JM et les chefs coutumiers de la République démocratique du Congo

12 April 2006

Pour une distribution équitable et transparente des terres de l’État


Il existerait une forte demande pour les terres littorales pour divers projets, d'où la necessité d'un système de distribution plus adapté aux réalités.

l'express du 12/04/2006

Par Jean-Mée DESVEAUX
 
Devant les menaces réelles que court l’île Maurice que le ciel lui tombe sur la tête au niveau international, on aurait pu s’attendre à ce que les responsables du pays mettent un peu d’ordre dans leur propre case afin de limiter les dégâts. Au lieu de cela, ce que nous voyons tous les jours, tous gouvernements confondus, est une absence de stratégie dans divers domaines qui résulte à se tirer dans les propres pattes.

Le plus grand danger qui menace l’île Maurice est, sans nul doute possible, la propension à la corruption qui a envahi toutes les sphères de la vie économique du pays. Il faut vraiment se voiler la face pour ne pas reconnaître qu’à Maurice on peut compter sur les doigts d’une main les hommes et femmes politiques pour qui le bien-être du pays passe avant les leurs. Or, de toutes les instances où cette inclination est le plus titillée, le processus d’allocation des Pas géométriques qu’on distribue sans rime, ni bon sens est le plus envoûtant.

À cause d’un terrain sur le littoral, un jeune activiste du Parti travailliste aurait été empoissonné au cyanure sans que qui que ce soit ne soit poursuivi en justice. C’est dire à quel point les commanditaires de ce geste crapuleux sont puissants. Teeren Appasamy avait, à travers ses contacts politiques, accumulé un lot intéressant de terrains sur le littoral est, dont il se servait du reste pour affubler des noms à ses sociétés. Le ministre Choonee subit le déshonneur d’être détenu pour une affaire de Pas géométriques. Même blanchi aujourd’hui, il traînera toujours cette plaie qui l’accompagnera au poste illustre qu’il a été jugé capable de remplir au sein d’une de nos plus importantes ambassades. Son successeur au ministère de Terres, dont la culpabilité n’a pas encore été prouvée, semble être pris dans le même engrenage. Le dommage collatéral pour nos institutions fiscales dont M. Dulull a été une figure de proue, est inestimable.

Et pourtant, on n’a pas besoin d’être Jérémie pour savoir que cela n’ira qu’en empirant pour des raisons aussi évidentes qu’elles sont évitables. Le douzième annual business trend survey de la MEF souligne que les mesures du gouvernement ne réussissent pas à combattre la corruption qui agit comme un frein à notre croissance économique. 81% des chefs d’entreprises sondés par l’organisation patronale considèrent que les mesures utilisées par les autorités pour combattre la corruption sont inadéquates. “This is serious as corruption is a complete turn-off for investors. It is thus extremely significant to note that 100% of respondents in agriculture (NdlR: où les terres entrent en jeu) is still an obstacle.”

Comme le fait ressortir Rabin Bhujun dans l’express dimanche, nous avons récemment reçu la visite d’experts australiens dans le cadre d’une land management scrutiny mission qui viserait enfin à réorganiser la gestion du patrimoine foncier mauricien. Bien que leurs conclusions soient parfaitement valables, ils ne nous ont rien dit que nous ne savions pas déjà : “Corruption, the undue influence of powerful people and improper political interference” mine le système actuel. Ce rapport déplore les procédures existantes qui permettent à un seul homme, le ministre des Terres, d’allouer les Pas géométriques à bail au lieu de faire des appels d’offres publics : “The guidelines covering the allocation of land by this means are unclear and creates opportunities for inappropriate allocation of valuable state land without public scrutiny.”

En effet, aussi bête que cela puisse paraître, les incohérences que nous subissons dans ce domaine sont la conséquence logique de la tentative bien mauricienne de substituer les libres forces du marché par un stratagème dans la distribution d’un bien ou la demande excède de loin l’offre. Il est d’une absurdité débridée qu’un pays puisse être aussi pointilleux au niveau des appels d’offres pour tout ce qui est passation de marché public à partir de Rs 25 000 mais permet en même temps que quelques commis de l’état sous le joug d’un ministre décident de l’allocation de centaines d’arpents coûtant chacun entre Rs 5 et Rs 30 millions.

