Par Jean-Mée DESVEAUX
l'express du 17 Juillet 2013
|
SUDS, à Union st Aubin, la première centrale érigée après un appel d'offres transparent à Maurice. |
Décidément, Monsieur Assirvaden a encore beaucoup de mal à saisir notre philosophie politique. Il se réjouit de nous voir nous démarquer de la position MMM/MSM sur le dossier Sinohydro * mais il a toujours du fil à retordre à comprendre la logique de notre action durant les cinq ans (2000-2005) passés au sein du Board du Central Electricity Board (CEB). On se souvient qu’il allait, lui-même, devenir président de cet organisme clé de 2005 à 2010. Il y a, bien au-delà d’un simple clash de personnalités, suffisamment de leçons à tirer du fonctionnement du CEB durant ces deux périodes pour qu’on s’y arrête.
Qualifié de «nominé politique de bas étage» par Paul Bérenger, cet ex-président du CEB n’avait produit aucun nouveau Independent Power Producer (IPP) durant son mandat. Pourtant, le style et les pirouettes de cet homme consumé d’ambition politique, auront laissé une empreinte indélébile sur le déclin de cet organisme. Doté d’une remarquable propensity to think a little too well of himself, il faisait une exégèse de sa présidence suite à celles du professeur Kasenally et du docteur Baguant après seulement un an : «Le CEB avait besoin d’une personne très ferme à sa tête…….Il est essentiel que le président soit quelqu’un qui agit avec fermeté….cela a manqué dans le passé. Le CEB a aujourd’hui quelqu’un d’intransigeant à sa tête. Je suis confiant que cette politique de fermeté va être payante.»
C’est la même fermeté verbale qu’on retrouve chez le président Assirvaden quand le CEB décide que le projet Gamma-Coventa d’incinérer 80 % des déchets du pays est contraire aux intérêts du corps para-étatique. Les techniciens du CEB découvrent des anomalies et des manquements techniques et économiques au sein du projet et concluent qu’il n’est pas viable, qu’il risque d’exacerber la situation financière critique du CEB et que les prix proposés par des éventuels IPP sont à moitié inférieurs au prix de Gamma-Coventa. Les techniciens du CEB ayant fait leur travail, le président Assirvaden lève le ton et déclare : «Dans tous les prochains contrats que le CEB signera avec le secteur privé, si le CEB ne sort pas gagnant, je prends l’engagement, en tant que président, de faire savoir à la population que je ne suis pasd’accord de payer le courant à ce prix-là.»
Un frisson d’admiration parcourut le pays tout entier, électrifié devant tant de patriotisme. Voilà un Mauricien qui mettait ses convictions au-dessus de l’assujettissement abêtissant de son parti politique. Le président du CEB aurait donc compris que cette utilité publique avait Rs 5 milliards de dette en sus des Rs 2 milliards de déficit accumulé. Rama Sithanen venait, du reste, d’attribuer 2 % du déficit du budget de l’État aux autorités para-étatiques, dont principalement le CEB.
Mais, Monsieur Assirvaden n’avait pas tenu en ligne de compte que les frères Ah Teck, promoteurs du projet d’incinérateur, étaient très proches de Navin Ramgoolam. Un coup de fil de l’hôtel du gouvernement suffit à dégonfler ce caïd. Le tigre rentra ses griffes et devint chaton devant les diktats du prince auquel il devait sa nomination. La seule qualification de Navin Ramgoolam en matière énergétique jusque-là, avait été sa déclaration, en 2005 en tant que leader de l’opposition, qu’aussitôt élu, il fermerait toutes les centrales qui utilisent le charbon (mettant inéluctablement le pays dans une obscurité totale) ! C’est pourtant le PM qui prit la présidence d’un High Powered Committee qui déclara, bien vite, que l’incinérateur de Gamma-Coventa, proposé par ses bailleurs de fonds, était hautement désirable pour le pays.
