils pas à la hauteur?

R: Ce n'est pas ce que je veux dire. Le nombre de professeurs de musique est déjà très restreint et ceux qui enseignent actuellement ont un programme très chargé. Les étrangers auxquels je fais allusion viendraient à Maurice dans le but très précis de prendre cette école de musique en charge. Ils auraient donc tout le temps nécessaire pour la préparation des cours. D'autre part, ces enseignants étrangers pourraient également nous initier aux tendances actuelles de la musique européenne.
Il va de soi qu'ils seront remplacés par les cadres mauriciens dans une période de six à sept ans, période durant laquelle nos compatriotes seront formés et ultérieurement prendront cette école en charge.

Q: Avant d'envisager un tel entraînement, il faudrait peut-être examiner la situation au niveau du recyclage des professeurs en service. Ce recyclage existe-t-il?

R: Non et c'est dommage. Il est certain que les aptitudes de nos professeurs y gagneraient. Les méthodes d'enseignement changeront sûrement dans toutes les disciplines et la musique n'est pas une exception. Mais au lieu d'un tel programme de recyclage qui serait effectué tous les cinq ans, les professeurs, poussés par leurs propres initiatives, feront un effort pour s'adapter aux changements de méthodes comme ils le peuvent.
Si les innovations dont nous avons parlé étaient effectuées, il est certain que le niveau de la musique à Maurice serait haussé dans une demi-douzaine d'années.  Nous pourrions alors contempler la mise sur pied d'un ensemble de musique de chambre national. Au lieu de continuer à copier la musique des autres pays, les Mauriciens pourraient enfin composer des textes appropriés au contexte local. Il me semble que la musique a toujours été à Maurice le parent pauvre des autres activités culturelles.

Q : On peut aussi déplorer un certain manque d'intérêt en ce qui concerne la musique de Bach, Beethoven et autres chez nous. Quelle en est, d'après vous, la cause?

R: La raison est que les jeunes ne reçoivent pas une éducation musicale suffisante dans les écoles. L'intérêt ne peut être développé sans une certaine familiarité initiale avec la musique en question.
D'autre part, la mass media n'aide pas du tout dans ce sens, car, du matin au soir, on n'y entend que de la musique pop et le séga. S'il y a un programme intéressant, il ne passe généralement que tard dans la soirée. Les heures de pointe sont réservées pour tout, sauf la musique sérieuse. Comment voulez-vous que les gens développent une appréciation vis-à-vis de cette musique si on ne peut jamais l'entendre?

La musique, le parent pauvre des activités culturelles.

Q : Vous ne semblez pas être en faveur de la pop music mais c'est pourtant ce qui intéresse les jeunes. Comment feriez-vous pour les atteindre, si, au départ, vous excluez ce qui les intéresse le plus?

R: Je ne veux pas exclure la pop music. Chaque musique a sa place à l'oreille. Trop de pop music détruirait l'oreille musicale si ce n'est qu'à cause du nombre de décibels que cette musique dégage.
Les deux genres de musique se complètent. On ne devrait pas sacrifier la musique sérieuse pour le pop. J'inclus toujours, dans les programmes scolaires, des chants de certains groupes qu'on pourrait qualifier de pop comme "Abba" et "Boney M".
Ce que les jeunes ne réalisent pas, c'est que ces deux groupes, pour ne prendre que ceux-là en exemple, ne seraient pas arrivés à l'apogée qu'on sait s'ils n'avaient pas, au préalable, reçu une éducation musicale sérieuse.

Q: Vous parliez, tout à l'heure,  de l'initiation à l'enseignement de la musique. Il me semble qu'il y a une contradiction entre ces deux termes, qu'en est-il?

R: L'appréciation de la musique se fait comme n'importe quoi. On peut enseigner la consonance des sons et le jeu des rythmes.
Du reste, il n'est pas nécessaire de connaître les détails techniques pour pouvoir apprécier une musique. Vous pouvez apprécier un beau tableau sans entrer dans les détails techniques de perspectives. Vous pouvez de la même façon apprécier une bonne musique sans pour cela être à même d'identifier les facteurs qui conditionnent cette appréciation.

Q: Nous subissons à Maurice de nombreuses influences musicales. Y- aurait-il une possibilité de brassage? Serait-il possible de faire une synthèse de toutes ces influences en vue de produire une musique mauricienne dont vous parliez tout à l'heure?

R: Je vous répondrai encore une fois que l'école dont nous parlions tout à l'heure est essentielle dans ce contexte. C'est là que les instrumentalistes seraient formés. Un tel brassage demanderait un perfectionnement de la part de tous les musiciens concernés. Or, la musique occidentale à Maurice est en deçà du niveau qu'a atteint la musique orientale chez nous. Pour qu'il y ait un brassage entre l'Orient et l'Occident dans le domaine musical, il faudrait donc que la musique sérieuse occidentale sorte de la torpeur où elle se trouve en ce moment. Quand le niveau requis sera atteint, le brassage se fera naturellement.

Q : Et le séga, ne pensez-vous pas qu'il soit une alternative à cette musique nationale que nous n'avons pas encore obtenue?

R: Non. Le séga est une musique folklorique comme il en existe du reste dans tous les pays. Il est certain que le séga peut inspirer une musique sérieuse dont les thèmes seraient empruntés de ce folklore. Du reste, Dvorak et Smetana se sont servis du folklore tchécoslovaque pour composer la musique sérieuse. Mais, le séga ne peut jouer ce rôle lui-même. C'est une musique qui est en fait le langage du peuple. Ceci n'est qu'une partie, il nous faudrait une réelle musique mauricienne et pour l'obtenir, il nous faudrait commencer maintenant.