JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

21 October 1978

Dialogue et fermeté : la MTPA définit son action


La MTPA définit son action à travers son président Philippe Blackburn.

"La réaction du gouvernement vis-à-vis de la pression exercée par les syndicats semble indiquer que c'est la seule méthode à employer de nos jours. Nous sommes, en effet, un pressure group. Mais, au lieu d'être forcée à l'affrontement, la Mauritius Tax Payers' Association (MTPA) aurait préféré que le gouvernement reconnaisse en ses membres les interlocuteurs valables qu'ils sont en fait." C'est ce que M. Philippe Blackburn, président de la MTPA, a déclaré à L'Express.
 
M. Blackburn, qui est aussi directeur du personnel et des relations publiques de la propriété sucrière de Bel Ombre, est le président de la MTPA depuis 1976. Il parle avec conviction des 'revendications légitimes' des membres de son organisation qui est passée de 200 lors de l'enregistrement de la MTPA en 1966 à près de 10,000 en 1978: chiffre que M. Blackburn entend doubler dans un prochain avenir à travers une campagne de recrutement intense qui commencera au début de décembre. Le président de la MTPA a bien veillemment accepté cet interview qui permettra aux lecteurs de l'express de bien comprendre les objectifs de cette organisation.

Propos recueillis par
Jean-Mée DESVEAUX
L’express du 21/10/1978

Q: La MTPA est décidée à faire le contribuable prendre conscience du fait que c'est lui qui paie les frais de la mauvaise gestion des fonds publics. Où va-t-on, après cette prise de conscience?

R: Vous dites que la MTPA essaie de faire le contribuable en prendre conscience; c'est un fait. Mais il nous faut d'abord faire comprendre à nos membres et au public en général que quand la MTPA parle des contribuables, elle ne se limite pas à ceux qui paient l'impôt sur les revenus, mais se réfère à tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, aident à remplir les caisses de l'Etat. C'est-à-dire ceux qui paient la taxe directe comme ceux qui paient la taxe indirecte.
Nous voulons que la MTPA élargisse le cadre de ses activités pour représenter les contribuables aussi bien que les consommateurs: ceux que Philippe Forget appelle les actionnaires involontaires du secteur public.

Q : Ce désir d'élargir vos frontières est relativement nouveau car jusqu'à tout récemment vous n'étiez concerné que par une catégorie bien définie de Tax Payers.

R: En effet, la MTPA s'était limitée jusqu'à tout récemment aux contribuables payant l'impôt sur les revenus c'est-à-dire l'Income Tax. Nous avons pris conscience que tout le monde est, en fait, à payer les pots cassés de cette mal-administration. Que ce soit le vendeur de cigarettes ou le marchand de gâteaux piments, ils en font les frais. Il faut bien dire que nous avons reçu de nombreuses requêtes de la part du public qui nous demandait d'élargir le cadre de nos activités dans le sens que je viens de mentionner.

En ce qu'il s'agit de l'action que nous voulons entreprendre quand ce travail préliminaire de conscientisation sera accompli, nous comptons organiser un groupe de gens responsables prêts à aider l'administration et à collaborer avec n'importe quel gouvernement pour l'amener à mettre sur pied un système de fiscalité. Cela rendrait non seulement justice à ceux qui se considèrent les éternels tondus, mais aiderait à résoudre les problèmes économiques du pays dans son contexte le plus large.

Q : Pourriez-vous nous donner un exemple concret du genre d'action dont vous parlez?

R: Nous avons en ce moment un petit groupe qui travaille à découvrir si le taux exorbitant de notre fiscalité n'est pas en train d'augmenter l'inflation au lieu de la juguler.
L'hypothèse initiale que nous voulons vérifier c'est qu'avec sa politique de taxation, le gouvernement incite les gens à emprunter pour déduire des intérêts de la taxe. Quelqu'un qui se fait écorcher par la taxe et qui possède une maison dont il a tout lieu d'être satisfait, a pourtant intérêt à agrandir son capital immobilier en y ajoutant encore quelques chambres en vue de déduire les intérêts de ce capital de ses revenus taxables. Une telle personne ajoute évidemment aux problèmes existants du pays, car elle devient consommatrice de ciment et de fer  alors que ces items sont déjà en grande demande dans le pays.

