l'express du 15/03/2006
Par Jean-Mée DESVEAUX
N’étant pas un adepte de la pensée navinienne, il semblerait que nous ayons commis un impair en essayant d’interpréter le raisonnement du Premier ministre (PM). Devant le souhait exprimé par Navin Ramgoolam lors des Assises du tourisme selon lequel l’industrie touristique “profite au plus grand nombre et pas seulement à un groupe restreint… qui dispose des droits d’exploitation des sites les plus magnifiques du pays”, nous avions présumé que le PM se référait à l’exiguïté du littoral qui ne pourrait recevoir plus d’hôtel cinq-étoiles qu’en empiétant sur les “campement sites” et autres bungalows dont les baux arrivent à l’expiration finale de leur durée de 60 ans dans une quinzaine d’années.
Nous avions alors encouragé cette “policy decision” que nous percevions comme un dialogue à établir entre l’industrie touristique et les “campement site owners”, pour qui la pire des choses serait un vide décisionnel qui durerait jusqu’au jour où leur contrat les obligerait, en toute légalité, à vider les lieux.
Cyril Vadamootoo, conseiller du Premier ministre en matière touristique, nous a bienveillamment fait profiter de sa familiarité avec la philosophie du chef du gouvernement pour nous remettre sur le droit chemin. Le PM ne pensait nullement résoudre le problème du manque d’espace sur le littoral, nous dit-il, car ce problème n’existe pas. Il suggérait tout simplement que les hôteliers existants devraient faire montre d’un peu plus de civisme vis-à-vis de leurs voisins dans la région en veillant à l’amélioration des collectivités locales. Ce que nous avions pris pour une décision politique audacieuse et éclairée n’était en fait qu’un vol au-dessus des pâquerettes.
Si nous devons un grand merci à M. Vadamootoo de nous avoir ainsi livré la pensée profonde du PM, nous ne pouvons en dire autant pour son exégèse de notre texte. Ayant affirmé son absence d’intention malicieuse, il critique notre “audacity to suggest the expropriation of land” digne d’une “totalitarian dictatorship” à la Mugabe.
Il existe cependant une telle tension dans le texte de M. Vadamootoo entre ce qu’il prétend établir et l’essence réelle de sa pensée qu’on a tendance à relire son : “Long Live Mugabe.” Le but affiché de M. Vadamootoo semble être de vouloir apaiser les anxiétés des propriétaires de bungalows à qui nous aurions pu avoir fait peur en décrivant “stricto sensu”leur précarité totale à l’expiration prochaine des soixante ans de leur bail ou encore, au cas où le gouvernement déclarerait un intérêt national pour résilier ces contrats au prix stipulé de Rs 20 000. Mais, en contraste avec ce but déclaré, le conseilleur du PM laisse percevoir qu’il est lui-même imprégné de l’extrême émotivité qui mine ce débat.
Faisant une comparaison on ne peut plus erronée entre, primo, l’expropriation de terres en toute propriété et, secundo, la fin d’un bail de terres de l’état, M. Vadamootoo trahit sa pensée “Why not retrieve the thousands of acres given to the land barons by a simple signature of our ex-colonial masters or even bought ridiculously cheap by them. Surely those people who acquired land by paying peanuts (made) a big fortune.” Comme défenseur de la souveraineté de la propriété foncière, on peut trouver mieux !
Critiquant pareillement le rationalisme économique que nous avions prôné en suggérant de créer de la place aux nouveaux hôtels sur certains sites de campements pourvu qu’on s’y prenne assez tôt pour que la valeur vénale des dix à quinze ans restant à ces baux puisse être compensée par des projets hôteliers, M. Vadamootoo laisse percevoir son affection profonde pour ces 1 243 propriétaires de bungalow qu’il défend corps et âme : “Mr. Jean-Mée Desveaux’s suggestion to encourage investors to negotiate with these leased land beneficiaries for future investment would seem to me a solution that would further encourage the appetite of those who are already over-privileged for (…) projects submitted (…) after independance.”
De par l’importance de sa fonction, les propos de M. Vadamootoo prennent une dimension officielle qu’on ne pourrait mettre sur le compte du citoyen lambda. Avec le professionnalisme qu’on veut bien reconnaître en lui, il serait impertinent de songer un seul instant que M. Vadamootoo n’ait épluché tous les dossiers traitant de la problématique des “campement site leases” avant de déclarer que la reprise par le gouvernement d’un bail à son expiration équivaut à une expropriation pure et dure.
En l’absence des clauses de reconduction des “campement site leases” après 60 ans, la proximité de M. Vadamootoo avec la pensée du PM ne l’aurait pas permis de s’aventurer à déclarer que la reprise de ces terrains de l’état à l’expiration de leur bail en 2020 détruirait les “efforts being made by the Government (…) to encourage foreign investments” et seraient donc “catastrophic for the country”. Il ne peut y avoir aucun doute qu’il a reçu le feu vert du Dr Ramgoolam avant de se prononcer aussi explicitement sur un sujet resté tabou jusqu’ici.
