Avec la nouvelle loi, tous seront assurés d'être recrutés en fonction de leurs compétences et aptitudes. |
l'express du 29/03/2006
Par Jean-Mée DESVEAUX
Le pays se prépare à l’avènement d’un projet de loi contre la discrimination. 2006 sera une année marquée d’une pierre blanche. Cependant, à voir le nombre de fanfreluches telles les préférences religieuses, sexuelles et politiques avec lesquelles on enrobe ce projet de loi, on oublierait presque que l’objet principal de la législation est d’éradiquer ce fléau bien national qu’est la discrimination raciale pure et dure, espèce endémique des plus tenaces, qui sévit sur le sol mauricien qu’il accable depuis plus de trois siècles. Le sujet gêne au plus haut point. On prend des gants et on vous fourre tant de paille aux yeux qu’on perd de vue l’existence de la poutre.
Tout observateur du genre humain ne peut s’empêcher de ressentir un mélange d’horreur et de stupéfaction devant les astuces dont se servent les hommes pour se démarquer de leurs semblables par une quelconque marque de supériorité. Les attributs les plus utiles dans ce contexte sont les signes ostentatoires de l’argent et de la blancheur de la peau.
Quand on ajoute à cela la blessure historique jamais cicatrisée que les uns vécurent l’ignominie d’être l’abjecte propriété des autres, l’idéologie de la supériorité raciale trouve un terrain on ne peut plus fertile à s’implanter. Au regard de ceux qui en profitent comme à celui de ceux qui en souffrent, cette hiérarchie devient l’état naturel des choses comme si cet enfer était un coproduit du jardin d’Eden.
Personne ne saurait nier la base biologique du racisme, du népotisme et autres nobles sentiments qui nous poussent à aider de façon discriminatoire et injustifiée les membres de notre famille, tribu, caste, race, etc. Cela augmente la chance de survie de nos gènes en optimisant celle des gens qui partagent certaines affinités biologiques avec nous.
Cette stratégie de l’espèce s’intitule “inclusive fitness”et fut un facteur essentiel à sa survie. Ce qu’on peut questionner, cependant, c’est l’adéquation de cette stratégie, aussi utile fut elle alors que nous balancions au bout de lianes, et leur valeur sociale et économique aujourd’hui que nous prétendons n’avoir besoin que de deux pattes pour nous retenir.
Hydre a multiples têtes, la discrimination raciale a plusieurs dimensions. Elles sont économique, sociale, psychologique, affective, politique et on en passe. Ce n’est donc pas avec un projet de loi qui ne s’attaque qu’aux émanations économiques de la bêtise qu’est le racisme qu’on éradiquera ce fléau qui assujettit depuis des centenaires les enfants mauriciens, dès leur plus jeune age, au pressentiment d’être des êtres de deuxième classe : inférieurs, coupables d’une faute dont la portée leur échappe, sales malgré toute leur innocence et leur pureté pour des raisons aussi injustes qu’incompréhensibles.
Mais puisqu’il faut commencer quelque part, le gouvernement a du mérite de s’attaquer à la face économique du racisme car c’est l’élément clef sur lequel repose sa survie. Ainsi, abordant la discrimination au niveau des promotions et du recrutement qu’on retrouve au sein du secteur privé mauricien, nous disions dans les colonnes de l’express économie en 1997 : “Il est temps de reléguer aux oubliettes cette violence psychologique qui consiste à convaincre un homme de sa propre infériorité pour qu’il sache jusqu’où il peut aspirer.”
Ayant aimé la tournure de phrase, Rama Sithanen s’en servit quelque temps plus tard lors d’un débat sur le même thème de l’inégalité des chances au sein du secteur privé qui l’opposait au numéro deux d’une grande banque du pays.
L’expression n’est pas trop forte. On ne casse pas un homme seulement avec les méthodes de la Major Crime Investigation Team. Il y a des moyens plus efficaces, plus insidieux et qui, administrés avec consistance, atteignent des résultats nettement supérieurs à la simple violence physique.
D’abord, l’atmosphère est primordiale. Il faut la créer de main de maître. Elle varie du détail le plus insignifiant jusqu’à celui qui vous déconstruit. Vous serez toujours vouvoyé bien que vous ayez été à ses côtés depuis des décennies ; mais il tutoiera devant vous et sans sourciller cet individu qu’il rencontre pour la première fois. On vous appellera par votre nom de famille alors que vous mettrez un monsieur devant le sien.
“Hydre a multiples têtes,
la discrimination raciale
a plusieurs dimensions.
Elles sont économique, sociale,
psychologique, affective,
politique et on en passe.”
la discrimination raciale
a plusieurs dimensions.
Elles sont économique, sociale,
psychologique, affective,
politique et on en passe.”