Une autre hypothèse que nous voulons vérifier a trait à l'impact psychologique de l'augmentation des prix sur les gens. Les gens vivent au jour le jour. Ils font montre de défaitisme. Les cadres du secteur public et du secteur privé ont la rage d'acheter; certains achètent deux réfrigérateurs, trois marmites à pression qu'ils gardent en réserve chez eux au cas où les prix monteraient. Ils pensent que si jamais ils arrivaient à partir, ils pourraient toujours les revendre plus chers. Ce phénomène augmente la demande dans la société de consommation et l'inflation aussi.

Q: Pensez-vous que le niveau fiscal ait un impact néfaste sur le développement du pays?

R: J'en suis certain. Prenez le petit avantage que le ministre des Finances a accordé aux contribuables en ce qui concerne les intérêts non-taxables. Ce chiffre est passé de Rs 1 500 à Rs 2 500 par an. Supposant un taux d'intérêt de 10% par an, le capital qu'un contribuable peut placer sans être taxé sur les intérêts reçus est de l'ordre de Rs 25 000. Or, des centaines et des centaines de salariés disposent d'une telle somme. Ceux-là placent bien cet argent, mais à court terme, et aussitôt que le chiffre d'intérêt atteint Rs 2 500, ils enlèvent leur capital pour le placer ailleurs ou le dépenser. Ces placements à court terme ne permettent donc pas au gouvernement d'utiliser cet argent pour le développement.

Q: Peut-on parler d'une philosophie de la MTPA?

R: Certainement. Un des principes fondamentaux de cette philosophie c'est de faire en sorte que le gouvernement cesse de nous traiter en paria. Nous voulons qu'il reconnaisse en nous des interlocuteurs valables, car il n'est pas exagéré de dire que nous avons parmi nous les meilleurs cerveaux du pays dans les domaines de la comptabilité nationale, de la gestion des entreprises et des lois fiscales. Notre travail est celui d'un groupe de professionnels. Notre philosophie n'est pas de faire en sorte que l'impôt disparaisse.

Nous voulons aussi, à travers notre action, aider le gouvernement à ramener dans le pays, dans le secteur public, comme dans le secteur privé, un sens des valeurs et une éthique professionnelle qui est à disparaître très rapidement. Comme je l'ai mentionné lors de ma dernière conférence de presse, le taux élevé des impôts sur les revenus engendre la corruption et la malhonnêteté à tous les niveaux. Les fonctionnaires se lancent dans des affaires et perdent cet esprit de corps qui devrait animer toute entreprise qu'elle soit publique ou privée. Le gouvernement ne se rend pas compte que ses propres fonctionnaires sont des gens malheureux et qu'ils accumulent en eux toute cette amertume parce qu'on leur a finalement sapé leur motivation. Dans le secteur privé, la situation n'est guère plus réconfortante, car ici les cadres qui sont à la recherche d'un emploi, ne sont intéressés qu'aux bénéfices marginaux (maisons, voitures, campements, chevaux, etc.) quitte à ne pas recevoir de salaires officiels sur papier. Cela crée une situation très malsaine. De plus, je connais pas moins d'une cinquantaine de couples qui sont des cadres et qui voudraient divorcer et continuer à vivre ensemble à cause de la pression du système fiscal sur les couples mariés.
Notre rôle est donc d'aider le gouvernement à voir clair dans cette situation, car aucune entreprise ne peut survivre si ses travailleurs et ses cadres ne sont pas motivés et ne possèdent pas l'esprit de corps voulu.

Q: La gestion du secteur public étant conduite de plus en plus par le truchement des comités tripartites, peut-on interpréter la grogne de la MTPA comme étant l'expression d'un désir de participer à ce processus de décision? La MTPA serait-elle en faveur d'un multipartisme au sein duquel elle détiendrait un rôle important?

R: Je vous donne ici une opinion personnelle. Je suis à 100% en faveur de la consultation et de la concertation; mais je ne crois pas qu'il soit sain pour une nation d'être gérée par des comités de ce genre. Il y a des responsabilités que le gouvernement doit assumer et qui ne peuvent être soumises à des comités bipartites ou tripartites. Le gouvernement peut consulter ses partenaires sociaux mais en ce qu'il s'agit de décision, nul autre que lui ne devrait les prendre.

