JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

07 May 1979

L’Université de Maurice : Une poudrière ?

 «Si l'université de Maurice, qui était sensée aider au développement du pays, ne produit, en fin de compte, que des chômeurs, c'est qu'il y a une faillite quelque part». C'est ainsi que l'Union des étudiants de Maurice, en la personne de MM. MUSHTAQ SOOLTANGOS, ERIC MANGAR et HOOTESH RAMBURN — respectivement président, trésorier et membre de l'exécutif de l'union —, évalue la situation qui a donné lieu aux remous qu'on connaît à l'université de Maurice ces derniers jours.
Ce raisonnement est percutant, et le gaz paralysant ne pourra nullement émousser sa logique. Au contraire, cette méthode n'est que symptomatique, sinon symbolique, de la léthargie qui s'est emparée des autorités en ce qui concerne le sort de l’université de Maurice à tous les niveaux. En matière de gaz, le gaz lacrymogène sur le campus siérait bien mieux, car la situation tend plutôt à faire pleurer.
Mais ce n'est pas là le plus grave. Un membre de la force armée sur un campus universitaire a, dans les 99% des cas, l'effet d'une étincelle dans un baril de poudre. Beaucoup de chefs de gouvernements étrangers ont eu l'occasion d'apprécier cette vérité, quoique certains un peu trop tard!
Il y a parmi les membres de notre gouvernement, un nombre certain qui a eu le privilège de recevoir une éducation universitaire (à l'étranger s'entend). Ceux-ci se rappellent-ils l'effet qu'aurait eu sur eux l'intervention de la force armée au sein de leur université? Ne conviennent-ils pas qu'il y a là de quoi exaspérer l'étudiant le plus docile et conservateur? A moins que le but des autorités ne soit justement de grossir les rangs des prétendus "casseurs"?
Il y a de quoi se féliciter que les choses ne se soient pas plus envenimées à la suite de l'intervention armée sur le campus. Il est difficile de dire à qui en revient le crédit. Il se pourrait que ce soit dû à cet "esprit pacifique des Mauriciens" dont certains s'affublent volontiers sans jamais questionner la teneur d'une telle conception. Serons-nous aussi chanceux la prochaine fois? Il suffirait d'un incident grave ou d'une tête brûlée qui voudrait jouer le héros martyr — c'est l'âge où on lit Lénine et Marcuse — pour l'université de Téhéran, les universités françaises en mai 68 et les désordres sur les campus universitaires d'Amérique cessent d'être des nouvelles qu'on lit dans journaux d'une île Maurice paisible.

Propos recueillis par Jean-Mée DESVEAUX
Le Mauricien du 7/5/1979

Incompatibilité entre la formation académique de l'UOM et les besoins réels de l'ile Maurice.


•Les événements du 13 avril à l'université sont sans précédent et n'augurent rien de bon pour l'avenir de l'éducation tertiaire à Maurice. Pouvez-vous nous en expliquer les causes telles que vous les percevez ? Comment expliquer l'action menée par les étudiants, ce vendredi 13 avril?

— L'action que nous avons entreprise s'était révélée nécessaire, étant donné que les nombreuses négociations avec les hautes instances de l'université et du gouvernement n'avaient rien apporté de concret aux étudiants.
Il est évident que le problème essentiel a trait au chômage post-universitaire. Ce problème ne date pas d'aujourd'hui, malgré ce que veulent faire accroire certaines autorités. En 1976, ce problème se posait déjà dans la faculté d'Agriculture. Il y eut menace de boycottage des cérémonies de graduation et, avec les élections générales qui approchaient, les autorités décidèrent de colmater les brèches en employant les étudiants concernés au ministère de l'Agriculture. Le vice-chancelier, comme il l'a dit alors, ''went to seek help from the ministry of Agriculture''.
Il a été prouvé que le système d'embauche était artificiel. Des postes étaient créés uniquement pour faire face à la pression.            
En 1977, le même scénario se produit. Encore une fois, menace de boycottage de la cérémonie de graduation, et encore une fois, pour sauver la cérémonie, le vice-chancelier réussit à convaincre les autorités concernées de créer de nouveaux emplois, toujours artificiels. Donc, ces universitaires, au lieu d'être employés pour le développement du pays, sont appelés à remplir des fonctions de clerc. Au lieu de se servir d'eux pour conseiller les planteurs de façon systématique, on se sert d'eux au ministère pour remplir des fiches.
L'année 78 n'amène rien de positif et, de nouveau, grève — totale cette fois — des trois facultés (agriculture, technologie industrielle et administration). Les griefs sont toujours ignorés par le vice-chancelier.
En 1979, la frustration est à son comble. Celle-ci se manifeste d'abord par une première grève des étudiants du génie mécanique et électrique contre la réintroduction des cours qui avaient été suspendus dans leur discipline. Un phasing out de ces cours s'avérait, en effet, nécessaire étant donné qu'ils ne créaient que des chômeurs. Or, la réintroduction était proposée alors même que les conditions, qui avaient initialement menées à la suspension de ces cours, prévalaient toujours. C'est à croire que les cours devenaient uniquement nécessaires de par le besoin d'employer du personnel recruté pour les donner.

