Par Jean-Mée DESVEAUX
L'express du 24 avril 2013
Maya Hanoomanjee soulagée d'avoir été blanchie par le DPP. |
LE communiqué de presse du Directeur des poursuites
publiques (DPP), Me Satyajit Boolell, est tombé la semaine dernière. Le DPP est satisfait que l’ICAC «has
carried a thorough and careful investigation», mais les preuves formulées
contre l’honorable Maya Hanoomanjee «do not constitute a sufficient basis to
meet the required standard (beyond reasonable doubt) for a prosecution under
section 7 of POCA for misuse of her office for a gratification». Il a
ainsi jugé qu’il n’existait pas, dans le cas présent, de «reasonable prospect
of securing a conviction» contre cette élue.
Pour constituer une offense sous l’article 7(1) et 9 du
POCA, il aurait été nécessaire de démontrer de façon indubitable que l’accusée
a utilisé sa position et qu’elle a entrepris «deliberate steps for the purpose
of a gratification for the shareholders of MedPoint». Le DPP fait bien
ressortir que le fait qu’un fonctionnaire se sente sous la pression de sa supérieure
ne suffit pas en soi pour satisfaire le «evidential test» du POCA.
Avec un tel arsenal judiciaire érigé pour s’assurer qu’un
innocent ne finisse pas au banc des accusés, on pourrait être tenté de conclure
que les lois sont trop timorées pour arrêter la gangrène qui attaque lentement et
sûrement notre pays. On aurait tort car les arcanes de la loi ont quand même permis
au DPP de faire une avancée majeure dans l’élucidation de certains tenants et
aboutissants du scandale du siècle. Ainsi, nous savons aujourd’hui qu’il a été «decided
in advance that MedPoint would be the successful bidder» et que la réallocation
des Rs 50 millions provenant de la décision de ne pas aller de l’avant avec le
«Women and Children Hospital» visait à «meet the amount that MedPoint had bid».
Le scandale du siècle a donc bien existé en dehors du cerveau fiévreux d’un
leader de l’opposition manquant de sujets pour ses PNQ !
La preuve en est que deux officiels, dans ce maillon
d’influences occultes au plus haut niveau de l’État mauricien, sont jugés
passibles d’être poursuivis sous le POCA. Des accusations formelles ont été faites
contre M. Y. Bissessur, le directeur du valuation office de l’Etat, pour avoir
usé de sa position pour hausser la valeur du bâtiment qui abritait l’ancienne clinique
de Rs 75 à Rs 120 millions au profit des actionnaires de MedPoint. Quant à M.
Jeebodhun, le Government valuer, il est accusé d’avoir procédé à une seconde évaluation
de la clinique, en gonflant la somme initiale au profit des mêmes actionnaires de
MedPoint.
Ce qui précède reste la toile de fonds contre laquelle, à
tort ou à raison, le pays se souviendra désormais du profil de l’honorable Hanoomanjee,
ministre de la Santé durant ce scandale. Cet épisode est d’autant plus remarquable
que c’est la première fois dans les annales de cette petite République, pourtant
mithridatisée contre les «roder de bout» de toute sorte et les appels d’offres
les plus cocasses, que la spoliation des fonds publics se fait avec une telle
audace et si manifestement. C’était, ni plus ni moins, un doigt d’honneur
magistral de la classe politique (unifiée pour une fois) à un pays stupéfié
qu’elle tient en profond mépris.
Madame Hanoomanjee, dans une interview à l’express dimanche du
14 avril, s’est dit soulagée. On la comprend. Elle ne partagera plus les nuits
blanches qui sont désormais réservées à ses subalternes durant l’affaire MedPoint.
Le DPP a fait son travail de professionnel et il a le mérite d’être le premier
à motiver ses décisions, ce qui montre un signe de respect pour un peuple souvent
dépassé par la décision de ses prédécesseurs. L’ex-ministre de la Santé n’est
plus dans son viseur. Soit. Echappe-telle, du même coup, à un examen minutieux de
son comportement de la part du citoyen mauricien ? La réponse à cette question
provient de cette él ue elle-même. Elle promet qu’elle sera candidate aux
prochaines élections, elle sera ministre de la Santé et, en passant, se vengera
de ceux qu’elle considère comme ses ennemis, une fois arrivée au pouvoir. C’est
donc en sa capacité d’homme d’État, cette fois, que l’opinion publique doit
aujourd’hui porter son regard sur le comportement de l’honorable Hanoomanjee.
