JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

06 June 2013

Ma perspective sur les récents aléas bancaires

Par Jean-Mée DESVEAUX
l'express du 6 juin 2013

La rue de la haute finance à Port-Louis.
 La Une de l’express du jeudi 30 mai a fait tressaillir les épargnants, petits et grands, qui confient leurs économies aux coffres jugés solides de nos banques commerciales. Le citoyen mauricien est habitué à recevoir une misère sur ses épargnes alors qu’il sait pertinemment bien que d’autres paient littéralement “through the nose” pour des emprunts pourtant sécurisés. Si cet état de choses a récemment poussé plusieurs épargnants dans les bras des Ponzi schemes de Madame Caba, la majorité des clients des banques acceptent stoïquement ce “spread” injuste, croyant qu’au moins, eux, ne jouent ni à la bourse ni à investir dans des hedge funds qui s’apparentent à des casinos.

Ils ont appris ce jeudi que quatre de nos institutions bancaires ont fait, il y a deux ans, des avances de Rs 3 milliards à quatre sociétés indiennes qui donnent des signes inquiétants, depuis 2012, de ne pas pouvoir ou de ne pas vouloir honorer cette dette. Ce montage visait à financer des opérations commerciales internationales en Inde.

Monsieur Bheenick, gouverneur de la Banque de Maurice (BoM), prend la chose avec un certain flegme. “Ce sont des choses qui arrivent. Il y a des clients qui sont des mauvais payeurs. Mais il est prématuré de dire que les quatre banques ont été arnaquées. Les mauvais payeurs existent. Il ne faut pas dramatiser les choses.” Il a déclaré à notre confrère Le Mauricien que “les problèmes rencontrés par des banques locales dans l’affaire des prêts non productifs octroyés en Inde ne mettent nullement en danger la solidité des banques locales, ni la robustesse du système bancaire mauricien.”

C’est le rôle du gouverneur de la BoM d’essayer de rassurer le public devant les erreurs de jugement commises par les institutions financières soumises à sa juridiction. Y a-t-il, cependant, dans ce que dit le gouverneur, matière suffisante à enrayer cette montée d’adrénaline qui, en Europe et en Grèce, récemment, a déclenché la ruée vers les banques qu’on appelle un bank run? Une telle ruée est généralement la douloureuse préface au long redressement financier qu’elle déclenche au sein du pays touché. Comme on le sait, tout système bancaire repose sur la démultiplication des fonds déposés, un peu, pour faire simple, comme le miracle de la multiplication des pains. L’axiome fondamental d’un tel système est que tous les clients ne viendront jamais opérer le retrait de leurs fonds en même temps, d’où le danger du bank run qui fait sauter ce verrou.

Il est remarquable que c’est le gouverneur de la BoM lui-même qui, en première instance, fragilise et remet en question ses propos visant à nous rassurer. Il déclare à notre confrère du Mauricien: “Normalement, dans le cas des crédits octroyés à des clients à l’étranger, les banques se livrent à une analyse minutieuse de leurs dossiers, évaluent leurs credit ratings et s’appuient sur les données présentées dans les dossiers introduits pour la circonstance par des…avocats d’affaires”. Mais alors, que s’est-il passé cette fois-là? Comment est-il possible que quatre de nos banques, chacune munie de ses grilles précises d’éligibilités dont nous connaissons la rigidité à Maurice, chacune avec ses experts in-house et ses consortiums de conseilleurs, sont toutes, simultanément, passées à côté de la plaque et se sont fait emberlificoter par ces quatre sociétés de la Grande Péninsule. Prête-t-on autant d’argent à ce niveau des finances internationales, sans les fameuses garanties collatérales que nous autres simples mortels devons impérativement présenter pour quelques centaines de milliers de roupies de prêts ? Si ces collatéraux et autres garanties existent comme ils devraient, pourquoi est-ce que le langage utilisé pour retrouver cet argent s’apparente plus à un fishing expedition telles que des « possibilités de montage d’une action en justice afin d’obtenir réparation » plutôt que de l’inexorable saisie à laquelle tout payeur mauricien en difficultés doit faire face au moment où une banque lui réclame son « pound of flesh».