• II semblerait donc, d'après vous, que les autorités de l'université n'ont pas clairement défini leurs priorités ?

—  En effet, car pour résoudre un problème administratif de l'université, on n'hésite pas à créer un problème de saturation du marché du travail. Les besoins causés par des problèmes internes de l'université prévalent régulièrement sur la solution des problèmes du pays.
Ce que nous voyons, c'est que les démarches ne sont entreprises que lorsque les étudiants font pression. Il n'y a pas de planification globale concernant l'emploi ou les cours. Seul le vice-chancelier entreprend des démarches 'personnelles', que nous condamnons du reste, car ces démarches, au lieu d'être personnelles devraient être centralisées au moyen d'une agence de placement qui collecterait les informations nécessaires sur la situation de l'emploi et, donc, qui aiderait à placer les étudiants.

• Ne faut-il pas tenir compte des réalités économiques du pays ? Si le marché du travail est saturé pour cette catégorie universitaire, que peut faire le gouvernement ou l'administration de l'université ? Prôneriez-vous donc la fermeture totale à courte échéance de l'université de Maurice ?

— Nous n'avons jamais demandé la fermeture de l'université. C'est l'administration et les autorités qui brandissent cette menace. Pour nous, l'université est une nécessité. La suppression des cours est une solution temporaire afin d'éviter une trop grande compétition sur le marché du travail concerné.
D'autre part, le marché n'est pas aussi saturé qu'on veut le faire croire. Une discrimination dans l'embauche tend à favoriser les étudiants détenant des diplômes des universités étrangères. Si on analysait la situation des personnes qui remplissent la fonction de technical officer au ministère, cette discrimination apparaîtrait évidente.
Nous travaillons au sein même des réalités locales. Il conviendrait donc que priorité nous soit donnée en ce qui concerne l'emploi. Or, onze diplômés de l'Ecole d'Agriculture sont sans emploi. Il est donc évident que les universitaires venant de l'étranger sont employés aux dépens des étudiants de l'université de Maurice.
Notre analyse de la situation est la suivante. Si l'université, qui était supposée répondre aux besoins de développement du pays, ne crée finalement que des chômeurs, c'est qu'il y a faillite quelque part. L'université ne répond plus aux besoins du développement du pays. Il existe une incompatibilité entre les objectifs de l'université et ceux posés par les besoins de l'île Maurice. La définition même de ce développement doit être réanalysée. Ce développement a-t-il réussi ? La réponse doit être à la base même de tout nouveau départ de l'université.

•  La situation alarmante que vous venez de décrire ne coïncide pas avec les chiffres du vice- chancelier. Ainsi, des 150 étudiants en génie mécanique et électrique, seulement six n'ont pas encore trouvé d'emploi. Des 150 diplômés en agriculture et en technologie sucrière, seulement huit à dix, d'après lui, n'auraient pas trouvé d'emploi. En ce qui concerne les études de coopérative, ce chiffre est de quatre sur cinquante, et en gestion d'entreprise, un sur dix. N'y a-t-il pas une contradiction entre ces chiffres et la situation que vous venez de nous dépeindre ?

