l'express du 16 septembre 2013
La recommandation de la Commission de pourvoi en grâce au président de la République est tombée la semaine dernière. Les condamnés de l’Amicale ne seront pas graciés. Cet événement ésotérique fait suite à une séquence de décisions non moins abstruses. Mais les enjeux sont bien trop importants, car il y va de la pérennité d’une société juste et démocratique, pour que les questions ainsi soulevées ne soient l’objet d’un débat éclairé et dépassionné. La trame de ces événements acquiert, de plus, une dimension politico-judiciaire, avec la posture du MMM vis-à-vis des condamnés. L’autre dimension omniprésente de ce dossier demeure la mort atroce qu’ont connue nos sept compatriotes innocents. Ce leitmotiv nous rappelle le respect et le sérieux avec lesquels ce dossier mérite d’être traité.
La première chose à établir est que la Commission n’est pas une instance juridique malgré l’apparence que lui affuble un président qui fut chef juge. La Commission émane de l’exécutif et intervient après que le président de la République a été saisi d’un pourvoi ou demande de grâce. Une telle requête intervient quand les voies purement juridiques ouvertes au condamné ont échoué ou ont été épuisées. Mais ce qui importe de savoir c’est que ce n’est pas une instance d’appel. La grâce intervient alors même que la culpabilité du condamné n’est nullement remise en question. Inversement, si un condamné veut prouver son innocence, la Commission n’est pas l’instance à saisir. Comme le dit la Law Reform Commission of Mauritius (LRC) en novembre 2012 : «If he or she is innocent, it would be difficult to justify why he or she should need to be pardoned pursuant to the prerogative of the executive».
Dès lors, on réalise qu’un membre de la famille d’un condamné n’a nullement besoin d’apporter des preuves pour accompagner sa demande qu’un proche soit gracié. Il n’existe pas de critère spécifique pour faire une demande. La soumission du rapport «Wrongly convicted» de Me Valayden devant cette instance était intéressante mais superflue. Que la Commission ait commenté le rapport, en passant, est un bonus, car cela nous apprend que la vérification des preuves alléguées dans le rapport impliquerait un travail gigantesque qui dépasse, de loin, les ressources de la Commission. Que la Commission suggère aussi que «ces preuves» soient soumises au Criminal Appeal Act 2013 opérant sous ses critères de «fresh and compelling evidence» ne peut manquer de nous éclairer sur l’appréciation qu’a faite la Commission de ce document.
Dès lors, on réalise qu’un membre de la famille d’un condamné n’a nullement besoin d’apporter des preuves pour accompagner sa demande qu’un proche soit gracié. Il n’existe pas de critère spécifique pour faire une demande. La soumission du rapport «Wrongly convicted» de Me Valayden devant cette instance était intéressante mais superflue. Que la Commission ait commenté le rapport, en passant, est un bonus, car cela nous apprend que la vérification des preuves alléguées dans le rapport impliquerait un travail gigantesque qui dépasse, de loin, les ressources de la Commission. Que la Commission suggère aussi que «ces preuves» soient soumises au Criminal Appeal Act 2013 opérant sous ses critères de «fresh and compelling evidence» ne peut manquer de nous éclairer sur l’appréciation qu’a faite la Commission de ce document.
La Commission avait une palette de choix d’où puiser sa recommandation au président : elle pouvait accorder un pardon total, un pardon sous certaines conditions, un sursis pour une période définie (nombre d’années) ou indéfinie. Elle aurait pu aussi recommander que la peine imposée soit substituée par une sanction moins sévère. Mais de toute cette palette, la Commission de sir Victor Glover a retenu l’option la plus austère : aucune intervention du président.
Qu’est-ce qui a motivé ce choix sévère ? La Constitution ne spécifie pas les critères à appliquer dans ces cas-là. Une approximation nous amène à la liste de critères cités par Lord Bingham of Cornhill dans le jugement en appel du Privy Council dans le cas de Boucherville v The State of Mauritius (2008).
«In determining the sentence which a detainee has yet to serve, various factors might be taken into consideration, including pure retribution, expiation, expressions of the moral outrage of society, maintenance of public confidence in the administration of justice, deterrence, the interests of victims, rehabilitation and, last but not least, mercy.»
Le lecteur choisira le critère qu’il pense avoir pesé dans la balance de la Commission. Nous ne le saurons jamais. Cependant, devant l’événement qu’a été pour ce pays l’épisode tragique de l’Amicale, je pencherais personnellement pour «expressions of the moral outrage of society».
C’est avec ce même outrage qui imprégnait l’île Maurice en 1999, au-delà des clivages ethniques, que la société civile mauricienne doit abandonner sa torpeur et appréhender la récupération cruelle que fait Monsieur Bérenger du destin tragique des condamnés de l’Amicale à des fins bassement politiques. Après l’alliance du scandale du siècle, cette nouvelle initiative du leader du MMM démontre non seulement l’absence de convictions réelles mais surtout le manque d’initiatives pratiques qui lui permettraient de reconquérir le pouvoir de façon honorable. En panne d’idée sur un nouveau projet de société, incapable de se remotiver, paniquant devant le temps qui s’écoule, il s’adonne à des subterfuges qui lui auraient donné la nausée il n’y a pas si longtemps. Paul Bérenger «rushes in where judges fear to tread». Cet élu ne démontre plus le moindre respect pour la séparation des pouvoirs qui devrait l’empêcher d’empiéter sur les prérogatives du judiciaire. Il avait déjà franchi toutes les lignes rouges en lançant « un appel solennel à la Commission de pourvoi en grâce au sujet de l’affaire l’Amicale».
