Par Jean-Mée DESVEAUX
l'express du 18 septembre 2015
La bataille d’Ivan Collendavelloo contre la manipulation outrancière de contrats du CEB confirme son rôle comme l’héritier de son ancien leader dans la bataille contre la fraude et la corruption. Saura-t-il mieux faire que lui?
NOTRE absence du pays et donc de ces colonnes durant une année nous impose un préambule important. Rien de ce qui suit ne vise à diminuer le mérite d’Anerood Jugnauth d’avoir sauvé le pays des griffes de Navin Ramgoolam durant deux septennats d’immunité totale. L’état dans lequel il a laissé les institutions du pays au lendemain des élections générales nous permet tout juste d’imaginer la déliquescence dans laquelle Maurice aurait alors sombré. Parmi les «miracles» dont SAJ pourrait se vanter, il est clair que celui-là est le plus grand.
Comme on pouvait le constater dans les deux articles écrits contre l’infamie d’une deuxième république à la Ramgoolam-Bérenger à la veille des échéances électorales, je fus de ceux qui ne croyaient pas au miracle.
Est-ce à dire que j’ai viré avec les autres «mam»? Pas si sûr. Pourtant, contrairement à beaucoup de critiques du gouvernement, je ne trouve pas exagéré l’effort que fournit SAJ à démanteler les com-bines des apparatchiks rouges et à poursuivre en justice ceux qui se sont abreuvés du sang de la République pendant une décennie. Les politiciens mauriciens
ont trop longtemps
observé l’omerta et l’Alzheimer à chaque changement de gouvernement. C’était devenu une assurance qu’ils prenaient vis-à-vis du peuple, qu’ils ne seraient pas non plus amenés à rendre des comptes le jour où le repas serait desservi. Il était temps que cela cesse. Que cela prenne parfois l’apparence d’une chasse aux sorcières aux yeux peu habitués des Mauriciens n’est pas surprenant. Ce qui surprend pourtant c’est que SAJ ait ainsi changé la règle du jeu au grand détriment de Pravind le jour où celui-ci perdrait le pouvoir après l’avoir obtenu et longuement conservé. Maurice ne peut que se féliciter de cette avancée.
Malheureusement l’habitude est une seconde nature et cela prend un temps infini à changer les mœurs d’un parti politique gangrené par des décennies de pouvoir débridé à la tête du pays. Le MSM s’est trop longtemps acoquiné d’affairistes tels les membres de la famille de l’ex-ministre transfuge Seetaram (Sarako et téléphérique des Sept Cascades sur les terres du Central Electricity Board (CEB) pour pouvoir les congédier et se refaire une vertu du jour au lendemain. C’est ainsi que le très honorable Bashir Jahangeer, qui a longtemps sévi autour des gros contrats du CEB et celui de la Wastewater Management Authority (WMA) en tant que représentant de la firme Asea Brown Boveri (ABB) devient aujourd’hui l’apparatchik orange responsable du dossier énergétique. Le député a ré- cemment accusé Ivan Collendavelloo, ministre de l’Énergie, d’avoir produit un appel d’offres relatif à l’achat des moteurs pour la station de SaintLouis «taillé sur mesure pour deux fabricants de moteurs». Le VPM a rétorqué «peut-être que Bashir Jahangeer aurait aimé que je lui dise de ne pas s’inquiéter et que c’est lui qui aura le contrat… Personne n’a le droit de se servir de sa position (de député) pour (faire avancer) ses propres intérêts».
La bataille que livre Ivan Collendavelloo contre la manipulation outrancière des gros contrats du CEB par des «vested interest», confirme son rôle comme l’ultime héritier de Paul Bérenger, son ancien leader, dans la bataille contre la fraude et la corruption. L’affrontement entre l’honorable
Jahangeer et le VPM Collendavelloo
reflète fidèlement l’opposition
entre deux philosophies
et deux visions de la politique.
C’est un combat entre le militantisme
traditionnel et le crony
capitalism du MSM et du
Labour. Un combat mené
par Paul Bérenger pendant
40 ans avant qu’il ne laisse tomber
le flambeau dans la fange ramgoolamienne. Un combat
qui avait atteint son apogée
durant les glorieuses années
où le leader MMM était à la
tête du gouvernement et où
M. Jahangeer livrait bataille,
en tant que représentant de
ABB, contre deux «bastions»
MMM : les conseils d’administrations
du CEB et celui
de la WMA.
