JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

18 October 1978

Plaidoyer pour une école de musique


ENTRETIEN AVEC M. STANDISH LESTER et MME ODETTE TOOLSY

M. Standish Lester
M. Standish Lester, examinateur et membre de l'"Associated Board of the Royal School of Music’’, a, durant son séjour d'une dizaine de jours au pays, organisé des concours de musique à l'intention de 106 candidats et de 26 chorales.
L'Express a rencontré M. Lester à quelques heures de son départ pour lui demander ses impressions sur le niveau des candidats mauriciens ainsi que d'autres questions y relatives. La portée de certaines des réponses obtenues nous a incité à approcher Mme Odette Toolsy, figure connue dans le domaine de la musique à Maurice, et chargée de cours de musique dans les écoles mauriciennes, afin de discuter de la justesse des points de vue exprimés ainsi que de remettre en question l'évolution de la musique "sérieuse" occidentale à Maurice.

Propos recueillis par 
Jean-Mée DESVEAUX

L’express du 18/10/1978


Q: M. Lester, vous venez de terminer une session d'examens de deux semaines. Vous avez jugé la performance d'une centaine d'élèves ainsi que celle d'une trentaine de chorales. Pouvez-vous nous parler de vos impressions?

R: Durant mon court séjour à Maurice, j'ai eu en effet l'occasion d'examiner les candidats mauriciens qui se sont présentés aux examens de l’Associated Board of the Royal School of Music et je dois dire que j'ai été surtout impressionné par le niveau atteint chez certaines chorales. Elles sont généralement très spontanées et very much alive.
Cependant, je crois que la création d'une école centrale de musique à Maurice aiderait énormément à hausser le niveau de la musique dans l’île. Il ne faut pas oublier que vous êtes isolés et que la visite d'artistes étrangers pourrait être un des facteurs déterminants dans ce domaine et c'est là, donc, que cette école pourrait jouer un rôle important. Elle serait le point focal des rencontres de ce genre.

Q: Vous avez mentionné le caractère insulaire de notre pays. Ceci est, sans aucun doute, un sérieux désavantage pour les adeptes de la musique chez nous car ils sont automatiquement exclus du courant culturel qui ne se trouve finalement que dans les grands centres. Pensez-vous que le jeune Mauricien doué puisse quand même se faire un nom dans ce domaine?

R: Certainement! J'ai entendu des candidats au Niger et en Extrême-Orient qui jouaient à merveille. Avec l'enseignement voulu, vous pouvez faire aussi bien que n'importe qui ailleurs. Il appartient à l'île Maurice de surmonter le désavantage initial dont elle est l'objet dans ce domaine. Je ne pense pas que cette difficulté soit vraiment insurmontable.

Q: Vous êtes particulièrement concerné par ce qu'on pourrait appeler "la musique académique". Le don en matière d'art  étant surtout inné chez la personne, comment pouvez-vous l'enseigner?

R: Vous ne pouvez pas l'enseigner mais vous pouvez l'entendre et l'encourager. L'environnement est très important dans ce sens. On ne peut acquérir le don que vous mentionnez dans un vide. Je ne dis pas que c'est le cas à Maurice, mais vous avez encore un bout de chemin à parcourir.

Q : L'enseignant reste donc un élément-clé dans ce domaine?

R: Oui, car si le niveau baisse, la responsabilité incombe en partie au corps enseignant. Il faut cependant souligner que les meilleurs candidats viennent d'un certain nombre de professeurs bien déterminés.
Il est clair que les professeurs mauriciens ont un désavantage sur leurs confrères européens. Ces derniers peuvent se recycler dans les universités, ils ont l'occasion d'écouter les plus grands artistes du moment et ils peuvent ainsi comparer leurs résultats. A partir de là, ils peuvent améliorer leur façon d'enseigner.

Q: Pensez-vous que la ‘’Royal School of Music’’ pourrait nous aider dans ce sens, en nous envoyant des musiciens capables en vue de hausser le niveau de la musique dans le pays?

