Par Jean-Mée DESVEAUX
lexpress du 26 novembre 2014
Les nombreux patients qui ont visité son cabinet à La Louise se rappelleront de Raj Roy comme du pionnier de la chiropraxie à Maurice. Ils se souviendront de sa grande douceur, son cœur surdimensionné, et son dévouement. En ce qui me concerne, Raj, dont je suis fier d’avoir été le professeur au Collège du Saint Esprit dans les années 70, est le plus proche alter ego qu’il m’a été donné de rencontrer dans ce pèlerinage qu’on appelle la vie. Sa disparition équivaut donc à la perte d’une amitié très rare.
Après des études de chiropraxie en France, aux Etats-Unis et en Australie, Raj décide de revenir au pays natal en 1992. C’était un choix naturel pour ce patriote hors pair dont le plus grand rêve était de contribuer à l’avancement du pays.
Doté d’une belle intelligence et d’une intégrité hors du commun, Raj Roy n’allait pas tarder à trouver pénible le parcours du combattant auquel est confronté tout professionnel qui essaie, tant soit peu, de sortir du sentier battu au sein de notre île. Il me décrivait l’arrogance avec laquelle le ministre Jeetah le reçut quand il vint lui présenter son projet de loi pour régulariser le métier de chiropraxie au pays.
Raj savait surtout distinguer le bon du mauvais et son incapacité de pratiquer la langue de bois lui fit beaucoup d’ennemis. Contrairement à Messieurs Ramgoolam et Bérenger qui les laissent lâchement sévir, Raj reconnaissait dans la Voice of Hindu, le plus grand cancer qui menace de ronger la structure même de notre société. Il les opposa de tout son être, mais il était seul dans une île peuplée de lâches politiciens et de leurs suiveurs. Un matin, ce qui devait arriver dans ce no man’s land qu’est devenue Maurice, arriva : sa fille de 14 ans se fit braquée et menacée par des malfrats sur le chemin du collège. Raj n’eut d’autre choix que de faire sa femme et sa fille prendre le prochain avion pour Stockholm et mettre fin ainsi à son rêve mauricien qui avait tourné au cauchemar.
Il y a quinze jours, Raj prenait à son tour l’avion pour Stockholm, laissant derrière lui le pays qu’il avait voulu enrichir de sa façon. Je l’avais conduit ce jour-là pour écouter un orchestre à Quatre-Bornes auquel il participait de temps en temps. Ils avaient joué ses morceaux favoris, tels A brick in the Wall de Pink Floyd. Nous sentions tous qu’il y avait quelque chose de fatidique dans l’air. Je lui écrivis le sms qui suit alors qu’il était dans l’avion à onze heures, ce dimanche soir. C’était la dernière note que je lui écrivis car il s’est éteint à Stockholm jeudi.
''Dear Raj, in addition to everything else we have in common, we share your experience tonight of leaving this little rock so many times with hate or despair only to come back with hope and the ambition to make things better for all these souls we don't even know. We know deep down we are not like the others. While it gives us pride, we often feel it would be so much easier if we were. Horses, women, power, money make them tick. An old man who gets justice at last is what turns us on. We didn’t choose. “There’s a divinity that shapes our ends, rough hew them how we will.’’ My life was enriched by having you as a friend, Raj.''