Le président Assirvaden avait, ce jour-là, choisi de sacrifier ses convictions affichées dans l’expectative de la carrière de député de bas étage qui se donne en spectacle aujourd’hui à toute une nation. Dès lors, départager les offres des IPP cessa d’être l’exercice technique de haute volée qu’il avait été durant les cinq années précédentes. Le chaos le plus total, avec des projets défiant toute logique énergétique, devint la règle du jeu pour le reste de son mandat. Le critère essentiel de l’IPP allait dorénavant devenir l’appui d’un mercenaire influent au sein du cabinet ou encore d’une organisation socioculturelle. Ce fut le cas pour le projet CT Power qui naquit sous la présidence de Monsieur Assirvaden qui demeure un de ses plus fervents défenseurs bien que le coût de production du kilowatt/heure de cette centrale, information sine qua non de toute décision d’octroi de IPP, n’est toujours pas connu jusqu’ici.
Comment, dès lors, s’étonner qu’un Chairman de cet acabit soit dérouté par la trempe de ces illustres prédécesseurs que furent le professeur Kasenally et le docteur Baguant avec qui j’ai eu le privilège de travailler entre 2000 et 2005. Si, comme dit le PM, the proof of the pudding is in the eating, il suffirait de rappeler que sous ces éminences grises, le CEB réussit à adjoindre deux centrales électriques d’IPP d’un total de 104 MW à son grid, alors que le président narcissique n’a, à son actif, malgré tout le sound and fury,qu’un score des plus nuls. En sus de la capacité additionnelle et l’épargne réalisée par le CEB, l’histoire retiendra, des deux centrales de Société usinière du Sud (SUDS, 30 MW) et de Savannah (74 MW), la transparence et le souci de bonne gouvernance dans lesquels ces contrats de plus de Rs 6 milliards ont été négociés par le CEB. Une première nationale non égalée depuis.
Le CEB ne pouvant produire toute son électricité à cause de l’investissement faramineux que cela implique, la priorité est d’acheter l’énergie produite par le privé au meilleur prix qui soit. Or, jusqu’en 2000, le processus de passation de marché pour des contrats des IPP qui se comptent en milliards, se faisait au petit bonheur, chacun son tour, dans un cadre totalement opaque. Le promoteur n’avait, en plus, aucune pression concurrentielle à offrir le meilleur prix aux consommateurs.
Quand donc sous la présidence du professeur Kasenally, le CEB instaure un processus d’appel d’offres piloté pendant des mois, dans les moindres détails, par la cellule Corporate Planning and Research, c’est une grande première pour le pays. Ce Request for Proposals(RFP) allait déterminer lequel des projets allait joindre le grid du CEB en premier sur la base des critères spécifiques tels : reinvestment potential, environment impact,new employment, tax revenue, buy out provisions, legal risks, bidder strength, dispatch flexibility, ancillary services, line losses, levelised cost etc..
Mais bad habits die hard. Médine, le troisième candidat s’étant retiré, l’appel d’offres allait se jouer entre SUDS et le projet de cogénération de M. Norland Suzor dans le port. La décision d’opter pour un processus de sélection transparente et concurrentielle n’était pas au goût de tout le monde et n’était pas de nature à nous créer une foule de supporters. L’industrie sucrière n’avait aucune envie de se plier à la règle de la concurrence et à la discipline de prix que nous introduisions dans le paysage énergétique national. La Mauritius Sugar Authority (MSA) voyait son pré carré lui échapper. Les mandarins du ministère de l’Énergie qui avaient, avec la MSA, négocié dans le passé, les contrats de gré à gré de Belle-Vue et de Beau Champ étaient des opposants naturels d’une passation de marché transparente. IBL, qui pilotait le projet Suzor, et MCFI, qui allait abriter ce projet, allaient aussi s’allier avec la horde mentionnée en haut, et tous, s’opposèrent, comme un seul homme, au processus d’appel d’offres et mirent leur poids, non négligeable, derrière le projet Suzor.