R : Je ne pense pas que la Royal School of Music ait des fonds spécialement alloués pour ce genre d'activités mais cela pourrait, peut- être, se faire.

Q: Vous avez, en ce moment, en Angleterre, plusieurs communautés ethniques, ce qui enrichit en quelque sorte la musique anglaise traditionnelle. La musique britannique a-t-elle subi des influences de ces groupes culturels?

R: La musique occidentale, dans son ensemble, a subi des influences de sources les plus diverses. La musique de Benjamin Britten en est une preuve. Ce compositeur a clairement montré que la musique britannique peut absorber certaines influences exotiques tout en gardant son individualité.

Mme Odette Toolsy

Q: Mme Toolsy, M. Standish Lester propose la mise sur pied d'une école centrale de musique à Maurice. En tant que responsable de la section musique du ministère de l'Education, qu'en pensez-vous?

R: Je suis tout à fait d'accord avec M. Lester, qui est un très grand musicien. On n'a qu'à voir les résultats du dernier examen pour se rendre compte de ce besoin. Le taux d'échecs a été de 25% et ceux qui ont été reçus n'ont pas atteint un niveau très élevé.

Q : Pouvez-vous nous expliquer ce qu'une telle école signifierait en pratique?

R: Pour l'immédiat, ce ne serait surtout pas un bâtiment car nous avons énormément d'écoles qui ferment leurs portes à partir de 14 h 30 et dont on pourrait se servir pour faire les cours de musique. Il ne faut surtout pas s'imaginer une école où on enseignerait la musique du matin au soir car, de toute façon, les élèves seront pris par d'autres cours durant la journée.
Dans le contexte d'une telle école, ce qu'il nous faut, c'est une infusion de sang nouveau. Il nous faut des professeurs outre-mériens qui viendraient enseigner les différentes disciplines associées à la musique, telles les cordes, les instruments à vent, les cuivres, la théorie, l'harmonie, la composition, l'appréciation et l'histoire de la musique.
L'avantage d'une telle école serait de recevoir seulement les élèves qui seraient vraiment motivés. Le système qui prévaut actuellement dans les écoles, où un professeur doit souvent faire face à une classe de quarante, est apte à décourager ceux qui ont besoin d'une attention plus particulière.

Q: Vous avez mentionné que nous avons besoin de l'aide des professeurs étrangers dans une telle école. Les professeurs mauriciens ne seraient-ils pas à la hauteur?

R: Ce n'est pas ce que je veux dire. Le nombre de professeurs de musique est déjà très restreint et ceux qui enseignent actuellement ont un programme très chargé. Les étrangers auxquels je fais allusion viendraient à Maurice dans le but très précis de prendre cette école de musique en charge. Ils auraient donc tout le temps nécessaire pour la préparation des cours. D'autre part, ces enseignants étrangers pourraient également nous initier aux tendances actuelles de la musique européenne.
Il va de soi qu'ils seront remplacés par les cadres mauriciens dans une période de six à sept ans, période durant laquelle nos compatriotes seront formés et ultérieurement prendront cette école en charge.

Q: Avant d'envisager un tel entraînement, il faudrait peut-être examiner la situation au niveau du recyclage des professeurs en service. Ce recyclage existe-t-il?

R: Non et c'est dommage. Il est certain que les aptitudes de nos professeurs y gagneraient. Les méthodes d'enseignement changeront sûrement dans toutes les disciplines et la musique n'est pas une exception. Mais au lieu d'un tel programme de recyclage qui serait effectué tous les cinq ans, les professeurs, poussés par leurs propres initiatives, feront un effort pour s'adapter aux changements de méthodes comme ils le peuvent.
Si les innovations dont nous avons parlé étaient effectuées, il est certain que le niveau de la musique à Maurice serait haussé dans une demi-douzaine d'années.  Nous pourrions alors contempler la mise sur pied d'un ensemble de musique de chambre national. Au lieu de continuer à copier la musique des autres pays, les Mauriciens pourraient enfin composer des textes appropriés au contexte local. Il me semble que la musique a toujours été à Maurice le parent pauvre des autres activités culturelles.

