JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

08 March 2006

La culture du doute

l'express du 08/03/2006



par Jean-Mée DESVEAUX

Si le professionnalisme des hommes d’un gouvernement se mesure à leur habilité à discerner le bon grain de l’ivraie en matière de méga projets, les hommes dont s’est entouré Navin Ramgoolam font très piètre figure. Ce manque de perspicacité évident devant les éléphants blancs que gobe béatement le nouveau régime donne froid au dos quand on évalue leur conséquence au niveau national bien longtemps après que ceux qui ont ainsi handicapé le pays ne soient plus qu’un lointain et mauvais souvenir.

Le dernier du lot est un projet mort-né de Rs 4,5 milliards que le pays traînera comme un boulet à ses pieds pendant des décennies avec des conséquences on ne peut plus désastreuses au niveau économique et écologique. Un industriel proche du gouvernement a annoncé en primeur la semaine dernière, le projet d’un incinérateur de déchets ménagers et industriels qui incinérera pas moins de 80 % des déchets du pays (Municipal Solid Waste — MSW) et produira, en ce faisant, 20 MW d’électricité au réseau du Central Electricity Board (CEB).

Les travaux de construction commenceraient en janvier 2007 à la Chaumière à un kilomètre d’Albion et de Roches-Brunes car, nous dit-on, le projet fait l’objet d’âpres négociations entre le promoteur, le ministère des Finances, celui des services publics et le CEB. La proximité politique étant au rendez-vous, on peut s’attendre que le Board of Investment émette sa lettre d’intention dans les semaines qui suivent.

Si les gouvernements se suivent mais ne se ressemblent peut-être pas toujours, ce qui se ressemble certainement, ce sont les squales qui les entourent en quête d’un “feeding frenzy” devant le côté ingénu (ou pire) des gouvernants. C’est ainsi qu’en 2000, au lendemain des élections, l’ancien gouvernement fut approché par les gros calibres dont Tiru et Electricité de France dans le cadre d’un projet d’investissement de Rs 4 milliards en espèce sonnante et trébuchante.

Le gouvernement d’alors suivit le conseil de ne pas se jeter sur ce cadeau littéralement empoisonné et de commanditer plutôt une étude approfondie sur le Environmental Solid Waste Management en vue d’identifier, entre autres, le rôle que pourrait y jouer la technologie de l’incinération. Il était déjà connu que cette technologie avait été très critiquée là où elle s’était implantée à cause de la présence de dioxine, substance carcinogène qui émane des incinérateurs sous certaines conditions.

Le rapport de Carl Bro International est sorti en mars 2005 et les autorités devraient peut-être en consulter une copie. Le rapport mentionne : “Incineration of municipal solid waste is not feasible in Mauritius at present. Incineration is costly and no justification can be found for these costs as long as the government is committed to provide the required landfill capacity. The timing of a later introduction of incineration cannot be established at present, but seems likely to be beyond 2012, if at all within the planning period analysed (2004-2034)”.

Le coût direct au gouvernement de se débarrasser d’environ 375 000 tonnes de déchets par an revient à Rs 355 millions en 2003. Cela équivaut à Rs 300 par tête d’habitant ou Rs 1 200 par famille. Le budget du ministère du “Local Government” pour 2004-2005 était de Rs 471 millions alors que la projection pour le volume de MSW est de 418 000 tonnes en 2014 et de 510 000 tonnes en 2034. Dans la période de disette budgétaire qui prévaut, cela représente beaucoup d’argent auquel, de surcroît, le générateur de déchets que nous sommes, ne contribue pas un sou.

Ayant passé en revue plusieurs scenarii, dont deux avec des incinérateurs de capacités différentes, Carl Bro conclue que le scénario sans incinérateur est de loin le moins coûteux que ce soit en termes d’investissement initial ($ 35,2 m) ou en coûts d’opération annuelle ($ 3,74 m). À côté, la solution la plus réaliste d’incinérateur coûte $ 110,4 m (coût initial) et $ 88 m (coût annuel) respectivement. Une marge qui devrait convaincre le fonctionnaire le plus obtus.