On peut dénombrer trois sphères aujourd’hui où les Pas géométriques jouent un rôle primordial : A) les hôtels B) les campement sites, et C) certains Integrated Resort Schemes (IRS). Bien que chacun de ces trois espaces ait des particularités qui leur sont propres et qui ne sont donc pas assimilables aux autres, le fil conducteur du Pas géométrique devrait enfin se plier dans tous les cas à un traitement économique pour obtenir les effets désirés : 1) d’équité vis-à-vis de l’acheteur qui est souvent un groupe étranger chez qui on risque de souiller l’image de marque du pays, 2) de transparence vis-à-vis de la population qui perd ainsi un espace qui devrait être inaliénable et finalement 3) d’optimisation des ressources nationales d’une telle rareté qu’elle est appelée à disparaître rapidement.


A : les hôtels :

La politique qui était logique quand Le Chaland était le seul hôtel du pays au lendemain de l’Indépendance ne l’est plus aujourd’hui que nous avons une centaine d’hôtels parsemés autour de l’île. On pouvait jusqu’à un certain moment prétendre que l’incitation financière que représente la quasi-gratuité des terrains de l’état sur le littoral a été une stratégie payante pour faire de Maurice une île cinq-étoiles. Mais le statut de Maurice n’est plus à faire et il serait temps qu’après une bonne étude du marché et des bénéfices à engranger dans les années à venir, les nouveaux venus démontrent leur motivation à travers des offres cachetées au Central Tender Board, une institution qui, sous M. Baguant, est un honneur pour ce pays. Les meilleurs terrains restants iront aux plus offrants après que d’autres critères, préalablement établis, de fiabilité du dossier ont été satisfaits.

Le renouvellement de ces baux industriels d’hôtels pourrait être pareillement traité pour éviter que ne soit utilisée une nouvelle génération d’émissaires qui feraient le pas de porte devant une nouvelle génération de futurs ministres des Terres. Ce qui rend inévitable la nécessité de revoir la stratégie désastreuse qui prévaut, c’est que l’insuffisance grandissante des terrains du littoral augmente leur prix réel de façon incontrôlée. Plus le prix de la cagnotte est fort, plus l’aversion naturelle au risque de se faire attraper est automatiquement affaiblie, augmentant ainsi la hardiesse des entremetteurs et autres agents.

Avec un salaire de Rs 60 000 par mois, un futur ministre des Terres verrait ses émoluments durant son premier mandat arriver à un peu plus de Rs 3 millions. S’il peut aspirer à encore deux mandats ministériels consécutifs (un si majuscule), il se ferait une petite entrée de Rs 9 millions après douze ans de dur et honnête labeur au service de son pays. Mais puisque la superficie en question est généralement gargantuesque, où mettre la barre en l’absence de toute formule économique qui éclairerait le transfert? À Rs 50 millions par exemple, il retrouverait l’équivalence en salaires de 16 mandats de quatre ans. S’il peut d’un seul coup de plume dont l’essentiel serait “I recommend to my colleagues… ” dans un cab paper au Conseil des ministres que tel ou tel individu mérite que l’état lui fasse le don d’une fortune absolument colossale, pourquoi n’en percevrait-il pas, lui qui rend ce transfert de richesse possible, une quote-part de la transaction. Le décalage est apte à donner du vertige à certains (futurs) ministres et réduire ainsi leur capacité décisionnelle à néant avec des conséquences toujours plus fâcheuses pour le pays.

Une autre façon d’appréhender l’illogisme, l’opacité et l’iniquité du présent système nous est offerte par un nouvel établissement de la côte est qui avait besoin de dix hectares du littoral appartenant au privé ainsi que 11,8 hectares de terres de l’état sur ce même littoral. Alors que la letter of intent aliène à tout jamais les terres de l’état ainsi requises pour quelques dizaines de milliers de roupies par an, on peut deviner que le prix que ce même groupe hôtelier a dû payer pour obtenir quasiment la même superficie du privé se situerait quelque part entre Rs 100 et Rs 200 millions. On serait en droit de se demander de quel droit un gouvernement de passage oserait-il montrer une telle générosité avec le bien dont le peuple lui a confié la garde pendant son mandat et qui est donc loin de lui appartenir comme appartient, disons, le Sun Trust au trustee du MSM. L’analogie n’est pas sans valeur didactique quand on se rappelle comment ce parti s’est démené pour poursuivre l’état qui l’avait selon lui lésé. Un exemple s’il en fallait que les politiciens ont en général une propension à être bien “plus généreux” avec le bien du peuple qu’avec le leur : Rs 45 millions de plus pour être exact.