— Effectivement. Et si c'était le cas, il n'aurait pas été nécessaire de se mettre en grève. Mais la vérité est tout autre. Le Registrar ne possède aucune information sur l'emploi d'ex-étudiants. La preuve est que, l'année dernière, lors de la grève, l'administration nous a officiellement demandé des chiffres concernant l'emploi des étudiants. Elle en avait besoin, le ministère de l'Emploi les lui ayant demandés. Elle ne possède aucune source d'informations sur ce sujet, mises à part celles provenant de nos propres statistiques.
D'autre part, il ne faut pas oublier que les statistiques ne laissent pas entrevoir certaines nuances très importantes. Le problème du chômage n'est pas le seul auquel nous ayons à faire face. Il en existe un qui est peut-être encore plus pernicieux: celui du sous-emploi. Effectivement, de nombreux diplômés en génie mécanique sont aujourd'hui des meter readers de la Central Electricity Board. D'autres sont disc jockey à la MBC. Or, de tels emplois ne requièrent qu'un certificat de Form V. Ce sont là des distinctions que les statistiques ne laissent pas apparaître. Nombreux, en effet, sont ces étudiants qui, non seulement ne reçoivent pas des salaires adéquats, mais qui représentent aussi la preuve vivante du gaspillage de ressources dans notre système. Ces étudiants ne travaillent pas en fonction de leur entraînement universitaire.

•Votre attitude protectionniste vis-à-vis des étudiants qui ont obtenu leur diplôme outre-mer dénote un certain complexe qui semble provenir de votre crainte de vous mesurer à eux sur le marché du travail. Le seul fait d'obtenir un certificat d'une certaine université ne peut ni ne doit garantir l'obtention d'un poste. Les différences de personnalité, d'efficience et de performances académiques ne rendent-elles pas une telle notion absurde ? De plus, ce protectionnisme n'aurait-il pas un effet négatif sur le niveau des cours de l'université de Maurice ?

— La première partie de votre question sous-entend l'existence d'une compétition ouverte. Or, il n'y a pas de perfect competition. Dans le cas présent, la situation serait plutôt inverse. La méritocratie est remplacée par le facteur communal et le political backing et cela aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé.

• Ce que vous dites est grave. Pourriez-vous l'expliquer plus en détail ?

— A l'université, il existe tout un système de cours parallèles empêchant une saine compétition au niveau du marché du travail. Par exemple, en ce qui concerne les cours en practical sugar manufacture, les élèves sont envoyés par le Mauritius Syndicate Staff des propriétés sucrières. Ce part time course d'une année permet à des personnes pré-sélectionnées, et dont les qualifications sont douteuses, de boucler les aspects essentiels d'un cours que les 'fuII time students’, eux, prennent trois ans à maîtriser. Ces cours sont réservés à une certaine catégorie de personnes et l’Union des Étudiants a demandé au sénat de lui fournir la liste de leurs noms, de leurs âges et de leurs qualifications; mais jusqu'ici, nous ne l'avons pas reçue. Au niveau des études en administration, le même système prévaut. Il y a la TSAE qui est un cours à temps partiel et qui court-circuite le diplôme supérieur universitaire, en gestion des entreprises qui, lui, prend trois ans à plein temps.
Et pourtant, que voyons-nous sur le marché du travail ? Ce sont ces mêmes personnes, qui ont reçu un entraînement pour le moins hâtif, qui court-circuitent les diplômés correctement entraînés par l'université.

• Et quid de la compétition avec les universitaires venant d'outre-mer ?

— En ce qui concerne la compétition sur le marché avec les diplômés de l'extérieur, il faut dire ceci : nous avons une ‘developmental university' qui suppose l'entraînement des étudiants dans la réalité locale. Il découle donc de cette notion que ces étudiants devraient avoir une priorité sur les autres.
Du reste, ce n'est pas nous qui avons ce complexe d'infériorité dont vous parlez. Ce serait plutôt les autorités concernées elles-mêmes qui empêcheraient la libre compétition en considérant automatiquement ceux qui obtiennent leur diplôme de l'extérieur comme étant meilleurs. Est-ce là un exemple de libre compétition ?
D'autre part, il arrive souvent que ceux qui détiennent leurs qualifications de l'extérieur aient une base inférieure à la nôtre. Il existe des cas où des gens ayant échoué en première année en diplôme d'agriculture chez nous décident de suivre des cours ailleurs pour retourner ensuite avec un B.Sc. First Class Honours' et trouver de l'emploi au ministère de l'Agriculture.
Le vice-chancelier lui-même, a, une fois, dit au secrétaire du Cabinet que : ''The real problem is the number of students with overseas qualification in every way inferior to our qualifications who are given the same treatment as our students''. Il est à remarquer que le vice-chancelier va encore plus loin que nous. Il dit : ''it is suggested that no recognition should be given to overseas qualifications which are inferior to the university of Mauritius qualifications’’.