Pour que le processus de dialogue soit fructueux, il ne devrait pas s'arrêter à la décision. Un élément clé qui est trop souvent négligé est celui de l'information qui complète le cercle : consultation, dialogue, décision et information. La faille de la mauvaise gestion est très souvent imputable aux mauvaises communications car management is communication. Le secteur privé comme le secteur public disent souvent qu'ils vont prochainement entreprendre une campagne de communication mais on attend toujours que cela soit actualisé. Cette faille est d'autant plus étonnante de la part du gouvernement que le Premier ministre détient tous les moyens possibles de communication à sa disposition. Il devrait l'utiliser pour dialoguer avec le public.

Q: Vous avez tout à l'heure exprimé le désir de voir la MTPA considérée comme un interlocuteur valable par le gouvernement. Dans quel cadre est- ce qu'un tel échange se ferait si ce n'est dans le contexte d'un éventuel multipartisme?

R : Jusqu'ici le gouvernement nous a accordé audience à chaque fois que nous lui avons soumis un mémoire sur les provisions fiscales avant le discours du budget. A part du fait que ces réunions ont aidé à réduire la tension, elles ont été totalement futiles.

J'aurais préféré avoir de véritables réunions de travail avec les techniciens du ministère des Finances sur tous les points qui sont aujourd'hui en suspens et qui sont des causes de friction entre le contribuable et le gouvernement. Ce serait un comité de travail pour étudier les lois fiscales et leur application comme il en existe pour l'étude des congés publics etc.

Q: M. Blackburn, la MTPA ne devient-elle pas, en quelque sorte, le syndicat des contribuables?

R: Non. La MTPA n'est pas un syndicat et je vous suis reconnaissant de me poser cette question. Il est vrai que dans l'esprit de certains membres du public, et je pense spécialement aux fonctionnaires qui ne se joignent pas à nous pour cette raison, la MTPA est un syndicat.

La MTPA ne défend pas les cas individuels de payeurs d'impôt vis-à-vis du ministère des Finances ou de la Cour. Elle est une association visant à recevoir les points de vue et les doléances des contribuables sur toutes les questions qui touchent à la fiscalité mauricienne et qui pourraient faire l'objet de représentations au niveau du gouvernement central dans le but d'amener une amélioration dans le domaine fiscal.

La MTPA est une association légalement constituée, enregistrée auprès du Registrar of Association et ayant des structures démocratiques pour l'élection de son comité exécutif.

Q: Vous avez, lors de votre dernière conférence de presse, mentionné que 1'"affrontement est inévitable" et vous vous êtes demandé "jusqu'où ira la patience du contribuable?". Quoi qu'elle ne soit pas un syndicat, la MTPA ne pourrait-elle adopter les moyens de pression syndicaux nécessaires à la protection de ses membres en cas de litige?

R: La MTPA est effectivement un Pressure Group, mais dans un contexte d'affrontement, elle n'agirait qu'à la requête de ses propres membres. Cette phrase où je parle d'affrontement m'a été pour ainsi dire soufflée par nos membres qui sont absolument excédés. Ils pensent que nous avons été jusqu'à l'heure trop civilisés dans nos relations avec le gouvernement. Il serait à propos de faire ressortir ici que la réaction du gouvernement vis-à-vis de la pression exercée par les syndicats semble indiquer que cette pression reste la seule méthode à employer de nos jours. Il est dommage d'avoir à utiliser de tels procédés, car ce que nous demandons est légitime.

Nous sommes un Pressure Group et c'est dans ce même contexte que j'ai exprimé mon désir de rechercher les moyens de pression parlementaires et extra-parlementaires pour amener le gouvernement à reconnaître la légitimité de nos revendications.

Q: Peut-on parler des attributions de la MTPA? "Descendre dans la rue" ou organiser des meetings publics est-il compatible avec ces attributions?

R: Oui. Ces meetings publics seraient toujours dans le contexte de l'information et du dialogue dont j'ai parlé. Jusqu'à l'heure nous nous sommes refusés à faire de la politique. Dès le lendemain de ma conférence de presse, un représentant du groupe des contestataires a pris contact avec moi pour compléter, selon son dire, son dossier sur l’Income Tax.
Notre position est claire et nette : en aucune circonstance nous ne nous laisserons accaparer ou manipuler par un groupe politique quelconque et ceci n'est pas en contradiction avec ce que je disais plus haut quant à l'aide que nous recherchons à travers les actions parlementaires et extra-parlementaires.

Q : Votre conférence de presse donne l'impression que la MTPA a pris position ( 1 ) contre les "petits" (laboureurs et dockers) qui ne paient pas (2) en faveur des "gros" (firmes privées, hauts cadres) qui paient la taxe. Le petit contribuable n'est donc pas le souci majeur de la MTPA?

