Les riches échanges entre la
Banque de Maurice (BoM) et le ministère des Finances (MoF) contiennent
suffisamment d’enseignements économiques pour remplir tout un symposium.
Beaucoup de commentaires éclairés ont été faits ici et ailleurs mais, bien que
nous n’ayons pas nécessairement tout lu, il reste quelques créneaux
intéressants qui n’ont peut-être pas jusqu’ici obtenu l’attention qu’ils
méritaient.
Le joug du FMI
La première constatation est
simple, limpide et implacable. L’île Maurice a abandonné toute velléité, même
la plus ténue, du sens de souveraineté nationale. Le Fonds monétaire
international (FMI) ne se contente plus de conseiller la République, mais coupe
et tranche là où il faut, et n’hésite pas, en passant, à rabrouer les leaders
de nos plus prestigieuses institutions nationales qui, eux, n’aspirent qu’à
obtenir son soutien dans la guerre fratricide qu’ils se livrent. Nous ne
devrions nullement laisser cette entorse à la fierté nationale nous pousser à
la déprime. Les Européens l’ont subi lors de la création de l’euro en 1999. Du
reste, puisque le réel objectif est que les vaches financières (donc sacrées)
soient bien gardées, que ce soit par le FMI, Manou ou Xavier, la différence est
académique. Si on pouvait en faire autant au niveau politique, le pays serait
probablement sauvé. Ce que cela change par contre, c’est que l’observateur de
la chose économique doit aujourd’hui scruter le comportement du FMI, le réel
décideur, plutôt que celui de nos mandarins devenus des marionnettes.
Quelle relation entre
l’épargne nationale et le Repo rate ?
Ainsi, selon le ministère des
Finances, le chef de mission du FMI aurait déclaré «que c’est un fait
accepté dans le monde entier qu’il n’y a aucune relation de cause à effet entre
des taux d’intérêts élevés et un niveau élevé de l’épargne.» Cette phrase
est équivoque. Elle n’est pas aussi dénuée de fondement que celle du Gouverneur
de la BoM qu’elle vise à contredire. Manou Bheenick avait déclaré, avec
l’exagération de celui qui veut convaincre, que «le Repo Rate est
directement responsable du taux d’épargne.» Le FMI semble prétendre
qu’aucune relation n’existe entre l’épargne nationale et le taux d’intérêt
directeur du pays, alors que le Gouverneur décrit la relation entre ces deux
variables comme si elle était analogue à l’attraction d’un corps céleste par un
autre. L’économie n’est tristement pas une science exacte où la «relation de
cause à effet» a droit de cité. Ici, on
parle de corrélation (positive ou négative), et la première chose qu’on
apprend est que corrélation n’équivaut pas à causation. Donc, réinterprété, M.
Bheenick semble dire que la corrélation entre le Repo et la fameuse «propensity
to save» de Keynes est «parfaite». En terme économétrique, cela
voudrait dire qu’une régression linéaire démontrerait que tout changement au Repo
rate «expliquerait» à lui seul un changement correspondant au taux
d’épargne nationale. Même cette position «adoucie» est encore exagérée
quand on sait qu’il y a beaucoup de facteurs qui influent sur le taux
d’épargne, tels la motivation des banques de «pass through» la hausse ou
la baisse, le taux d’endettement de la population en question, la balance
commerciale du pays avec l’extérieur, entre autres. En ce qui concerne le chef
de mission du FMI, réinterprétée, sa déclaration veut tout simplement dire que
le taux directeur ne peut à lui seul expliquer le taux d’épargne national, et
que plusieurs variables y jouent un rôle, dont le Repo. Il ne dit pas ce
qu’on aurait été tenté de comprendre en dehors du contexte : que le taux
directeur (ici le Repo) n’a, internationalement, aucune corrélation avec
le taux d’épargne. Dans ce contexte, on ne peut rien trouver à redire avec
l’hypothèse d’une corrélation suggérée par le Gouverneur entre le rendement
négatif des dépôts en banque (intérêts en deçà du taux d’inflation) et un taux d’épargne national anémique à 13 % du
GDP.
Mirage inflationniste ?
