Rama Sithanen présentant son dernier budget en 2010. |
Par Jean-Mée DESVEAUX
L'express du 30 octobre 2013
PARMI les nombreux paramètres de
l’exercice budgétaire annuel, c’est le déficit budgétaire qui, à tort ou à raison,
vole la vedette. La réussite du Grand argentier à balancer son budget suscite
l’admiration de la population et celle des institutions internationales. Elle
reflète une nation/ maison bien rangée qui ne vit pas au-delà de ses moyens.
Mais rien n’est aussi simple en économie. En temps de crise et de récession,
par exemple, beaucoup d’experts pensent qu’il est malséant de diminuer trop
abruptement les dépenses de l’État à travers une politique d’austérité et une contraction
budgétaire. Cette discussion a fait rage lors de la crise de l’euro et la
débâcle de l’économie grecque. Ainsi, la règle d’or est souvent décrite comme «leaning
against the wind» : politique budgétaire restrictive (balance du budget ou même
un surplus budgétaire) en temps de surchauffe économique où la croissance est
au grand max. Inversement, une politique fiscale expansionniste (déficit budgétaire
souvent lié à des projets infrastructurels) lors des années de vaches maigres.
Mais manque de pot pour les pandits qui adhéreraient à la notion décrite plus
haut. Dans le cas de l’économie mauricienne, selon le Fonds monétaire
international (FMI), une impulsion fiscale positive du Grand argentier (déficit
budgétaire discrétionnaire) n’aura qu’un impact limité sur la croissance
économique nationale. Ceci est dû au fait que le «fiscal multiplier» (la
croissance excédentaire induite par une injection de fonds du gouvernement dans
l’économie réelle) n’est que très faible dans une petite économie ouverte au reste
du monde quand elle pratique, comme Maurice, un régime de taux de change flexible.
Qu’en est-il sur le terrain
frustrant de la réalité ? Sous l’impulsion du FMI et de ses fidèles
partenaires, Rama Sithanen (2009/2010) et Ali Mansoor jusqu’à tout récemment,
ces cinq dernières années ont invariablement révélé une courbe descendante en
ce qui concerne le défi cit budgétaire. 3,9 % du Produit intérieur brut (PIB) (2009),
3,2 % (2010), 3,2 % (2011), 2,5 % (2012) et une volonté affichée de faire
pareil, en 2013, avec 2,2 % du PIB. Il s’avère donc que le niveau du déficit budgétaire
est le point focal qui attirera l’attention lors de la lecture du troisième
budget de Xavier-Luc Duval, cette année. Toute velléité d’un déficit budgétaire
qui se démarquerait de cette trajectoire à la baisse sera le signal d’un
relâchement de la politique économique rigoureuse poursuivie jusqu’ici. Dans
une île Maurice où le laisser-aller et la mauvaise gouvernance sont en deçà de
tout ce que cette malheureuse République a jamais connu en 45 ans d’existence,
les affaires économiques du pays ne s’en sortaient quand même pas trop mal car
elles adhéraient solidement aux rails sécurisants du FMI. Une preuve de ce bon
management est, qu’en matière économique, l’opposition n’a eu d’autre choix que
d’agir, durant toutes ces années, en tout point, comme une opposition
décidément loyale, n’ayant absolument aucune alternative à suggérer, à part
quelques petites pointes de démagogie. Maintenant que le Roi Soleil a viré le
dernier rempart économique qu’était Ali Mansoor, l’envie de prendre les
affaires économiques de l’État entre ses mains hautement malhabiles pourrait le
distraire de ses occupations régaliennes moins astreignantes. Si cela
s’avérait, tout diplômé de la London
School of Economics qu’il soit, le pays serait vraiment très mal barré face
au déluge que laissent derrière elles de telles figures historiques. Dans ce cas,
tel le mercure à l’approche d’une violente tempête, l’indice infaillible à
scruter sera bien la direction du déficit budgétaire. S’il continue à
descendre, ce sera le soupir de soulagement, sinon attention aux dégâts.
Ceci est d’autant plus vrai que la
hantise que causent les déficits de l’État est directement liée au poids de la
dette publique que chaque budget déficitaire vient grever davantage. La dette
publique a, comme on peut s’y attendre, suivi la courbe descendante des déficits
budgétaires ces dernières années. De près de 75 % du PIB en 2003, elle a été de
60 % en 2009 et de 56 % à la fin de l’année 2012. La dette publique est
associée à certains paliers prudentiels reconnus sur le plan international.
Ainsi, beaucoup sont d’accord qu’une dette au-delà de 60 % du PIB n’est pas
soutenable sur le long terme. Il faut dire que la Grèce, par exemple, flirtait
avec les 170 % du PIB quand elle fut prise en charge par les institutions
européennes. Dans le cas de la «small open economy» mauricienne, avec ses aléas
et ses spécificités, le ministère des Finances considère que le «sustainability
risk threshold» serait une dette de 50% du PIB. Ainsi, en 2008, alors que Rama
Sithanen était ministre des Finances, le gouvernement travailliste fi t voter
la Public Debt Management Act (PDMA) qui imposa un plafond de 60 % du PIB à la
dette publique en 2017, allant à une réduction à 50 % après 2018. Cette
consolidation fiscale présume un surplus budgétaire de 1% par an, à partir de
2015. Loin de jubiler devant
tant de bonne volonté, le FMI veut voir le pays aller encore plus loin dans sa
consolidation fiscale : «As a financial centre, Mauritius might need larger policy
buffers to respond to shocks and recommends continuing to target structural
primary surpluses after 2018 to gradually reduce public debt levels to 40
percent of GDP to further reduce vulnerabilities to adverse developments in
capital markets, help address external imbalances, and strengthen policy
buffers».
On peut en tout cas admirer la présence
d’esprit du FMI et de ses alliés fidèles durant leur passage aux Finances. Ils
ont laissé derrière eux une camisole de force autour de l’économie mauricienne
pour l’astreindre à la vertu. Ces mesures peuvent bien sûr être contournées. La
PDMA peut être abolie et la dégringolade vers l’enfer économique peut alors
recommencer mais tous les signaux sont en place pour nous permettre de suivre le
virage vers le mal-être économique si d’aventure la mauvaise gouvernance de ce
gouvernement travailliste descendait jusque-là.