Une autre aberration auquel donne lieu le système actuel, c’est qu’il encourage des projets qui ne tiennent pas la route. Ce système qui privilégie trop souvent la proximité avec le pouvoir encourage beaucoup d’inefficience économique. Un nouvel hôtel a déjà changé de gérance après un grand fracas qui n’a pu que nuire au tourisme mauricien et est à la veille de changer de main. Il n’est pas le seul. Beaucoup de faux départs qui laissent leurs séquelles ont été causés par cette distribution intempestive des terres aux projets hôteliers.

Le présent Coco Beach Hotel n’a pu finalement trouver son équilibre qu’après deux ou trois passations car un politicien de renom s’était ingéré dans un processus qui aurait dû être above board. Puisqu’il n’y a pas comme l’ingéniosité de l’humain pour exploiter les failles d’un système, il y a une nouvelle flopée d’affairistes qui cherchent d’abord le bout de terre pour ensuite chercher, de part le monde, l’investisseur qui lui permettrait de capitaliser son boute qu’il a gagné au bout de sempiternelles visites ministérielles en tant que lèche-botte. Un de ces projets qui vise ni plus ni moins toute la côte sud-ouest en est à son sixième groupe d’investisseurs. Un système qui fait de nos hommes d’affaires des fly by night operators nuit grandement au devenir économique du pays. De plus, il décourage l’investisseur étranger qui se voit ainsi forcé de payer un fort premium à un intermédiaire alors qu’il aurait dû tout seul, de plein droit, revendiquer le bail que l’autochtone détient grâce à son investissement.


B : “campement sites”

Ayant déjà couvert ce sujet en long et en large dans deux précédents papiers, nous ne nous y attarderons pas. Il suffit seulement ici de dire que l’orage, qui s’est abattu sur l’Hôtel du gouvernement durant ces deux dernières semaines en termes de dépositions, enquêtes policières, dénonciations, démentis, ressemblera à un pique-nique en comparaison à ce qui se passera durant les années précédant la fin des baux des campement sites. Pour rappel, sur les 1 243 campement sites leases, 115 arriveront à expiration avant 2020 ; 419 en 2020 et 706 en 2040.

On peut imaginer sans trop de difficulté l’état d’esprit des “propriétaires” à l’approche de ces échéances si entre-temps le gouvernement ne s’est pas prononcé sur une politique transparente qui s’appliquerait équitablement à toutes les parties concernées. Leur anxiété très naturelle fera d’eux la proie d’une armée de “facilitateurs” depuis la tea lady jusqu’au planton du département gouvernemental le plus obscur.

Comme nous l’avons signalé déjà, les techniciens du ministère des Terres ont fait une ébauche de la marche à suivre qui peut servir de point de départ. Cette réflexion peut être améliorée et parachevée de sorte à éviter tout chaos. Si on veut éviter les probables dérapages, il faut empêcher que ces renouvellements reposent sur le bon vouloir d’un “prince” de l’état qui n’aurait aucune consigne gouvernementale sur laquelle s’appuyer pour arriver à une décision objective.

Nous reviendrons dans les jours qui suivent sur le troisième volet de ce dossier : l’espace IRS.

Nous pensons qu’il est apte de clôturer cette réflexion avec une citation du PM repris par Rabin Bhujun dans l’express dimanche. Navin Ramgoolam avait fait ressortir lors d’une réunion regroupant des ministres et des hauts fonctionnaires : “Nou sel pays kot donne banne Pas zeometrik inestimab koum-ca a la lezer. Pou bizin mette lord ladan.”

Le transfert des Pas géométriques ayant acquis la triste réputation que nous connaissons dans les mœurs de tous les bords politiques, le Dr Ramgoolam ferait montre d’une volonté de transparence et de propreté sans pareille s’il arrivait, dans les mois à venir, à mettre en place un système d’attribution des terres de l’état sur une base d’appel d’offres et d’autres mécanismes transparents. Ce serait là un signe de leadership politique qui redorera le blason d’un chef du gouvernement quelque peu secoué par la crise actuelle.