JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

13 September 2006

Beyond Freedom and Dignity

l'express du 13/09/2006

Par Jean-Mée DESVEAUX

Qui ne rêve pas d’une île Maurice où il ferait bon vivre ? Où le juste serait récompensé , le méchant puni, où les enfants ne seraient pas soumis aux sévices sexuels des monstres qui les torturent et où, petits et grands, riches et pauvres, nous pourrions enfin regarder l’avenir avec confiance dans la conviction que les normes qui gouvernent notre société et notre mode de vie sont claires, justes, équilibrées, acceptables et acceptées de tous.

Les éternels optimistes, ceux qui croient en l’au-delà, nous diront qu’à cela ne tienne, le manque de ferveur et de croyance dans une volonté divine est la source même de tous les malheurs et des calamités qui s’abattent sur notre fragile société insulaire. Pour ceux-là, une dose additionnelle de métaphysique effacerait tous nos maux. Il est triste cependant de constater que, testée sur le terrain comme il se doit pour des hypothèses de ce genre, le constat brutal est que cette ligne de pensée ne tient pas la route. L’île Maurice regorge de religions et de religiosité (la cinquantaine de millions que l’état dépense sur les hommes de tous les dieux de la terre en atteste) mais elle n’est pas plus morale pour cela.

Vient ensuite l’humaniste qui, refusant comme le religieux avant lui de reconnaître l’échec auquel le voue l’objet de sa dévotion, postule un homme libre, transcendant toutes les faiblesses de sa chair ; un homme attaché à des valeurs intrinsèques de noblesse d’âme, de loyauté, de parole donnée donc sacrée. La viabilité de cette posture philosophique est encore plus compromise quand on la teste sur le terrain. Toute cette lâcheté, cette cupidité, cette petitesse d’esprit et de cœur qu’il trouve à chaque coin de chemin sont autant de pierres qui s’échappent de l’édifice qu’il voudrait bâtir à cet homme-dieu tout-puissant.

Vient enfin la réponse qui blesse de par son manque de grandiloquence et son insolente justesse. Cette réponse provient de la science qui, pour déchiffrer le mécanisme de son comportement, replonge l’humain (tantôt “paragon of animals” et tantôt “quintessence of dust” Shakespearien), au sein même de la meute auquel il appartenait encore il n’y a pas si longtemps. La thèse appartient à B.F Skinner, le père du Behaviourism (la science du comportement) qui le développe dans son opus : Beyond Freedom and Dignity. La société est un grand laboratoire. Les hommes qui le peuplent comme autant de souris, de pigeons et d’autres macaques ont un comportement hautement prévisible car causalement déterminé. Ce comportement peut être changé à volonté par le laborantin de façon aussi prévisible que scientifiquement explicable. Tout dépend du “régime” de renforcement positif (carotte) ou renforcement négatif (bâton) avec lequel le laborantin récompense l’acte et de la consistance avec laquelle il suit chaque comportement. Ce qu’il faut retenir c’est que la valeur “morale” du comportement n’a absolument aucun rapport avec le comportement qui va émerger, d’où le titre de Skinner qui suggère que “liberté” et “dignité” sont de vaines notions totalement hors de propos dans la problématique du comportement.

On aura compris que nous sommes dans le domaine du conditionnement appelé “learning theory” en psychologie. Cependant, contrairement au chien de Pavlov, le renforcement est ici plus complexe, car il s’opère après l’acte et est du reste appelé Operant Conditioning. On accompagne un comportement qu’on juge désirable et qu’on souhaite donc pérenniser d’une récompense - “renforcement positif”. Si on veut décourager tel autre comportement qu’on juge indésirable, on le fera suivre d’un renforcement négatif (punitif), et, à terme il disparaîtra (extinction). La portée de la thèse de Skinner est queles comportements qu’une société aura décidé de récompenser sont ceux-là mêmes qui vont survivre en son sein et inversement pour ceux auxquels elle aura décidé de ne plus donner de cours qui disparaîtront. Il s’agit donc dans ce petit laboratoire mauricien où nous vivons de déchiffrer le signal que le laborantin nous donne quant aux comportements désirables et ceux qui le sont moins au sein de notre société

L’histoire des trente dernières années est riche en leçons de ce genre et les renforcements sociétaux qui ont suivi les événements que nous allons décrire ont, à ne pas en douter, eu une répercussion profonde sur notre psychique national et expliquent de manière causale et scientifique le comportement des Mauriciens que nous prétendons ne pas comprendre en 2006. La primeur revient sûrement au traitement sociétal que reçut Gaëtan Duval, l’homme de tous les excès, politicien de génie, chevalier de sa Majesté britannique, grand avocat quand sa grande perspicacité lui démontra que le rival néophyte devait être éliminé s’il voulait conserver le “royaume” par lui menacé. Il y eut mort d’homme dans ce premier crime politique retentissant du pays. Le pays accourut à sa cause devant un Etat qui clamait justice et son “pound of flesh”. Après un court séjour en cachot, il ne fut pas plus inquiété, continua sa vie de parlementaire, d’homme de loi et de grand tribun. Ses obsèques furent les plus fiévreusement accompagnées par un peuple mauricien en délire. On ne put, devant un tel traitement espérer “éteindre” un comportement aussi célébrement récompensé. Le signal fut compris. La vie de Sir Anerood Jugnauth fut, elle aussi menacée, ainsi que celle du Dr Navin Ramgoolam, ce dernier par l’escadron de la mort auquel nous reviendrons.

