Par Jean-Mée DESVEAUX
L'express du 10 juillet 2013
Plus que jamais, au DodoLand,
nous avons la singulière impression que the law is an ass! Il est vrai que
c’est un sentiment qui a prévalu même au sein de la blonde Albion quand on
pouvait, pour le même châtiment, tuer le roi d’Angleterre ou un cervidé dans la
forêt royale.
Comment autrement interpréter
l’évolution du roman-fleuve du VarmaGate au sein du pays que nous connaissons ?
La République tout entière était en révulsion devant le comportement de
l’ex-garde des Sceaux. Prétendre ne pas avoir été l’auteur de l’agression et s’entourer
de trois gorilles du barreau, comme pour bien démontrer la démesure des forces
en présence.
Tout cela lui a coûté l’estime
des Mauriciens, toutes fois confondues (mise à part la VOH qui prouve encore
une fois qu’elle ne représente qu’elle-même). Et pendant toutes ces semaines,
il gardait sa prééminence ministérielle et la superbe arrogance qui
l’accompagne.
Mais voilà, au moment même où les
rôles changent, que le père de la victime le remplace dans le rôle principal de
l’arrogant, qu’il ravale son orgueil et offre des excuses à la victime et à sa
famille, il est démis de ses fonctions. La loi, d’ordinaire si somnolente chez
nous, lui tombe alors dessus avec un acharnement qu’on ne lui connaissait pas
jusqu’ici. Les casernes sont en ébullition, avec les responsables du dossier
travaillant à un rythme effréné.
La loi a probablement des raisons
que la raison ne connaît pas, mais l’hyperactivité légale et institutionnelle
autour de ce dossier nous pousse à nous poser quelques questions. N’existe-t-il
pas aux yeux de la loi une hiérarchie de délits qui s’étend, au sommet, de la
plus pernicieuse et néfaste entorse à la survie même du contrat social, à
d’autres, au bas de l’échelle, qu’une petite tape sur la main suffirait de
décourager ? Si les ressources de l’État, en termes d’effectifs dans le domaine
du Law and Order sont limitées, ne convient-il pas de les utiliser avec
parcimonie en appliquant rationnellement le plus d’effectifs aux crimes les
plus inciviques ? Le razmataz sur VarmaGate reflète-t-il la dangerosité de ce
délit au regard de la hiérarchie de crimes qui sont commis dans ce pays ?
Comment évaluer comparativement,
le long de cette échelle de crimes, un événement qui est passé comme une lettre
à la poste, alors qu’il allait causer un appauvrissement inéluctable du citoyen
mauricien : la saga de Betamax. Le gouvernement travailliste
signe le 20 novembre 2009, à travers la State Trading Corporation(STC), un
contrat de Rs 8 milliards avec les Bhunjun, la belle-famille du très honorable
Jeetah, qui est alors ministre du Commerce et donc de la STC. Ce contrat
instaure le monopole de Betamax sur le transport des produits pétroliers à
Maurice pour 15 ans. Il livre le pays, pieds et poings liés, à un proche du
ministre de tutelle en lui empêchant de trouver, à travers des appels d’offres
compétitifs, le transporteur le moins offrant sur une base annuelle. Ainsi,
entre le 18 août 2010 et mars 2012, la STC a payé Rs 54,7 millions de «demurrage
fees» à Betamax, propriétaire du pétrolier Red Eagle pour 61 voyages, soit
environ Rs 900 000 par voyage de ce tanker.
Mais le scandale ne s’arrête pas
là. Les conseils du Solicitor General sur le bienfondé de ce contrat avaient
été ignorés. Aucun futur gouvernement (moins inféodé à la famille Bhunjun) ne
pourra, durant 15 ans, introduire la concurrence dans le fret de nos produits pétroliers,
malgré l’effet bénéfique sur l’économie nationale que cela entraînerait.
Sinon, il faudra compenser Betamax
à hauteur de Rs 2,1 milliards. Le contrat est scellé sous le sceau du secret
absolu pour que la société civile ne puisse pas en débattre. Pour conclure,
alors même qu’un tsunami s’abat sur l’ex-ministre de la Justice, son confrère
du Commerce n’a pas la moindre «fizette» pour recadrer l’expression de son
attachement familial aux dépens de l’État.
Il nous faudra donc migrer vers
d’autres cieux pour apprécier comment ces combines où l’État est spolié sont traitées
juridiquement. Stéphane Richard, le numéro un de France Telecom (qui possède 40
% de Mauritius Telecom), vient d’être inculpé pour «escroquerie en bande
organisée» dans un cas de conflit d’intérêts. Il existe, en France, une Cour de
Justice de la République (CJR) dont la compétence est de juger les infractions
commises par les ministres dans l’exercice de leurs fonctions.
La CJR soupçonne Christine
Lagarde, l’ex-patronne de M. Richard et directrice actuelle de la FMI, d’avoir choisi
un processus de tribunal arbitral opaque pour résoudre un litige entre Bernard
Tapie et l’État en vue de favoriser Monsieur Tapie. Ce dernier fut compensé par
le tribunal arbitral à hauteur de 285m d’euros d’indemnité dont 45 millions à
titre de préjudice moral (403 m d’euros avec les intérêts).
La directrice du FMI risque, en
cas de culpabilité avérée, jusqu’à dix ans de prison et 150 000 euros d’amendes
«pour complicité de faux et de détournement de fonds public». Un des trois juges
du tribunal, Pierre Estoup, a été accusé de connivence avec Tapie, et mis en garde
à vue.
Le lecteur optimiste reconnaîtra
qu’il faudrait d’abord créer une Cour de Justice de la République à Maurice
avec la compétence de juger les infractions commises par les ministres dans l’exercice
de leurs fonctions pour que nous puissions sortir de l’auberge dans notre cas
de figure. Une condition nécessaire pour ce faire est sans doute un changement
de gouvernement. Mais estce-que cette condition serait suffisante ?
Imaginons
le Remake 2000, retourné au pouvoir en 2015, avec SAJ à sa tête. Le nouveau PM
devra saisir une instance juridique existante ou en créer une autre pour se
pencher sur Betamax. Mais ce vaillant homme d’État est aussi Queen’s Counsel. Il sait que what’s sauce for the goose
is sauce for the gander. Comment s’acharner sur les indulgences de
l’État vis-à-vis des Bhunjun, beaux-parents de Rajesh Jeetah sans, par la même
occasion, revisiter les largesses de ce même État vis-à-vis des Ramdanee,
beaux-parents de Pravind, durant les longues années de primature de sir
Anerood. De plus, Pravind est lui-même accusé
par l’ICAC de conflit d’intérêt dans la vente de la Clinique Medpoint de son
beau-frère. Une règle d’or en politique, c’est qu’on ne parle pas de corde dans
la maison d’un pendu.
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