• N'est-il pas probable cependant que votre protectionnisme baissera le niveau général de l'université ?

— C'est improbable, car il y a des external moderators qui viennent évaluer le niveau des cours et des examens de l'université. Ces 'university moderators' sont envoyés par la Inter University Council (ICU), instance universitaire internationale au sein de laquelle se trouvent les universités de Birmingham, Reading, Bâton Rouge qui sont des institutions très cotées dans ce domaine.
Il faut aussi dire qu'une trop grande compétition n'est pas nécessairement une chose désirable. Plus il y a de diplômés chômeurs, plus l'employeur sera tenté d'employer les candidats les moins exigeants en ce qui concerne les salaires. Du reste, ceci se fait déjà dans la zone franche. Nous entendons souvent que l'industrie wants the right guys, mais bien souvent pour un poste de technicien, un diplômé en mechanical and electrical engineering fait bien l'affaire. On se sert de ses connaissances et de son entraînement mais on le nomme technicien, ce qui permet de le payer bien moins qu'on ne le doit en fait. Cela découle du fait qu'il n'existe aucune politique de job specification. C'est-à-dire qu'on ne spécifie pas quels sont les critères pour remplir tel ou tel poste. On ne dit pas non plus quelles sont les qualifications requises pour les salaires qui devraient accompagner ce même poste.
Il faut aussi tenir compte des professional lobbies qui boycottent la reconnaissance de certains diplômes de l'université. C'est ainsi que, malgré l'approbation du Land Surveying Act de 1976, par l'Assemblée législative, la pression de l'Association des 'Land Surveyors' fait que cette loi n'est jamais passée et ne permet donc pas aux diplômés en ‘Land Surveying' de l'université de Maurice de pratiquer pleinement comme arpenteurs. Ces lobbies existent aussi dans d'autres disciplines.

•  Il n'est un secret pour personne que les étudiants universitaires sont gauchisants. Le mot d'ordre est de jeter le système par terre. Ne peut-on pas dire que tout le tapage de ces derniers jours soit en dernière ressource purement politique ?

— Nous ne nions pas le caractère politique de notre action, car nous réclamons nos droits et nous demandons que les injustices que nous combattons cessent. Ceci est politique. Mais si par politique, on entend une politique partisane, nous répondons catégoriquement non.
Dans notre action, il y a des étudiants de différents bords politiques. Ce qui les unit dans cette action, c'est la défense de leurs droits et la conviction que la cause pour laquelle ils luttent est juste. Aucune tactique divisive ne pourrait briser l'unité de ces étudiants.
La preuve que notre politique n'est pas partisane est que nous avons demandé que nos griefs soient soulevés à l'Assemblée législative par l'intermédiaire des trois partis politiques représentés à l'Assemblée.

• A quel point l'exécutif de l'Union des Étudiants est-il représentatif de la population estudiantine de l'université dans ces actions ?

— Tous les étudiants de l'université sont membres de l'Union des Étudiants. L'action présente a été menée au niveau de chaque École. Les étudiants de chaque École ont préparé leurs propres listes de revendications. Ce n'est qu'à partir de ces revendications que l'Union a établi une liste commune prioritaire des étudiants. Toutes les actions prises: la décision de se mettre en grève, la marche sur Port-Louis, l'occupation de l'administration, tout a été décidé en assemblée générale par tous les étudiants. Les idées ne viennent pas de l'exécutif mais des étudiants. Si on a pu faire ce qu'on a fait, c'est que nous étions unis dans une organisation solide basée sur la justesse de nos revendications.

• Y a-t-il de quoi être fier de l'action menée jusqu'ici ? Est-ce que l'occupation des locaux et la séquestration du vice-chancelier peuvent être considérés comme des actions positives ?

—  Réalisant que la grève dans le passé avait laissé les autorités concernées dans une indifférence, on ne peut plus totale, les étudiants ont décidé d'avoir recours à des actions d'envergure afin de tirer ces autorités de leur léthargie.
Si notre action a attiré l'attention du public, si elle a pu faire que toute l'île Maurice s'est sentie concernée, c'est que cette action est positive. L'accent a été mis surtout sur l'occupation symbolique. La 'séquestration' était telle que le vice-chancelier a reçu le même traitement que tous les autres étudiants. Je tire une parenthèse pour dire que c'était la première fois que certains étudiants ont eu la chance de voir le vice-chancelier.
Le côté sensationnel de cette action a permis aux autorités d'escamoter les revendications des étudiants.

