JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

15 September 2008

Goodbye Bert. Welcome narco paradise !

l'express du 15/09/2008

Par Jean-Mée DESVEAUX

Bert Cunningham (à g.), ancien directeur des douanes, avec son avocat Me Herve Duval au quartier général de la police. Il aurait fait perdre des milliards aux malfrats de tout acabit.

Cette note est rédigée de Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC), ancien Congo belge, où je travaille depuis deux ans. La RDC est un pays grand comme l’Europe de l’Ouest et elle contient un des sous-sols les plus riches du globe. C’est pourtant ici que naissent et meurent des milliers d’enfants dans la rue, et c’est ici où 60 millions d’êtres vivent dans une indigence si pathétique qu’ils semblent n’avoir conservé de leur condition humaine que l’enveloppe extérieure. La cause de ce paradoxe est palpable dans tous les recoins de la vie en RDC : les Congolais ont cru pendant 45 ans que la corruption, le tribalisme et le népotisme que pratiquaient leurs gouvernants allaient leur profiter individuellement en leur donnant un avantage stratégique sur les autres. Ils n’avaient pas réalisé que ce mode de gouvernance allait, au contraire, les condamner à l’enfer qu’ils vivent aujourd’hui collectivement.


Inversion des valeurs morales

C’est d’ici donc que j’ai appris que le secrétaire du Parti travailliste a traité de «batchiara» l’homme qui a eu le courage de relever l’immense défi que pose la douane mauricienne à un Etat de droit. C’est d’ici que j’ai suivi le harcèlement de Bert Cunningham par l’appareil d’Etat alors même qu’il a fait perdre des milliards aux malfrats de tout acabit pendant ses six ans à la tête de la douane. Et c’est d’ici que j’ai constaté que l’inversion des valeurs morales a atteint son niveau culminant à Maurice : le contrat de Bert Cunningham est résilié pour insubordination et incapacité de se soumettre aux provisions légales alors que la meute de douaniers pris la main dans le sac à détrousser l’Etat vaquent sereinement à leurs occupations. L’île Maurice a moralement atteint le nadir de la tragédie shakespearienne : Chez nous «fair is foul and foul is fair».


«C’est un fait hautement
révélateur de la trempe d’hommes
dont s’entoure l’actuel
Premier ministre
que pas un seul d’entre
eux n’ait eu la force de
caractère nécessaire
de défendre
un expatrié au service
du peuple mauricien.»



Le ministre de l’Agriculture, l’honorable Arvin Boolell a récemment rappelé que Bert Cunningham était proche du conseiller spécial de Paul Bérenger que j’étais. Il aurait pu avoir fait le même rapprochement avec d’autres experts étrangers de haut niveau tels que Donna LeClair (CEB), Philippe Cash (AML), Bill Duff (Prisons) pour ne mentionner que ceux-là. Il est un fait connu que pour permettre à ces professionnels d’optimiser leurs compétences au service du pays, je les défendais contre la mesquinerie des petits esprits à qui ils faisaient de l’ombre au sein de leur spécialisation. C’est un fait hautement révélateur de la trempe d’hommes dont s’entoure l’actuel Premier ministre que pas un seul d’entre eux n’ait eu la force de caractère nécessaire de défendre un expatrié au service du peuple mauricien.


Recrutement de Cunningham

Une histoire des institutions mauriciennes retiendra peut-être un jour la relation dont faisait allusion Arvin Boolell entre Cunningham et le conseiller du Premier ministre Bérenger. Elle se résume ainsi : A la première réunion de Paul Bérenger avec son staff du ministère des Finances en 2000, le vice Premier ministre (VPM) distribua à ses collaborateurs une gamme de dossiers pressants pour analyse et conseil. Le sort a voulu que personne d’autre n’ayant montré d’intérêt pour le dossier de la douane, j’allais me porter candidat pour ce travail. La tâche allait être aisée car depuis PriceWaterhouseCoopers jusqu’à DCDM, toutes les études s’accordaient sur le besoin d’une réforme en profondeur de la douane mauricienne. Tous ces consultants s’accordaient également sur le fait qu’il n’y avait personne au sein du département de la Douane à pouvoir mener à bien ces réformes essentielles. Ce message passé, le secrétaire financier Ong Seng fut instruit par le VPM de mener une campagne de recrutement aux niveaux national et international qui allait déboucher sur l‘embauche de Bert Cunningham.



«Le hic était que le ‘dead wood’
ainsi que les ‘rotten eggs’
qui faisaient Cunningham dire
qu’il était à la tête de
la douane la plus corrompue
au monde, étaient protégés
par les conditions du service civil.»



Premiers ennuis pour Cunningham

Les malheurs du Canadien n’allaient pas tarder à s’abattre sur lui. M. Bissessur, contrôleur par intérim depuis un certain temps déjà, allait tenter de revendiquer des droits qu’il considérait lésés, en menant un «legal challenge» au recrutement d’un étranger à la tête de la douane. Cette démarche n’ayant pas abouti, le syndicat des douaniers, qui dès le départ épousa la cause du numéro deux de la douane, déclencha une grève illégale pour coïncider avec l’atterrissage de l’avion de Cunningham à Plaisance.

