JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

09 December 2005

Fraude et corruption : un état des lieux

l'express du 09/12/2005

Dire que Maurice est un pays corrompu où on peut tout acheter, y compris l’impunité, est une affirmation qui fait mal. Mais Jack Bizlall, ce syndicaliste auquel on doit la découverte d’une caisse noire à Air Mauritius, maintient qu’elle est vraie. Ces deux dernières semaines semblent lui donner raison.

Il y a d’abord eu la condamnation de l’ancien ministre de la Sécurité sociale, Vishnu Bundhun, accusé de pressions, en 1998, pour empocher environ un million de roupies sur un contrat de livraison de 105 000 molletons. Il a logé un avis d’appel.

Puis Bert Cunningham, le Canadien recruté comme receveur des douanes “pour nettoyer”, a fait une déclaration fracassante : “La corruption à la douane a fait perdre environ cinq milliards à l’Etat en quatre ans.” A l’express, il affirme qu’il existe toujours des corrompus parmi les douaniers en poste. L’arrestation, la semaine dernière, d’un haut cadre de la douane, en poste depuis plusieurs années, pour contrebande de bijoux, semble confirmer ses dires.

Le ministre James Burty David a allégué au Parlement qu’il y a eu malversation dans l’allocation d’un contrat de plusieurs millions de roupies pour le transport des ordures au centre d’enfouissement de Mare-Chicose. Il a même accusé un ancien ministre d’avoir induit le parlement en erreur et d’avoir caché des renseignements à une commission d’enquête instituée pour ce cas. L’ancien ministre visé, qui s’est adressé à l’Assemblée nationale, a évité de répondre aux accusations.


“Donn enn dite”

James Burty David n’en démord pas pour autant. Il déclare à l’express qu’il veut faire parler “tous les documents” et que le dossier Mare-Chicose sera épluché par le comité présidé par le ministre de la Justice.

Déjà au début de l’année dernière, une enquête effectuée par StraConsult pour le compte de l’Independent Commission against Corruption (Icac) révélait que plus de 20 % des Mauriciens considéraient que la corruption était le problème numéro un du pays. Le chômage et la drogue ne venaient qu’en deuxième et troisième position. Le rapport indiquait aussi que plus de 15 % des personnes interrogées avouaient leur expérience directe avec la corruption : on leur a demandé des pots-de-vin.

Jack Bizlall estime que, dans bien des cas, certaines lourdeurs administratives peuvent favoriser la corruption : “Pour obtenir une copie d’un document, le Mauricien doit se rendre plusieurs fois dans les bureaux de l’administration, attendre des semaines. Alors, quand il apprend qu’il faut donn en tidite pour obtenir le document le jour même, il le fait”.

Le problème de l’attente encouragerait en partie la corruption dans les services de la douane. Bert Cunningham aussi est sensible à cet aspect de la question.

“C’est au moyen d’un nouveau système de contrôle rigoureux, avec l’aide de l’informatique, qu’on a pu contenir la corruption dans la police”, affirme de son côté le commissaire de police, Ramanooj Gopalsingh. “ Je ne reçois plus aujourd’hui de plainte concernant la traffic branch et le taux de réussite aux examens pour conducteurs n’est que de 30 %. Auparavant, ce taux était le double”. Mais il n’y a pas que le contrôle. Au moins deux policiers de la traffic branch ont dénoncé des offres de pots-de-vin.

Un bon point pour la United Bus Service (UBS). Cette compagnie d’autobus a déclaré, dans ses derniers comptes audités, un don de Rs 70 000 aux partis politiques, sans préciser toutefois les bénéficiaires. Cette transparence indique une tendance à se défaire de la politique d’user de caisses noires. A ce jour, aucune loi n’interdit une compagnie à faire des dons à un parti politique et aucune loi n’exige que des dons faits à des partis politiques soient déclarés.

De l’avis de Jack Bizlall, il existe la petite corruption et la grande, pour laquelle des millions sont en jeu. Peut-on s’attendre à voir s’estomper la perception de versements de commissions lors de l’octroi de contrats publics ?

