Par Jean-Mée DESVEAUX
l'express du 19 juin 2013
AYANT noté des commentaires dans la presse qui mettaient les politiciens sur le même pied d’«exécrabilité», Paul Bérenger a déclaré récemment que «tous les politiciens ne se ressemblent pas». Réagissant à cette analyse perverse, Paul Bérenger a soutenu qu’elle constitue une menace dangereuse pour la démocratie car elle nourrit le cynisme : «Bizin arrete avec ces propos dangereux pour la démocratie.» Il a tenu à souligner qu’«il existe des hommes politiques qui sont honnêtes et qui ont des principes».
Le lecteur fidèle risque fort de reconnaître que le thème que récuse l’honorable élu a bien été un thème central de nos colonnes. Nous plaiderons donc coupable d’avoir effectivement essayé d’établir que l’île Maurice est gangrenée par une clique de politiciens opportunistes et véreux qui ont misérablement trahi la confiance des Mauriciens, hijacked le projet démocratique, et n’ont d’autres objectifs plus dignes que d’asseoir leur pouvoir et augmenter leur fortune (ou celle de leurs proches) aux dépens de l’État.
Notre manque de complaisance impose, il est vrai, un devoir d’éclaircissement. Cependant, établir que la mauvaise foi de nos dirigeants se retrouve indistinctement au sein des quatre formations politiques nationales, demanderait des conditions expérimentales, disponibles peut-être en laboratoire, mais pas nécessairement réalisables au sein de nos dédales politiciens. Nous allons quand même essayer, en prenant pour pivot et pierre angulaire, un scandale qui domine l’actualité en ce moment : les projets d’investissement de la famille du très honorable ministre Seetaram qui firent l’objet de la PNQ de l’honorable Alan Ganoo, leader de l’opposition, la semaine dernière.
Le MSM aurait tenté de forcer la main au CEB afin que le projet de téléphérique des Sept-Cascades soit approuvé. |
L’honorable Pravind Jugnauth, leader du MSM, un de ces hommes politiques honnêtes et qui ont des principes (dixit Paul Bérenger), a fait une sortie en règle contre les abus et autres vices de procédures du gouvernement en faveur des projets de Seetaram. Il a ainsi déclaré qu’avec des subventions annuelles de Rs 37 millions (MID Fund), le projet de ferme photovoltaïque de 15 MW constituait, en 20 ans, un jackpot de Rs 3 milliards au profit de cette famille. Il était «révolté» que le projet de téléphérique des Sept-Cascades, a bénéficié de Rs 80 millions d’investissement de la part de la State Investment Corporation (SIC) alors même que celle-ci a jugé ce projet très risqué. Il considère ce traitement de faveur comme une rémunération pour «ban ki travers lot cote pou zoine parti travailliste». Tout transfuge a un prix et celui de Jim Seetaram est de l’ordre de Rs 3 milliards, a déclaré M. Jugnauth. Outré, il a déclaré que «dans la culture travailliste, l’intérêt du pays ne compte pas. Ils sont plus concernés par des stratégies qui leur permettent de s’agripper au pouvoir et de remplir leurs poches».
L’autre personnalité politique extrêmement remontée par les privilèges dont les deux projets Seetaram ont bénéficié est Alan Ganoo, le très calme leader de l’opposition. Il a surpris plus d’un par l’indignation qui l’enflammait lors de sa PNQ sur le projet Sarako qu’il considère une spoliation des ressources limitées de l’État au profit des Seetaram. Le point fort de la PNQ fut la démonstration de la vitesse «TGV» avec laquelle l’accord entre le CEB et Sarako a été signé. Le PM prit l’engagement, le 19 mai, durant une fête culturelle Rajput, que l’unsollicited bid de Sarako ira de l’avant. Le 21 mai, le CEB signa le Power Purchase Agreement (PPP) avec la famille Seetaram, les négociations n’ayant, elles, duré que 3 mois.
Devant la ferveur patriotique de ces deux élus, aucun Mauricien n’imaginerait que l’éjaculation de tant de nobles sentiments à la défense du patrimoine national n’est que du vent. Que toute cette indignation devant les courbettes travaillistes face à la famille Seetaram n’est qu’une mascarade histrionique éhontée. Que ce ne sont là que des simagrées, des simulacres dépourvus d’idéal et de conviction, visant à faire abstraction du tableau pathétique que représente une opposition à court de ressources quand elle se met à quatre pattes pour courtiser nos votes. Que si un peuple abruti leur faisait confiance une nouvelle fois en 2015, ils feraient exactement ce que font lesTtravaillistes aujourd’hui pour s’approprier le vote de nos concitoyens Rajput ou Lilliputiens, car c’est exactement ce qu’ils ont fait quand ils étaient au pouvoir en 2004. Qu’ils doivent, enfin, avoir perdu toute dignité et crédibilité pour oser venir ainsi, comme Tartuffe, devant le peuple qu’ils ont roulé dans la farine, et feindre des émotions et des convictions qui ont, depuis très longtemps, cessé d’être les leurs.
