Le Dr Marius Barnard, à qui l'ile Maurice doit tant, avec un petit malade. |
Il est futile de présenter la ''Society for Aid to Children’’ (SACIM) aux Mauriciens. On sait que cette société a jusqu’ici permis à plus de 172 enfants atteints de diverses affections et qui étaient inopérables à Maurice de vivre une vie plus normale en leur donnant les moyens de subir une intervention chirurgicale outre-mer.
Mais ce dont le public est généralement moins au courant, ce sont les difficultés auxquelles une telle organisation doit faire face, difficultés qui ne sont pas toujours d’ordre financier.
La doctoresse Julia Maigrot, présidente de cette association, raconte ici à l’express les soucis et les problèmes que posent la sélection des patients ainsi que la situation de dépendance dans laquelle se trouve la SACIM vis-à-vis du nombre restreint de centres hospitaliers qui ont accueilli ses petits malades.
Parmi les autres sujets abordés durant cette interview, il sera question de la possibilité de l’aide aux malades adultes inopérables à Maurice. La perspective d’inviter des experts étrangers chez nous en vue de pratiquer ici même les interventions chirurgicales qui ont jusqu’ici nécessité le déplacement des patients et, bien sûr, l’effort qu’un tel changement impliquerait sur le plan médical à Maurice.
Propos recueillis par
Jean-Mée DESVEAUX
L’Express du 14 septembre 1978
Q : Docteur Julia Maigrot, il y a en ce moment énormément d'événements affectant le sort de ceux qui sont inopérables à Maurice. Pour ne mentionner qu'une chose, vous allez inaugurer prochainement le nouvel électro cardiographe de la SACIM. Pouvez-vous nous en parler?
R: En effet, la générosité des Mauriciens nous a permis d'acheter notre électrocardiographe qui a coûté Rs 172 000 et qui va être mis en usage très prochainement. Le principal impact de cette innovation sera évidemment sur le plan de l'amélioration du diagnostic. Il y a pas mal de cas où nos petits patients souffrent d'une condition inopérable. Dans ces cas-là, c'est un gaspillage de ressources que d'envoyer un tel patient à l'extérieur pour être soigné car il prendrait inutilement la place d'un autre qui, lui, a des chances de profiter d'une intervention chirurgicale. Si nous comptons des dépenses de l'ordre de Rs 5000 par enfant, cette machine nous permettra une économie considérable dans ce sens-là.
L'électro cardiographe pourra aussi permettre d'identifier les bébés qui souffrent de la maladie bleue. Cette identification permettra d'établir la possibilité de pratiquer une intervention chirurgicale assez simple. Elle consiste à passer une sonde par un vaisseau sanguin — opération qui peut être faite à Maurice en vue d'améliorer la condition du bébé jusqu'à ce qu'il soit assez grand pour pouvoir supporter une réelle opération. Cela permettra donc de gagner du temps.
Q : Une partie essentielle du travail semble donc résider dans la sélection des sujets à être envoyés à l'extérieur pour être opérés.
R: C'est exact, car il faut se rappeler qu'une seule opération peut coûter jusqu'à Rs 20000 alors que nos patients à l'étranger ne payent que Rs120 par jour. C'est un très gros fardeau sur les institutions étrangères qui nous aident et il faut donc absolument faire un travail de sélection scientifique à notre niveau, ici-même.
Il va de soi que ce travail de sélection, tout en aidant nos confrères à l’étranger, comporte énormément de responsabilités pour le médecin qui doit décider s'il est valable qu'un patient parte ou non. Les médecins sont reconnaissants de l'opinion d'un confrère dans ces cas-là, car le degré de certitude est évidemment une source d'angoisse. Sous ce même chapitre, il faudrait viser à alléger la dépendance dans laquelle nous nous trouvons vis-à-vis d'un ou de deux centres. Nous dépendons beaucoup, en ce moment, de l'Afrique du Sud et plus particulièrement de la Groot Schuur Hospital de Cape Town où travaille le Dr Marius Barnard, qui a opéré le plus grand nombre de Mauriciens en Afrique du Sud. Ce serait une bonne chose d'arrêter cette dépendance en s'adressant aussi à d'autres pays pour prendre en charge certains de nos malades.
