JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

05 February 2014

O nation misérable

Par Jean-Mée DESVEAUX
l'express du 5 février 2014

La désillusion du pays vis-à-vis de la classe politique mauricienne a atteint son point culminant une année avant les élections de 2015. Bien qu’habitués au mépris de la classe dirigeante, le théâtre de mauvais goût que nous ont offert le gouvernement et l’opposition, unis dans la même duplicité, a dévoilé le dernier râle de la démocratie mauricienne.

Dans un bourbier d’intérêts personnels où soif de pouvoir rimait avec une volonté commune de vendre sa conscience au prix fort, nous n’avons eu droit, au milieu de toutes ces alliances de partis qui se faisaient et se défaisaient, à aucune référence à un policy reassessment. Aucune mention n’est faite d’un plan cohérent pour combattre l’inégalité économique croissante du pays. Pas plus qu’une sortie planifiée des égouts politiciens où ces malotrus ont plongé le pays depuis de trop longues années. La politique ne se fait pas avec des idées où des aspirations patriotiques dans la belle île Maurice. Ici, c’est la guerre des tranchées pour asseoir son clan ou sa dynastie qui se livre. PTr, MMM, MSM, PMSD, tous tripatouillaient dans la même mare de canard en espérant, qu’à la fin de la partie, ils sortiraient plus tonifiés ou moins décrédibilisés que l’adversaire. Manque de pot, ils en sont sortis, si cela était encore possible, encore moins crédibles qu’avant. Des 40 % de votants qui exécraient ces épouvantails politiques il n’y a pas si longtemps, ce chiffre doit aujourd’hui dépasser les 50 %, soit plus de la moitié des électeurs qui seront appelés aux urnes l’année prochaine.

Il n’y a rien d’étonnant à cela. La descente aux enfers a été aussi sûre que lente. Nous aborderons le cas de l’opposition dans un prochain texte et nous nous arrêtons ici au Parti travailliste. J’ai eu la chance de côtoyer l’espoir qu’était Navin Ramgoolam en 1996, aux côtés de Paul Bérenger. Qui mieux que lui pouvait faire rêver le pays d’un avenir meilleur. Bien né politiquement, jeune, éduqué dans les meilleures universités britanniques, il était le modèle même de l’homme d’État moderne et progressif. Le pays était en droit de s’attendre à un guide éclairé, imbu de valeurs humaines qui iraient de pair avec un gouvernement transparent et honnête où les clivages ethniques et sociaux commenceraient à s’estomper. En sus de toutes les qualités que la nation percevait chez ce jeune leader, le hasard allait lui enlever la tentation d’asseoir son pouvoir sur une dynastie comme le faisait déjà son adversaire principal. En ce qui le concerne, les enfants mauriciens allaient être ses enfants, sans discrimination aucune, l’île Maurice de demain allait être sa seule dynastie.

Quel réveil brutal le pays a ainsi connu ces dix dernières années ! L’homme miracle s’est révélé un satyre et le rêve d’une île Maurice meilleure a tourné au cauchemar. Il est difficile de décrire l’étendue du désenchantement tant il est grand. Navin Ramgoolam avait tout pour s’arroger la place prépondérante dans notre histoire en tant que le plus illustre PM que ce pays ait connu. Il a tristement laissé cette chance lui échapper laissant à la postérité le souvenir du pire leader que ce pays ait subi en cinquante ans d’indépendance.

Comme Hamlet, le prince du Danemark, Navin est né avec un tragic flaw dans son caractère. Il souffre d’une incapacité de prendre la décision qu’il faut, au moment où il le faut. Cette propension à la procrastination a failli coûter cher au pays en 1999. Mais ce défaut, il le cache assez bien sous un charme bien réel et la fabulation que sa «lenteur» n’est qu’une stratégie de réflexion pour mieux bondir au moment choisi. C’est ainsi que se décline l’incapacité de choisir un allié en 2010, les longues absences de promotions aux postes importants du pays, les réformes (électorales et autres) renvoyées aux calendes grecques. Là où sir Anerood Jugnauth coupe et tranche en un tour de main et Paul Bérenger se décide aussitôt le dernier dossier épluché, NCR lui, reste figé dans l’immobilité.

Contrairement aux dieux classiques, le pays aurait pu lui pardonner ce tragic flaw, cette faute unique bien que fatale, cette fine ébréchure dans un vase par ailleurs parfait, si justement le reste de l’objet était impeccable. Loin s’en faut. Chez NCR, le hair line crack donne lieu aux multiples lézardes de la structure. Ainsi, l’homme de la renaissance n’hésite pas à tomber dans le communalisme le plus abject et s’entoure d’une coterie qui l’associe aux pires débordements primaires. La VOH a droit de cité, les pandits désavoués de leurs propres ouailles s’approprient son oreille, votre correspondant devient sa cible raciale préférée lors des élections pour reprendre le pouvoir. Même ses calculs sectaires sont mal faits. Comment sinon expliquer l’aliénation de tout un pan de route côtière et de plage nationale au profit de quelques colleurs d’affiches quand ces excisions, au sein de son propre électorat, désavantagent en premier lieu ces mêmes électeurs de Triolet. Il se targue qu’aucun de ses ministres ne peut lire sa pensée alors que le propre d’un vrai chef est justement de définir clairement la ligne rouge à ne pas franchir. Il n’est donc guère étonnant que nombreux sont ses ministres qui hériteront d’une place choisie au panthéon de la honte aux côtés de messieurs Daby et Badry.

Au lieu d’assainir les tactiques innommables de la politique mauricienne, ce PM qui a longtemps côtoyé l’intelligentsia britannique va pousser, jusqu’à son summum, l’art de la moralité publique qui, chez nous, vise d’abord à préserver le gagne-pain de l’homme qui la pratique. Paul Bérenger le fait éjecter le MSM, un allié scélérat, pour ensuite se l’approprier cyniquement. Qu’à cela ne tienne, il achète trois des parlementaires, démontrant ainsi que Bérenger n’a rien à lui apprendre en immoralité politique. Mais là où il montre le degré de son mépris pour le pays c’est sa pratique sous le prétexte archi creux de la démocratisation de l’économie. Au vu et au su de 1,2 million de Mauriciens, se croyant tout permis, il laisse sa vie dite privée empiéter de façon on ne peut plus flagrante sur son devoir de déférence et de respect pour le patrimoine et l’opinion nationale. Inélégant, il n’hésite pas à bafouer, en ce faisant, la dignité d’une personnalité dont le stoïcisme tranche on ne peut plus crûment avec les lèche-bottes et lâches courtisans qui gravitent autour de lui dans l’espoir de grappiller une miette qu’il laisserait éventuellement tomber dans leurs écuelles.

Ayant suivi cette tragédie nationale au premier rang depuis une décennie, la question est de savoir si le peuple admirable va, malgré tout, renouveler sa confiance en Navin Ramgoolam en 2015. Comme Malcolm dans «Macbeth», la nation va très prochainement se poser la question au sujet de notre tragique héros national : «Is such a one be fit to govern ?» Il est permis d’espérer que, tel le patriotique Macduff, l’île Maurice déclame en choeur «O nation miserable !» suivi d’un «NON» électoral retentissant.

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