l'express du 01/03/2006
par Jean-Mée DESVEAUX
Frappée de plein fouet par le nouvel ordre du commerce international l’Ile Maurice (on serait tenté de le penser) réfléchirait deux fois avant d’oser enfreindre les règles bien définies qui gouvernent les échanges commerciaux entre nations membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Mais ce serait mal nous connaître !
L’OMC contient une panoplie de règles qui empêchent un gouvernement d’apporter des subventions aux entreprises d’exportation au sein de son économie comme bon lui semble. En choisissant d’ignorer la perte de ce droit naguère souverain, le gouvernement et le secteur privé démontrent qu’ils ont conservé la stratégie obsolète de réagir aux événements en catastrophe plutôt que de les anticiper.
Décrivant l’état des lieux du secteur textile, le président de la Mauritius Export Processing Zone Association a passé un message clair au gouvernement lors du forum national sur le textile et l’habillement : “Il nous faut une aide financière de Rs 500 millions pour chacune des trois années à venir... car l’industrie mauricienne se doit d’être dotée des dernières technologies afin d’être en mesure d’améliorer sa productivité.” Il invite donc le gouvernement à remettre sur pied le “fonds de modernisation” avant de conclure : “This is a small investment as compared to the Rs 23 billions export of the industry and the 55 000 people it employs”.
Le gouvernement ayant promis de passer à l’acte et de prendre des actions décisives, une “Industrial Services Monitoring Cell” qui aboutira à un “Road Map” pour le secteur textile dans les jours à venir, a été constituée sous la présidence du ministre Jeetah. L’accent étant mis sur la réduction des coûts, il n’est pas étonnant de voir parmi les membres de ce comité, les prestataires de service des entreprises textiles tels le Central Electricity Board (CEB), la Central Water Authority et Air Mauritius. La stratégie du gouvernement est claire quand on sait que le CEB subventionne déjà le coût de l’électricité de chaque filature du pays à la hauteur de Rs 30 millions par an.
Il serait tellement dommage de voir ce beau remue-ménage faire plus de tort que de bien à ces 55 000 employés et leurs Rs 23 milliards d’exportation qu’on essaye ainsi de préserver. Mais c’est pourtant exactement ce qui nous pend au bout du nez !
L’accord sur les “Subsidies and Countervailing Measures” (SCM) de l’Uruguay Round élabore l’Article 5 du General Agreement on Tariffs and Trade qui restreint le droit des gouvernements à octroyer des subventions ayant des “trade-distorting effects” à leurs industries d’exportation. Au départ, en 1995, ces restrictions ne s’appliquaient qu’au gouvernement des pays industrialisés, mais depuis le 1er janvier 2003, seuls les pays ayant un produit intérieur brut de moins de $ 1 000 par habitant échappent à cette guillotine. A $ 5 000 par habitant, Maurice est bel et bien assujettie au SCM.
D’après la définition de l’accord SCM, une industrie reçoit le “bénéfice d’une subvention” quand un transfert direct a eu lieu des caisses de l’Etat en guise de prêt, de participation au capital ou autre “grants” qui favorisent ses efforts d’exportation. N’en déplaise à nos dirigeants, cette définition ressemble étrangement : (1) au “special line of credit” de plusieurs milliards de roupies de la Banque de Maurice à l’industrie sucrière pour faciliter le “Voluntary Retirement Scheme” ; (2) aux Rs 500 millions allouées à l’épierrage des champs lors du budget 2005-06 ; (3) à la participation d’institutions financières gouvernementales au capital des filatures et à l’octroi des terrains de la State Land Development Corporation pour les loger ; et (4) à la subvention annuelle du CEB à ces mêmes filatures !
Oser ajouter d’autres subventions prohibées tels la rémission d’impôts directs et indirects, l’octroi d’intrants subventionnés ainsi que d’autres crédits spéciaux à l’exportation par le biais de “l’Industrial Services Monitoring Cell” ferait montre d’une audace nationale hors du commun.
Pour les besoins d’explications, les subventions peuvent être codées en termes de feux de signalisation : vert (permis), ambre (actionnable) et rouge (prohibé). Si les subventions permises (étant celles qui visent l’industrie d’une région défavorisée ou qui ont trait à l’environnement) ne peuvent déclencher aucune rétorsion d’une tierce partie, la riposte dans les deux autres cas peut être cuisante aux entreprises exportatrices.