Il y eut aussi cet événement de marque autour de la personnalité d’un très haut commis de l’Etat, lui aussi chevalier de sa Majesté la reine britannique. Homme extrêmement puissant de par sa position auprès du Premier ministre d’alors, accusé avec des preuves accablantes de s’être débarrassé de sa famille, il passa de longs mois dans le confort d’une prison aménagée pour lui où il célébra son anniversaire en grande faste. Il vit aujourd’hui dans l’opulence et la douceur auxquelles les vices de procédures et autres points de droit technique lui donnent droit. Le drame avait si fortement marqué le psychique national que les leçons de cette épisode sont aujourd’hui bien protégées de l’usure du temps, ayant atteint leur statut de légende au sein de notre séga national : “Alime dife” ! Là encore, comme on peut le constater dans les journaux de tous les jours, il y eut beaucoup d’émules. Ceux-là ne comprirent cependant pas pourquoi, eux ne réussissent pas toujours de “Mo montre li ki moi !”.

Puis, somme toute moins sanglant, survinrent une série de crimes hautement crapuleux mais dont la nature “col blanc” allait, dès le départ, établir un ton modéré qui laissait prévoir qu’ici non plus la notion de “measure for measure” n’allait pas être la stratégie nationale utilisée. Le Mauricien tout à fait désabusé, sachant que des hommes politiques puissants de tous les partis avaient été impliqués par le seul protagoniste qui, de toute évidence avait décidé de se racheter, savait que l’affaire était dans le sac. Le chevalier de la reine, encore un, attend sereinement un dénouement que tout le monde connaît ; un autre est jugé trop malade pour être si durement traité alors que celui qui s’est racheté, en retournant le butin mal acquis et dénonçant ses complices, pourrit en prison. Inversion symétrique remarquable du régime de renforcements.

Un peu dans le style du précédent, il y eut l’affaire MCB avec ses Rs 800 millions de roupies de perte sèche. Là encore le protagoniste principal avait tiré son épingle du jeu en haussant les enchères et disant clairement aux sommités politiques que s’il tombait il les tirerait avec lui. Il reçut immédiatement son statut de témoin de la couronne et ne fut plus inquiété. Celui qui profita le plus du plus grand scandale financier du pays campe sur ses actifs londoniens et fait un magnifique pied de nez aux autorités qui ne semblent pas très impatientes de le voir déballer son sac au pays natal. Le patron de l’Independent Commission against Corruption a promis que l’affaire n’est pas classée mais comme il a fallu six ans pour parcourir le tiers des dossiers, l’exercice prendra fin dans 12 ans et les protagonistes principaux ont ainsi de grandes chances de finir pieusement leur jour dans le confort familial, loin de la paille humide du cachot. Ici encore l’inversion symétrique du régime de renforcement fut remarquable. Deux des managers victime du crime subirent l’infamie d’être accusés de complicité.

Il y eut l’escadron de la mort qui débuta avec un objectif défendable bien que mal éclairé d’apporter un jugement aux marchands de la drogue. Il y eut ensuite une évolution vers un escadron crapuleux et des assassinats politiques s’ensuivirent. Toutes les indications pointèrent vers un seul homme qui fut mis en prison pendant de long mois. Le “deus ex machina” de la justice mauricienne, le fameux vice de procédure ou la décision du Directeur des poursuites publiques (DPP) fit de lui un homme libre… jusqu’à ce que les soupçons d’une récidive resurgissent. L’homme est aujourd’hui avec sa famille en asile politique en Arabie saoudite car, il paraît que Maurice est devenu un nouveau Guantanamo avec des tortionnaires G.I.’s qui sanctionnent tout ce qui respire la foi musulmane.

Une petite perle pour finir. Un parlementaire, bouillant homme de loi fut accusé par des confrères et son homme de main d’avoir ourdi un complot pour attaquer un juge et lui trancher le bras de sorte qu’il ne puisse plus écrire ses jugements jugés injustes par notre homme. Le Conseil privé de la reine a, en toute justice, jugé qu’il doit être libre jusqu’à ce que le jugement ait lieu. Son homme de loi, une sommité du barreau avait trouvé qu’on avait tendance au pays de trop victimiser “piti la”. En attendant son jugement il plaide devant les mêmes juges qui l’inspirent le respect qu’on connaît. Son ex-partenaire le notaire Deelchand a lui aussi rejoint sa charmante demeure où il attend sereinement un prochain vice de procédure qui entraînera son nole prosequi.

Skinner nous dirait que dans ce laboratoire mauricien, les comportements qui ont prévalu durant ces trois décennies sont, à ne pas en douter, ceux que la société mauricienne et toutes ses infrastructures légales et sociales ont sciemment encouragés. Le besoin de parcimonie nous empêchant de couvrir les épisodes Choonee, Dulull et les cas de corruptions flagrantes, on est tenté de conclure qu’au vu du comportement encouragé au sein de la société mauricienne, ce qui étonne vraiment c’est que le pays ne soit pas dans de plus mauvais draps. Dans ce laboratoire on ne récolte que ce qu’on sème.