La valeur de ces déclarations du point de vue “policy making” est capitale car c’est bien la première fois depuis que ces baux ont été octroyés en 1960 qu’un commis de l’état du statut de M. Vadamootoo déclare publiquement ce qui ne se passera pas après 2020. Cette assurance permet aux agents économiques de prédire l’action du gouvernement avec clarté et lucidité car elle met en porte à faux la stratégie proposée de longue date par le ministère de tutelle, stratégie que M. Vadamootoo ne peut ignorer sous peine de “dereliction of duty” :
“A new policy decision is required (…) Several options are thus being proposed:
a) There is a need to resume possession of these sites as soon as the leases expire (…) sites have to be reserved for additional hotel sites for tourist development, public beaches and accesses to the beaches where none exist right now (…) several public beaches should be created like at La Cuvette (…) a few campement site adjacent to the public beaches should (…) be annexed to the beaches (…) campement sites could be put to auction to secure optimum rental.
b) A second alternative: (…) that the proposed lessees be required to pay a one off premium of (between) Rs 1 500 000 to Rs 4 000 000 an arpent and in return they will obtain security of tenure for an initial period of 20 years at a yearly rental (Rs 200 000 to Rs 90 000 ) to be assessed by the Chief Government Valuer and renewable at four consecutive periods of ten years each at rental to be assessed by the CGV to reflect the market value of the time of each renewal.
c) The third option is to offer alternative (b) to the lessees right now if they are prepared to rescind their existing leases and new leases be granted to them on the above-mentioned conditions (…) those who are not prepared to take up the offer will run the risk of having to vacate the sites once the current leases expire.
d) The fourth option (:..) Government may utilize Article 15 of the Lease Document whereby the lessor reserves the right, on giving three months’ notice in writing, to resume possession of the land for any public purpose, on payment of an indemnity which shall be determined by the CGV (…) which should however not exceed Rs 20,000 (…). From now onwards, it will be advisable for Government to inform all campement site lessees clearly that unless they cooperate, it would have no alternative than to resume possession of their respective sites by giving them three months’ notice.”
Il est évident que M. Vadamootoo a, dans son “rejoinder”, sonné le glas de ces “policy alternatives”. Il y a sans doute mûrement réfléchi pendant de longues nuits blanches et conseillé le PM dans ce sens, lui qui considère que pas même un “sugar coated package implicating expropriation will (...) be tolerated” et cela “even if it is compensated at market value”. D’un homme qui n’a aucun bien foncier ici ou ailleurs, je voudrais dire à M. Vadamootoo, un homme qui ne possède aucune “crown land”, que l’île Maurice possédante devrait être fière d’avoir un homme de sa trempe pour veiller sur son sommeil.
Par Jean-Mée DESVEAUX
N’étant pas un adepte de la pensée navinienne, il semblerait que nous ayons commis un impair en essayant d’interpréter le raisonnement du Premier ministre (PM). Devant le souhait exprimé par Navin Ramgoolam lors des Assises du tourisme selon lequel l’industrie touristique “profite au plus grand nombre et pas seulement à un groupe restreint… qui dispose des droits d’exploitation des sites les plus magnifiques du pays”, nous avions présumé que le PM se référait à l’exiguïté du littoral qui ne pourrait recevoir plus d’hôtel cinq-étoiles qu’en empiétant sur les “campement sites” et autres bungalows dont les baux arrivent à l’expiration finale de leur durée de 60 ans dans une quinzaine d’années.
Nous avions alors encouragé cette “policy decision” que nous percevions comme un dialogue à établir entre l’industrie touristique et les “campement site owners”, pour qui la pire des choses serait un vide décisionnel qui durerait jusqu’au jour où leur contrat les obligerait, en toute légalité, à vider les lieux.
Cyril Vadamootoo, conseiller du Premier ministre en matière touristique, nous a bienveillamment fait profiter de sa familiarité avec la philosophie du chef du gouvernement pour nous remettre sur le droit chemin. Le PM ne pensait nullement résoudre le problème du manque d’espace sur le littoral, nous dit-il, car ce problème n’existe pas. Il suggérait tout simplement que les hôteliers existants devraient faire montre d’un peu plus de civisme vis-à-vis de leurs voisins dans la région en veillant à l’amélioration des collectivités locales. Ce que nous avions pris pour une décision politique audacieuse et éclairée n’était en fait qu’un vol au-dessus des pâquerettes.
Si nous devons un grand merci à M. Vadamootoo de nous avoir ainsi livré la pensée profonde du PM, nous ne pouvons en dire autant pour son exégèse de notre texte. Ayant affirmé son absence d’intention malicieuse, il critique notre “audacity to suggest the expropriation of land” digne d’une “totalitarian dictatorship” à la Mugabe.
Il existe cependant une telle tension dans le texte de M. Vadamootoo entre ce qu’il prétend établir et l’essence réelle de sa pensée qu’on a tendance à relire son : “Long Live Mugabe.” Le but affiché de M. Vadamootoo semble être de vouloir apaiser les anxiétés des propriétaires de bungalows à qui nous aurions pu avoir fait peur en décrivant “stricto sensu”leur précarité totale à l’expiration prochaine des soixante ans de leur bail ou encore, au cas où le gouvernement déclarerait un intérêt national pour résilier ces contrats au prix stipulé de Rs 20 000. Mais, en contraste avec ce but déclaré, le conseilleur du PM laisse percevoir qu’il est lui-même imprégné de l’extrême émotivité qui mine ce débat.