Q : On peut aussi déplorer un certain manque d'intérêt en ce qui concerne la musique de Bach, Beethoven et autres chez nous. Quelle en est, d'après vous, la cause?

R: La raison est que les jeunes ne reçoivent pas une éducation musicale suffisante dans les écoles. L'intérêt ne peut être développé sans une certaine familiarité initiale avec la musique en question.
D'autre part, la mass media n'aide pas du tout dans ce sens, car, du matin au soir, on n'y entend que de la musique pop et le séga. S'il y a un programme intéressant, il ne passe généralement que tard dans la soirée. Les heures de pointe sont réservées pour tout, sauf la musique sérieuse. Comment voulez-vous que les gens développent une appréciation vis-à-vis de cette musique si on ne peut jamais l'entendre?

La musique, le parent pauvre des activités culturelles.

Q : Vous ne semblez pas être en faveur de la pop music mais c'est pourtant ce qui intéresse les jeunes. Comment feriez-vous pour les atteindre, si, au départ, vous excluez ce qui les intéresse le plus?

R: Je ne veux pas exclure la pop music. Chaque musique a sa place à l'oreille. Trop de pop music détruirait l'oreille musicale si ce n'est qu'à cause du nombre de décibels que cette musique dégage.
Les deux genres de musique se complètent. On ne devrait pas sacrifier la musique sérieuse pour le pop. J'inclus toujours, dans les programmes scolaires, des chants de certains groupes qu'on pourrait qualifier de pop comme "Abba" et "Boney M".
Ce que les jeunes ne réalisent pas, c'est que ces deux groupes, pour ne prendre que ceux-là en exemple, ne seraient pas arrivés à l'apogée qu'on sait s'ils n'avaient pas, au préalable, reçu une éducation musicale sérieuse.

Q: Vous parliez, tout à l'heure,  de l'initiation à l'enseignement de la musique. Il me semble qu'il y a une contradiction entre ces deux termes, qu'en est-il?

R: L'appréciation de la musique se fait comme n'importe quoi. On peut enseigner la consonance des sons et le jeu des rythmes.
Du reste, il n'est pas nécessaire de connaître les détails techniques pour pouvoir apprécier une musique. Vous pouvez apprécier un beau tableau sans entrer dans les détails techniques de perspectives. Vous pouvez de la même façon apprécier une bonne musique sans pour cela être à même d'identifier les facteurs qui conditionnent cette appréciation.

Q: Nous subissons à Maurice de nombreuses influences musicales. Y- aurait-il une possibilité de brassage? Serait-il possible de faire une synthèse de toutes ces influences en vue de produire une musique mauricienne dont vous parliez tout à l'heure?

R: Je vous répondrai encore une fois que l'école dont nous parlions tout à l'heure est essentielle dans ce contexte. C'est là que les instrumentalistes seraient formés. Un tel brassage demanderait un perfectionnement de la part de tous les musiciens concernés. Or, la musique occidentale à Maurice est en deçà du niveau qu'a atteint la musique orientale chez nous. Pour qu'il y ait un brassage entre l'Orient et l'Occident dans le domaine musical, il faudrait donc que la musique sérieuse occidentale sorte de la torpeur où elle se trouve en ce moment. Quand le niveau requis sera atteint, le brassage se fera naturellement.

Q : Et le séga, ne pensez-vous pas qu'il soit une alternative à cette musique nationale que nous n'avons pas encore obtenue?

R: Non. Le séga est une musique folklorique comme il en existe du reste dans tous les pays. Il est certain que le séga peut inspirer une musique sérieuse dont les thèmes seraient empruntés de ce folklore. Du reste, Dvorak et Smetana se sont servis du folklore tchécoslovaque pour composer la musique sérieuse. Mais, le séga ne peut jouer ce rôle lui-même. C'est une musique qui est en fait le langage du peuple. Ceci n'est qu'une partie, il nous faudrait une réelle musique mauricienne et pour l'obtenir, il nous faudrait commencer maintenant.

No comments:

Post a Comment