Le FMI, selon le MoF encore,
aurait été favorable à une baisse du Repo dans le contexte actuel. Cela
est, pour dire le moins, inconsistant. Le FMI avait effectivement recommandé
que la BoM s’engage dans la voie d’une «explicit inflation targetting»
en vue de réduire la différence entre le taux d’inflation existant à Maurice et
celui prévalent au sein de nos partenaires commerciaux. Avec les 5,1 % du year
to year inflation en janvier, les ministres des Finances de France (CPI
0,65 %), du Royaume Uni (1,9 %), de
Singapour (1,4 %), des Etats-Unis (1,6%)
et de l’Australie (2,7%) auraient eu du mal à retenir leur portefeuille
ministériel. L’attitude du FMI est
d’autant plus étonnante que son «Staff Report for 2013 Article 1V
consultation», fait référence à une étude qui confirme l’existence d’une
relation «statistically significant» entre le Repo et l’inflation
à Maurice, alors que la même étude a trouvé que la relation entre le Repo
et le GDP était statistically insignificant. En d’autres mots, la baisse
du Repo prônée par le FMI aurait exacerbé notre inflation sans pour cela
exercer un impact positif sur la croissance annuelle du pays !
La relation nébuleuse entre
l’épargne, le déficit du compte courant et l’excès de liquidité
Les échanges entre la BoM et le
MoF auront permis au lecteur assidu de comprendre qu’une relation nébuleuse
existe entre l’épargne nationale, le déficit du compte courant, la liquidité du
système monétaire, les emprunts du gouvernement et les investissements
étrangers vers Maurice. Essayons de mettre un peu d’ordre dans ce fouillis. Le
déficit commercial (export moins import) a une répercussion directe sur le
déficit du compte courant. Maurice accuse, en moyenne, quatre à huit milliards
de roupies de déficit commercial mensuellement. Ce n’est donc guère étonnant
que le compte courant s’enlise autour d’un déficit dépassant 10 % du PIB
(malgré notre performance dans le tourisme et autres services) car, dans une
discipline où il existe très peu de certitudes, le dismal science qu’est
l’économie réussit à établir une identité ici. Le déficit du compte courant est
égal à la différence entre l’épargne nationale et l’investissement du pays.
Donc, la propension à l’épargne diminuant de façon anémique à 13% du PIB, alors
que l’investissement reste relativement plus stable (22 à 25 % du PIB), le
déficit du compte courant s’est ainsi creusé. Ce trou du compte courant doit
être contrebalancé (remblayé) de façon exacte par un surplus du côté du Capital
Account. Ce «remblais» peut prendre plusieurs formes. On a vu que le
gouvernement a, ces derniers temps, augmenté ses emprunts de l’extérieur
(suivant ainsi le conseil du FMI), alors que, jusqu’à tout récemment, notre
dette nationale (aujourd’hui Rs 58 milliards à l’étranger et Rs 162 milliards)
était davantage axée sur l’emprunt au niveau local. La BoM avait critiqué ces
emprunts à cause de la liquidité qu’ils créent sur le marché monétaire.
D’autres intrants considérés comme hautement « vertueux» comme
le net FDI inflow (3 % du GDP en
2010 et 1,6 % en 2011) causent aussi le même excès de liquidité sur le marché
monétaire, et ce n’est pas pour cela qu’on découragerait le Foreign Direct
Investment (FDI). Moins vertueux sans aucun doute et très volatile, les inflows
dus à l’offshore atteignaient 7,8 % en 2011. Une réponse à ces excès de
liquidité est de les éponger ou de les stériliser à travers les instruments de
la BoM et du ministère des Finances.
