ENTRETIEN avec Dilshad Vayid
Notre invitée d'aujourd'hui est Dilshad Vayid, une petite fille de 11 ans. Une des caractéristiques de cette Année de l'Enfant est que, à force de mettre l'accent sur la place de l'enfant au sein de la société, les adultes oublient de lui donner la possibilité d'exprimer son point de vue sur des questions qui le touchent de près.
Notre choix s'est porté sur Dilshad en raison de l'exploit réalisé par cette petite fille: décrocher la première place à la petite Bourse de 1978 sans même suivre une classe boursière — c'est-à-dire en prenant l'examen de la Bourse à la fin de sa sixième. Un critère objectif était nécessaire et la performance de Dilshad en a fourni un.
Cela signifie-t-il que cette petite fille soit représentative du monde de l'enfance? Nous n'en savons rien, et il semblerait même à priori que non. Tout en n'étant pas l'un de ces phœnix qu'on appelle "enfants surdoués", Dilshad fait preuve d'une maturité d'esprit qui lui permet ici de nous introduire dans son monde d'enfant. Elle nous révèle, par exemple, ce qui ne peut manquer de frapper, que la nostalgie de l'enfance est un sentiment qui n'est pas le propre des adultes, et qu'à onze ans, on peut déjà avoir la nostalgie d'une première et plus douce enfance.
Propos recueillis par Jean-Mée DESVEAUX
Le Mauricien du 2/5/1979
• Dilshad, qu'est-ce qui t'effraie le plus?
— Je ne crois pas que je sois d'une nature très peureuse, mais quand quelqu'un me gronde ou quand j'ai fait quelque chose de mal, j'ai peur. Je ne crois pas en l'existence des fantômes, ce sont seulement des gens qui font des méchancetés aux autres. Si j'entends un bruit le soir, je me lève pour voir ce que c'est.
Si je regarde un film, ou si je lis une histoire, j'ai peur. Mais ma peur ne dure que cinq ou dix minutes et puis j'oublie. A moins, bien sûr, qu'on ne continue à me rappeler l'épisode qui m'a effrayée.
• • De quoi penses-tu les enfants ont le plus peur?
— Cela dépend des enfants. Il y en a qui ont peur d'une chose tandis que d'autres ont peur d'autre chose. Je pense, cependant, que la majorité a probablement peur des fantômes.
• Dilshad, que se passerait-il si un jour tu te retrouvais seule?
— Mes parents me manqueraient. Je me demanderais, d'abord, pourquoi je suis seule. Si c'est parce que mes parents m'ont laissée, je penserais qu'ils ne veulent plus de moi. Non. Je penserais probablement qu'ils sont fatigués et qu'ils ont besoin de se reposer pendant les vacances.
Je souffrirais de cette solitude. Je suis gâtée par mes parents. A chaque fois que j'ai besoin de quelque chose, ils me le donnent. Si je suis seule, je me sentirais détachée de mes parents, qui seraient loin de moi et je n'oserais pas leur demander quoi que ce soit.
• Dilshad, à quoi sert une famille pour un enfant ?
— Ma famille m'encourage à avoir une plus grande discipline. Elle me soigne, elle m'élève, me gâte et me protège de moi-même en m'empêchant de faire des choses qui peuvent m'être nuisibles.
• Que désires-tu le plus au monde?
— Je voudrais rendre mes parents heureux et contents de moi en travaillant bien à l'école. Je voudrais aussi toujours rester comme je suis, je ne voudrais pas devenir grande, car je suis contente comme je suis.
• Aurais-tu donc peur de devenir adulte?
— Je pense que j'ai peut-être peur. Les adultes n'ont pas beaucoup de temps libre. Et puis, quand on devient grand, il faut aller étudier, et souvent il faut quitter le pays et ses parents.
Quand j'étais petite, je voulais devenir grande. Mes cousines et mes cousins, plus grands que moi, me disaient que j'avais de la chance d'être petite. Je ne les croyais pas, mais maintenant je réalise que c'était vrai. Je voudrais redevenir petite, ou alors rester comme je suis.
Quand je réalise cela, quand je pense que je veux rester petite, je vois que les années passent très vite. Quand le temps est passé, on ne peut revenir en arrière, pourtant moi je voudrais bien.
•A quel moment de ta vie voudrais-tu retourner?
—Il m'arrive souvent de penser au temps où j'étais petite, à la maternelle, ou quand je venais d'entrer à l'école primaire. Le soir, j'y pense parfois. Cela m'arrive aussi d'y penser quand je vois les petits enfants jouer.
• Ta vie était-elle très différente à ce moment-là?
— La vie était plus facile que maintenant. Je jouais presque tout le temps. C'est peut-être cela qui me manque le plus. Mais je réalise parfois qu'on ne peut pas jouer tout le temps. On peut se distraire, mais ne pas jouer tout le temps car on n'a pas assez de temps. Quand on est plus grande, on doit travailler plus. C'est comme ça. Ce n'est pas parce que les parents ou les professeurs l'ont dit, non. Mais c'est comme ça. Il y a des choses plus difficiles à étudier, il y a des leçons à prendre.