R: Le petit contribuable est pris en considération. D'ailleurs, nous avons, cette année, accueilli un nombre considérable d'artisans de l'industrie sucrière. Il n'y a pas de différence pour nous entre les petits et les gros contribuables.
Nous ne faisons pas de discrimination. Nous disons au contraire qu'un gouvernement qui se respecte doit s'assurer que la loi soit appliquée à tout le monde. Ce que nous recherchons c'est que les lois passées par le gouvernement soient uniformément appliquées.
Lorsque j'ai fait référence aux dockers et aux travailleurs agricoles, c'était pour attirer l'attention sur la discrimination et l'injustice que pratiquait le gouvernement vis-à-vis d'autres groupes ayant des affinités socio-économiques avec ceux-là. Je parle ici des plantons et des petits commis du secteur public ainsi que des artisans du secteur privé qui, eux, s'acquittent de leurs impôts dès qu'ils atteignent la limite des revenus imposables. J'ai cité ces chiffres pour démontrer que des 21,000 travailleurs agricoles célibataires seulement, le gouvernement pourrait recevoir 7 à 8 millions d'impôts additionnels par an. Cette contribution due pourrait être récoltée sans que le gouvernement ait à dépenser un sou supplémentaire car les établissements sucriers détiennent les chiffres et pourraient à la rigueur eux- même recueillir ces fonds de leurs employés en vue de les verser au fisc.

Q: Vous vous référez à cette catégorie de travailleurs comme étant un groupe de "privilégiés" par rapport aux contribuables qui sont saignés à blanc. Or, n'est-il pas établi dans le langage courant qu'être fortement taxé est synonyme de prospérité pour le contribuable en cause? Le privilège dont vous parlez est-il économique?

R: Quand je parle de privilège, je me réfère à l'immunité d'un groupe de salariés vis-à-vis d'autres groupes du même genre en ce qui concerne l'application des lois fiscales.
Quand vous dites que payer beaucoup de taxe pourrait aussi être interprété comme un signe de prospérité donc comme un privilège social du fait qu'on touche de gros salaires, je vous demande si la restitution de 35 à 40% de ses salaires annuellement au fisc pour un travail qui représente entre 12 et 15 heures par jour est un privilège. En France, un cadre qui touche 100,000 F ne paie plus que 15 à 20% de ses revenus au fisc.
Si encore les services que nous recevions en retour compensaient ce taux élevé, j'aurais compris, mais vous connaissez vous-même la situation qui prévaut dans nos services de voirie, de transport, d'eau, d'électricité sans mentionner les hôpitaux.

Q: La différence entre le pourcentage d'impôt que paie le cadre mauricien et celui de son homologue français n'est-elle pas fonction de la différence entre les salaires qui s'appliquent dans ces deux pays?

R: L'éventail des salaires en France est d'environ 1 à 20 alors qu'ici il est de 1 à 10. Le travailleur agricole touche 580 roupies par mois en salaire de base tandis que le haut cadre du secteur privé et le P.A.S. du secteur public touchent environ Rs 5 800 en moyenne.
Cet éventail de 1 à 10 se trouve probablement réduit à 1 à 6 ou 7 après que l'impôt ait frappé le cadre.

Q: M. Blackburn, comment voyez-vous l'avenir mauricien en tant que président de la Mauritius Tax Payers Association?

R: Nous le voyons avec beaucoup d'appréhension. Je suis inquiet. Je ne voudrais pas que nous ayons à utiliser des méthodes qui n'ont jamais été utilisées par la MTPA Jusqu'ici. Mais nous avons beaucoup trop de questions en suspens et beaucoup trop de revendications que nous considérons légitimes qui ont été systématiquement rejetées par le gouvernement durant ces dernières années. Ce qui nous fait croire que la lutte sera dure. Mais nous avons la chance aujourd'hui d'avoir à notre exécutif un groupe de jeunes conscients des problèmes qui confrontent le pays et le gouvernement. Ces membres sont résolus à utiliser toutes les voies du dialogue et de la concertation avant de prendre une mesure drastique qui pourrait amener à cette confrontation que nous voudrions par tous les moyens éviter. Nous espérons que le gouvernement et le ministre des Finances en particulier seront amenés à comprendre la gravité des problèmes qui nous accablent et qu'ils apporteront toute leur attention à assainir les relations entre les contribuables et le gouvernement bien avant la présentation du budget 1979 - 1980.

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