Q : Vous pensez donc que la situation présente peut laisser passer certains abus?
R :Toutes les situations où la demande dépasse l'offre peut en effet créer des abus. Pour prendre un exemple, la South African Airways va prochainement accepter de réduire les frais de voyage des patients qui appartiennent à la couche économiquement faible. Il est donc impérieux qu'une enquête sociale soit faite en vue de s'assurer que ceux qui profitent de cette mesure sont vraiment nécessiteux.
II y a aussi l'hébergement de nos patients à l'extérieur qui pose un très difficile problème. En ce moment, la presque totalité de nos compatriotes à Johannesburg sont hébergés et aidés par M. Hassan Khan, que nous attendons du reste prochainement à Maurice. Ce saint homme se dévoue, malgré des problèmes énormes de transport et de logement, pour rendre le séjour des patients mauriciens à Johannesburg plus supportable. On ne peut abuser de cette hospitalité et si les Mauriciens continuent à se faire opérer en Afrique du Sud, il faudrait sérieusement songer à construire un centre d'accueil sur place.
En dernier lieu, et cela se rapporte encore à la question de sélection, beaucoup de cas ont été référés ailleurs alors qu'il existait en fait des moyens de faire l'intervention chirurgicale à Maurice. Il y a deux conditions cardiaques congénitales qui sont opérables à Maurice. Il existe aussi les conditions rhumatismales où il s'agit seulement d'élargir une valve. Cette opération peut être parfaitement bien pratiquée localement et pourtant il y a eu des patients souffrant de ces conditions qui ont été traités à l'extérieur.
Q : L'aide qui est donnée aux enfants inopérables à Maurice ne serait-elle pas mieux placée si on essayait, à l'avenir, de prévenir les maladies qui le sont ou d'enrayer leurs conséquences plutôt que de les guérir? La prévention de certaines conditions cardiaques est possible, n'est-ce pas?
R: Certaines le sont et d'autres pas. Beaucoup de ces cas sont congénitaux et ne permettent donc pas vraiment la prévention. Il y a, bien sûr, les cas congénitaux associés à la rubéole où une vaccination de la future mère à l'âge de 14 ou 15 ans peut être un facteur déterminant. Mais cela ne doit présenter que 5% des cas qui nous sont référés. Ce faible pourcentage ne justifie pas une campagne nationale de vaccination surtout si on tient compte que nous n'avons même pas encore de vaccin contre la rougeole, qui est une maladie plus répandue et qui cause pas mal de mortalités.
Parmi les conditions où la prévention est possible se trouve le rhumatisme du coeur, qui est en général associé à un niveau de vie très bas: pauvreté, surpopulation et tout ce qui s'ensuit. Ces facteurs sont reconnus comme ayant une relation de cause à effet avec la suite cardiaque d'une fièvre rhumatismale.
Un enfant qui a souffert d'une telle affection a évidemment le coeur très abîmé et des soins immédiats sont de rigueur. Mais on voit trop souvent, hélas, des enfants souffrant de fièvre rhumatismale qui sont référés aux spécialistes bien trop tard pour qu'ils puissent être aidés. Quand on réussit à prendre l'enfant à temps, on pratique une piqûre de pénicilline à effet prolongé toutes les trois semaines en vue d'éviter une seconde crise qui abîmerait le cœur davantage. Un examen diagnostique est pratiqué dans ce but dans tous les hôpitaux de l'île.
Q: Vous parlez beaucoup des enfants qui souffrent de conditions cardiaques et cela est naturel, car vous faites partie de la SACIM, mais n'y a-t-il pas des adultes inopérables à Maurice qui n'ont pas les moyens de se faire traiter à l'extérieur. Que fait-on pour ces adultes?
