JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

20 June 2013

Kleptocratie endémique

Par Jean-Mée DESVEAUX
l'express du 19 juin 2013

AYANT noté des commentaires dans la presse qui mettaient les politiciens sur le même pied d’«exécrabilité», Paul Bérenger a déclaré récemment que «tous les politiciens ne se ressemblent pas». Réagissant à cette analyse perverse, Paul Bérenger a soutenu qu’elle constitue une menace dangereuse pour la démocratie car elle nourrit le cynisme : «Bizin arrete avec ces propos dangereux pour la démocratie.» Il a tenu à souligner qu’«il existe des hommes politiques qui sont honnêtes et qui ont des principes».
 
Le lecteur fidèle risque fort de reconnaître que le thème que récuse l’honorable élu a bien été un thème central de nos colonnes. Nous plaiderons donc coupable d’avoir effectivement essayé d’établir que l’île Maurice est gangrenée par une clique de politiciens opportunistes et véreux qui ont misérablement trahi la confiance des Mauriciens, hijacked le projet démocratique, et n’ont d’autres objectifs plus dignes que d’asseoir leur pouvoir et augmenter leur fortune (ou celle de leurs proches) aux dépens de l’État. 

Notre manque de complaisance impose, il est vrai, un devoir d’éclaircissement. Cependant, établir que la mauvaise foi de nos dirigeants se retrouve indistinctement au sein des quatre formations politiques nationales, demanderait des conditions expérimentales, disponibles peut-être en laboratoire, mais pas nécessairement réalisables au sein de nos dédales politiciens. Nous allons quand même essayer, en prenant pour pivot et pierre angulaire, un scandale qui domine l’actualité en ce moment : les projets d’investissement de la famille du très honorable ministre Seetaram qui firent l’objet de la PNQ de l’honorable Alan Ganoo, leader de l’opposition, la semaine dernière.

Le MSM aurait tenté de forcer la main au CEB afin que le projet de téléphérique des Sept-Cascades soit approuvé.
L’honorable Pravind Jugnauth, leader du MSM, un de ces hommes politiques honnêtes et qui ont des principes (dixit Paul Bérenger), a fait une sortie en règle contre les abus et autres vices de procédures du gouvernement en faveur des projets de Seetaram. Il a ainsi déclaré qu’avec des subventions annuelles de Rs 37 millions (MID Fund), le projet de ferme photovoltaïque de 15 MW constituait, en 20 ans, un jackpot de Rs 3 milliards au profit de cette famille. Il était «révolté» que le projet de téléphérique des Sept-Cascades, a bénéficié de Rs 80 millions d’investissement de la part de la State Investment Corporation (SIC) alors même que celle-ci a jugé ce projet très risqué. Il considère ce traitement de faveur comme une rémunération pour «ban ki travers lot cote pou zoine parti travailliste». Tout transfuge a un prix et celui de Jim Seetaram est de l’ordre de Rs 3 milliards, a déclaré M. Jugnauth. Outré, il a déclaré que «dans la culture travailliste, l’intérêt du pays ne compte pas. Ils sont plus concernés par des stratégies qui leur permettent de s’agripper au pouvoir et de remplir leurs poches».

L’autre personnalité politique extrêmement remontée par les privilèges dont les deux projets Seetaram ont bénéficié est Alan Ganoo, le très calme leader de l’opposition. Il a surpris plus d’un par l’indignation qui l’enflammait lors de sa PNQ sur le projet Sarako qu’il considère une spoliation des ressources limitées de l’État au profit des Seetaram. Le point fort de la PNQ fut la démonstration de la vitesse «TGV» avec laquelle l’accord entre le CEB et Sarako a été signé. Le PM prit l’engagement, le 19 mai, durant une fête culturelle Rajput, que l’unsollicited bid de Sarako ira de l’avant. Le 21 mai, le CEB signa le Power Purchase Agreement (PPP) avec la famille Seetaram, les négociations n’ayant, elles, duré que 3 mois.