Faisant une comparaison on ne peut plus erronée entre, primo, l’expropriation de terres en toute propriété et, secundo, la fin d’un bail de terres de l’état, M. Vadamootoo trahit sa pensée “Why not retrieve the thousands of acres given to the land barons by a simple signature of our ex-colonial masters or even bought ridiculously cheap by them. Surely those people who acquired land by paying peanuts (made) a big fortune.” Comme défenseur de la souveraineté de la propriété foncière, on peut trouver mieux !
Critiquant pareillement le rationalisme économique que nous avions prôné en suggérant de créer de la place aux nouveaux hôtels sur certains sites de campements pourvu qu’on s’y prenne assez tôt pour que la valeur vénale des dix à quinze ans restant à ces baux puisse être compensée par des projets hôteliers, M. Vadamootoo laisse percevoir son affection profonde pour ces 1 243 propriétaires de bungalow qu’il défend corps et âme : “Mr. Jean-Mée Desveaux’s suggestion to encourage investors to negotiate with these leased land beneficiaries for future investment would seem to me a solution that would further encourage the appetite of those who are already over-privileged for (…) projects submitted (…) after independance.”
De par l’importance de sa fonction, les propos de M. Vadamootoo prennent une dimension officielle qu’on ne pourrait mettre sur le compte du citoyen lambda. Avec le professionnalisme qu’on veut bien reconnaître en lui, il serait impertinent de songer un seul instant que M. Vadamootoo n’ait épluché tous les dossiers traitant de la problématique des “campement site leases” avant de déclarer que la reprise par le gouvernement d’un bail à son expiration équivaut à une expropriation pure et dure.
En l’absence des clauses de reconduction des “campement site leases” après 60 ans, la proximité de M. Vadamootoo avec la pensée du PM ne l’aurait pas permis de s’aventurer à déclarer que la reprise de ces terrains de l’état à l’expiration de leur bail en 2020 détruirait les “efforts being made by the Government (…) to encourage foreign investments” et seraient donc “catastrophic for the country”. Il ne peut y avoir aucun doute qu’il a reçu le feu vert du Dr Ramgoolam avant de se prononcer aussi explicitement sur un sujet resté tabou jusqu’ici.
La valeur de ces déclarations du point de vue “policy making” est capitale car c’est bien la première fois depuis que ces baux ont été octroyés en 1960 qu’un commis de l’état du statut de M. Vadamootoo déclare publiquement ce qui ne se passera pas après 2020. Cette assurance permet aux agents économiques de prédire l’action du gouvernement avec clarté et lucidité car elle met en porte à faux la stratégie proposée de longue date par le ministère de tutelle, stratégie que M. Vadamootoo ne peut ignorer sous peine de “dereliction of duty” :
“A new policy decision is required (…) Several options are thus being proposed:
a) There is a need to resume possession of these sites as soon as the leases expire (…) sites have to be reserved for additional hotel sites for tourist development, public beaches and accesses to the beaches where none exist right now (…) several public beaches should be created like at La Cuvette (…) a few campement site adjacent to the public beaches should (…) be annexed to the beaches (…) campement sites could be put to auction to secure optimum rental.
b) A second alternative: (…) that the proposed lessees be required to pay a one off premium of (between) Rs 1 500 000 to Rs 4 000 000 an arpent and in return they will obtain security of tenure for an initial period of 20 years at a yearly rental (Rs 200 000 to Rs 90 000 ) to be assessed by the Chief Government Valuer and renewable at four consecutive periods of ten years each at rental to be assessed by the CGV to reflect the market value of the time of each renewal.
c) The third option is to offer alternative (b) to the lessees right now if they are prepared to rescind their existing leases and new leases be granted to them on the above-mentioned conditions (…) those who are not prepared to take up the offer will run the risk of having to vacate the sites once the current leases expire.
d) The fourth option (:..) Government may utilize Article 15 of the Lease Document whereby the lessor reserves the right, on giving three months’ notice in writing, to resume possession of the land for any public purpose, on payment of an indemnity which shall be determined by the CGV (…) which should however not exceed Rs 20,000 (…). From now onwards, it will be advisable for Government to inform all campement site lessees clearly that unless they cooperate, it would have no alternative than to resume possession of their respective sites by giving them three months’ notice.”
Il est évident que M. Vadamootoo a, dans son “rejoinder”, sonné le glas de ces “policy alternatives”. Il y a sans doute mûrement réfléchi pendant de longues nuits blanches et conseillé le PM dans ce sens, lui qui considère que pas même un “sugar coated package implicating expropriation will (...) be tolerated” et cela “even if it is compensated at market value”. D’un homme qui n’a aucun bien foncier ici ou ailleurs, je voudrais dire à M. Vadamootoo, un homme qui ne possède aucune “crown land”, que l’île Maurice possédante devrait être fière d’avoir un homme de sa trempe pour veiller sur son sommeil.