R: Ces adultes existent et, en ce moment même, il y a trois organisations qui prennent beaucoup d'essor et dont le but est d'aider cette catégorie de patients. Ceux-là sont: The Giants, TOPO (Treatment Of Patients Overseas) et la Capetonians Benevolent Society, ce dernier comprenant essentiellement des Mauriciens qui ont été opérés à Capetown et qui sont maintenant motivés à aider d'autres patients.
Si j'ai un espoir à formuler, et je parle ici strictement en mon nom personnel, je voudrais voir ces trois associations se grouper en une seule en vue de faire face aux nombreux problèmes que l'avenir nous réserve.
Q : Quelle est la raison de votre pessimisme?
R: Savez-vous que certains des hôpitaux qui reçoivent nos concitoyens nous ont fait savoir que la liste d'attente est telle qu'ils ne pourraient recevoir d'autres Mauriciens adultes pour un an ou deux. Les organisations d'adultes dont nous parlions tout à l'heure n'auront donc pas uniquement pour tâche de trouver l'argent nécessaire aux voyages; il leur faudra aussi entreprendre une correspondance en vue de trouver des possibilités d'accueil ailleurs. Il leur faudra, tout comme le fait SACIM, sélectionner les patients selon l'urgence et selon le pronostic de l'opération, comme nous avons déjà vu.
Il est aussi à noter dans ce domaine que nous attendons très prochainement à Maurice la visite de réels "VIP's du coeur". Il s'agit du docteur Marius Barnard, à qui l'île Maurice doit tant et du professeur John Wright de l'Université de Sydney, qui est un spécialiste de la chirurgie cardio-thoracique. Le professeur Wright se propose, durant son court séjour ici, d'examiner les patients, enfants et adultes, qui lui seront référés par leurs propres médecins. En dernier lieu, nous attendons le docteur Elton Goldblatt, cardiologue pédiatrique dont le court séjour coïncidera avec le début de l'usage de notre électrocardiographe.
Il est certain que la rencontre de ces éminents spécialistes et des associations d'adultes inopérables à Maurice sera extrêmement fructueuse.
Q: On a sérieusement considéré récemment la possibilité de solliciter l'aide du docteur M. Barnard en vue de pratiquer de telles interventions chirurgicales à Maurice. Où en sont ces projets?
R:Les trois dernières lettres que j'ai reçues du Dr. Barnard en parlent justement. Il tient à savoir ce que la profession à Maurice en pense. Il est même disposé à apporter son équipement complet à Maurice. Ceci est d'extrême importance, car les opérations de ce genre se font à coeur ouvert. Le coeur est arrêté et la circulation se fait à l'aide du "heart-lung machine". Il y a beaucoup d'investigations qui doivent cependant être faites au préalable. Si on opère, par exemple, une douzaine de malades en 15 jours, cela nécessite un intensive care ward post-opératoire hautement spécialisé. Il faudrait un travail des plus intenses au niveau du laboratoire de sang ainsi que l'aide du public, car c'est presque une rivière de sang qu'il faut dans ces cas-là.
Q : Pourriez-vous finalement nous parler du ‘follow-up’ qui est entrepris par la SACIM pour suivre le progrès des enfants qui ont subi des opérations du coeur à l'extérieur?
R: C'est un travail que nous commençons tout juste d'entreprendre. Nous dépendons totalement ici des parents et des médecins traitants. Nous venons d'organiser une société de personnes prêtes à nous aider qui prendrait chacune la charge de deux enfants. Ce travail social comprendrait la visite rendue aux enfants au sein de leurs familles en vue de nous fournir les données nécessaires pour notre travail. Nous avons besoin de beaucoup d'aide et je fais un appel à toutes celles qui voudraient aider de contacter Mme Ng Wong Hing ou Mme Jean-Claude Maingard, au centre de la SACIM.
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