Quand un pays membre de l’OMC identifie des “effets adverses” causés à son industrie locale par des produits subventionnés à l’exportation venant d’un pays tiers, il peut se prévaloir des fameuses mesures de représailles appelées “countervailing measures” (d’où le terme de l’accord SCM).
Ayant prouvé un sérieux préjudice, des effets négatifs graves ou une annulation des avantages que lui avaient conférés jusque-là les règles de l’OMC, un gouvernement ou une industrie (américaine ou européenne) qui considère que ses entreprises textile ont perdu une part de leur marché local à cause des subsides accordées par le gouvernement mauricien à son Export Processing Zone a deux types de remèdes : 1) Demander réparation au Dispute Settlement Body de l’OMC qui déterminera, entre autres, s’il y a eu préjudice ou 2) imposer des taxes compensatoires (countervailing duties) sur les produits mauriciens ayant profité de ces subventions. Ces mesures de rétorsion sont aussi actionnables par un pays tiers (disons le Bangladesh) qui considérerait que les produits mauriciens ainsi subventionnés ont déplacé ses propres exportations au sein du marché concerné.
Est-ce que tout cela vaut la peine qu’on s’y attarde ? Quand on connaît le refus des Américains à se plier à toute loi qui ne provient pas du sol natal, on a de quoi réfléchir. L’OMC a le 13 février dernier confirmé que Washington devra modifier sa “Job Creation Act” afin d’abroger un système d’aides déguisées à l’exportation jugées illégales. L’Union européenne (UE) a été autorisée à imposer aux entreprises américaines des “countervailing measures” pouvant aller jusqu’à quatre milliards de dollars.
Les Américains avaient réagi en opérant un changement sémantique à l’appellation de leur loi. La plus grande économie du monde a aujourd’hui trois mois pour se soumettre au jugement de l’OMC avant que ne tombe les 4 milliards de dollars de surtaxe à leurs exportations vers les pays de l’UE. Le Tigre de l’océan Indien aura probablement de meilleurs atouts que les USA le jour que viendra son tour…
par Jean-Mée DESVEAUX
Frappée de plein fouet par le nouvel ordre du commerce international l’Ile Maurice (on serait tenté de le penser) réfléchirait deux fois avant d’oser enfreindre les règles bien définies qui gouvernent les échanges commerciaux entre nations membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Mais ce serait mal nous connaître !
L’OMC contient une panoplie de règles qui empêchent un gouvernement d’apporter des subventions aux entreprises d’exportation au sein de son économie comme bon lui semble. En choisissant d’ignorer la perte de ce droit naguère souverain, le gouvernement et le secteur privé démontrent qu’ils ont conservé la stratégie obsolète de réagir aux événements en catastrophe plutôt que de les anticiper.
Décrivant l’état des lieux du secteur textile, le président de la Mauritius Export Processing Zone Association a passé un message clair au gouvernement lors du forum national sur le textile et l’habillement : “Il nous faut une aide financière de Rs 500 millions pour chacune des trois années à venir... car l’industrie mauricienne se doit d’être dotée des dernières technologies afin d’être en mesure d’améliorer sa productivité.” Il invite donc le gouvernement à remettre sur pied le “fonds de modernisation” avant de conclure : “This is a small investment as compared to the Rs 23 billions export of the industry and the 55 000 people it employs”.
Le gouvernement ayant promis de passer à l’acte et de prendre des actions décisives, une “Industrial Services Monitoring Cell” qui aboutira à un “Road Map” pour le secteur textile dans les jours à venir, a été constituée sous la présidence du ministre Jeetah. L’accent étant mis sur la réduction des coûts, il n’est pas étonnant de voir parmi les membres de ce comité, les prestataires de service des entreprises textiles tels le Central Electricity Board (CEB), la Central Water Authority et Air Mauritius. La stratégie du gouvernement est claire quand on sait que le CEB subventionne déjà le coût de l’électricité de chaque filature du pays à la hauteur de Rs 30 millions par an.
Il serait tellement dommage de voir ce beau remue-ménage faire plus de tort que de bien à ces 55 000 employés et leurs Rs 23 milliards d’exportation qu’on essaye ainsi de préserver. Mais c’est pourtant exactement ce qui nous pend au bout du nez !