Après plus de deux ans à la tâche, bien que réussissant à colmater les brèches énormes qui existaient jusque-là dans les recettes douanières du pays, il devenait évident que Cunningham n’allait pas pouvoir mener à bien sa mission de réformer le Customs Department dans les conditions administratives qui prévalaient alors au sein du département. Le hic était que le «dead wood» ainsi que les «rotten eggs» qui faisaient Cunningham dire qu’il était à la tête de la douane la plus corrompue au monde, étaient protégés par les conditions du service civil. Pour échapper à ces contraintes archaïques et repositionner la douane sur une base saine, moderne, transparente et où prévaudrait enfin le principe de l’«accountability», il n’y avait qu’une solution possible : l’institution d’une Mauritius Revenue Authority. La MRA engloberait naturellement non seulement la douane mais aussi tous les autres bureaux du fisc tels le VAT, l’Income Tax, etc au sein d’une organisation où la flexibilité et l’efficience du secteur privé primeraient. Le principe fondamental de cette institution allait être : «ability to hire and fire», de recruter les meilleurs talents et de résilier le contrat des employés non performants ou corrompus.


La bataille de la MRA

Allait alors commencer la rude bataille de la Mauritius Revenue Authority (MRA). Le conseil d’administration de la MRA allait être constitué vers fin 2004 sous la présidence de Madame Hanoomangee, une PS proche de Pravind Jugnauth, alors VPM. Le Solicitor general, représentant le State Law Office, beau-frère de Monsieur Bissessur, numéro deux de la douane, ainsi que le conseiller du PM Bérenger étaient membres de ce board. Les autres membres furent choisis sur le volet avec le brin de fonctionnaires assez bien placés pour prétendre aux Rs 35 000 par mois que représentait le jeton de présence de cette instance. La première tâche du board était de recruter le directeur de la MRA parmi les nombreux candidats qui avaient postulé, dont Bert Cunningham et le chef d’Interpol. Les qualités intrinsèques et le track record de «leadership for change» de ces deux hommes faisaient que s’ils passaient l’obstacle des qualifications académiques et expérience, l’un d’eux aurait été automatiquement choisi pour la position de directeur général. Ce DG aurait eu alors la personnalité et l’expérience nécessaires à pousser la réforme de la douane jusqu'à sa conclusion logique d’un assainissement des ressources humaines de la douane de haut en bas. L’histoire doit retenir qu’aucun de ces deux hommes ne fut nommé en raison des objections des deux membres les plus puissants du board : Cunningham et le chef d’Interpol n’avaient pas selon eux les qualifications ou l’expérience requises.


Démission du Conseiller du PM

La scène de la présidence du board de la MRA, flanqué du chef du SLO, en conflit ouvert avec le conseiller spécial du Premier ministre à la veille des élections était de la dynamite politique. Ayant en vain insisté que les critères étaient pervertis pour faire le jeu du syndicat et du numéro deux de la douane, n’ayant reçu aucun support, refusant de cautionner l’adultération grossière d’un recrutement sur lequel dépendait l’avenir du pays, je soumis ma démission au Premier ministre. Le reste est connu….

La MRA hérita d’un DG rêvé en ce qui concerne le syndicat des douanes. J’avais lancé un S.O.S. aux Mauriciens dans une interview à l’express en 2005. J’avais correctement anticipé la tournure qu’allaient prendre les choses : le tri qui devait se faire en vue d’enlever les éléments indésirables de la douane avant qu’ils ne soient recrutés au sein de la nouvelle MRA fut relégué aux oubliettes. Tous eurent la hausse salariale du nouveau système sans que personne toutefois ne subisse les inconvénients d’une plus grande rigueur. En d’autres mots, la tâche pénible de trier le bon grain de l’ivraie, toujours en foison au sein de la nouvelle douane, allait échoir à nul autre que Bert Cunningham, celui-là même qui a finalement été relevé de ses fonctions pour incapacité de travailler sereinement avec ses pairs au sein d’une douane bien à la mauricienne. Fait étrange que dans un Etat de droit comme le nôtre, personne jusqu’ici n’a pu questionner le lien de parenté qui veut que l’adversaire le plus acharné de Bert Cunningham au sein de la MRA fut le beau-frère du numéro deux de la douane, celui-là même que le contrôleur des douanes Cunningham jugeait indigne de ce poste et dont il voulait à tout prix se débarrasser. Cet état de choses ne peut que donner de la crédibilité aux pires critiques qui n’aient jamais été proférées des institutions de notre pays par un homme respectable et internationalement respecté.

Mais devant l’indifférence de la population mauricienne face à la résiliation du contrat de Bert Cunningham, le gouvernement en place a déduit que : “Qui ne dit mot consent.’’ Bien que pernicieuse, la logique du gouvernement est impeccable car c’est en fait avec un consentement effarant que les habitants d’un des pays les plus ravagés par la drogue au monde ont cautionné les sanctions à l’encontre du dernier rempart contre ce fléau qui afflige les enfants de toutes nos communautés. Pas une seule mère du pays n’a trouvé bon de venir implorer le gouvernement de retenir le seul homme qui avait la volonté et la capacité de se battre contre la porosité meurtrière de nos frontières. A l’instar de son gouvernement, on pourra aussi dire de Maurice, dorénavant, qu’elle a les frontières poreuses qu’elle mérite.