Par Jean-Mée DESVEAUX
l'express du 1er mai 2013
Les chegues sont enfants de rue de génération en génération en RDC. |
LE rêve de nos gurus financiers d’une intégration économique et sociale de Maurice au sein de l’Afrique ne saurait se faire attendre. Safire, une ONG qui s’occupe des enfants en situation de rue, dénombre pas moins de 6 780 cas dans son rapport publié en 2012. Cette statistique laisse pantois quand on apprend que le gouvernement, dans sa grande sagesse, a mis un terme au programme des enfants de rue.
Nous sommes encore loin, bien sûr, des dizaines de milliers de Chégués de Kinshasa, de la république démocratique du Congo (RDC), mais on progresse. En RDC, ces enfants de rue nommés après le fameux visiteur Che Guevara, à cause de leur «récalcitrance», naissent, vivent et meurent dans la rue depuis plusieurs générations. Leur seul moyen de survie repose sur le porte feuilles des conducteurs inattentifs pris dans les kilomètres de bouchons. Mais toute statistique étant manipulable, le président Mobutu conçut l’idée, «Kin(shasa) la Belle» étant plus admirable sans Chégués, de les faire enlever manu militari pour les «rééduquer dans des fermes» structurées pour ce faire. Que personne n’ait plus jamais entendu parler de ces fermes, ni jamais revu ces enfants, est une autre spécificité de la RDC sur laquelle nous ne nous attarderons pas ici.
A Maurice, nous n’en sommes pas (encore) là, nous laisse entendre la responsable de Safire. Chez nous, le terme enfants des rues s’applique (jusqu’ici) à des enfants qui ont un toit mais qui échappent aux structures sociales instituées pour les scolariser. Cela permet d’imaginer le pire pour ces enfants qui deviennent ainsi vulnérables à l’exploitation sexuelle et la prostitution. C’est ce qu’on pourrait appeler le phénomène du «slippery slope».
Mais il n’est pas nécessaire pour nos enfants d’être livrés à eux-mêmes dans les rues de nos faubourgs pour devenir la proie sexuelle des prédateurs. Plus de 500 enfants sont arrachés de leurs familles biologiques (parents maltraitants, incarcérés ou prostitués). Molestés sexuellement par ceux qui ont trahi leur confiance, terrorisés par les dédales procéduriers, on leur promet un foyer que la vie leur avait jusqu’ici refusé. Mais le sort s’acharnant sur ces pauvres êtres, ils deviennent bien vite la proie de nouveaux satyres au sein d’un centre dit d’accueil.
Il est difficile d’imaginer pire lâcheté que celle d’un homme qui assouvit ses instincts les plus ignobles sur un être fragile dont il a la mission et la prétention de protéger. Il est étrange que l’épisode Namasté survienne quelques mois seulement après le dénouement du scandale qui a ébranlé l’Amérique entière. Un des hommes les plus admirés aux Etats-Unis jusque-là, Jerry Sandusky, football coach adulé des présidents, père adoptif de six enfants et fondateur de The Second Mile, institution charitable pour les garçons à risque et défavorisés, encourait, au début de son procès, 442 ans de prison. Le condamnant à 60 ans de servitude pénale (la perpétuité en ce qui le concerne), le juge Cleland de Pennsylvania a déclaré : «Sandusky is a particularly dangerous breed of child molester because he masked his manipulation and abuse of children behind a respectable façade. It is the remarkable ability to conceal that makes these crimes so heinous”. Sandusky se servait de l’institution qu’il avait fondée comme un réservoir d’où il choisissait ses proies.
Au pays natal, ayant déjà démontré un manque d’élégance et d’éthique au début même de sa carrière politique, propulsée sans préparation à un poste pour lequel elle n’était visiblement pas préparée, on ne pouvait s’attendre que l’honorable Mireille Martin, ministre de tutelle, maîtrise ses dossiers avec doigté. Que ce soit les pupilles indigents de l’Etat qui héritent de cette ineptie est une autre preuve du sort qui s’acharne sur ces enfants handicapés et abandonnés de tous. La déclaration qu’une lettre anonyme ne constituait pas une raison suffisante pour intervenir et protéger un enfant clairement à risque ; avoir permis et défendu le directeur et l’assistant directeur, qui emmenaient des enfants chez eux le week-end à l’encontre de la loi ; demander à un travailleur social venu l’informer de comportements suspicieux d’aller faire une déclaration à la police ; avoir fermé les foyers au beau milieu de la nuit plutôt que de trouver des gens capables de remplacer les responsables déchus au sein de la même structure, tout cela démontre une confusion qui se répercute de façon cruelle sur les enfants concernés.