•  Ne sommes-nous pas à jouer sur les mots ? Une action symbolique peut-elle être violente ?

— C'est vrai, notre action était violente. Nous ne le nions pas. Mais il n'y a pas eu de violence physique. Nous n'avons maltraité personne. Les autorités, elles, par contre, se sont servies de cette occupation comme prétexte pour justifier des actions pour le moins répressives, telles la suspension des étudiants, la fermeture de l'université, l'interdiction aux étudiants et aux chargés de cours d'accéder au campus, l'occupation de l'université par les forces armées.
En ce qui concerne le vice-chancelier, il est à noter que nous occupions déjà les locaux administratifs quand celui-ci est entré. D'autre part, il y a eu une intervention policière pendant l'occupation de ces locaux par les étudiants. Les gaz paralysants ont été utilisés. Or, toute action de ce genre doit recevoir l'approbation du vice-chancelier. Mais dans le cas présent, celui-ci nie avoir donné des instructions de ce genre. D'ailleurs, le vice-chancelier, lui-même, a demandé aux policiers de se retirer. Si cette action a été prise à l'insu du vice-chancelier, la force policière devrait être poursuivie en justice.

•  Où va-t-on à partir de là ?

— Le vice-chancelier a dit que la solution du problème était de nature politique, alors que le ministère de l'Éducation, lui, dit qu'il était purement administratif. Donc, déjà, les autorités se renvoient la balle. Et cela ne fait que retarder les séances, car le problème est réel, et les étudiants ont réagi à partir de cette réalité.
En ce qui concerne la réouverture de l'université, quoique la discussion semble, à ce stade, n'appartenir qu'au sénat, en ce qui nous concerne, elle dépend des conditions suivantes:
1° Que toutes les demandes des étudiants envoyées aux autorités concernées soient acceptées in toto
2• Que la suspension de tous les étudiants soit levée immédiatement
3° Que les étudiants aient accès au campus universitaire immédiatement
4° Que les forces répressives, comme la ‘Riot Unit', la SSS et la force policière, quittent immédiatement le campus universitaire.

• Êtes-vous en mesure d'imposer des conditions ?

— Du moment que notre action est fondée sur la justesse de nos revendications et l'unité des étudiants, nous sommes en position de force. Nos adversaires ont abandonné la raison et utilisé la force ce qui un signe de faiblesse.

02 May 1979

Le monde éphémère de l’enfance


ENTRETIEN avec Dilshad Vayid

Notre invitée d'aujourd'hui est Dilshad Vayid, une petite fille de 11 ans. Une des caractéristiques de cette Année de l'Enfant est que, à force de mettre l'accent sur la place de l'enfant au sein de la société, les adultes oublient de lui donner la possibilité d'exprimer son point de vue sur des questions qui le touchent de près.
Notre choix s'est porté sur Dilshad en raison de l'exploit réalisé par cette petite fille: décrocher la première place à la petite Bourse de 1978 sans même suivre une classe boursière — c'est-à-dire en prenant l'examen de la Bourse à la fin de sa sixième. Un critère objectif était nécessaire et la performance de Dilshad en a fourni un.
Cela signifie-t-il que cette petite fille soit représentative du monde de l'enfance? Nous n'en savons rien, et il semblerait même à priori que non. Tout en n'étant pas l'un de ces phœnix qu'on appelle "enfants surdoués", Dilshad fait preuve d'une maturité d'esprit qui lui permet ici de nous introduire dans son monde d'enfant. Elle nous révèle, par exemple, ce qui ne peut manquer de frapper, que la nostalgie de l'enfance est un sentiment qui n'est pas le propre des adultes, et qu'à onze ans, on peut déjà avoir la nostalgie d'une première et plus douce enfance.

Propos recueillis par Jean-Mée DESVEAUX 
Le Mauricien du 2/5/1979



• Dilshad, qu'est-ce qui t'effraie le plus?