Le mystère qui entoure ces Rs 3 milliards est tel qu’il exciterait la curiosité et rendrait méfiant le lecteur le plus placide. Le gouverneur refuse de « révéler les montants impliqués » à notre confrère. Si l’express est parvenu à obtenir cette information, aucun des deux journalistes, pourtant très sérieux, ne réussiront à découvrir l’identité des banques impliquées ni à identifier la hauteur des prêts. Les bribes que réussit à obtenir notre confrère, valent donc leur poids en or. On découvre ainsi à travers une pénombre mystificatrice que, parmi les quatre banques, sont impliqués : « un très gros opérateur de l’industrie locale » ainsi qu’une « filiale d’une banque étrangère » à hauteur (nous dit Le Mauricien) de Rs 1.8 milliards. Cette banque étrangère est la Standard Bank. Mais comme il n’y a, à Maurice, que deux « gros opérateurs » et que la State Bank of Mauritius (SBM) a déclaré à notre confrère qu’elle « n’a rien à faire avec ces cas de non remboursement de prêts », il eut été plus sage, plus transparent et plus rassurant de révéler l’identité du gros opérateur en question. Il ne peut s’agir que de la MCB ! Espérons que, dans cette « affaire regrettable » comme le qualifie le gouverneur, aucune des deux « petites banques » n’ait endossé un poids insurmontable qui pourrait mettre en cause sa stabilité.

Deux derniers points sur l’énigme de ce dossier. D’abord, un officiel de la SBM laisse entendre que sa banque « a changé de stratégie depuis environ deux ans en matière de cross border loans ». Quelle est donc la stratégie que les quatre banques concernées ont utilisée qui les rendraient plus aptes à être plumées que la SBM qui est bien placée car elle a des succursales en Inde? Puisque la SBM a changé de stratégie à cet égard depuis deux ans, la BoM est-elle au courant ? A-t-elle informé les autres acteurs de ces cross border loans des dangers inhérents à ces transactions ? Deuxièmement, homme précis dans son langage, le code que laisse échapper Monsieur Bheenick mérite qu’on y prête attention. Il a déclaré : « A la BoM, nous avons noté que le mécanisme de demande de crédits était plus ou moins identique dans les cas qui nous concernent ». Il ajoutera qu’il faudrait savoir si le soumissionnaire du dossier a agi de bonne foi ou a « apporté des affaires » en sachant très bien que ces affaires allaient causer des problèmes plus tard. A l’entendre, on ne peut s’empêcher d’appréhender que le remboursement des Rs 3 milliards à nos banques soit renvoyé aux calendes grecques.

Il n’est pas difficile d’admettre que nos banques ne sont pas des œuvres de charité patriotique. Serait-il cependant, insipide, à la lumière du sort de ces Rs 3 milliards, de demander si l’excédent de liquidité dont disposent nos institutions financières en empruntant à un taux réel zéro (net d’inflation) d’une vache laitière nationale, ne serait pas mieux utilisé en mettant ces fonds au service de nos entreprises manufacturières. La directrice des Ateliers Créatifs de l’Océan Indien Ltée, fabricants de maroquinerie de luxe, disait, cette semaine, que « le marché russe représente un fort potentiel pour notre catégorie de produits, mais encore faut-il avoir les moyens financiers pour développer ce marché, une fois les clients décrochés. Les banques commerciales ne soutiennent plus vraiment des entreprises manufacturières. »
Que l’épargnant qui nous a suivis jusqu’ici dans nos pérégrinations se rassure. Ce n’est pas demain que son piggy bank va se désintégrer et le soumettre, dans ses vieux jours, aux éléments incléments. Quel que soit le rôle qu’ait pu jouer sa banque dans la saga des Rs 3 milliards compromises, son institution financière comblera cette perte et affichera, en moins de deux, la santé financière arrogante que nos banques déclinent en milliards chaque année. Il trouvera, on espère, un réconfort certain dans le fait que cette superbe santé ne repose, en dernière ressource, que sur lui et ses semblables.

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