Il est triste, cependant, de voir une opposition parlementaire trop souvent apte à perdre de vue l’objectif principal de protéger post hoc les enfants et d’offrir une solution viable aux autorités au lieu de s’arc bouter sur le sujet, somme toute aride, de l’avenir politique de Mme Martin. C’est pour cela que nous osons «beg to differ» avec l’élue de l’opposition qui déclarait dans un meeting : «Ka Brown Sequard ti premier viktwar MMM ek premie defet Martin alors ki Namaste reprezant so deziem defet». Nous croyons fermement que, dans les deux cas, la victoire était à l’incompétence alors que la défaite revenait inéluctablement à l’île Maurice de 2013 qui n’a pas su protéger ses enfants en détresse.
Dans ce domaine, plus encore qu’ailleurs, il est facile de « rush in where angels fear to tread ». Ainsi, la ministre a demandé à la police d’enquêter sur les allégations d’abus sexuels par les responsables du centre Namasté. Avec leurs gros bogies, ils ont obtenu une déclaration des enfants concernés et, vini, vidi, vici, sont repartis contents de leur conclusion : « All minors are happy at the centre». Quand on écoute la responsable de Open Mind, une ONG qui offre un service d’aide psychologique aux enfants, on comprend tout de suite que c’est un domaine où n’opère pas qui veut. La première réaction d’un enfant qu’on interpelle sur ce sujet tabou va nier d’avoir été l’objet d’abus sexuels, surtout si cette interview se tient sur les lieux où le délit a eu lieu. Il faut chercher beaucoup pour que l’enfant dénonce le prédateur. Quand il le fait, souvent à travers des dessins, il va avoir mal au ventre, pleurer, vomir même, se contredire et se rétracter souvent, car revivre cette expérience lui donne la nausée qu’on peut imaginer.
La fermeture des foyers laisse les enfants plus mal lotis qu'avant. |
Aujourd’hui la loi a été appliquée et les Foyers Namasté ont été fermés mais quid du problème de la logistique car le vide créé par les foyers fermés, laisse, du même coup, de nombreux enfants plus mal lotis qu’avant. Certains finiront même incarcérés au Bedlam mauricien. «Qui recueillera ces enfants dans le long terme ? Rêvons que toutes les personnes qui ont eu à coeur la fermeture du Foyer Namasté pouvaient aider à trouver, voire à mettre en place une solution juste et digne sous la forme d’une structure d’accueil où l’encadrement thérapeutique sera présent ?»
Cela restera un rêve car le manque cruel de ressources, autant financières qu’humaines, freine la création de centres d’accueil. Malgré ses lourdeurs, le gouvernement essaie, en vain, de chercher un gérant pour le Drop-in-Centre de Grande-Rivière-Nord-Ouest. Aucun appel d’offres n’a intéressé les ONG du pays qui affichent «complet». La crainte d’ingérence (accueil sans tri préalable?) semble être la raison essentielle pour cet état de choses. Le gouvernement a lancé un appel d’offres international.
A l’opposé de ce problème, même dans le domaine sacro-saint du bien-être des enfants vivant en précarité, les affairistes et autres «rodeurs de boute» rôdent autour des Rs 243 par jour que le gouvernement accorde par enfant. Un ancien fonctionnaire dévoile que «dans la majorité des cas, les contrats pour opérer ces foyers sont alloués selon les connivences des uns et des autres avec les dirigeants du jour». Il divulgue que « les foyers ont de tout temps été gérés au petit bonheur…le personnel est très souvent insuffisant, mal payé et ne bénéficie pas d’une formation appropriée ». Le manque de suivi de ces centres par la «Child Development Unit» est un autre thème récurrent. Reconnaissant que ce service requiert un investissement important, l’honorable Satish Boolell résume bien la situation : «L’argent est toujours tributaire du mal. Il revient à ceux qui financent de s’assurer qu’il est utilisé à bon escient».