Pour bien vous inclure, lui et les autres s’appelleront par leurs prénoms. Que vous importe dites-vous ! Oui, bien sûr, vous seriez plus heureux et sans aucun doute plus productif si vous vous sentiez, ne serait-ce que légèrement, moins inégal. Mais ce qui compte pour vous c’est de pouvoir faire face à votre famille et ces peccadilles ne comptent pas... jusqu’au jour ou on vous colle un gringalet au poste que vous convoitez depuis cinq ans et qui vous est dû.
En le vouvoyant et en mettant monsieur devant son nom, vous lui apprendrez à remplir le poste qui devrait, en toute justice, être le vôtre. Pour vous c’est la dégringolade car comment se faire respecter chez soi si on accepte cela ; mais ce choix vous ne l’aurez jamais ; vous ne serez délivré de ce calvaire que dans quinze ans quand viendra l’âge de la retraite, quinze ans durant lesquels vous verrez, alors que vous faites la queue à Victoria, le jeune monsieur passer dans la belle voiture qui est depuis peu attachée à votre poste.
Il serait peut-être injuste de peindre toutes les firmes dites blanches avec la même brosse. Bien que nous voudrions le croire, la règle générale est bien trop visible dans l’industrie mère ou la blancheur du sommet hiérarchique est un résultat aussi invraisemblablement du hasard, dans un monde ou règne l’égalité des chances, que la probabilité statistique que votre correspondant atteigne la papauté.
Bien sûr, on nous dira que tout cela a changé aujourd’hui que l’industrie fait face au “cost cutting”. Mais le rasoir des économies est lui-même bien trempé dans l’idéologie raciste. Landell Mills International, reconnu de par le monde pour son expertise sur le sujet de réduction de coût de l’industrie sucrière (IS), rapporte en 2005 dans un document gardé secret : “Cost reduction would also cover… the fringe benefits of the Etat Major and the expenditure of the city offices”. L’IS restera toujours le litmus test du succès de la méritocratie et de l’égalité des chances à Maurice. Le pouvoir de persuasion du gouvernement n’a jamais été meilleur qu’en ce moment où l’IS dépend encore plus que jamais de l’Etat pour sa survie. Donnant, donnant !
Mais comment un gouvernement peut-il agir en donneur de leçons sur le “equal employment opportunity” quand il pratique lui-même un racisme non moins abêtissant dans son propre système de recrutement. Depuis l’Indépendance, les gouvernements successifs ont montré qu’ils ont bien appris la leçon de l’adage du Jacquot et de sa montagne. Quand on rencontre un policier créole sur son chemin ces temps-ci, on est tenté d’acheter un billet de loterie.
Cet état de choses s’est encore aggravé dans la mesure où le gouvernement Ramgoolam a depuis juillet appliqué une méthode de recrutement qui consiste essentiellement à caser les parents, amis, suiveurs et tapeurs du Parti travailliste. Comment donc envisager avec sérieux un changement de mentalité qui permettrait dès 2006 qu’aucun poste ne soit rempli dans le secteur privé tout comme au service civil que par le meilleur enfant du sol quel que soit son teint ?
L’idéologie du racisme ne disparaît pas d’elle-même. Il faut la démanteler et pour cela il faut plus qu’une loi. Il faut des échéances de changement qui feraient en sorte qu’il ne sera plus acceptable en 2012 que les cinq méga propriétés sucrières n’aient à leur tête aucun membre issu de l’arc-en-ciel mauricien ; que le plafond de 5 ou 6 % d’Afro Mauriciens dans la force policière qui est une iniquité abominable cesse ; que les Permanent Secretaries (PS) et autres Super PS soient plus représentatifs de la nation arc-en-ciel.
“L’idéologie du racisme ne
disparaît pas d’elle-même. Il faut
la démanteler et pour cela il faut
plus qu’une loi.”
disparaît pas d’elle-même. Il faut
la démanteler et pour cela il faut
plus qu’une loi.”
Il serait trop facile et intellectuellement malhonnête de s’opposer à ce qui précède sous le prétexte que cela équivaudrait à un système de quota. Introduire le mérite du quota dans le débat est le meilleur moyen de noyer ce poisson-là. On peut établir une règle générale de fourchettes réalistes que les chiffres permettront de vérifier au fil des années de sorte à permettre au législateur de rectifier le tir à la lumière de l’expérience acquise.
La communauté majoritaire aura beau clamer, à juste titre, que son népotisme à elle n’est qu’une réaction à l’exclusion dont elle a souffert avant l’indépendance, le déminage ne peut être unilatéral. Il faut une réelle révolution dans toutes les sphères de la vie publique et économique du pays. Donnant, donnant !
Cela demande une réflexion profonde, une volonté inébranlable et surtout une grande honnêteté intellectuelle pour proclamer la nouvelle ère que le gouvernement prétend ainsi instaurer avec l’Equal Opportunities Bill.
Proprement fait, cela devrait même lui coûter des votes dans son vivier. Mais ce n’est qu’au prix de tels efforts que nous prendrons ensemble la voie qui mènera les enfants de ce pays à se sentir enfin bien dans leur peau quelle soit noire, blanche, café crème ou café au lait.