• Peux-tu nous donner ton emploi du temps?
— Après chaque journée d'école, je prenais, durant ma sixième — entre deux heures et demie et trois heures de leçons. Les samedis, les heures de leçons étaient de huit heures du matin à une heure de l'après-midi. Quand je rentrais le soir de mes leçons, je jouais pendant une demi-heure, et puis il fallait retourner faire les devoirs. On n'a vraiment pas envie de faire les devoirs quand on a passé une longue journée à l'école et pris deux ou trois heures de leçons. J'essayais généralement de finir mes devoirs les samedis de façon à avoir mes dimanches libres afin de pouvoir jouer.
•Ta vie est-elle différente maintenant que tu es en Form I?
—Je trouve que la vie est plus facile maintenant qu'elle n'était en sixième. L'anglais, le français, les mathématiques sont plus faciles. Les autres sujets, étant nouveaux, sont plus difficiles. Il y en a d'autres, cependant, qui sont nouveaux et qui sont très faciles aussi.
• Penses-tu que le système de la bourse est une bonne chose ?
— Je trouve dommage que les enfants qui sont classés, décident quand même de faire une nouvelle classe boursière parce que cela leur fait perdre une année. Ils pourraient faire la bourse en Form I.
• Est-ce qu'il t'arrive de rêver?
— Je ne rêve pas très souvent durant le jour. Cela m'arrive parfois si, en classe, le professeur explique une chose bête ou une leçon qui ne m'intéresse pas. A ce moment-là, je rêve. Je rêve de moi, de mes amis et de ma maison.
• Que se passe-t-il quand un enfant est malheureux?
— On peut facilement voir quand un enfant est malheureux. Il n'est pas comme les autres car la plupart des enfants sont heureux. Donc on peut le distinguer.
Tous les enfants ne sont pas heureux, il y en a qui sont vraiment malheureux tandis que d'autres le sont seulement parce qu'ils pensent qu'ils le sont, donc ils se rendent malheureux eux-mêmes. Ceux qui sont vraiment malheureux peuvent l'être parce qu'ils ont un chagrin; ils n'ont peut-être pas de parents ou bien encore ils sont infirmes.
• Est-il important pour un enfant d'être heureux?
— Il est important qu'un enfant soit heureux, sinon il va se sentir seul et sans amis. Il est vrai que si un enfant est malheureux, les autres enfants sympathiseront avec lui, mais il arrive que ces enfants malheureux repoussent les amis. A ce moment-là, on ne peut rien faire pour eux, et ils restent seuls.
• Est-il facile de rendre un enfant malheureux?
— Cela dépend des enfants. Certains pleurent pour une petite chose, d'autres répondront insolemment si vous les blessez.
• Est-ce que le chagrin d'un enfant dure longtemps?
— Cela dépend de la nature du chagrin. On est chagrin jusqu'à ce qu'on oublie. Un enfant n'oublie pas vite, son chagrin peut durer jusqu'à un mois. Après cela, il s'habitue.
En ce qui me concerne, quand je suis seule, je pense à ce qui a pu me chagriner. Je n'en parle pas à tout le monde car j'essaye de ne pas les ennuyer avec mes affaires en leur parlant tout le temps de la même chose.
• Penses-tu que les enfants sont cruels?
— Non. Je n'ai jamais rencontré d'enfant cruel et je ne pense pas que les enfants puissent être vraiment méchants. S'ils le sont, c'est peut-être parce qu'ils envient les autres qui font mieux qu'eux. Cela peut mettre un enfant en colère de voir un autre enfant faire mieux.
• Dilshad, es-tu satisfaite de toi?
— Oui, je crois que c'est bon comme je suis. Je suis contente de mes parents et de l'école que je fréquente. Je pense que c'est important.
Il m'arrive cependant de vouloir ressembler à quelque cousine que je trouve très gentille. Si quelqu'un fait bien quelque chose, je veux aussi lui ressembler.
J'admire aussi beaucoup mes parents, je voudrais beaucoup être comme eux.
• Penses-tu être ambitieuse?
— Être ambitieux, c'est vouloir faire quelque chose de grand. Dans ce sens-là, je suis ambitieuse. Mais je n'ai jamais pensé à faire telle ou telle profession. Je n'ai aucune idée à ce sujet en ce moment. Je ne crois pas que ce soit important de savoir maintenant. Cela peut attendre. Ce qui compte maintenant, c'est de faire bien dans les études.
• Tu voudrais donc devenir une personne importante ?
— Peut-être. Mais il m'arrive aussi de penser qu'il vaut mieux être méconnu et sans importance plutôt que d'être connu car, à ce moment-là, on est obligé de faire des choses qu'on n'a pas envie de faire.