Neuf ans sont une éternité en politique. Il n’est donc pas surprenant que l’imposture de nos politiciens s’appuie sur la mémoire poreuse du peuple pour le «mener en téléphérique». En 2004 donc, quand le projet des Sept-Cascades atterrit devant le Board du CEB sous la présidence du Professeur Swaley Kasenally, les membres de cette institution, dont je fis partie, furent confrontés à une série de décisions délicates. Pour être viable, le projet de téléphérique SevenWaterfalls Horizons Ltd des Seetaram avait besoin d’un droit de passage conséquent sur les terres du CEB qui jouxtaient les leurs. Les cabines du téléphérique étant de la dimension d’un autobus, les structures métalliques aptes à les soutenir, nécessitaient une empreinte conséquente sur la forêt du CEB à Tamarind Falls. Le Board savait que cette forêt contenait un trésor naturel en guise de flore mondialement reconnue mais nous ne connaissions ni l’étendue ni la spécificité de cette richesse. Dans le doute, on s’abstient et la première réaction du Board fut de faire la sourde oreille pendant des mois aux appels de pieds que recevait notre malheureux Chairman de la hiérarchie politique. C’était moins de deux ans avant les élections de 2005 et Pravind Jugnauth était vice-Premier ministre et leader du MSM, alors que l’honorable Alan Ganoo était ministre MMM des Utilités publiques. M. Jim Seetaram, fils de M. Iswardeo Seetaram, ancien Speaker travailliste, se vit miraculeusement charmé par le parti Soleil où il allait vite devenir une étoile montante.
C’est à ce moment donc que, sans le moindre scrupule, la hiérarchie du MSM exerça une pression insoutenable sur le président du CEB afin que le Board approuve un contrat avec le Seven Waterfalls Horizons Ltd. Ce contrat allait permettre au MSM de soudoyer la famille Seetaram et d’obtenir leur allégeance politique chancelante, le fils Jim se portant candidat à Montagne-Blanche/ GRSE en juillet 2005. Comme on peut s’y attendre, le contrat soumis au CEB était aussi soucieux de l’environnement que s’il avait été rédigé par Attila, le Fléau de Dieu. Le conseil d’administration, conscient des enjeux, verrouilla à double tour le Lease Agreement pour protéger le patrimoine national. Le Board exigea ainsi, parmi d’autres conditions préalables à la ratification de tout bail avec les promoteurs, qu’un audit environnemental complet des terres du CEB aux Sept-Cascades soit entrepris par la Mauritius Wildlife Foundation (MWF). Il fut décidé que les découvertes significatives, en termes de trésors naturels, seraient mentionnées avec leurs coordonnées géodésiques au sein du Lease Agreement et que tout abus de nos trésors naturels deviendrait «sufficient ground for rescinding the lease».
Cet audit allait, entre autres, permettre au Board de découvrir que la forêt des Sept-Cascades était déjà connue et homologuée par le Watchdog international «World Conservation Union» (IUCN) qui l’avait inscrite sur la liste rouge des forêts contenant des espèces en danger. L’audit allait permettre de connaître l’existence et la position exacte de : 1) L’AlbiziaVaughanii,(IUCN Critically endangered) last reproducing individual of this critically endangered species ; 2) les quatre derniers Psiadia Cateractae (IUCN Critically endangered) ; 3) Les Polyscias Gracilis (IUCN critically endangered) dont deux des quatre derniers au monde sont sur les terres du CEB ; 4) Polyscias Paniculata (IUCN proposed critically endangered), deux sur les trois dernières espèces se trouvent à Tamarind Falls ; 5) 30 espèces de plantes endémiques et bien d’autres. Cette forêt abrite aussi la Crécerelle ainsi qu’une espèce de chauves-souris endémiques, le Pic-Pic et la grosse Cateau Verte.
Cet audit fut le fruit de la volonté concertée d’un conseil d’administration de corps para-étatique mauricien qui sut prendre ses corporate responsibilities au sérieux. Mais, si cet audit allait mettre au jour tant d’espèces endémiques en voie de disparition, il allait aussi révéler une espèce prolifique qui, tout en étant endémique à cette île, loin d’être menacée de disparition, foisonne chez nous comme la mauvaise herbe: le politicien manipulateur et opportuniste. Quand il apprit les intentions du Board, le ministre Ganoo eut l’outrecuidance de nous intimer l’ordre, par voie épistolaire, de ne pas aller de l’avant avec cet audit car il risquerait fort de mettre en péril l’avenir du projet des Seetaram. Le Board traita cette sommation ministérielle avec le mépris qu’elle méritait en l’envoyant au panier de l’Histoire.
Voir aussi On the steps of Attila.