Pourtant, la marche à suivre crève les yeux et le manque de volonté d’établir un plan d’action solide ne fait pas honneur à ce pays qui veut se donner en exemple à la région. Si un tel dysfonctionnement existait au niveau de l’exportation du textile, l’importation des oignons, la sécurité des touristes, la recrudescence des mouches de fruits ou de pissenlit, le secteur public et privé auraient, en moins de 24 heures, organisé une table ronde avec les meilleures têtes du pays pour aborder, disséquer et trouver un début de solution au problème. Il n’est plus permis de douter de l’existence, au sein du secteur ONG, de têtes pensantes, d’âmes engagées et d’un professionnalisme sans faille. C’est donc une honte nationale que l’ile Maurice s’asseye sur ses mains et s’engage dans le sport favori de «pa moi sa, li sa» quand le sort des enfants les plus mal lotis du paradis mauricien, un enfer en ce qui les concerne, est en jeu. Laissant de côté les clivages politiques et autres clashs de personnalité, nos élus devraient réunir toutes les têtes pensantes dans ce domaine, afin d’oeuvrer, selon les mots de notre ex fonctionnaire, «vers une refonte totale, assortie d’une véritable volonté politique et un plan d’action solide et bien réfléchi (visant) à décanter partiellement la situation».
Et quid de la question pénale ? Le présumé agresseur a été arrêté et le Premier ministre déclare que le ministère du Développement de l’enfant et du bienêtre familial travaille sur un Children’s Bill pour mieux assurer la prévention des délits à l’encontre des enfants et les protéger de façon plus efficace. C’est bien, mais les prémices de ce changement de loi peuvent laisser sceptique. « Increasing the penalties will not in itself put an end to such offences (pédophilie). It is important to lay emphasis on better sensitisation and education of the public and of children in particular”. Comme quoi le «Pennsylvania Sexual Offenders Assesment Board» aurait dû avoir mis Monsieur Sandusky entre les mains de quelque habile pédagogue au lieu de le mettre sur le registre national des «Sexually Dangerous Predators ». On arrive à se demander ce qu’un coach de son genre aurait encouru au pays natal.
Le PM explique que les peines pour tout délit sous la Child Protection Act sont des amendes allant de Rs 25 000 à Rs 100 000 et des peines d’emprisonnement de 5 à 30 ans. Le Criminal code, quant à lui, applique une servitude pénale de 10 à 20 ans. Le PM explique que la difficulté réside dans «the law of silence» qui rend l’intervention de la police difficile au sujet des crimes commis par des proches. On est tenté de rétorquer que c’est plutôt «the silence of the law » qui règne chez nous. Il y a une semaine, un homme a été condamné pour viol sur sa fille de 14 ans qui avait, depuis sa naissance, été prise en charge par une famille adoptive. Il a profité d’une visite de la victime pour la droguer puis la violer. Il a récolté trois ans de prison, la magistrate ayant conclu que la relation entre la victime et le violeur n’était que «purement biologique» !
Il n’est pas nécessaire de redécouvrir la roue sur ce problème dont tout gouvernement qui se respecte de par le monde reconnaît la pertinence. On pourrait glaner plusieurs leçons de ces initiatives internationales visant à protéger l’enfant. Ainsi, au début de l’année, le gouvernement australien a nommé une « Royal Commission into the Institutional Responses to Child Sexual Abuse» dont les attributions permettent aux commissaires de «look at any public or private organisation that is, or was, involved with children, including non-government organisations and government agencies (including police and justice) schools, sporting clubs, orphanages, foster care, and religious organisations.» L’opposition qui s’intéresse à ce qui se passe au MITD aurait tout intérêt à soutenir une telle initiative du gouvernement avec un juge de la Cour suprême à la tête de la commission.
La complexité de ce problème démontre jusqu’où ceux qui affublent cette communauté de 1,2 million de Mauriciens de «Mauritius Incorporated», se mettent le doigt dans l’oeil. L’île Maurice est faite d’êtres de chair et d’os avec leurs différences, leurs forces et leurs faiblesses. Les enfants de la nation mauricienne, mêmes les plus déshérités, ne seront jamais assimilables au passif d’une «société morale» à responsabilité limitée. Notre bilan à nous ne se mesure pas à l’aune de la valeur boursière mais à la richesse des âmes telles que la presse nous a permis d’entrevoir au sein de Safire et de Open Mind.
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