L’accord sur les “Subsidies and Countervailing Measures” (SCM) de l’Uruguay Round élabore l’Article 5 du General Agreement on Tariffs and Trade qui restreint le droit des gouvernements à octroyer des subventions ayant des “trade-distorting effects” à leurs industries d’exportation. Au départ, en 1995, ces restrictions ne s’appliquaient qu’au gouvernement des pays industrialisés, mais depuis le 1er janvier 2003, seuls les pays ayant un produit intérieur brut de moins de $ 1 000 par habitant échappent à cette guillotine. A $ 5 000 par habitant, Maurice est bel et bien assujettie au SCM.
D’après la définition de l’accord SCM, une industrie reçoit le “bénéfice d’une subvention” quand un transfert direct a eu lieu des caisses de l’Etat en guise de prêt, de participation au capital ou autre “grants” qui favorisent ses efforts d’exportation. N’en déplaise à nos dirigeants, cette définition ressemble étrangement : (1) au “special line of credit” de plusieurs milliards de roupies de la Banque de Maurice à l’industrie sucrière pour faciliter le “Voluntary Retirement Scheme” ; (2) aux Rs 500 millions allouées à l’épierrage des champs lors du budget 2005-06 ; (3) à la participation d’institutions financières gouvernementales au capital des filatures et à l’octroi des terrains de la State Land Development Corporation pour les loger ; et (4) à la subvention annuelle du CEB à ces mêmes filatures !
Oser ajouter d’autres subventions prohibées tels la rémission d’impôts directs et indirects, l’octroi d’intrants subventionnés ainsi que d’autres crédits spéciaux à l’exportation par le biais de “l’Industrial Services Monitoring Cell” ferait montre d’une audace nationale hors du commun.
Pour les besoins d’explications, les subventions peuvent être codées en termes de feux de signalisation : vert (permis), ambre (actionnable) et rouge (prohibé). Si les subventions permises (étant celles qui visent l’industrie d’une région défavorisée ou qui ont trait à l’environnement) ne peuvent déclencher aucune rétorsion d’une tierce partie, la riposte dans les deux autres cas peut être cuisante aux entreprises exportatrices.
Quand un pays membre de l’OMC identifie des “effets adverses” causés à son industrie locale par des produits subventionnés à l’exportation venant d’un pays tiers, il peut se prévaloir des fameuses mesures de représailles appelées “countervailing measures” (d’où le terme de l’accord SCM).
Ayant prouvé un sérieux préjudice, des effets négatifs graves ou une annulation des avantages que lui avaient conférés jusque-là les règles de l’OMC, un gouvernement ou une industrie (américaine ou européenne) qui considère que ses entreprises textile ont perdu une part de leur marché local à cause des subsides accordées par le gouvernement mauricien à son Export Processing Zone a deux types de remèdes : 1) Demander réparation au Dispute Settlement Body de l’OMC qui déterminera, entre autres, s’il y a eu préjudice ou 2) imposer des taxes compensatoires (countervailing duties) sur les produits mauriciens ayant profité de ces subventions. Ces mesures de rétorsion sont aussi actionnables par un pays tiers (disons le Bangladesh) qui considérerait que les produits mauriciens ainsi subventionnés ont déplacé ses propres exportations au sein du marché concerné.
Est-ce que tout cela vaut la peine qu’on s’y attarde ? Quand on connaît le refus des Américains à se plier à toute loi qui ne provient pas du sol natal, on a de quoi réfléchir. L’OMC a le 13 février dernier confirmé que Washington devra modifier sa “Job Creation Act” afin d’abroger un système d’aides déguisées à l’exportation jugées illégales. L’Union européenne (UE) a été autorisée à imposer aux entreprises américaines des “countervailing measures” pouvant aller jusqu’à quatre milliards de dollars.
Les Américains avaient réagi en opérant un changement sémantique à l’appellation de leur loi. La plus grande économie du monde a aujourd’hui trois mois pour se soumettre au jugement de l’OMC avant que ne tombe les 4 milliards de dollars de surtaxe à leurs exportations vers les pays de l’UE. Le Tigre de l’océan Indien aura probablement de meilleurs atouts que les USA le jour que viendra son tour…