Si
le DPP a le droit d’insister sur le critère «beyond reasonable doubt» pour arriver
à ses conclusions, la population se doit, pour sa part, avant de choisir ses
élus, de s’assurer qu’ils soient non seulement motivés à défendre, bec et
ongles, les intérêts de la République mais encore que leurs démarches «appear
to be so». Pouvons-nous conclure que le track record de cette élue démontre qu’elle
est clairement motivée à respecter et à faire respecter le patrimoine de l’Etat
et les institutions érigées pour le défendre? L’intérêt public exige une
réponse.
Le lecteur se souviendra d’une polémique en 2005 quand, au
lendemain des élections, dans une interview accordée à l’express, je révélais
que j’avais claqué la porte du conseil d’administration de la Mauritius Revenue
Authority (MRA) après que Madame Hanoomanjee, la chairperson, et le
représentant du State Law Office, eurent tout fait pour éviter qu’une personne de
poigne, tel Bert Cunningham ou le patron d’Interpol, prenne les rênes de la MRA
et introduise les réformes nécessaires pour nettoyer la douane. J’avais
personnellement oeuvré pour la création de la MRA dans ce but depuis 2001 et
j’étais effaré de voir que ces responsables mettaient en péril une réforme qui
visait à contrôler la pénétration de la drogue dans le pays et sauver des
dizaines de milliers de jeunes Mauriciens. Il m’a paru alors que, confrontée à un choix très clair, la Chairperson
de la MRA se conduisait nettement en «politique», quitte à sacrifier l’intérêt
du pays. Sa démarche semblait être d’éviter à tout prix d’offenser le syndicat de
la douane qui protégeait des éléments hautement indésirables au sein de cette
institution.
L’expérience de M. Jairaj Hauroo, président du Bid
Evaluation Committee, qui a finalement penché pour le choix de la clinique MedPoint
du Dr Kishan Malhotra, beau-frère de Pravind Jugnauth, m’a fait revivre ces
moments au sein du board de la MRA. Si je n’avais pas eu le loisir de me soustraire
à cette instance au moment précis où je l’ai fait, j’aurais pu aujourd’hui être
justement critiqué d’avoir gravement manqué à mon devoir d’oeuvrer à la réforme
de la douane en tant que board member de la MRA. Le lien causal entre la
corruption à la douane et le sort de nos milliers de jeunes drogués ne faisant
aucun doute dans mon esprit, j’aurais, aujourd’hui encore, à vivre l’opprobre du
pire des juges qui soit : sa propre conscience.
M. Hauroo, fonctionnaire de son état, a déclaré alors que
Madame Hanoomanjee, cousine du ministre des Finances et proche du leadership du
MSM, a nié les échanges suivants durant une réunion dans le bureau de la
ministre : «Mo tann dir ou pe fer difikilte concernan sa proze la. Ki problem
ou ena ladan ? Depi trwa mwa pe enkor ale meme avek sa. Enn sel lopital ena
ladan. Dabidin avek Utchanah (contre lequel le DPP recommande des mesures
disciplinaires) pa finn fini koz avek ou ?» Quiconque a eu la malencontreuse idée
de contrarier la volonté affichée de l’honorable Hanoomanjee, au sein d’un
comité, n’a besoin d’aucun effort d’imagination ou d’empathie pour comprendre
le fonctionnaire quand il se plaint de se sentir «under pressure». Selon le
communiqué du DPP, ce ne fut pas là la seule occasion où M. Hauroo s’est senti
sous pression. Un mois plus tard, toujours dans le bureau du ministre, alors
que l’exercice d’évaluation tirait vers sa fin, M. Hauroo relate cette
remontrance de la ministre :
«Ki zot pe fer avec evaliasyon ziska ler ? Mo pe
gagn presyon depi lao e ou kone li enn proze gouvernman. Tou papier zot fini
gagne e li kler ki ena enn sel klinik ki pou gagne e ou konn byen se klinik MedPoint
ki bizin gagne.»