— Je ne crois pas que je sois d'une nature très peureuse, mais quand quelqu'un me gronde ou quand j'ai fait quelque chose de mal, j'ai peur. Je ne crois pas en l'existence des fantômes, ce sont seulement des gens qui font des méchancetés aux autres. Si j'entends un bruit le soir, je me lève pour voir ce que c'est.
Si je regarde un film, ou si je lis une histoire, j'ai peur. Mais ma peur ne dure que cinq ou dix minutes et puis j'oublie. A moins, bien sûr, qu'on ne continue à me rappeler l'épisode qui m'a effrayée.

        De quoi penses-tu les enfants ont le plus peur?

— Cela dépend des enfants. Il y en a qui ont peur d'une chose tandis que d'autres ont peur d'autre chose. Je pense, cependant, que la majorité a probablement peur des fantômes.

• Dilshad, que se passerait-il si un jour tu te retrouvais seule?

— Mes parents me manqueraient. Je me demanderais, d'abord, pourquoi je suis seule. Si c'est parce que mes parents m'ont laissée, je penserais qu'ils ne veulent plus de moi. Non. Je penserais probablement qu'ils sont fatigués et qu'ils ont besoin de se reposer pendant les vacances.
Je souffrirais de cette solitude. Je suis gâtée par mes parents. A chaque fois que j'ai besoin de quelque chose, ils me le donnent. Si je suis seule, je me sentirais détachée de mes parents, qui seraient loin de moi et je n'oserais pas leur demander quoi que ce soit.

• Dilshad, à quoi sert une famille pour un enfant ?

— Ma famille m'encourage à avoir une plus grande discipline. Elle me soigne, elle m'élève, me gâte et me protège de moi-même en m'empêchant de faire des choses qui peuvent m'être nuisibles.

• Que désires-tu le plus au monde?

— Je voudrais rendre mes parents heureux et contents de moi en travaillant bien à l'école. Je voudrais aussi toujours rester comme je suis, je ne voudrais pas devenir grande, car je suis contente comme je suis.

• Aurais-tu donc peur de devenir adulte?

— Je pense que j'ai peut-être peur. Les adultes n'ont pas beaucoup de temps libre. Et puis, quand on devient grand, il faut aller étudier, et souvent il faut quitter le pays et ses parents.
Quand j'étais petite, je voulais devenir grande. Mes cousines et mes cousins, plus grands que moi, me disaient que j'avais de la chance d'être petite. Je ne les croyais pas, mais maintenant je réalise que c'était vrai. Je voudrais redevenir petite, ou alors rester comme je suis.
Quand je réalise cela, quand je pense que je veux rester petite, je vois que les années passent très vite. Quand le temps est passé, on ne peut revenir en arrière, pourtant moi je voudrais bien.

•A quel moment de ta vie voudrais-tu retourner?

—Il m'arrive souvent de penser au temps où j'étais petite, à la maternelle, ou quand je venais d'entrer à l'école primaire. Le soir, j'y pense parfois. Cela m'arrive aussi d'y penser quand je vois les petits enfants jouer.

• Ta vie était-elle très différente à ce moment-là?

— La vie était plus facile que maintenant. Je jouais presque tout le temps. C'est peut-être cela qui me manque le plus. Mais je réalise parfois qu'on ne peut pas jouer tout le temps. On peut se distraire, mais ne pas jouer tout le temps car on n'a pas assez de temps. Quand on est plus grande, on doit travailler plus. C'est comme ça. Ce n'est pas parce que les parents ou les professeurs l'ont dit, non. Mais c'est comme ça. Il y a des choses plus difficiles à étudier, il y a des leçons à prendre.

• Peux-tu nous donner ton emploi du temps?

— Après chaque journée d'école, je prenais, durant ma sixième — entre deux heures et demie et trois heures de leçons. Les samedis, les heures de leçons étaient de huit heures du matin à une heure de l'après-midi. Quand je rentrais le soir de mes leçons, je jouais pendant une demi-heure, et puis il fallait retourner faire les devoirs. On n'a vraiment pas envie de faire les devoirs quand on a passé une longue journée à l'école et pris deux ou trois heures de leçons. J'essayais généralement de finir mes devoirs les samedis de façon à avoir mes dimanches libres afin de pouvoir jouer.

•Ta vie est-elle différente maintenant que tu es en Form I?

—Je trouve que la vie est plus facile maintenant qu'elle n'était en sixième. L'anglais, le français, les mathématiques sont plus faciles. Les autres sujets, étant nouveaux, sont plus difficiles. Il y en a d'autres, cependant, qui sont nouveaux et qui sont très faciles aussi.