Jean Mée Desveaux, ex-conseiller spécial de Paul Bérenger, a vu plusieurs tentatives de corruption. Et il n’a pas siégé sur tous les conseils d’administration… Il dénonce : “La moitié de mes efforts sur les cinq comités de direction où j’ai siégé en cinq ans consistait à barrer la route aux malfrats qui voulaient pervertir le système équitable et transparent d’appel d’offres”, affirme-t-il. “On est parvenu à contrer ces tentatives.”

L’ancien conseiller raconte encore : “Au conseil d’administration d’une compagnie publique, tous les membres ont fait bloc contre le président qui voulait faire octroyer à un de ses amis un contrat de Rs 100 millions, sans appel d’offres. Après l’appel d’offres, la valeur du contrat tomba à Rs 60 millions. Le patron de l’entreprise en question est cependant maintenant à la tête de la compagnie.”

Il affirme que le dossier du mode de transport alternatif attire des convoitises, que le gouvernement est sous la pression d’un de ses bailleurs de fonds qui veut jeter de la poudre aux jeux du public.




DIRECTION DE L’ICAC

Trois noms en remplacement du juge Domah

■ La Legal and Judicial Service Commission (LJSC) accordera-t-elle un congé au juge Bushan Domah, pour assumer ses fonctions de directeur général de l’Independent Commission against Corruption (Icac) ? Rien d’officiel encore, mais la LJSC étudie une liste d’éventuels remplaçants comme juge : le “Solicitor General” Dhiren Dabee, du “Master and Registrar” Gérard Angoh et du Directeur des poursuites publiques, Abdurafeek Hamuth. Pour rappel, Bushan Domah, approché par le gouvernement, aurait donné un “oui” conditionnel. Car s’il quitte le service judiciaire pour rejoindre l’Icac, la démission devient irrévocable. Or, le juge a fait savoir à son employeur actuel, la LJSC, qu’il aurait souhaité retrouver son poste une fois terminé son contrat à l’Icac.

La demande du juge est exceptionnelle, ce qui expliquerait le temps que met la LJSC à trancher. Si on lui refuse un congé, ira-t-il quand même à l’Icac ? “We’ll cross the bridge when we reach it”, a été l’unique commentaire du juge Bushan Domah.




QUELQUES CAS

La corruption sous toutes ses coutures

■ En juillet dernier, Satcamsingh Bumma, aussi connu comme Satyam, est inculpé de trafic d’influence. Le suspect était le “constituency clerk” de Deven Nagalingum, ancien secrétaire parlementaire privé de la circonscription Quartier-Militaire - Moka. En juin 2004, se faisant passer pour un conseiller de l’ancien Premier ministre, Paul Bérenger, il aurait promis un poste d’enseignante en langue hindi à Rajnee Devi Jhankur, épouse de l’homme d’affaires Ravi Jhankur. Le dénonciateur de cette affaire déclare que les Rs 10 000 étaient destinées à corrompre deux officiers de la Public Service Commission.

■ Le mardi 29 novembre, l’Anti Drug and Smuggling Unit (Icac) arrête Hemraj Bungloll, alias Tony, “Senior Customs and Excise Officer” à l’aéroport. Ce haut gradé de la douane est pris en flagrant délit alors qu’il remettait 670 grammes de bijoux en contrebande à un passager, le bijoutier Jandoo.

■ Oozagheer Sunneecharra, directeur du Central Criminal Investigation Department (CCID), aurait passé, fin juillet 2002, trois nuits à l’hôtel Oberoi, avec des membres de sa famille, aux frais de l’établissement. Bien avant ce séjour, des directeurs de cet hôtel avaient accusé cinq employés des bars d’avoir “réclamé de l’argent sous la menace”. La CID arrête les personnes incriminées, les détient deux jours durant, puis les relâche. L’affaire est en cours. L’opinion publique s’est demandé s’il y a un lien entre ces deux affaires.