Maintenant que la Commission a traité son appel avec le mépris qu’il méritait, il s’arroge le droit de commenter la décision de cette instance constitutionnelle. Il a ainsi déclaré que «même le langage utilisé est terriblement cruel vis-à-vis des condamnés et des concernés». Ce membre du législatif n’a pas rougi quand, avec une arrogance intellectuelle qui accroît avec les années, il devient la sagesse infuse du Privy Council, de la Commission de pourvoi en grâce, de la cour d’appel de la Cour suprême et déclare donc, sa «conviction» que les quatre condamnés de l’Amicale sont innocents. Nous ne pouvons donc être étonnés, alors même que sir Victor Glover ne pouvait sonder les innombrables allégations du document «Wrongly convicted», que le leader mauve, lui, a tout parcouru, tout souligné, tout compris, tout vérifié et contre-vérifié, de sorte que le jour même où il regagne le pouvoir, les condamnés de l’Amicale seront libérés sans autre forme de procès. On est tenté de conclure que Monsieur Bérenger prend une pente qui fera de lui, très vite, un danger encore plus grand pour le pays que n’est déjà the present incumbent ! Et ça, il faut le faire !
Mais, donnons à Paul Bérenger plus de crédit qu’il ne donne aux institutions du pays et arrêtons-nous aux arguments qu’il avance dans ses moments de lucidité, loin du podium électoral. La première suggestion du leader mauve a trait au système de filtrage en amont de la Cour suprême sous le Criminal Appeal Act 2013. Un tel système vise à faire un tri avant que les applications en appel n’atterrissent à la Cour suprême. Le but est d’éviter que la population entière de la prison de Beau-Bassin n’aille encrasser l’emploi du temps chargé de nos meilleurs juges. Le Premier ministre (PM) n’avait pas opté, à l’origine, pour un filtrage des cas de condamnés qui se prévaudraient du nouveau droit d’appel. Sous l’argumentation de l’opposition MMM, de guerre lasse, il permit à la Commission des droits de l’homme de jouer ce rôle. L’opposition a prouvé, sans l’ombre d’un doute, que cette Commission est on ne peut plus inapte dans le contexte actuel. Cependant, dans l’esprit du PM, le réel travail se faisant en aval au niveau de la Cour suprême, un mauvais filtre est meilleur que pas de filtre du tout ! Paul Bérenger lui, désirait à la place de la Commission des droits de l’homme, un vrai bell and whistle «Criminal Cases Review Commission» (CCRC), comme le modèle britannique. C’est ce que recommande aussi la Law Reform Commission. Mais là où le leader du MMM se leurre c’est de croire qu’une CCRC mollifie nécessairement la loi et imposerait un test moins rigoureux aux quatre condamnés de l’Amicale que le test actuel de «fresh and compelling evidence».
A d’autres moments, il se contredit et affirme qu’il n’est «pas évident d’obtenir de nouvelles preuves». Parfois encore c’est le hocus pocus selon lequel les événements de l’Amicale auraient eu lieu dans des «exceptional circumstances» qui est une formule pour remettre les condamnés en liberté sans autre forme de procès. En lisant ceux qui font une meilleure exégèse de la pensée du leader mauve que nous, ces circonstances exceptionnelles se résumeraient à une atmosphère délétère et anarchique sous Navin Ramgoolam en 1999 après Kaya avec un système judiciaire cherchant à tout prix des coupables sur lesquels accrocher le meurtre de sept Mauriciens. Mais avec le «test» que suggère Paul Bérenger c’est effectivement toute la population carcérale de Beau-Bassin qu’on libérerait impunément.
Pourtant, la Law Reform Commission recommande bien une CCRC où le critère «as to guilt» est bien la soumission de «fresh and compelling evidence». C’est aussi le critère qui prévaut au niveau de l’International Covenant on Civil and Political Rights que la LRC prend pour modèle. Mais plus frappant encore c’est également le test qui prévaut au niveau de la Criminal Cases Review Commission de la Grande-Bretagne que M. Bérenger prétend prendre pour modèle.
Mais, Paul Bérenger l’a reconnu lui-même quand il voulait faire porter le chapeau à Navin Ramgoolam. Tout cela n’a rien à voir avec le crime abominable de l’Amicale ou de la justesse de son châtiment. Il y a eu, au sein de la communauté de nos confrères musulmans, une vague d’espoir au sujet de cette affaire. Cela aurait engendré des political dividends hors du commun si, quelle que soit la cruauté effarante de la démarche, un politicien pouvait exploiter cette vague de sympathie et donner un feel good factor à une communauté meurtrie pour des raisons domestiques autant que géopolitiques. L’honorable Bérenger se devait de singer Me Rama Valayden même s’il fallait descendre aux enfers. Qu’il ose miser ce qui lui reste de crédibilité sur une combine, autant amorale que cousue de fil blanc, nous démontre ce qu’il reste de l’homme que ce pays a admiré pendant quarante ans. Il suffit, pour s’en rendre compte, de juger la crédibilité des preuves apportées par ces quatre condamnés de l’Amicale lors de leur jugement en appel à la Cour suprême en 2004 : three counts of sequestrating of witness avec l’aide du frère de l’un des accusés ; interfering with witness au niveau de l’enquête préliminaire et aux assises ; soudoiement de témoin pour qu’il change de version à plusieurs reprises avec une somme de Rs 200 000 et Rs 500 000 comme prime.
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