Devant la ferveur patriotique de ces deux élus, aucun Mauricien n’imaginerait que l’éjaculation de tant de nobles sentiments à la défense du patrimoine national n’est que du vent. Que toute cette indignation devant les courbettes travaillistes face à la famille Seetaram n’est qu’une mascarade histrionique éhontée. Que ce ne sont là que des simagrées, des simulacres dépourvus d’idéal et de conviction, visant à faire abstraction du tableau pathétique que représente une opposition à court de ressources quand elle se met à quatre pattes pour courtiser nos votes. Que si un peuple abruti leur faisait confiance une nouvelle fois en 2015, ils feraient exactement ce que font lesTtravaillistes aujourd’hui pour s’approprier le vote de nos concitoyens Rajput ou Lilliputiens, car c’est exactement ce qu’ils ont fait quand ils étaient au pouvoir en 2004. Qu’ils doivent, enfin, avoir perdu toute dignité et crédibilité pour oser venir ainsi, comme Tartuffe, devant le peuple qu’ils ont roulé dans la farine, et feindre des émotions et des convictions qui ont, depuis très longtemps, cessé d’être les leurs.

Neuf ans sont une éternité en politique. Il n’est donc pas surprenant que l’imposture de nos politiciens s’appuie sur la mémoire poreuse du peuple pour le «mener en téléphérique». En 2004 donc, quand le projet des Sept-Cascades atterrit devant le Board du CEB sous la présidence du Professeur Swaley Kasenally, les membres de cette institution, dont je fis partie, furent confrontés à une série de décisions délicates. Pour être viable, le projet de téléphérique SevenWaterfalls Horizons Ltd des Seetaram avait besoin d’un droit de passage conséquent sur les terres du CEB qui jouxtaient les leurs. Les cabines du téléphérique étant de la dimension d’un autobus, les structures métalliques aptes à les soutenir, nécessitaient une empreinte conséquente sur la forêt du CEB à Tamarind Falls. Le Board savait que cette forêt contenait un trésor naturel en guise de flore mondialement reconnue mais nous ne connaissions ni l’étendue ni la spécificité de cette richesse. Dans le doute, on s’abstient et la première réaction du Board fut de faire la sourde oreille pendant des mois aux appels de pieds que recevait notre malheureux Chairman de la hiérarchie politique. C’était moins de deux ans avant les élections de 2005 et Pravind Jugnauth était vice-Premier ministre et leader du MSM, alors que l’honorable Alan Ganoo était ministre MMM des Utilités publiques. M. Jim Seetaram, fils de M. Iswardeo Seetaram, ancien Speaker travailliste, se vit miraculeusement charmé par le parti Soleil où il allait vite devenir une étoile montante.

C’est à ce moment donc que, sans le moindre scrupule, la hiérarchie du MSM exerça une pression insoutenable sur le président du CEB afin que le Board approuve un contrat avec le Seven Waterfalls Horizons Ltd. Ce contrat allait permettre au MSM de soudoyer la famille Seetaram et d’obtenir leur allégeance politique chancelante, le fils Jim se portant candidat à Montagne-Blanche/ GRSE en juillet 2005. Comme on peut s’y attendre, le contrat soumis au CEB était aussi soucieux de l’environnement que s’il avait été rédigé par Attila, le Fléau de Dieu. Le conseil d’administration, conscient des enjeux, verrouilla à double tour le Lease Agreement pour protéger le patrimoine national. Le Board exigea ainsi, parmi d’autres conditions préalables à la ratification de tout bail avec les promoteurs, qu’un audit environnemental complet des terres du CEB aux Sept-Cascades soit entrepris par la Mauritius Wildlife Foundation (MWF). Il fut décidé que les découvertes significatives, en termes de trésors naturels, seraient mentionnées avec leurs coordonnées géodésiques au sein du Lease Agreement et que tout abus de nos trésors naturels deviendrait «sufficient ground for rescinding the lease».

Cet audit allait, entre autres, permettre au Board de découvrir que la forêt des Sept-Cascades était déjà connue et homologuée par le Watchdog international «World Conservation Union» (IUCN) qui l’avait inscrite sur la liste rouge des forêts contenant des espèces en danger. L’audit allait permettre de connaître l’existence et la position exacte de : 1) L’AlbiziaVaughanii,(IUCN Critically endangered) last reproducing individual of this critically endangered species ; 2) les quatre derniers Psiadia Cateractae (IUCN Critically endangered) ; 3) Les Polyscias Gracilis (IUCN critically endangered) dont deux des quatre derniers au monde sont sur les terres du CEB ; 4) Polyscias Paniculata (IUCN proposed critically endangered), deux sur les trois dernières espèces se trouvent à Tamarind Falls ; 5) 30 espèces de plantes endémiques et bien d’autres. Cette forêt abrite aussi la Crécerelle ainsi qu’une espèce de chauves-souris endémiques, le Pic-Pic et la grosse Cateau Verte.