La bataille épique allait avoir lieu autour du contrat de tout-à-l’égout de Montagne Jacquot d’une valeur d’environ Rs 750 millions. Paul Bérenger était PM alors que Pravind Jugnauth, leader du MSM, parti de M. Jahangeer, était ministre des Finances. L’offre de la firme que représentait M. Jahangeer était la moins disante d’environ Rs 17 millions. Le hic était qu’elle accompagnait son offre d’une série de conditionnalités et de «variations» non conformes aux spécifications techniques et financières du document d’appel d’offres. Si ABB devait satisfaire les spécifications, son offre augmenterait par Rs 50 millions à Rs 100 millions. Invitée à la table des négociations par la WMA, les discussions avec ABB durèrent un temps infini durant lequel, dans un jeu du chat et de la souris, le faux moins-disant enlevait une conditionnalité durant les discussions avec le tender committee pour en rajouter une autre à la veille de l’octroi du contrat par le Board de la WMA. Après que la WMA ait reçu l’assurancce
qu’ABB avait enfin
compris que le contrat ne lui
serait pas octroyé si elle n’enlevait pas toutes les conditionnalités, M. Jahangeer revint à
la charge sur la formule de cost
escalation et de la valeur des
devises impliquées dans son
offre.
Après l’avoir analysée, le
tender committee de la WMA rejeta
cette nouvelle ruse d’ABB
qui était cousue de fil blanc
lorsqu’un beau jour, le Conseil
des ministres, dans sa grande
sagesse, jugea que le meilleur
arbitre sur la question était nul
autre que le secrétaire financier de Pravind Jugnauth. La
WMA fut donc dessaisie du
dossier. Echec et mat. Il était
clair que le contrat allait vers le
faux moins-disant ABB de Jahangeer.
Nous allions perdre la
bataille de la transparence que
nous avions menée durant de
longs mois. La magouille allait
vaincre la bonne gouvernance
et le comble était que cela se
faisait avec l’assentiment du
Conseil des ministres.
Dans un sursaut de désespoir,
l’état-major de la WMA
(Chairman John Couve, GM
M. Keroff, conseillers techniques
Dr Allan Samsoon et
Jug Sanchurn, et votre tout
dévoué, membre du conseil
d’administration) se réunit in camera. La décision fut prise de
faire parvenir au plus vite et en
conformité avec le cadre légal et
réglementaire, le dossier brûlant
au Central Tender Board (CTB)
de M. Baguant et qu’en attendant,
les membres présents à la
réunion ne rencontreraient ni
ne prendraient de coup de fil
de personne. Un témoin, présent à la réunion où Pravind
Jugnauth apprit que le dossier
était au CTB, rapporte qu’il
était effondré, demandant seulement:
«Il n’y a plus rien qu’on
puisse faire ?» La réponse était
négative. Le CTB jugea la dernière ruse d’ABB irrecevable
et octroya le dossier au vrai
moins disant.
Ce fut l’occasion pour
nous de constater qu’un
Conseil des ministres qui oppose ainsi ceux qui mènent le
combat de la bonne gouvernance,
ne mérite pas qu’on se
décarcasse pour lui. Le temps
était venu pour nous de démissionner
de la WMA, ce que
nous fîmes. Cela fut aussi l’occasion
pour le conseiller que je
fus de rappeler à mon patron,
le Premier ministre, qu’il y a
une ligne que même le Cabinet
n’a pas le droit d’outrepasser.
Il avait jugé plus important
de ménager la susceptibilité du
MSM, alors qu’au sujet de la
Centrale du Sud, à la veille de
son investiture, il avait su opposer
SAJ pour soutenir la bonne
marche du processus d’appel
d’offres. Est-ce qu’Ivan saura
faire mieux ? On le saura très
vite car l’honorable Jahangeer
a promis d’aller chercher
l’appui de Pravind Jugnauth
contre le VPM.
L'express a tenté
d'avoir la version
de Pravind Jugnauth et de
Bashir Jahangeer.
Ce dernier a fait savoir
qu'il se trouve à l'étranger
et ne peut répondre, alors
que le leader du MSM
est injoignable.