• Penses-tu que le système de la bourse est une bonne chose ?

— Je trouve dommage que les enfants qui sont classés, décident quand même de faire une nouvelle classe boursière parce que cela leur fait perdre une année. Ils pourraient faire la bourse en Form I. 

• Est-ce qu'il t'arrive de rêver?

— Je ne rêve pas très souvent durant le jour. Cela m'arrive parfois si, en classe, le professeur explique une chose bête ou une leçon qui ne m'intéresse pas. A ce moment-là, je rêve. Je rêve de moi, de mes amis et de ma maison.

• Que se passe-t-il quand un enfant est malheureux?

— On peut facilement voir quand un enfant est malheureux. Il n'est pas comme les autres car la plupart des enfants sont heureux. Donc on peut le distinguer.
Tous les enfants ne sont pas heureux, il y en a qui sont vraiment malheureux tandis que d'autres le sont seulement parce qu'ils pensent qu'ils le sont, donc ils se rendent malheureux eux-mêmes. Ceux qui sont vraiment malheureux peuvent l'être parce qu'ils ont un chagrin; ils n'ont peut-être pas de parents ou bien encore ils sont infirmes.

•  Est-il important pour un enfant d'être heureux?

— Il est important qu'un enfant soit heureux, sinon il va se sentir seul et sans amis. Il est vrai que si un enfant est malheureux, les autres enfants sympathiseront avec lui, mais il arrive que ces enfants malheureux repoussent les amis. A ce moment-là, on ne peut rien faire pour eux, et ils restent seuls.

• Est-il facile de rendre un enfant malheureux?

— Cela dépend des enfants. Certains pleurent pour une petite chose, d'autres répondront insolemment si vous les blessez.

• Est-ce que le chagrin d'un enfant dure longtemps?

— Cela dépend de la nature du chagrin. On est chagrin jusqu'à ce qu'on oublie. Un enfant n'oublie pas vite, son chagrin peut durer jusqu'à un mois. Après cela, il s'habitue.
En ce qui me concerne, quand je suis seule, je pense à ce qui a pu me chagriner. Je n'en parle pas à tout le monde car j'essaye de ne pas les ennuyer avec mes affaires en leur parlant tout le temps de la même chose.

• Penses-tu que les enfants sont cruels?

— Non. Je n'ai jamais rencontré d'enfant cruel et je ne pense pas que les enfants puissent être vraiment méchants. S'ils le sont, c'est peut-être parce qu'ils envient les autres qui font mieux qu'eux. Cela peut mettre un enfant en colère de voir un autre enfant faire mieux.

• Dilshad, es-tu satisfaite de toi?

— Oui, je crois que c'est bon comme je suis. Je suis contente de mes parents et de l'école que je fréquente. Je pense que c'est important.
Il m'arrive cependant de vouloir ressembler à quelque cousine que je trouve très gentille. Si quelqu'un fait bien quelque chose, je veux aussi lui ressembler.
J'admire aussi beaucoup mes parents, je voudrais beaucoup être comme eux.

• Penses-tu être ambitieuse?

— Être ambitieux, c'est vouloir faire quelque chose de grand. Dans ce sens-là, je suis ambitieuse. Mais je n'ai jamais pensé à faire telle ou telle profession. Je n'ai aucune idée à ce sujet en ce moment. Je ne crois pas que ce soit important de savoir maintenant. Cela peut attendre. Ce qui compte maintenant, c'est de faire bien dans les études.

• Tu voudrais donc devenir une personne importante ?

— Peut-être. Mais il m'arrive aussi de penser qu'il vaut mieux être méconnu et sans importance plutôt que d'être connu car, à ce moment-là, on est obligé de faire des choses qu'on n'a pas envie de faire.

• Mais tu ne fais pas toujours ce que tu veux, toi non plus. Cela doit être dur d'étudier autant.

— Ce n'est pas aussi dur que cela d'étudier comme je le fais. Du reste, je ne pense pas que j'étudie bien plus que les autres enfants de ma connaissance. Un tout petit peu plus peut-être.
J'étudie parce qu'il faut bien faire à l'école. J'étudie aussi parce que cela fait plaisir à mes parents. Remarquez que ce n'est pas la seule raison; j'étudie aussi pour moi pour que je puisse faire quelque chose plus tard.

• Mais tu voudrais bien prolonger tes heures de loisir parfois?