Cet audit fut le fruit de la volonté concertée d’un conseil d’administration de corps para-étatique mauricien qui sut prendre ses corporate responsibilities au sérieux. Mais, si cet audit allait mettre au jour tant d’espèces endémiques en voie de disparition, il allait aussi révéler une espèce prolifique qui, tout en étant endémique à cette île, loin d’être menacée de disparition, foisonne chez nous comme la mauvaise herbe: le politicien manipulateur et opportuniste. Quand il apprit les intentions du Board, le ministre Ganoo eut l’outrecuidance de nous intimer l’ordre, par voie épistolaire, de ne pas aller de l’avant avec cet audit car il risquerait fort de mettre en péril l’avenir du projet des Seetaram. Le Board traita cette sommation ministérielle avec le mépris qu’elle méritait en l’envoyant au panier de l’Histoire.

06 June 2013

Ma perspective sur les récents aléas bancaires

Par Jean-Mée DESVEAUX
l'express du 6 juin 2013

La rue de la haute finance à Port-Louis.
 La Une de l’express du jeudi 30 mai a fait tressaillir les épargnants, petits et grands, qui confient leurs économies aux coffres jugés solides de nos banques commerciales. Le citoyen mauricien est habitué à recevoir une misère sur ses épargnes alors qu’il sait pertinemment bien que d’autres paient littéralement “through the nose” pour des emprunts pourtant sécurisés. Si cet état de choses a récemment poussé plusieurs épargnants dans les bras des Ponzi schemes de Madame Caba, la majorité des clients des banques acceptent stoïquement ce “spread” injuste, croyant qu’au moins, eux, ne jouent ni à la bourse ni à investir dans des hedge funds qui s’apparentent à des casinos.

Ils ont appris ce jeudi que quatre de nos institutions bancaires ont fait, il y a deux ans, des avances de Rs 3 milliards à quatre sociétés indiennes qui donnent des signes inquiétants, depuis 2012, de ne pas pouvoir ou de ne pas vouloir honorer cette dette. Ce montage visait à financer des opérations commerciales internationales en Inde.

Monsieur Bheenick, gouverneur de la Banque de Maurice (BoM), prend la chose avec un certain flegme. “Ce sont des choses qui arrivent. Il y a des clients qui sont des mauvais payeurs. Mais il est prématuré de dire que les quatre banques ont été arnaquées. Les mauvais payeurs existent. Il ne faut pas dramatiser les choses.” Il a déclaré à notre confrère Le Mauricien que “les problèmes rencontrés par des banques locales dans l’affaire des prêts non productifs octroyés en Inde ne mettent nullement en danger la solidité des banques locales, ni la robustesse du système bancaire mauricien.”

C’est le rôle du gouverneur de la BoM d’essayer de rassurer le public devant les erreurs de jugement commises par les institutions financières soumises à sa juridiction. Y a-t-il, cependant, dans ce que dit le gouverneur, matière suffisante à enrayer cette montée d’adrénaline qui, en Europe et en Grèce, récemment, a déclenché la ruée vers les banques qu’on appelle un bank run? Une telle ruée est généralement la douloureuse préface au long redressement financier qu’elle déclenche au sein du pays touché. Comme on le sait, tout système bancaire repose sur la démultiplication des fonds déposés, un peu, pour faire simple, comme le miracle de la multiplication des pains. L’axiome fondamental d’un tel système est que tous les clients ne viendront jamais opérer le retrait de leurs fonds en même temps, d’où le danger du bank run qui fait sauter ce verrou.

Il est remarquable que c’est le gouverneur de la BoM lui-même qui, en première instance, fragilise et remet en question ses propos visant à nous rassurer. Il déclare à notre confrère du Mauricien: “Normalement, dans le cas des crédits octroyés à des clients à l’étranger, les banques se livrent à une analyse minutieuse de leurs dossiers, évaluent leurs credit ratings et s’appuient sur les données présentées dans les dossiers introduits pour la circonstance par des…avocats d’affaires”. Mais alors, que s’est-il passé cette fois-là? Comment est-il possible que quatre de nos banques, chacune munie de ses grilles précises d’éligibilités dont nous connaissons la rigidité à Maurice, chacune avec ses experts in-house et ses consortiums de conseilleurs, sont toutes, simultanément, passées à côté de la plaque et se sont fait emberlificoter par ces quatre sociétés de la Grande Péninsule. Prête-t-on autant d’argent à ce niveau des finances internationales, sans les fameuses garanties collatérales que nous autres simples mortels devons impérativement présenter pour quelques centaines de milliers de roupies de prêts ? Si ces collatéraux et autres garanties existent comme ils devraient, pourquoi est-ce que le langage utilisé pour retrouver cet argent s’apparente plus à un fishing expedition telles que des « possibilités de montage d’une action en justice afin d’obtenir réparation » plutôt que de l’inexorable saisie à laquelle tout payeur mauricien en difficultés doit faire face au moment où une banque lui réclame son « pound of flesh».