Mais l’adversaire le plus redoutable du RFP fut le PM d’alors, sir Anerood Jugnauth. Durant quelque vingt ans à la tête du pays, ce dernier n’avait jamais ressenti le besoin d’un quelconque comité, scientifique ou pas, pour choisir un projet d’investissement à Maurice. Après que tout ce beau monde se soit rencontré chez le PM pour lui présenter le projet de cogénération, celui-ci trancha dans le vif (au beau milieu du processus du RFP au CEB) que c’était le projet Suzor qui irait de l’avant.
Ah ! Monsieur Assirvaden, si seulement vous étiez là! C’est d’un président de votre trempe que SAJ avait besoin à ce moment-là. Vous auriez fait vos galons politiques des années plus tôt ! N’ayant ni vos ambitions politiques ni la souplesse de vos vertèbres, we begged to differ avec le décideur suprême devant l’intérêt supérieur du pays. Nous étions à la veille du changement de PM à l’israélienne et tout pouvait encore arriver. Et pourtant, Paul Bérenger s’aligna du côté de la transparence et le processus du RFP au CEB se poursuivit. Le projet SUDS fut éventuellement adjugé plus avantageux au CEB et remporta la joute. Elle reste aujourd’hui une des centrales au sommet du Dispatch Order du CEB (appels de plus de 90 % sur le grid) autant par son prix avantageux que par sa flexibilité.
Il y eut beaucoup d’attaques, de chasses aux sorcières et de
fishing expedition pour essayer de trouver ce qui, dans l’attribution de ce contrat, pourrait le moindrement prêter à équivoque. Mais que dalle ! Ces gesticulations dont je fus naturellement l’objet principal avaient pour but de décourager la transparence dans l’attribution des contrats entre les IPP et le CEB. Le lecteur qui s’y intéresse peut consulter, sur le blog jeanmeedesveaux.blogspot.com, les interviews suivants qui parurent dans l’
express :
Empêcher le CEB d'être une vache à lait (26 mai 2003) ; l’interview de Jack Bizlall
Jack Bizlall: Que la lumière soit faite (2 juin 2003) ;
Eclairage sur les contrats du CEB (9 juin 2003).
Le lecteur peut, à partir de là, tirer ses propres conclusions sur l’honorable Assirvaden. En ce qui nous concerne, l’ayant déjà traité de menteur en direct à la radio en 2006, nous avons, depuis, noté chez lui, une autre tare non moins enviable. Fidèle à ses convictions morales, il se sert du Parlement comme d’un
coward’s castle où, sous l’immunité parlementaire, il induit la nation, l’exécutif et les députés en erreur afin de couvrir son incompétence au sein du CEB. Ainsi, le 14 novembre 2011, il attribue le
black-out du pays après l’explosion à la sous-station de Dumat en 2007, quatre ans plus tôt (!), à du matériel défectueux acheté d’un contact sud-africain de votre correspondant. Il l’aurait appris
«d’un technicien»! Pareillement, au lieu des quatre
Boards sur lequel j’ai siégé (dont trois avec une rémunération d’environ Rs 1 000), il en dénombre 17 avec une rémunération de Rs 350 000 !
On peut prédire qu’avec un tel parcours, le pays devra sûrement ériger bientôt, sur le front de mer, une effigie à ce parangon de la politique qu’est devenu Patrick Assirvaden. Il faudrait cependant s’assurer, pour être fidèle à sa nature, qu’elle soit aussi creuse et résonnante que le guignol burlesque qui nous est offert en spectacle dans l’hémicycle.
* Lors d’une conférence de presse, le samedi 6 juillet,
Patrick Assirvaden a exprimé son appréciation de Jean-Mée Desveaux :
«Après l’affaire de St-Aubin et son passage au CEB, je ne partage pas
grand-chose avec Jean-Mée Desveaux. Mais suite à cet article, j’ai changé
d’avis ! » (Weekend, 7 juillet 2013)