• Mais tu ne fais pas toujours ce que tu veux, toi non plus. Cela doit être dur d'étudier autant.
— Ce n'est pas aussi dur que cela d'étudier comme je le fais. Du reste, je ne pense pas que j'étudie bien plus que les autres enfants de ma connaissance. Un tout petit peu plus peut-être.
J'étudie parce qu'il faut bien faire à l'école. J'étudie aussi parce que cela fait plaisir à mes parents. Remarquez que ce n'est pas la seule raison; j'étudie aussi pour moi pour que je puisse faire quelque chose plus tard.
• Mais tu voudrais bien prolonger tes heures de loisir parfois?
— Si un enfant apprend tout le temps, il va devenir fou. Il faut qu'il joue deux ou trois heures par jour. S'il a plus de temps libre, il peut jouer plus. Quand je dis trois heures, je compte aussi le temps qu'il consacre à la télévision.
Quand j'ai des amies à la maison, je préfère jouer plutôt qu'étudier. Mais si c'est pour jouer seule, je trouve cela bête. J'aime bien monter à bicyclette. Sinon, je lis. Je lis une moyenne de quatre livres par semaine. Je lis autant que cela parce que je lis très vite et que, quand j'ai fini un livre, je n'ai plus rien à faire. Alors je lis un autre et cela continue.
En général, je préfère la lecture à la télévision. Je pense que la télévision peut être une bonne chose aussi car on peut apprendre énormément en regardant un film. La télévision peut même servir en classe, mais je ne pense pas qu'elle puisse remplacer un professeur. La télévision ne crie pas avec les enfants pour les faire rester tranquilles.
• Tu lis donc énormément. Voudrais-tu nous parler de tes livres ?
— Je lis La comtesse de Ségur, Caroline Queen, Enid Blyton et Mallory Towers.
Je trouve que les personnages qu'on rencontre dans les livres ne sont pas très différents de ceux qu'on rencontre dans la vie. Une seule chose est frappante cependant, c'est que dans les livres, la vie est plus intéressante. Il y a plus d'aventures. Dans la vie de tous les jours, on ne rencontre pas des voleurs en train de se sauver et qui vous mènent vers un mystère.
J'aime beaucoup les livres où l'action se passe dans des écoles. J'aime aussi les livres de mystère du genre roman policier. Il peut m'arriver d'être très émue par un livre. Je préfère les livres qui finissent bien. Il m'importe peu que ce soit un héros ou une héroïne.
• Quelle est ton attitude vis-à-vis des enfants qui n'aiment pas étudier?
— Pourquoi faut-il que tous les enfants veuillent nécessairement étudier ? Certains enfants préfèrent le dessin et d'autres la musique. Il n'est pas possible qu'un enfant ne veuille rien faire. Tout enfant veut faire quelque chose. Les parents devraient laisser leurs enfants faire ce qu'ils préfèrent. Ils peuvent être mauvais dans un domaine, comme dans les études par exemple, et être très bons dans un autre. Généralement, les parents insistent sur la nécessité des études, même si les enfants ne sont pas doués. C'est dommage, car ces enfants auraient probablement pu faire bien mieux si on les avait laissés faire la chose qu'ils voulaient.
Je ne crois pas que les enfants soient paresseux. On n'a qu'à voir les enfants durant une récréation s'il y a un examen cet après-midi-là. La plupart des enfants seront à étudier pendant cette heure-là.
• Entends-tu parler des enfants d'ailleurs?
— Je n'entends pas parler d'eux souvent. Je vois quelquefois des enfants à la télévision. Ils sont comme ceux d'ici, à Maurice. Certains sont heureux, certains sont malheureux. Tout comme chez nous. Je dois dire que je ne connais pas beaucoup d'enfants malheureux. Je voudrais les connaître, cela me fait de la peine qu'un enfant ait un chagrin.
•Est-ce que les adultes te semblent être heureux?
— Oui.
• As-tu entendu parler de Hiroshima et de Hitler?
— Non.
• Et les guerres, en entends-tu parler?
— Oui. J'ai entendu parler de la guerre de Waterloo et d'autres guerres où les Anglais se battaient contre les Français. Je sais qu'il y a eu une Première et une Seconde Guerre mondiales. Mais ça, je le sais parce que j'ai lu le titre de deux gros livres.
• Qu'est-ce que c'est qu'une guerre ?
— Ce sont deux groupes de personnes qui se bataillent pour avoir un endroit. Les gens meurent dans la guerre. Il y a un gagnant et un perdant.
• Qu'est-ce que tu en penses?
— Je crois que c'est bête quand des personnes se battent. Cela ne les avance à rien, je pense. Même si on gagne plus de pays, cela ne vaut pas la peine. Je ne pense pas souvent aux guerres, cependant. Ce n'est pas bon d'y penser.
• Sais-tu que cette année-ci c'est l'Année de l'Enfant?
— Oui.
• Pourquoi une Année de l'Enfant d'après toi?
— Je ne sais pas.
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