Le mystère qui entoure ces Rs 3 milliards est tel qu’il exciterait la curiosité et rendrait méfiant le lecteur le plus placide. Le gouverneur refuse de « révéler les montants impliqués » à notre confrère. Si l’express est parvenu à obtenir cette information, aucun des deux journalistes, pourtant très sérieux, ne réussiront à découvrir l’identité des banques impliquées ni à identifier la hauteur des prêts. Les bribes que réussit à obtenir notre confrère, valent donc leur poids en or. On découvre ainsi à travers une pénombre mystificatrice que, parmi les quatre banques, sont impliqués : « un très gros opérateur de l’industrie locale » ainsi qu’une « filiale d’une banque étrangère » à hauteur (nous dit Le Mauricien) de Rs 1.8 milliards. Cette banque étrangère est la Standard Bank. Mais comme il n’y a, à Maurice, que deux « gros opérateurs » et que la State Bank of Mauritius (SBM) a déclaré à notre confrère qu’elle « n’a rien à faire avec ces cas de non remboursement de prêts », il eut été plus sage, plus transparent et plus rassurant de révéler l’identité du gros opérateur en question. Il ne peut s’agir que de la MCB ! Espérons que, dans cette « affaire regrettable » comme le qualifie le gouverneur, aucune des deux « petites banques » n’ait endossé un poids insurmontable qui pourrait mettre en cause sa stabilité.

Deux derniers points sur l’énigme de ce dossier. D’abord, un officiel de la SBM laisse entendre que sa banque « a changé de stratégie depuis environ deux ans en matière de cross border loans ». Quelle est donc la stratégie que les quatre banques concernées ont utilisée qui les rendraient plus aptes à être plumées que la SBM qui est bien placée car elle a des succursales en Inde? Puisque la SBM a changé de stratégie à cet égard depuis deux ans, la BoM est-elle au courant ? A-t-elle informé les autres acteurs de ces cross border loans des dangers inhérents à ces transactions ? Deuxièmement, homme précis dans son langage, le code que laisse échapper Monsieur Bheenick mérite qu’on y prête attention. Il a déclaré : « A la BoM, nous avons noté que le mécanisme de demande de crédits était plus ou moins identique dans les cas qui nous concernent ». Il ajoutera qu’il faudrait savoir si le soumissionnaire du dossier a agi de bonne foi ou a « apporté des affaires » en sachant très bien que ces affaires allaient causer des problèmes plus tard. A l’entendre, on ne peut s’empêcher d’appréhender que le remboursement des Rs 3 milliards à nos banques soit renvoyé aux calendes grecques.

Il n’est pas difficile d’admettre que nos banques ne sont pas des œuvres de charité patriotique. Serait-il cependant, insipide, à la lumière du sort de ces Rs 3 milliards, de demander si l’excédent de liquidité dont disposent nos institutions financières en empruntant à un taux réel zéro (net d’inflation) d’une vache laitière nationale, ne serait pas mieux utilisé en mettant ces fonds au service de nos entreprises manufacturières. La directrice des Ateliers Créatifs de l’Océan Indien Ltée, fabricants de maroquinerie de luxe, disait, cette semaine, que « le marché russe représente un fort potentiel pour notre catégorie de produits, mais encore faut-il avoir les moyens financiers pour développer ce marché, une fois les clients décrochés. Les banques commerciales ne soutiennent plus vraiment des entreprises manufacturières. »
Que l’épargnant qui nous a suivis jusqu’ici dans nos pérégrinations se rassure. Ce n’est pas demain que son piggy bank va se désintégrer et le soumettre, dans ses vieux jours, aux éléments incléments. Quel que soit le rôle qu’ait pu jouer sa banque dans la saga des Rs 3 milliards compromises, son institution financière comblera cette perte et affichera, en moins de deux, la santé financière arrogante que nos banques déclinent en milliards chaque année. Il trouvera, on espère, un réconfort certain dans le fait que cette superbe santé ne repose, en dernière ressource, que sur lui et ses semblables.