Ce que cache le cash
reserve ratio
Nous consacrons cette dernière section à un sujet qui aurait pu, à lui seul, prendre
plusieurs colonnes hebdomadaires : le Cash Reserve Ratio
(CRR). Pour des besoins prudentiels
aussi bien que pour faciliter sa politique monétaire, une banque centrale
demande aux banques commerciales de conserver dans leurs coffres une
portion (inutilisée) de chaque roupie que dépose un épargnant chez elle. Ce
pourcentage variait dans les années
80/90 entre 20 % et 30 %. Donc, si on prend 30 %, la banque chez qui l’épargnant déposait sa
roupie ne pouvait prêter que 70 sous, ayant l’obligation de conserver les 30
sous restant dans ses coffres ou chez la BoM sans aucun rendement. Le money
multiplier prend donc la forme suivante : les 70 sous prêtées à un
emprunteur retourneraient à la banque (car personne ne les conservera sous son
matelas). A l’occasion de ce deuxième tour, seules 49 sous (70 % de 70 sous) peuvent être
nouvellement offertes par la banque en prêt à un deuxième emprunteur, et ainsi
de suite. Il n’y a pas très longtemps, les banques de par le monde ayant réussi
à convaincre leurs autorités monétaires que le CRR était exagérément élevé, une
baisse du CRR a permis à ces institutions financières de tirer une rémunération
sur un argent qui dormait jusque-là pour des raisons prudentielles qui étaient
loin de les inquiéter, mais qui leur coûtait quand même ce que coûte le loyer
de l’argent. Ainsi, à Maurice, le taux varie ces derniers temps autour de 6 à 7
%.
Excès de
liquidité
On peut maintenant comprendre la notion
d’ «excès» de liquidité. Est en excès toute liquidité qui est
au-delà de ce que les banques sont forcées par la BoM de conserver «inutilement» dans leurs
coffres. Un communiqué de la BoM du 26 septembre dernier faisant état de la
situation monétaire aide à éclairer le débat. Sur un Deposit Base, au
sein des banques, de Rs 315 milliards, le «average cash balance held»
dans les coffres était de Rs 27milliards (8,6 %), alors que le « minimum
cash balance » (représentant les besoins du CRR) n’était que de Rs 22
milliards (6,7 %). La liquidité moyenne dans les coffres-forts bancaires
dépassait ainsi le mandatory requirement du CRR de Rs 5 milliards. Cet
excès, dont personne ne semble vouloir, contrairement à la tomate de Xavier,
peut être vu comme une patate chaude dont les banques veulent à tout prix se
débarrasser au plus vite. Pour ce faire, les banques rivalisent férocement
entre elles pour acheter des liquid assets (qui visent à éponger ces
excès) tels les BoM bills et notes, ou les 91-day treasury
bills. Cela descend leur yield, qui est en relation inverse à leur
coût. Cette motivation des banques exerce également une pression à la baisse
sur le overnight interbank borrowing rate (2,5 %), qui ne peut décoller
pour rejoindre les 4,65 % du Repo Rate. Le FMI considère que ce
phénomène expliquerait en grande partie le fossé entre les taux du loyer de
l’argent appliqué par les banques.
Ce que
cache le «Cash Reserve Ratio»
Le CRR ne
devrait-il pas être rehaussé, quand on sait que chaque pourcentage à la hausse
enlèverait Rs 3 milliards ou plus de surliquidité du circuit monétaire
(dépendant du deposit base du moment au sein des banques) ? C’est
en effet ce que la BoM a fait en février 2011 (hausse de 6 % à 7 % du CRR) et
le 4 octobre 2013 (de 7 % à 8 %), le lendemain de la pénultième défaite de
Manou Bheenick au Monetary Policy Committee. Cela a permis à la BoM
d’éponger la surliquidité on the cheap quand on compare cela avec les
instruments coûteux de son attirail monétaire. Cela éviterait aussi d’avoir à
faire la manche devant le ministère de Xavier. Aujourd’hui que la surliquidité
est encore plus menaçante que jamais, ne devrait-on pas conclure que le CRR à 8
% est structurellement en-dessous de son equilibrium level pour une
économie mauricienne qui est à la merci des caprices monétaires (FDI, emprunt
du GoM en devises, offshore, résilience financière de la BoM) qu’on a vu en
haut ? Si cette question ne peut être posée en ce moment c’est
qu’entre-temps, Xavier-Luc Duval a, pour balancer son budget, quelque peu grevé
la profitabilité des banques locales en leur imposant un alourdissement et une
prolongation d’impôts « temporaires».