— Si un enfant apprend tout le temps, il va devenir fou. Il faut qu'il joue deux ou trois heures par jour. S'il a plus de temps libre, il peut jouer plus. Quand je dis trois heures, je compte aussi le temps qu'il consacre à la télévision.
Quand j'ai des amies à la maison, je préfère jouer plutôt qu'étudier. Mais si c'est pour jouer seule, je trouve cela bête. J'aime bien monter à bicyclette. Sinon, je lis. Je lis une moyenne de quatre livres par semaine. Je lis autant que cela parce que je lis très vite et que, quand j'ai fini un livre, je n'ai plus rien à faire. Alors je lis un autre et cela continue.
En général, je préfère la lecture à la télévision. Je pense que la télévision peut être une bonne chose aussi car on peut apprendre énormément en regardant un film. La télévision peut même servir en classe, mais je ne pense pas qu'elle puisse remplacer un professeur. La télévision ne crie pas avec les enfants pour les faire rester tranquilles.

• Tu lis donc énormément. Voudrais-tu nous parler de tes livres ?

— Je lis La comtesse de Ségur, Caroline Queen, Enid Blyton et Mallory Towers.

Je trouve que les personnages qu'on rencontre dans les livres ne sont pas très différents de ceux qu'on rencontre dans la vie. Une seule chose est frappante cependant, c'est que dans les livres, la vie est plus intéressante. Il y a plus d'aventures. Dans la vie de tous les jours, on ne rencontre pas des voleurs en train de se sauver et qui vous mènent vers un mystère.
J'aime beaucoup les livres où l'action se passe dans des écoles. J'aime aussi les livres de mystère du genre roman policier. Il peut m'arriver d'être très émue par un livre. Je préfère les livres qui finissent bien. Il m'importe peu que ce soit un héros ou une héroïne.

• Quelle est ton attitude vis-à-vis des enfants qui n'aiment pas étudier?

— Pourquoi faut-il que tous les enfants veuillent nécessairement étudier ? Certains enfants préfèrent le dessin et d'autres la musique. Il n'est pas possible qu'un enfant ne veuille rien faire. Tout enfant veut faire quelque chose. Les parents devraient laisser leurs enfants faire ce qu'ils préfèrent. Ils peuvent être mauvais dans un domaine, comme dans les études par exemple, et être très bons dans un autre. Généralement, les parents insistent sur la nécessité des études, même si les enfants ne sont pas doués. C'est dommage, car ces enfants auraient probablement pu faire bien mieux si on les avait laissés faire la chose qu'ils voulaient.
Je ne crois pas que les enfants soient paresseux. On n'a qu'à voir les enfants durant une récréation s'il y a un examen cet après-midi-là. La plupart des enfants seront à étudier pendant cette heure-là.

• Entends-tu parler des enfants d'ailleurs?

— Je n'entends pas parler d'eux souvent. Je vois quelquefois des enfants à la télévision. Ils sont comme ceux d'ici, à Maurice. Certains sont heureux, certains sont malheureux. Tout comme chez nous. Je dois dire que je ne connais pas beaucoup d'enfants malheureux. Je voudrais les connaître, cela me fait de la peine qu'un enfant ait un chagrin.

•Est-ce que les adultes te semblent être heureux?

— Oui.

• As-tu entendu parler de Hiroshima et de Hitler?

— Non.

• Et les guerres, en entends-tu parler?

— Oui. J'ai entendu parler de la guerre de Waterloo et d'autres guerres où les Anglais se battaient contre les Français. Je sais qu'il y a eu une Première et une Seconde Guerre mondiales. Mais ça, je le sais parce que j'ai lu le titre de deux gros livres.

• Qu'est-ce que c'est qu'une guerre ?

— Ce sont deux groupes de personnes qui se bataillent pour avoir un endroit. Les gens meurent dans la guerre. Il y a un gagnant et un perdant.

• Qu'est-ce que tu en penses?

— Je crois que c'est bête quand des personnes se battent. Cela ne les avance à rien, je pense. Même si on gagne plus de pays, cela ne vaut pas la peine. Je ne pense pas souvent aux guerres, cependant. Ce n'est pas bon d'y penser.

• Sais-tu que cette année-ci c'est l'Année de l'Enfant?

— Oui.

• Pourquoi une Année de l'Enfant d'après toi?

— Je ne sais pas.