La raison qui aurait poussé ce fonctionnaire à confabuler et
concocter une telle histoire pour embarrasser la ministre, si tel est le cas, restera
probablement toujours un mystère. Toujours est-il que l’analyse du DPP est que
ces échanges ne constituent pas une instance de pression occulte.
Comme révélé par deux de nos collègues durant la semaine, il
est à noter que le DPP n’a pas jugé utile de citer un autre échange qui, plus
encore que les extraits précités, démontre la tension palpable qui existait à
ce moment entre ces deux importants protagonistes du scandale du siècle.
M. Hauroo a déclaré à l’ICAC que la ministre lui aurait dit
: «Si ou kontinye koum sa, mo pou raport ou avec Head of Civil Service et mo pu
pran sa dan Cabinet, kontinye ou pou kone.» Cette partie de l’échange est
intéressante, à la lumière de ce que nous dit par ailleurs le DPP. «A prosecution under section 9 of the
Prevention of Corruption Act would have to establish that threats were made
with a view to influencing the tender exercise.»
La justice a suivi son cours et la page est tournée en ce
qui concerne le procès de l’ICAC contre Madame Hanoomanjee, décision que nous
nous devons de respecter. Cela ne saurait nous empêcher de suivre, pour les
raisons indiquées en haut, d’un regard tantôt amusé et tantôt quasi admiratif,
les prouesses de cette élue. Si Madame Hanoomanjee sait faire une chose dans sa
carrière, c’est bien de se montrer extrêmement convaincante. Abordant la question
de son avenir politique post MedPoint avec son chef de parti, Pravind Jugnauth,
elle déclare à l’express dimanche du
14 avril :
«Quand on me marche sur les pieds,
je crie. Quand j’ai senti que le MSM pouvait me mettre à l’écart, j’ai mis les
points sur les ‘i’ avec Pravind… Je lui ai dit ‘que tu le veuilles ou non, je
serai candidate en 2015. Même en indépendante s’il le faut. »
Elle ajoute :
«Pravind a compris !» Si l’interview ne
permet pas de savoir si le leader du MSM a eu à s’éponger le front à la
conclusion de cette petite entrevue, ce qu’on peut dire c’est que M. Hauroo,
lui, ne faisait pas le poids devant cette dame.
Dans l’interview, Madame Hanoomanjee, décidément en verve et
très sûre d’elle, concède qu’elle était au courant que «l’appel d’offres avait été taillé sur mesure pour favoriser le Dr
Malhotra». Un gros aveu pour une ministre qui avait, à ce moment, le devoir
de s’opposer à toute tentative de corrompre le processus d’appel d’offres. Mais
le choc atteint son apogée quand, après avoir admis que le processus mis en
place pour sauvegarder l’intérêt de l’État dans l’achat de MedPoint pour Rs144
millions a été adultéré, elle ajoute : «L’affaire
MedPoint est une tempête dans un verre d’eau !»
On ne peut que conclure que pour des âmes moins bien
trempées que la sienne, le scandale de MedPoint, dans une île Maurice qui ne peut
offrir un abri respectable à des enfants indigents, est moralement à des années
lumières du proverbial «storm in a teacup». Grave entorse à l’éthique au niveau
national, le scandale MedPoint a laissé des séquelles et des dommages
collatéraux au niveau politique, moral et légal. Bien qu’elle ne soit pas mise
en cause pour corruption par le DPP, son rôle dans cette tempête requiert, pour
le moins, un réajustement de ses ambitions politiques qui cadrerait avec la
stature morale qu’elle déciderait à prendre dans un horizon plus ou moins
lointain au sein de la vie publique du pays.
Elle avoue qu’une réflexion est déjà enclenchée par les autorités
de son parti et celui de ses alliés «qui
ne voulaient pas entendre parler» de sa candidature aux prochaines élections.
Il n’y a pas de doute qu’elle fera tout pour persuader ces responsables de ne plus
la mettre dans la dernière rangée lors des conférences de presse. Pour le
respect des institutions de la République, la réponse à ces requêtes doit
continuer à être un niet catégorique. Cela pourrait donner le signal décisif
qu’un tournant dans notre descente aux enfers de la mauvaise gouvernance est enfin
amorcé.