Mais il y a plus. Il faut d’abord réaliser que la viabilité économique d’un incinérateur repose essentiellement sur primo, le coût de l’électricité que vend le complexe au CEB ainsi que secundo, sur le “gate fee” à la tonne de MSW que reçoit le complexe. Dans les deux cas, si le projet déraille, c’est le gouvernement, lié par un contrat de 25 ans avec l’opérateur, qui paie les pots cassés. Tout projet d’incinérateur dépend techniquement de la composition des déchets concernés. La composition du déchet détermine la capacité de l’incinérateur à cause de sa qualité thermique. Si la valeur thermique de ce combustible n’est pas suffisante, au lieu de brûler le déchet pour produire de l’électricité, on doit brûler de l’huile lourde pour atteindre ce but et c’est la faillite du projet.

Ce support à la combustion devient nécessaire quand la valeur calorifique du déchet tombe en deçà de 7,5 Méga Joules par kilo (MJ/kg) de déchets. Alors qu’en Europe, la valeur calorifique du déchet varie entre 7,5 MJ/kg et 11 MJ/kg, à Maurice, étant majoritairement organique (déchets verts et déchets de cuisine) le combustible est en dessous des 7,5 requis. La combustion de ce “wet waste” qui possède entre 50 % et 90 % d’humidité absorbent la chaleur au lieu d’en dégager. Cette catégorie de déchets représentant entre 80 % et 95 % de nos ordures, on peut d’ores et déjà conclure que la prétention de pouvoir incinérer 80 % des déchets du pays comme le clame le promoteur est bel et bien une grosse et pernicieuse exagération que le gouvernement a le devoir de démasquer au risque de s’en rendre complice.

Soit dit en passant, jusqu’à 30 % du volume de ce que brûle un incinérateur reste en tant que cendres et autres détritus ultimes qui demandent à être enfouis. Une proportion de ces détritus est en fait si toxique et contient une telle quantité de métaux lourds qu’elle doit être traitée comme “hazardous waste” et ne peut être enfouie que dans des cellules spécialement préparées à cet effet dans un site d’enfouissement technique de peur qu’elle ne se propage dans la nappe phréatique.

La divergence entre la réalité et ce que décrit le promoteur dépasse de loin l’exercice académique. L’humidité du déchet local et la valeur calorifique sub optimale réunissent les conditions nécessaires à produire sur le sol natal un gaz d’échappement élevé en dioxine pour la consommation de nos concitoyens de la côte ouest ainsi que des touristes cinq-étoiles, leurs voisins. Carl Bro considère qu’avec un tel combustible “For dioxin control… for calorific values below 7,5MJ/kg, it may be necessary to provide combustion support by burning fuel oil in order to maintain a minimum of 850° c for 2 seconds residence time of the exhaust gases… for example a waste with 5 MJ/kg (le nôtre) would require 0.8kg of oil burn per kg of waste unit”. Quel gâchis !

Pour bien souligner le point que le tri au niveau national est une mesure “sine qua non” avant de considérer la technique d’incinération, Carl Bron déclare que le contenu élevé en chlore provenant du plastique si répandu chez nous “leads to high concentration of HCL which require removal in order to meet the required design gaseous emission standards”. Ce n’est donc pas très étonnant que son analyse des scenarii divers mène Carl Bro International à conclure qu’un incinérateur opérant dans les conditions locales émettrait un taux de dioxine dix fois plus élevé que ce que permet la directive de l’Union européenne à cet égard alors que le taux de chlore d’hydrogène en serait cent fois supérieur.

Le lecteur perdu dans les méandres de ce qui précède aurait raison de se demander pourquoi diable faire compliqué quand on peut faire simple ! L’étude de Carl Bro dont le professionnalisme est reconnu, a recommandé un “Mega Landfill” à Mare-Chicose qui peut durer de 2010 à 2040. L’EIA, a dans ce sens, recommandé le relogement de la centaine de familles qui ne voudront pas rester à Mare-Chicose qu’on étende le site ou non. On ne peut donc s’empêcher de se demander s’il existe une logique dans l’alternative d’incinération au-delà de plaire à des équipementiers (et ceux qu’ils arrosent en passant) “laughing all the way to the bank” sur le dos du peuple de ce pays. Soit les hommes qui conseillent le PM ont perdu leur “bullshit detector”, soit ils ne sont tout simplement pas à la hauteur de leur noble tâche.