Par Jean-Mée DESVEAUX
L'express du 28 août 2013
La justice a non seulement été appliquée mais elle a été visible et
exemplaire. Une île Maurice républicaine est parvenue à mettre derrière
les barreaux l’industriel le plus riche et le plus puissant du pays.
Thierry Lagesse a été appréhendé à sa descente d’avion comme un vulgaire
passeur d’héroïne et amené aux Casernes centrales «manu militari» entre
deux gorilles du CCID. Il y aura passé une nuit qui lui aura appris à
appréhender la vie d’une perspective un peu moins rose.
Avant lui, l’homme avec lequel il est accusé d’avoir comploté pour
priver l’État de Rs 7,2 millions, Ashish Kumar Seeburrun, avait lui
aussi goûté de la paille chaude du cachot et cela pendant près d’une
semaine pour donner le temps aux enquêteurs de lui arracher tous les
détails croustillants du dossier. C’est ainsi qu’opère un machine
judiciaire qui ne s’arrête pas au faciès.
Cette question est imprégnée d’émotivité à Maurice. La perception
qu’un «blanc» (héritier de privilèges d’un temps révolu où régnait une
injustice implacable) ne soit pas soumis au code pénal qui régit le
reste de la population est une gangrène qui mine les relations inter-ethniques mauriciennes. On tend ainsi à faire abstraction du fait que,
lors du scandale de la caisse noire d’«Air Mauritius», le seul accusé à
avoir honnêtement avoué sa faute et restitué les Rs 27 millions d’argent
mal acquis fut Gérard Tyack dont le carnet de boutiquier n’a servi qu’à
le rendre passible d’un séjour de plusieurs mois à la prison de Petit
Verger. C’est aussi faire abstraction de toutes ces petites têtes
blondes emprisonnées pour des délits de drogue que j’ai constatées à la
prison de GRNW durant une visite en 2004. C’est cette perception qui a,
dans le temps, poussé feu l’inspecteur Harry Raddhoa à enfreindre la loi
en séquestrant illégalement Martine Desmarais. Il espérait ainsi lui
soutirer des informations qui incrimineraient Bernard Maigrot, cet autre
suspect «blanc» du meurtre de Vanessa Lagesse, la cousine du même
Thierry Lagesse. L’inspecteur n’eut aucun état d’âme que Martine
Desmarais fut compensée par la Cour suprême d’un état de droit qui jugea
le traitement qu’elle subit contraire à ses droits constitutionnels.
Thierry Lagesse n’aura probablement pas le sort de Madame Desmarais
au vu des preuves accablantes que le CCID semble avoir obtenues d’Ashish
Kumar Seeburrun. Il aurait naïvement été pris, la main dans le sac,
lors du shopping pour son nouveau joujou de luxe (il possède déjà une
Harley Davidson). La sous-facturation qui cause un manque à gagner de Rs
7,2 millions est normalement châtiée par une pénalité qui est un
multiple de cette somme. Il est absolument juste que cette pénalité soit
appliquée. Mais les autorités peuvent-elles, en leur âme et conscience,
arguer qu’il fallait, d’abord, en faire une affaire de police et,
ensuite, le mettre en prison ? Combien de cas de taxe impayée finissent-ils aux mains de la police ?
Les autorités ont objecté à sa libération car elles disaient craindre
qu’il puisse influencer les témoins et manipuler des preuves.
L’industriel a passé des semaines en Europe d’où il aurait pu avoir
manipulé qui il voulait à coeur joie. Les interlocuteurs de l’ancien
«Attorney General» avaient été accusés de manipuler des témoins sans
pour cela être passibles de jours de prison. Les raisons avancées pour
emprisonner Thierry Lagesse ne convainquent pas vraiment. Il est
difficile de ne pas conclure que son épiderme n’est pas étranger au sort
qui lui est réservé. Il a fallu non seulement qu’il paye le coût imposé
par son imprudence alléguée devant la loi, mais de plus, il fallait
ajouter une dose d’humiliation facultative pour la bonne mesure.
Et quid de Maurice dans tout cela ? En avons-nous fait un meilleur
pays après cet épisode ? Lagesse brasse Rs 27 milliards en chiffre
d’affaires. On peut estimer qu’il emploie entre trois et cinq mille
Mauriciens dans les entreprises où sa famille possède un intérêt direct.
On pourrait arguer qu’il est de l’intérêt de ces milliers de pères et
mères de famille que leur patron s’identifie un peu plus au sol où il a
choisi de garder sa fortune plutôt que d’en être aliéné. S’il faut s’en
persuader, on se rappellera cet autre blanc riche, Fernand Leclézio qui, à
la veille de l’indépendance, prit ses clics et ses clacs sous le nez et
à la barbe de SSR pour des horizons meilleurs. Et, faut-il le rappeler,
il existait alors un contrôle absolument rigoureux des transferts de
capitaux qui n’existe pas aujourd’hui. Les entreprises associées au
groupe Mon Loisir ont déjà un pied très ferme sur le continent africain
où les marges de profit sont bien plus intéressantes et bien moins
difficiles à réaliser. Avec près de 50 000 chômeurs, le malin plaisir de
voir cette grande gueule de patron rire jaune derrière les barreaux en
valait-il vraiment le coût ?
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